MoL : Chapitre 16
MoL : Chapitre 18

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Bonne lecture !

 

Chapitre 17 – Sympathie pour l’araignée

 

Pendant un moment, le silence régna à la fois mentalement et physiquement. Zorian fixait les yeux sans paupières de son adversaire ; il n’était pas ce genre de personne avec une phobie particulière des araignées mais il était compliqué de ne pas être intimidé par une créature capable de lire dans vos pensées et vous ayant à sa merci la plus totale à cause de la paralysie induite. Il ne pouvait même pas tenter de surpasser l’effet physiquement : c’était purement mental – son corps était techniquement isolé de son esprit.

La situation n’était pas totalement perdue : en tant que mage, Zorian était naturellement résistant et on ne pouvait lire facilement dans ses pensées, presque par défaut. La capacité de se débarrasser de toute pensée vagabonde et sentiment impromptu afin de discipliner son esprit était une obligation pour tout mage en devenir. Cela dit, contrôler ses pensées pour une longue période était épuisant. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une pensée fugitive se fasse la malle et qu’il laisse s’échapper… un important secret à cette foutue araignée. Et la résistance de son esprit ne lui ferait pas grand bien si elle perdait patience et décidait de lui bourrer la tête avec un boulet de démolition psychique.

Au bout du compte, l’araignée décida de parler la première. Ou plutôt de communiquer télépathiquement dans un premier temps puisque c’est ce qui apparaissait comme sa seule possibilité en l’absence de bouche concrète. Ouais, ça avait du sens.

[Tu n’es pas entraîné,] déclara l’araignée. [C’est dommage. J’aurais adoré partager des techniques avec un psychique humain. Je suppose que c’était prévisible pourtant, en considérant l’attitude hautaine de votre espèce envers la magie mentale.]

…Quoi ?

[Pourquoi cette confusion ? Tu ne peux pas être ignorant du Don,] avança l’araignée, déchirée entre la perplexité et l’amusent à cette idée. [Tu vois ? Juste là ! Tu viens de ressentir mes émotions. Que penses-tu que c’était, sinon de l’empathie ?]

Le cerveau de Zorian gela littéralement pendant une seconde. Lui, un empathe ? C’était… C’était totalement ridicule ! Il n’était ni social ni assez plaisant pour être empathique !

[Quel étrangement enchaînement de logique,] constata l’araignée. [Nous, les Aranea, sommes toutes Ouvertes. Pourtant il existe beaucoup de solitaires et d’individus peu fréquentables dans nos rangs. Je suis triste de devoir avouer que certains utilisent même leur empathie pour semer la discorde volontairement dans la Toile.]

L’esprit de Zorian fut momentanément embrasé par les possibilités. Il finit par se forcer à reprendre le contrôle et enterra ces pensées au fin fond de son esprit. Concentration ! C’était un moment vraiment horrible pour se laisser distraire. Il avait un souci bien plus sérieux sur les bras, là.

[Tu dois te méprendre,] pensa Zorian en retour, sachant que l’araignée allait attraper cette pensée. [Il est bien plus probable que tu aies attaché ces émotions au message télépathique que tu m’as envoyé.]

[Pas besoin d’être insultant,] renvoya immédiatement l’Aranea. [Je suis une matriarche Aranea. Si j’avais attaché quelque chose à notre communication, ça n’aurait pas été un accident. Mais peu importe – si tu veux nier l’évidente vérité de tes capacités empathiques, nions-la. Ce que je veux savoir, c’est pourquoi tu as un problème avec ma Toile. Pour autant que je sache, nous ne t’avons jamais rien fait alors je suis perplexe, pourquoi as-tu ressenti le besoin de nous envoyer des troupes ?]

Qu’est-ce qu’el… Oh. L’avertissement qu’il avait donné à Taiven à propos des araignées télépathiques et la recherche subséquente par les autorités. Évidemment. De toutes les choses dont il avait dû s’inquiéter la semaine passée, être traqué par les araignées pour avoir lancé une rumeur ne lui avait pas une seule fois effleuré l’esprit. Et dire que ça se passait ainsi… Hah.

[Je ne suis pas sûr que tu me croiras mais je n’ai jamais eu l’intention d’envoyer des exécuteurs vers vous,] envoya Zorian. [Tout ce que j’ai fait, c’était prévenir une amie de faire attention à vous quand elle descendrait dans les égouts. On dirait que tout s’est enchaîné à partir de là.]

[Pourquoi devrais-je ne pas te croire ? Je lis littéralement ton esprit alors que nous parlons], nota l’araignée. [Mais ça n’explique toujours pas comment tu nous connais, pour commencer. Nous avons tendance à être très, très discrets et aimons vivre en secret. Ou plutôt, pourquoi as-tu ressenti le besoin de prévenir ton amie à notre propos puisque nous n’attaquons jamais les humains sans avoir été provoquées ?]

Et merde ? Comment pouvait-il expliquer ça sans révéler quoi que ce fut de sensible ?

[Alors je suppose que c’est lié à cette boucle temporelle dans laquelle tu es piégé ?] demanda innocemment la matriarche Aranea.

Zorian aurait pu grincer des dents s’il n’avait pas été paralysé. Putain, comment ?! Il avait pris soin de ne pas y penser !

[Ta capacité à contrôler tes pensées est plutôt impressionnante pour un amateur mais c’est une forme de défense mentale qui ne fonctionne que si tu sais que ton esprit est épié. Je vous ai observé, toi et ton groupe. Et je l’ai fait depuis un moment avant de venir te voir. D’ailleurs, alors que tu es Ouvert et donc difficile à lire, ton ami et ta sœur sont virtuellement sans défense contre mes pouvoirs. Ils n’ont même pas remarqué que je fouillais dans leur mémoire, encore moins quand il ne s’agissait que de leurs pensées de surface.]

Zorian eut envie de se frapper la tête contre le mur pour ne pas avoir pensé à ça. Bien sûr, partager ses secrets avec Kirielle allait revenir le hanter – un secret est aussi sécurisé que l’est son lien le plus faible. Il considéra la situation pendant un moment avant de soupirer mentalement. C’était perdu d’avance. L’araignée l’avait totalement devancé et le tenait dans le creux de sa… patte, pour ainsi dire. La créature semblait assez raisonnable mais il aurait préféré qu’elle fut meurtrière ; il pouvait réucupérer de la mort assez facilement mais les choses qu’un mage mental accompli pouvait lui faire le suivraient même au-delà de la boucle.

[Ton insistance à me voir comme une menace intransigeante malgré l’absence de mouvement offensifs de ma part commence à sérieusement m’ennuyer,] envoya l’Aranea et Zorian compris bien qu’un sentiment sous-jacent d’exaspération accompagnait ses mots.

Il se demanda comment cette estimée matriarche décrirait son embuscade et la violation évidente de l’intimité de ses amis sinon agressive.

[Je suis venue pour discuter, pas pour me battre. Les exécuteurs n’ont pas réussi à nous traquer, encore moins à nous repérer alors il n’y a aucune raison que je t’en veuille. Ce n’est pas une vengeance que je cherche. Ce que je veux, c’est dénouer une situation avant qu’elle ne spirale hors de contrôle. Je sais que notre espèce a l’air effrayante pour vous les humains mais arrête de me voir comme une espèce de bête esclavagiste qui ne sort que pour vous bouffer ou vous faire souffrir jusqu’à la folie sans raison. Nous ne sommes pas pires que des humains, vraiment.]

[Je ne suis pas certain d’en être rassuré. Les humains peuvent être plutôt horribles,] fit remarquer Zorian. [Mais je vois où tu veux en venir. Et maintenant ? Tes poursuivants vont se lasser rapidement et vous laisser en paix. Je n’ai pas l’intention de tenter la moindre action future contre vous et votre… Toile. Problème résolu, donc ?]

[Eh bien, oui,] confirma la matriarche. [Mais dans le processus, j’ai découvert quelque chose cent fois plus intéressant qu’un gamin humain avec une rancœur inconnue. Tu ne pensais pas vraiment que j’allais simplement ignorer cette histoire de boucle temporelle, n’est-ce pas ?]

[…J’espérais un peu que tu le ferais, en fait,] reconnut Zorian. [Ça ne te concer…]

[Oh, j’ai peur de ne pas être de cet avis,] trancha l’Aranea. [Je viens de découvrir que ma mémoire se fait effacer avec précision et efficacité à intervalles réguliers. Je suis grandement concernée.]

Zorian se tritura la cervelle pour trouver une réponse qui pourrait la dissuader de s’impliquer dans tout ça mais abandonna après quelques secondes. Il recevait une impression d’entêtement et de résolution de sa part et sentait que tous ses arguments étaient condamnés à tomber dans l’esprit d’une sourde. Il ne savait pas s’il pouvait lire le langage corporelle d’une araignée géante mais apparemment… c’était le cas. Peut-être qu’il y avait dans cette histoire d’empathe un fond de vérité.

[Bon,] tenta Zorian, [si nous devons avoir une discussion sérieuse à ce sujet, j’apprécierais vraiment d’être libéré de cette paralysie. C’est très inconfortable et je me montrerais sans doute bien plus amical si je n’étais pas figé ainsi.]

[Je ne te fais pas assez confiance,] lui envoya directement l’araignée. [Tout ce que tu as à faire, c’est crier et les choses pourraient devenir très rapidement chaotiques.]

[Je ne vais pas faire ça,] la rassura Zorian. [Je ne mettrais que ma sœur et mes amis en danger. Je suis sûr que tu es capable de t’occuper de tout ce que n’importe qui dans cette maison pourrait t’envoyer.]

[Eh bien, non. J’ai vécu trop longtemps pour sous-estimer les mages,] avoua l’araignée. [Mais tu sais quoi ? Je vais te dire. Pourquoi n’en resterions-nous pas là pour l’instant ? Plus tard, quand tu te seras calmé un peu, tu peux descendre dans les égouts et me chercher pour avoir avec moi une petite conversation amicale en terrain neutre, où nous nous sentirons tous les deux plus en sécurité.]

C’était… une excellente idée, en fait. Bon, il ne savait toujours pas pourquoi –

[Pourquoi t’embêterais-tu à me pister quand tu peux juste prétendre que ce n’est jamais arrivé et ignorer mon existence ?] résuma la matriarche. [Eh bien, pour commencer, je peux voir que tu es intéressé par ce que j’entends en te disant que tu es Ouvert, peu importe à quel point tu essayes de le cacher. Tu n’obtiendras jamais de réponse satisfaisante à moins de venir me voir. Ensuite, il y a une raison qui m’a fait accepter l’idée que tu es piégé dans une boucle temporelle sans te prendre pour un fou. Je possède des indices importants qui pourraient t’aider à résoudre ce puzzle afin d’en sortir mais je ne compte pas les partager à moins de recevoir quelque chose en retour. Je suis sûre que nous tomberons d’accord sur un prix équitable. Et enfin, travailler avec moi n’est pas une corvée dispensable comme tu sembles le penser. Je suis la dirigeante d’un groupe de l’ombre composé d’araignées télépathes qui possèdent leur réseau sous la ville entière. Je suis certaine que tu vois déjà comment un tel groupe peut être utile à tes projets ?]

Zorian parvint à déglutir bruyamment en réalisant le sérieux de la situation à laquelle il avait affaire désormais. Son groupe était si grand et organisé ? Il savait que l’araignée devant lui était la représentante d’une grande communauté puisqu’elle s’était présentée comme une matriarche mais il pensait que ce n’était qu’une meute quelconque d’une ou deux dizaine d’individus au mieux. Soudain, les yeux d’un noir d’encre qui reflétaient son image depuis tout ce temps lui semblèrent bien plus menaçants qu’ils ne l’étaient quelques minutes auparavant. Nom de dieu, mais dans quoi s’était-il fourré ?

[Je suis contente que nous ayons enfin trouvé un terrain d’entente, Zorian Kazinski. Maintenant, repose-toi et viens discuter avec moi lorsque tu seras moins tendu.]

Zorian senti soudain une chape de force télépathique presser doucement contre son esprit. Il tenta de résister mais l’effort était vain, l’attaque semblait ignorer toute forme de défense dans leur totalité. Malgré de vaillants efforts, Zorian perdit conscience et lorsqu’il revint à lui quelques minutes plus tard, il était seul dans sa chambre et il n’y avait plus trace de la matriarche.

 

___

 

Après ça, Zorian se mit à réfléchir en long et en large à propos de l’offre de l’Aranea et décida ultimement qu’il n’avait pas vraiment le choix. Il doutait qu’elle l’attendrait patiemment s’il l’ignorait pendant trop longtemps et attirer l’attention sur lui en la provoquant n’était pas une bonne idée non plus. Elle pourrait même répondre par la violence. De plus, comme elle savait pour la boucle, elle était assurée de lui faire quelque chose qui allait le hanter au-delà des confins de celle-ci en particulier. Bien sûr, il y avait aussi le fait que ce qu’elle avait dit pendant leur bref échange l’intéressait grandement. Les bénéfices potentiels d’arriver à un marché avec elle étaient simplement trop grands pour être ignorés.

Cela dit, il n’avait absolument aucune intention de courir vers cette satanée araignée à première occasion – ça le montrerait juste totalement désespéré. Il fallait la laisser attendre un moment. Ouais, c’était une bonne idée de se préparer un peu avant de la confronter, de toute façon.

Tout d’abord, il avait besoin d’en savoir plus sur ces Aranea qu’il allait rencontrer. Ses précédentes recherches sur les araignées n’avaient pas rencontré un franc succès mais maintenant qu’il était armé d’un nom, il allait être bien plus efficace. Il trouva donc nombre de descriptions même si elles étaient toutes de moindre qualité que dans ses espoirs les plus élémentaires. Apparemment, les Aranea étaient semi-mythiques à cause de leur rareté et il existait de nombreux rapports conflictuels à leur sujet. Tout le monde était d’accord sur le fait qu’elles étaient intelligentes et armées de magie par nature mais à partir de là, les détails divergeaient sauvagement. Selon l’auteur, toutes sortes de pouvoirs leur étaient attribués, de la capacité de prendre forme humaine à celle de manipuler les ombres entre autres compétences totalement insensées. Zorian pouvait y voir trois explications possibles. Un, les Aranea possédaient un nombre extravagant de sous-espèces et chacune d’entre elle une apparence et des pouvoirs propres. Deux, les auteurs racontaient des conneries. Trois, les Aranea étaient des mages au sens humain du terme, armé d’une variété flexible de sorts capables de produire une grande variété d’effets. Connaissant sa chance, c’était définitivement l’option trois. La pire des possibilités, la plus inquiétante. Un groupe de rigolotes armées de compétences limitées à la magie mentale était déjà dangereux mais il pouvait être contré avec de la préparation. Un groupe de mages utilisant un système totalement nouveau de sorts aux limitations inconnues ? C’était pratiquement la définition de l’imprévisibilité. Ou du suicide.

Pourtant, l’Aranea qu’il avait vue ne lui avait donné aucune indication quant au fait qu’elle pouvait connaître une magie quelconque au-delà de ses capacités mentales alors peut-être que son groupe était spécialisé dans ce domaine. Avoir un moyen de contrer leurs attaques mentales était certainement une obligation avant d’aller les confronter. Un des livres suggérait que les Aranea étaient vulnérables aux attaques basées sur la lumière en tant qu’êtres nocturnes et leur absence de paupières. Pour Zorian, ça semblait plausible et il était plutôt certain que son talent en formulation était suffisant pour assembler quelques grenades aveuglantes. Quelques mesures défensives supplémentaires et il serait bon. Enfin, autant qu’un mage de son calibre et possédant ses ressources pouvait l’être – ce n’était pas grand-chose mais ça lui permettrait de gagner un temps précieux s’il devait fuir.

L’autre chose qu’il tentait de découvrir était la véracité de ce qu’avait déclaré la matriarche sur sa nature d’empathe. L’idée semblait vraiment fausse : les histoires qu’il avait entendues à propos des empathes les décrivaient comme des êtes de compassion, sociables et possédant une grande sagesse, un respect pour les traditions et beaucoup d’amis. Zorian ne rentrait vraiment pas dans ce moule-là. Mais est-ce que ça prouvait quelque chose ? Les empathes étaient si rares – parmi les humains, en tout cas – que toute sorte de faits à leur propos était déjà suspect en soi. Aussi étrange que ça paraissait, il plaçait l’opinion d’une araignée télépathe géante au-dessus de celle des auteurs humains. S’il était réellement un empathe, cela dit, alors pourquoi n’avait-il pas… Eh bien, vous savez ? On pourrait penser que la capacité de ressentir les émotions des autres était plutôt évidente. Il supposa qu’il était possible que ses propres pouvoirs fussent trop faibles et erratiques pour se manifester par eux-mêmes d’une façon évidente. Ce qui soulevait une autre question – comment discerner la vérité ?

Heureusement, l’empathie n’était pas un sujet particulièrement sensible et rien ne pouvait l’arrêter s’il désirait poser des questions à Ilsa et à d’autres professeurs. Cela dit, avant de le faire, il avait décidé de chercher de l’aide plus près de chez lui. Il avait remarqué que la propriétaire nourrissait un intérêt pour les branches ésotériques de la magie même si elle n’était pas un mage elle-même. Elle possédait assez de livres dans sa maison pour fournier une petite bibliothèque. Ça ne ferait pas de mal de demander, supposa-t-il. Imaya était bien plus abordable que n’importe qui d’autre.

Il l’approcha tandis qu’elle nettoyait les plats, un soir.

— Miss Kiroshka, pourriez-vous m’accorder une minute ? demanda Zorian. J’aimerais vous parler de quelque chose.

— Je t’ai déjà dit mille fois de m’appeler Imaya, répliqua-t-elle en cessant de travailler juste assez longtemps pour lui accorder un regard bref. Et bien sûr qu’on peut parler mais je dois finir ça d’abord. Prends une chaise et attends que je termine.

Au lieu de s’exécuter, Zorian se mit à l’aider. Elle aurait terminé plus rapidement avec son aide et c’était un moyen simple et rapide de gagner des points avant de lui demander de l’aide. Elle eut l’air momentanément surprise par son geste mais retrouva bien vite ses esprits et continua comme si c’était parfaitement attendu.

Une fois la vaisselle propre, Imaya s’assit à la table de la cuisine et fit signe à Zorian de la rejoindre.

— Alors… commença-t-elle. Qu’est-ce qui pèse si lourdement sur l’esprit de mon locataire le plus bougon, au point qu’il vienne m’en parler ? La façon que tu avais de m’éviter depuis ton arrivée… Je pensais presque que tu me détestais.

— Je ne vous déteste pas, Miss K… Hm… Imaya, se reprit Zorian en se corrigeant après avoir vu un regard menaçant s’abattre sur lui. J’ai juste été énormément occupé, c’est tout. Kirielle me monopolise également pendant ce que j’ai de temps libre.

— Elle n’est pas de tout repos, n’est-ce pas ? gloussa Imaya spéculativement. Pourtant, je ne vois toujours pas ce qu’un garçon occupé comme tu l’es pourrait vouloir de moi. Tu ne tenterais pas de me séduire, par hasard ?

— Quoi ?! Non ! cracha à moitié Zorian – elle avait le double de son âge au moins, nom de tous les dieux ! Je ne suis pas –

Il s’arrêta net quand il vit le rictus qu’Imaya ne parvenait presque pas à contenir.

— Très drôle, Miss Kuroshka, très très drôle, lâcha-t-il d’un air désabusé en appuyant sur le fait qu’il ne l’ait pas appelée Imaya.

— Oh, ça l’était, de mon point de vue, dit-elle, un rire dansant dans la voix. Mais je vois que tu ne prends pas les plaisanteries avec légèreté alors passons tout de suite au sujet suivant. Pour quelle raison as-tu besoin de moi ?

— Eh bien… commença Zorian en ignorant royalement sa remarque sur son absence de sens de l’humour. En réalité, ça concerne la magie. J’ai remarqué que vous possédiez un nombre conséquent d’ouvrages sur la magie ésotérique, ici.

— C’est une de mes passions, en effet, expliqua-t-elle. J’ai toujours montré un intérêt pour la magie, spécialement quand elle est rare. J’ai même fréquenté une académie de magie, lorsque j’étais adolescente, un peu comme toi. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance d’Ilsa, d’ailleurs. Nous étions camarades de classes à cette époque. Mais… C’était il y a longtemps.

Zorian acquiesça, acceptant sa dernière remarque pour ce qu’elle était – une requête de ne pas approfondir le sujet.

— Je suppose dont que vous avez lu tous ces livres ? demanda-t-il.

— Chacun, dans leur totalité, confirma Imaya.

— Est-ce que l’un d’eux se réfère à l’empathie ? s’enquit Zorian directement. Spécifiquement, comment peut-on confirmer que l’on est empathe soi-même ?

— J’ai lu des choses à ce sujet, mais je ne possède pas le livre ici, lui expliqua-t-elle en le regardant d’un air étrange. Pourquoi ? Tu t’imagines être un empathe ?

— Eh… Peut-être, admit Zorian. Je veux dire, ça ne me semble pas évident à moi, mais j’ai rencontré un empathe récemment et il m’a affirmé de source sûre que j’en étais un également. Alors je me sens mal à l’aise de simplement en nier la possibilité.

— Hmm… réfléchit Imaya. Et pourquoi penses-tu qu’il soit si improbable que tu en soies un si un empathe te l’a dit en personne ?

— L’empathie ne devrait-elle pas être plutôt évidente pour la personne concernée ? s’étonna Zorian. Parce que ça ne l’est pas, pour moi. Aussi loin que je cherche, je ne peux penser à quoi que ce soit qui puisse indiquer que j’en suis un.

— Rien ? interrogea Imaya avec curiosité. Je trouve cela difficile à croire. Les indicateurs sont si communs que les faux positifs ont tendance à être monnaie courante. En fait, un grand nombre d’experts insistent sur le fait qu’il n’y a rien de surnaturel à propos des empathes – ces personnes sont simplement meilleurs lorsqu’il s’agit de lire le langage corporel des autres que le reste de l’espèce humaine. Il est bien plus probable que tu ignores plutôt les signes. Par exemple, peux-tu nier avoir jamais eu le moindre ressenti envers une personne que tu viens de rencontrer ?

— Eh bien, non, concéda Zorian. J’ai ce genre d’impressions sans arrêt. Ce n’est pas quelque chose d’inhabituel, cela dit.

— Cela se pourrait, corrigea Imaya. À quels intervalles ressens-tu ces choses, et à quel point sont-elles fiables ?

— Je… hésita Zorian. J’ai ce sentiment à peu près à chaque fois que je parle à quelqu’un. Et ça m’a l’air d’être toujours assez précis pour ce que j’en sais, précis et fiable. Pourquoi ? N’est-ce pas normal ? J’ai toujours…

Imaya l’observa d’un air inquisiteur.

— Pas tant, non. Chaque fois que tu parles à quelqu’un, dis-tu ? Et les étrangers qui se mêlent de leurs propres affaires ? Ressens-tu également ces… sensations ?

— Hmm… Parfois ? admit Zorian en se tortillant nerveusement sur sa chaise. Certaines personnes possèdent des personnalités vraiment intenses, vous savez. Vous pouvez les remarquer dans une foule à l’autre bout d’une pièce sans même essayer.

— Intéressant. Et les groupes ? Peux-tu dire que ton jugement à propos de l’humeur d’un groupe est précis, sans avoir à parler à quiconque ?

— Non, lâcha Zorian tout bas. Franchement, la pression écrase tout autre sentiment quand je suis dans un groupe assez vaste. Si j’y reste assez longtemps, j’en perds même ma capacité de jugement individuelle, alors ne parlons même pas du groupe dans son ensemble.

— La pression ? demanda Imaya, perplexe.

— C’est un… Ah, un problème personnel, bafouilla Zorian. Chaque fois que j’entre dans une foule suffisamment grande, je ressens cette étrange pression mentale qui me donne la migraine si j’y reste trop longtemps.

Zorian se trémoussa encore une fois inconfortablement sur sa chaise. Il avait horreur de parler aux gens de son problème de pression, la plupart s’imaginant de suite qu’il se faisait des idées ou qu’il inventait tout ça. Sa famille, par exemple, ne l’avait jamais cru quand il avait tenté de leur décrire le problème en tant qu’enfant, préférant penser qu’il leur montait un plan pour ne pas avoir à les suivre dans les soirées mondaines. Il finit par grandir et ils s’épuisèrent de ses histoires, le menaçant de l’envoyer dans un asile s’il continuait. Aussi ne ramena-t-il plus jamais son problème sur le tapis.

— C’est… un problème intéressant, répondit prudemment Imaya. Dis-moi, la pression est-elle constante ou varie-t-elle selon certains critères ?

— Ça varie, confirma Zorian. Plus il y a de gens dans une foule, le plus densément ils sont rassemblés, le pire est la douleur. Elle augmente également si la foule est…

Son dernier mot traîna en longueur tandis qu’il réalisait ce qu’il disait. Nom d’un chien, il était si stupide !

— Oui ? l’invita Imaya. Si la foule est quoi ?

— …émotionnellement chargée, termina Zorian à voix basse, le regard perdu dans le vide.

Un silence lourd s’abattit sur la cuisine et Zorian se leva avec fureur pour se mettre à faire les cent pas tout autour de la pièce.

— Tes capacités empathiques sont si puissantes que tu ressens littéralement les émotions d’une foule comme une pression mentale palpable, expliqua Imaya après l’avoir observé quelques secondes. Et tu penses qu’il n’y a rien qui puisse indiquer que tu es un empathe ?

— Ce n’est pas si simple ! Comment étais-je supposé savoir ce qu’était cette pression ?! protesta Zorian, laissant nerveusement danser ses mains dans les airs. C’est juste… là ! Elle a toujours été là, une source d’ennui constante depuis que je suis tout gamin. Avez-vous la moindre idée de la quantité de problèmes que ça m’a causé ? L’empathie n’est-elle pas supposée être une bénédiction ? La plupart du temps, je fais de mon mieux pour l’ignorer, espérant en vain qu’elle disparaîtra avec le temps.

— Eh bien, oui, confirma Imaya. L’empathie est habituellement un grand don pour la personne qui la possède. Mais il existe plein de rapports d’empathes dont les pouvoirs étaient si puissants ou volatiles qu’ils s’en trouvaient handicapés. En considérant les histoires d’horreur que j’ai lu à ce propos, ton cas est relativement léger. Crois-moi, ça aurait pu être bien pire.

Ça aurait pu être bien pire – des mots qui pouvaient résumer sa vie entière jusqu’à présent. Oh, et puis ! Il devait exister un moyen de tenir en laisse ses pouvoirs empathiques, et il avait tout le temps du monde pour le trouver. Les Aranea en savaient probablement plus que lui à ce sujet même s’il était sûr qu’il n’allait pas aimer ce qu’elles allaient lui dire.

— Zorian ? demanda Imaya après quelques instants de silence. Je peux voir que c’est un sujet sensible pour toi mais puis-je te poser une question ? Deux, en réalité.

— Bien sûr, l’invita Zorian.

Elle l’avait aidé même s’il n’imaginait pas que son aide allait jouer le rôle qu’elle avait eu, et il pouvait au moins satisfaire sa curiosité.

— J’ai le sentiment que tu n’aimes pas l’idée d’être un empathe et que c’était déjà le cas avant de savoir ce que tu sais désormais. Pourquoi ça ? Peut-être que je m’imagine des choses mais je ne peux pas comprendre pourquoi tu ne voudrais pas posséder une telle capacité magique innée. J’espère que tu ne penses pas être une abomination parce que –

— Non, non, ce n’est rien de tel, la coupa Zorian. Je sais que beaucoup de civils réagissent salement à tout ce qui les rend… différents, mais je ne suis pas comme ça. Non, la vraie raison qui fait que je n’aime pas ça est… bien, bien plus stupide. En fait, je suis embarrassé de même l’admettre. Alors pouvons-nous passer au sujet suivant ?

— Non, trancha Imaya sèchement, un rictus sur les lèves. Tu as dit que je pouvais, et maintenant je veux définitivement entendre ça.

Zorian leva les yeux au ciel. Ça pouvait bien lui servir de leçon pour avoir admis que c’était embarrassant. Bon, ce n’était pas comme si elle avait s’en souvenir le mois suivant.

— Très bien mais vous ne le répétez à personne, ok ?

Imaya mima avec ses doigts qu’elle allait garder la bouche close.

— C’est parce que l’empathie est habituellement décrite comme une capacité féminine, réservée aux femmes et eux hommes efféminés, admit Zorian.

— Ahhh, acquiesça Imaya en comprenant. Bien sûr, un adolescent serait naturellement gêné par quelque chose comme ça…

— Je ne suis pas sexiste ou quoi que ce soit, ajouta rapidement Zorian. Mais j’ai déjà eu mon lot de commentaire à propos de mon manque de virilité et ils sont déjà assez rébarbatifs comme ça. Je ne voudrais pas savoir jusqu’où les gens pourraient aller en y ajoutant ce genre de preuve.

Sa famille était les pire à ce regard, spécialement son père, petit secret qu’il allait garder pour lui.

— Je ne le répèterai pas, assura Imaya. Et si ça peut te soulager un peu, il n’y a aucune preuve de l’empathie présente chez les hommes ou les femmes en particulier.

— Je m’en doute, dit Zorian. Très peu de caractères magiques ont une tendance spécifique à moins d’avoir artificiellement créés ainsi.

— Et je pense aussi que ces gens n’ont aucune idée de ce dont ils parlent, termina Imaya en arborant un sourire supposément innocent sur le visage, un soupçon de malice camouflée derrière. Je pense que tu es un jeune homme très masculin qui rendra un jour une fille très heureuse.

— M… Merci. Quelle est l’autre question que vous vouliez me poser ? demanda Zorian pour changer rapidement de sujet – elle avait eu son plaisir, pas la peine de se laisser torturer plus avant.

— Je suppose que tu vas tenter de développer cette capacité ? demanda-t-elle.

Zorian acquiesça immédiatement.

— Dans ce cas, j’aimerais que tu me tiennes informée de tes progrès. Je trouve ce genre de chose monstrueusement intéressante.

 

___

 

— Eh bien, on y est, lâcha Zorian devant l’entrée des égouts.

La matriarche ne lui avait pas dit où exactement dans les égouts ils allaient pouvoir se rencontrer mais il savait où il avait rencontré les araignées précédemment et il comptait démarrer les recherches à cet endroit.

— Le point de non-retour. Je te donne une fois de plus une chance de faire demi-tour. Tu n’as pas besoin de risquer ta vie avec moi, Kael.

Il fixa silencieusement le Morlock qui le suivait en tentant d’utiliser ses nouvellement découvertes capacités empathiques pour juger de son humeur. Malheureusement, il contrôlait si bien ses émotions et lui-même ne connaissait rien de la façon de provoquer le fonctionnement de l’empathie. Malgré tout ça, Kael sentait vraiment bien cette aventure et était clairement déterminé à en voir le bout. Pourquoi, Zorian l’ignorait. Lorsqu’il avait raconté à Kael l’histoire de l’embuscade et de la matriarche Aranea, il l’avait fait parce qu’il désirait des conseils et Kael semblait le meilleur choix – il savait déjà à propos de la boucle et faisait montre d’une intelligence particulièrement élevée. Ce n’était pas parce qu’il voulait un compagnon de chute dans les égouts. Le Morlock, d’un autre côté, insista sur le fait qu’y aller seul était le pinacle de l’idiotie et que Zorian avait besoin d’un partenaire pour le couvrir. Zorian avait accepté à contrecœur, pas entièrement confortable à l’idée de risquer la vie d’un autre pour ses propres affaires et la logique importait peu. Kael sembla s’amuser de voir Zorian plus inquiet la sécurité d’un ami que pour la sienne propre sachant que Kael reviendrait de toute façon à la vie à la fin de la boucle alors que Zorian peut-être pas. Cela dit, le sens moral de Zorian devait encore s’adapter à ce genre d’implications de l’éternel recommencement et il se sentait horriblement confus à l’idée de mener Kael à une mort certaine, laissant sa fille seule au monde… même si ce ne devait être que pour une semaine de plus.

— Je t’ai dit de laisser tomber, soupira Kael. Je descends avec toi. Même si rien ne se passe, au moins, je pourrai avoir une conversation avec cette matriarche Aranea à propos des usages étiques de la magie.

Oh, ouais – Kael était toujours un peu vert d’avoir appris que l’araignée avait fouillé dans ses souvenirs.

Finalement, ils descendirent dans les tunnels, Zorian ouvrant la marche. Il choisit sa route prudemment, laissant de temps en temps un piège magique le long de leur progression sous la forme de petits cubes de pierre gravés de formules magiques. S’ils devaient fuir, les pièges seraient capables de surprendre leurs poursuivants en remontant. La plupart ne faisaient qu’ériger un champ de force pour ralentir les poursuivants qui devraient alors gérer les cubes avant de progresser plus avant.

Kael, pendant ce temps, était leur support anti mentaliste. Il avait placé un bouclier mental sur lui-même et comptait rester sous l’effet de ce sort en permanence. Si la rencontre devait tourner au vinaigre à un moment donné, il lancerait aussitôt le sort sur Zorian également. Il était sûr que les araignées avaient une méthode de communication avec les humains autre que la télépathie et avait suggéré l’utilisation de ce sort dès le départ sur eux deux mais Zorian savait qu’il devait garder l’esprit ouvert s’il désirait que leur conversation soit un minimum productif. Ses instincts, qu’il reconnaissait désormais comme de l’empathie incontrôlée, lui disaient que les Aranea plaçaient une importance particulière sur la communication mentale. L’empêcher complètement serait vu comme une insulte même s’ils possédaient effectivement d’autres moyens de communication.

Comme ils approchaient de l’endroit où Zorian les avait rencontrées la toute première fois avec Taiven et son groupe, il sentit un contact télépathique caresser la frontière de sa conscience. Comme la première fois qu’il avait rencontré les araignées, ce contact-là était plus rude, plus forcé que le toucher de soie de la matriarche.

Un torrent d’images psychédéliques et d’émotions étrangères frappa son esprit comme une masse, le faisant reculer sous le choc. Kael se plaça immédiatement en position défensive mais Zorian lui fit signe de rester calme. Il était plutôt certain à ce point que l’Aranea avec qui il était en contact n’était pas animée d’intentions hostiles. Apparemment, les esprits des humains et des araignées étaient assez différents pour rendre la communication télépathique difficile et cet individu particulier n’avait jamais appris à le faire correctement.

[Ah. Alors vous êtes parvenus à nous trouver, finalement,] résonna la voix distinctive de la matriarche dans son esprit. [Bien. Je commençais à craindre que vous ne trouviez pas la route sans instructions de ma part. Restez où vous êtes, s’il vous plaît. J’arrive très vite.]

— Elle vient, annonça Zorian à Kael qui acquiesça gravement.

Ils n’eurent pas à attendre longtemps. La matriarche surgit bientôt des ombres, flanquée de deux gardes Aranea. Le fait qu’il fut capable de reconnaître la matriarche malgré le fait qu’elle fut en tous points identique à ses gardes était sans doute une preuve de plus de son empathie. Des choses pareilles lui firent sérieusement se remettre en question : pourquoi avait-il eu besoin d’une araignée parlante pour mettre le doigt dessus ?

[Je pensais, au début, que ce serait une discussion privée entre nous deux uniquement,] envoya la matriarche. [Mais comme tu as jugé bon d’amener un garde, j’ai décidé de faire de même. Oh, au moins, tu ne m’as pas totalement fermé ton esprit comme l’a fait ton ami alors tu es toujours un meilleur humain que ceux avec qui j’ai conversé.]

— Kael n’est pas un garde, protesta Zorian en parlant à voix haute au bénéfice de Kael. Il est impliqué dans cette histoire au moins autant que tu l’es et j’aimerais qu’il participe pleinement à la discussion. As-tu peut-être un moyen de communiquer verbalement ?

La matriarche sembla réfléchir à la question pendant un moment avant de soudainement agiter quatre de ses pattes avant en traçant des symboles complexes dans les airs. Zorian tenta pendant quelques secondes de déchiffrer ce qu’elle essayait de dire avant de réaliser qu’elle ne leur parlait pas.

Elle lançait un sort.

— Voilà, résonna une voix féminine provenant de la matriarche, bien que ses mandibules n’eurent pas bougées. Voici l’équivalent Aranea du sort de bouche magique avec lequel vous êtes sans doute familier. C’est une simple illusion sonique mais c’est suffisant, je pense.

Huh. Alors ils possédaient bel et bien plus qu’un arsenal mental.

— Je te remercie de ta considération, dit Kael sur un ton hésitant, évidemment menacé par les araignées mais désireux de rester poli.

— J’aurais été bien mauvaise de refuser une requête si simple, répondit la matriarche sur le même ton, évidemment suspicieuse elle-même à propos de Kael, probablement parce que son esprit était protégé par une barrière mentale qui l’immunisait à ses capacités et qui le dépeignait comme une menace potentielle.

— S’il te plaît, enfant, gloussa la matriarche.

Zorian entendit les mots dans ses oreilles et dans sa tête à la fois – elle vocalisait peut-être ses paroles mais n’avait clairement pas abandonné l’idée de communiquer avec lui de la façon normale pour elle.

— Je pourrais facilement briser les défenses ridicules d’humain que tu as placé sur ton esprit. No, la raison pour laquelle cette barrière m’ennuie, c’est parce qu’elle bloque totalement son esprit. Comment suis-je supposée lui faire confiance s’il ne me laisse pas observer ses pensées de surface ? C’est malpoli.

L’esprit de Zorian bloque pendant un instant à l’idée de considérer l’évidence de laisser ses pensées libres d’être observées comme une politesse de base. Finalement, il jugea que ce n’était qu’une différence d’espèces parmi d’autres. Kael, quant à lui, ne semblait pas si compréhensif.

— Malpoli ?! s’exclama-t-il, indigné par le terme. Tu penses avoir le droit de faire irruption dans la tête des gens comme bon te semble, sans permission ou avertissement, et c’est moi, le malpoli ?! Tu as épié mes souvenirs personnels, putain, j’ai toutes les raisons de me protéger !

La matriarche envoya l’équivalent mental d’un soupir bien qu’aucun son ne fut envoyé vers Kael.

— Moi de même, dit-elle calmement. Ton ami était un ennemi potentiel que je devais connaître et tu étais l’un de ses points faibles, un des seuls que je pouvais cibler afin d’en apprendre plus. Ton esprit n’était pas du tout protégé, après tout.

— Alors pourquoi n’as-tu pas lu les pensées de Zorian, directement ? Est-ce que ça n’aurait pas été plus rapide et pertinent ?! demanda Kael.

— Eh ! protesta Zorian.

—Je suis limité à ne lire que ses pensées de surface parce qu’il est Ouvert, par courtoisie, expliqua la matriarche. Parmi les Aranea existe une coutume officieuse qui veut que l’on demande la permission avant de fouiller plus profondément dans l’esprit d’un psychique qui n’est pas un ennemi, peu importe l’espèce.

— Et si une personne n’est pas… un psychique ? reprit Kael en plissant les yeux.

— Les esprits faibles ne peuvent pas se plaindre, répondit dédaigneusement la matriarche.

— Très bien, arrêtons d’essayer de nous pousser à bout les uns les autres et revenons à notre histoire ! lança Zorian en claquant des mains, espérant faire cesser la dispute avant que tout ne déraille. Nous parlions de la boucle et de la façon dont tu pourrais m’aider. Avant qu’on y arrive, je dois vraiment demander : quand tu dis que je suis Ouvert, tu fais référence à mon empathie ?

Kael le regarda d’un air surpris, Zorian ne lui ayant jamais touché mot à ce sujet.

— Être Ouvert implique être empathique mais ce n’est pas la même chose. L’empathie est juste l’un des pouvoirs qui te sont offerts et un des fruits les plus bas de l’arbre, qui plus est. C’est pour cette raison que tu peux l’utiliser même si tu es totalement novice dans les arts psychiques. L’Ouverture se manifeste souvent par une empathie faible et incontrôlable au début, associée à un don pour la divination et quelques rêves prophétiques occasionnels.

— Je… Quoi ? s’embrouilla Zorian en tentant de comprendre cette nouvelle information – juste alors qu’il pensait qu’il avait tout compris, quelque chose comme ça arrivait et mélangeait à nouveaux les notions.

Qu’était-ce, être Ouvert, ou empathe, dans ce cas ? Prétendait-elle qu’il était un télépathe tout-puissant, ou quoi ?

— Tu pourrais le devenir avec suffisamment d’entraînement, oui, confirma la matriarche. Je peux t’en apprendre plus à ce sujet… sous réserve que nous arrivions à un accord mutuel acceptable à propos de cette histoire de voyage dans le temps.

— Et que désires-tu exactement de Zorian ? demanda Kael d’un air concerné.

— Eh bien, mon cher Kael, la même chose que toi, répondit la matriarche sur un ton légèrement moqueur. Je veux entrer dans la boucle.

Pendant un moment, Zorian se demanda de quoi elle parlait. Soudain, ses yeux s’élargirent lorsqu’il comprit ce qu’elle voulait dire.

— Tu veux conserver tes souvenirs à chaque boucle ? Tourner avec Zach et moi ? demanda Zorian sur un ton incrédule.

Kael se tortilla inconfortablement sur place, refusant de regarder Zorian dans les yeux tandis que la matriarche Aranea soutenait son regard sans la moindre trace de honte.

— Je… Je suppose que je peux imaginer pourquoi tu voudrais ça, hésita Zorian. Je veux dire, je ne suis pas très content de ma situation mais même moi, je peux voir que j’en bénéficie grandement. Cela dit, tu sembles avoir mal saisi – et c’est valable pour vous deux.

Il jeta un œil vers Kael mais le Morlock évitait toujours son regard. Il pensait probablement que Zorian serait furieux en s’imaginant qu’il avait voulu tirer parti de la situation mais Zorian ne voyait pas les choses sous cet angle. Il était juste… confus.

— Le truc, c’est que je ne sais pas comment faire pour amener quiconque dans la boucle. J’ignore même les détails de ma propre arrivée en son sein, alors de là à les répliquer… Je ne peux pas vous y introduire.

— Nous n’avons pas mal saisi, Zorian, soupira Kael. Nous ne sommes pas stupides. Nous savons que tu ne peux pas le faire maintenant. Nous savons bien que tu ne seras pas capable de le faire avant la fin de cette boucle.

Il regarda la matriarche d’un œil léger.

— Ou en tout cas, je le sais. Peut-être que la grande matriarche Aranea sait des choses que cet esprit faible ignore.

— Je suis d’accord avec le Morlock, annonça l’araignée en refusant de relever la provocation de Kael. Il est hautement improbable que tu sois capable de nous amener dans la boucle avant la fin de la semaine, tel que tu es à présent.

— Vous m’avez totalement perdu, se plaignit Zorian. Que voulez-vous, alors ?

— Mon idée était de stocker des fragments de mémoire dans ton esprit pour permettre à ton esprit de les ramener avec toi dans le passé quand le temps se réinitialise, expliqua nonchalamment la matriarche. Ce n’est pas aussi bien que de voir son âme entière renvoyée, mais ce sera suffisant pour ce que je veux faire.

— Et je devrais être d’accord avec ça… Pourquoi ? demanda Zorian en plissant les yeux, entendant qu’il allait falloir faire joujou avec son esprit, bien plus que ce avec quoi il était d’accord.

— Je suis sûre de pouvoir trouver une chose qui te tente, répondit-elle en ponctuant son message d’un haussement d’ép.. de patt… enfin, un truc mental. Tu as besoin d’informations sur la boucle qui sont en ma possession. Tu veux apprendre comment contrôler ton empathie. Tu as besoin de mon aide pour contrer les envahisseurs. Dois-je continuer ?

Zorian soupira et se tourna pour faire face à Kael.

— Je comptais te mettre en contact avec quelques personnes et te faire comprendre, avec leur aide, comment fonctionne ta connexion avec Zach. Puis, tu pourrais utiliser ces connaissances pour m’inclure dans la boucle, affirma Kael. Cela prendrait probablement quelques recommencements et je ne peux rien proposer d’aussi tentant que notre estimée matriarche mais d’un autre côté, c’est quelque chose qui t’aidera clairement à en apprendre plus sur cette histoire de boucle temporelle.

Le non-dit, c’était que les gens dont parlait Kael étaient probablement tous nécromanciens et les laisser trifouiller son âme était tout aussi dangereux que de laisser l’Aranea s’amuser avec son esprit – et peut-être plus.

— Je vois, soupira Zorian. Bon, je vais laisser de côté la proposition de Kael pour l’instant car ce n’est pas pour ça que je suis là.

— Ça me va, dit rapidement Kael. J’ai aussi encore beaucoup à réfléchir à ce propos.

— Bien, confirma Zorian. Alors passons aux détails de la proposition de la matriarche. Par pure curiosité, as-tu un nom ? Si nous allons faire affaire, surtout quelque chose de si sensible, j’aimerais savoir à qui j’ai affaire.

La matriarche ne répondit pas. Au lieu de ça, elle envoya un court éclat télépathique, une explosion contenant le même genre de délire psychédélique dont les Aranea moins talentueuses l’avaient bombardé. Heureusement, ce n’était pas douloureux – peut-être parce que c’était court et juste confus. Après avoir mentalement disséqué le message chaotique dans sa tête, Zorian réalisa qu’il s’agissait du nom qu’il avait demandé. En traduire le concept en quelque chose d’approprié pour la communication humaine s’avéra un peu compliqué, cependant.

— Lance de Résolution Frappant Directement dans le Cœur de la Matière ? tenta Zorian.

— Aussi bonne que peut l’être une approximation de mon nom, confirma la matriarche. Et oui, je sais que c’est trop délié pour être utilisé par les humains. Ton langage est très brut et traduire un nom Aranea se termine toujours en une pléthore de mots dans ce genre-là. Tu peux continuer à m’appeler Matriarche, je ne t’en tiendrai pas rigueur.

Kael renifla de dédain face à ce nom pompeux mais ne le releva pas plus. Zorian, de son côté, réfléchissait à la façon de procéder.

— Très bien, dans ce cas, dit-il. Tu m’as dit qu’il y a une raison qui t’a fait prendre la boucle au sérieux. Pourquoi ne pas nous dire de quoi il s’agit ?

Avant qu’elle ne pût répondre, un rugissement bruyant perça le silence relatif des tunnels, rapidement suivi par d’autres, tous similaires. Le visage de Zorian se draina de son sang tandis qu’il réalisait l’identité des créatures qui en étaient à l’origine.

Une bande de trolls de guerre arrivaient dans leur direction.

Raka
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8 thoughts on “MoL : Chapitre 17

  1. Merci pour le chapitre. Je sens qu’on va apprendre beaucoup d’autres choses sur les créatures extra-humaines à l’avenir.

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