MoL : Chapitre 18
MoL : Chapitre 20

En vous souhaitant une excellent lecture !


 

Chapitre 19 – Toiles emmêlées

 

Une chose que Zorian trouvait intéressante à propos des recommencements perpétuels était la façon dont chaque de ses choix sans conséquence apparente, les plus insignifiants, pouvaient influencer ce qui se passait au cours de la boucle. À l’inverse, les actions qu’il considérait importantes et dont la modification allait grandement changer la donne avaient souvent peu d’effet. En tout état de fait, la fois où il était allé dans les égouts à la rencontre de la matriarche après avoir convaincu Ilsa de lui accorder une autorisation. Aussi, quand Zorian entra dans le bureau d’Ilsa quelques jours après le début des cours, juste après avoir réalisé que Zach avait décidé d’abandonner l’idée de faire ami-ami avec lui, il s’attendait à ce qu’elle la lui accorde une nouvelle fois.

Et il avait tort. Peu importait le nombre de ses arguments et la justesse de son raisonnement, Ilsa refusa de permettre à un mage en herbe comme lui de risquer sa vie dans le monde souterrain. Il tenta de lui faire une démonstration de ses compétences en magie de combat, relativement avancées à ce point, mais elle ne s’y intéressa pas et se contenta de le mettre à la porte de son bureau. Il fallut à Zorian près d’une heure pour comprendre ce qui avait changé.

La fois précédente, il était avec Kael. Un mage autodidacte de génie, parent isolé et probablement habitué au danger. Si Kael pensait Zorian capable de descendre dans les tunnels sous la ville et était d’accord pour l’y accompagner pour s’assurer qu’il en ressortirait vivant, c’était suffisant pour Ilsa. Cette fois, il était venu seul. Pas de Kael, pas de permis.

— Cafard, je te déteste. Tu le sais, hein ?

Zorian laissa échapper un soupir long comme son exaspération, optant pour ne pas détourner les yeux du tunnel face à lui plutôt que de se retourner vers Taiven. Il n’avait pas besoin de la regarder pour savoir qu’elle lui faisait des grimaces.

— Non, Taiven, je ne le sais pas. Après tout, tu ne me l’as dit que cinq fois. Peut-être que je m’en souviendrai à la dixième ?

— Je ne comprends pas, se plaignit Taiven en ignorant son sarcasme. Tu as refusé de m’accompagner quand je te l’ai demandé en disant que c’était trop dangereux. Et maintenant, tu viens me voir quelques jours plus tard pour me demander de t’y emmener ?

Oui, et à vrai dire, il le regrettait déjà. Pourquoi ne pouvait-elle pas avoir attendu à l’entrée comme il le lui avait demandé ? Il ne savait toujours pas comment il allait expliquer la présence des Aranea quand ils tomberaient dessus. Il fallait espérer qu’elles seraient assez préservatrices pour rester cachées dans les ombres en lui parlant par télépathie – une corvée mais suffisante pour arranger un futur rendez-vous dans le futur, dans un lieu plus arrangeant.

— Je veux dire, tu essayes de m’énerver ? continua Taiven, qui ne comprenait pas son silence. Parce que je me sens assez énervée, là. Laisse-moi te dire…

— Taiven, s’il te plaît, la coupa Zorian. Je t’ai dit que j’étais désolé ! Combien de fois vais-je devoir te présenter mes excuses ? Toi, plus qu’une autre, devrait comprendre si on considère le nombre de fois où tu m’as joué ce genre de tour.

— Pas exactement comme ça, grogna Taiven. Au moins, dis-moi où nous allons.

— Je ne sais pas vraiment, admit Zorian, qui se fiait uniquement aux éclaireurs Aranea qui tenteraient sans nul doute de lire ses pensées s’ils venaient à se croiser.

Il n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvait leur territoire.

— Je le saurai quand on y sera.

— Zorian, je te promets, si c’est ça ton idée d’une farce…

— Je suis totalement sérieux, la rassura Zorian. Je suis certain que nous approchons et que ça ne devrait pas prendre trop –

Une présence étrangère balaya la frontière de sa conscience et se retira immédiatement en remarquant que sa présence avait été détectée. Ce toucher télépathique n’était pas celui de la matriarche mais Zorian reçut définitivement une sensation Aranea.

— Attends ! protesta-t-il en espérant que l’Aranea n’avait pas déjà physiquement fui. Je veux te parler, Aranea ! J’ai d’importantes informations pour ta matriarche !

— Zorian, de quoi tu parles, bordel ? demanda Taiven, totalement perplexe face à ses actions soudaines. Et à qui parles-tu, pour commencer ? Il n’y a personne, ici.

Zorian ne répondit pas et choisit d’attendre en silence pendant un moment. Les secondes s’égrenèrent dans un mutisme lourd tandis que Zorian patientait, en attente d’une réponse de l’araignée. Taiven semblait déchirée entre un sentiment d’irritation face à ce comportement et l’agitation face à une situation potentiellement dangereuse. Finalement, l’Aranea décida d’initier le contact…

…en s’avançant à découvert, devant Zorian et Taiven.

La mâchoire de Taiven tomba au plus bas devant cette grosse araignée poilue et porta sa main à sa ceinture pour en tirer une baguette par pur instinct. Zorian lui attrapa le poignet et lui fit signe de se calmer. Elle le regarda comme elle n’avait jamais regardé personne, perplexe devant l’éternel. Puis, elle tourna à nouveau les yeux vers le nouvel arrivant, qui se tenait là sans bouger en les observant silencieusement de ses deux gros yeux noirs. Il ne bougeait pas et se montrait encore moins menaçant. Taiven semblait rassurée que l’araignée ne représente pas un danger immédiat et se détendit en le comprenant.

— Zorian… commença-t-elle, la voix suintant un mélange de colère et d’inquiétude.

— Je t’expliquerai plus tard, promis, soupira-t-il avant de faire face à l’Aranea. Et toi ! Ne pouvais-tu pas être un peu plus discret ? Pourquoi ne pas être resté dans les ombres pour me contacter par télépathie ?

L’Aranea se reconnecta à son esprit et envoya un éclat de rire mental, clairement amusée. [Si tu voulais me parler par télépathie, pourquoi ne pas m’avoir parlé par télépathie ? N’es-tu pas un psychique ?]

Zorian lui offrit une grimace. Si seulement c’était si simple. Trouver des informations à propos de la magie mentale au sein de ses pairs, mages ou professeurs, s’avérait être une douloureuse dent à extraire – la guilde des mages avait une vision très négative de la magie mentale, si bénigne fut-elle. Personne ne pouvait lui dire ce que signifiait être psychique, encore moins comment contacter quelqu’un par télépathie. Il avait trouvé la trace d’un sort qui permettait à un mage d’établir une communication télépathique avec un autre esprit mais il était assurément brut – il fonctionnait sur les humains, la cible devait être consentante et capable d’abaisser ses résistances mentales. Le lien ne permettait d’ailleurs que le passage de mot, certainement pas la moindre émotion.

[Je ne suis pas entraîné,] admit Zorian. [Je ne sais pas comment contacter quelqu’un par télépathie. Je sais uniquement répondre via une connexion déjà établie.]

Il se posa une question, en réalité. Personne ne lui avait appris à le faire, pourtant le concept était venu naturellement. C’était ça, être psychique ? Peut-être que ça signifiait simplement qu’il était une espèce de mage mental instinctif possédant des capacités innées dans le domaine.

[C’est si triste,] répondit l’Aranea. [Tu es incomplet. Mais je suppose que ça pourrait être pire. Tu pourrais être un esprit faible come ton amie.]

Zorian jeta un œil vers Taiven, réprimant un reniflement amusé C’était une bonne chose que la discussion eut lieu en silence et par la pensée parce qu’il ne pouvait pas imaginer la façon dont elle aurait réagi à une telle « insulte ».

— Quoi ? demanda-t-elle en le voyant lui lancer un regard.

— Rien, marmonna Zorian en secouant la tête. [Miss Aranea, je… Euh… Vous êtes une Miss, hein ?]

C’était difficile à dire mais il était presque sûr que l’araignée avec qui il conversait laissait émaner une sensation féminine. En plus, les Aranea étaient guidés par une matriarche, et toutes les considérer comme des femelles lors d’une rencontre avait du sens pour un étranger tel que lui.

[Toutes les Aranea sont de femelles,] confirma l’araignée.

[Quoi ? Vraiment ?] s’étonna Zorian. [Mais comment est-ce que ça peut bien fonctionner ? Vous vous divisez comme les microbes ou vous tombez enceintes par magie, ou quoi ?]

[Rien de si exotique. Notre espèce est sexuellement dimorphe et les males sont plus petits, à la fois en stature et en mental. Ils ne sont pas tout à fait conscients comme nous le sommes. Nous ne les considérons pas comme des Aranea. Les males vous attaqueraient probablement sans réfléchir au lieu d’initier une conversation… bien qu’il soit peu probable que vous en rencontriez un, à moins que pour une raison quelconque, on vous autorise l’accès à l’un de nos camps.]

Zorian digéra l’information pendant quelques instants et décida de ne pas pousser sa curiosité plus avant. C’était intéressant mais pas pertinent : ils n’étaient pas là pour ça et il ne savait pas combien de temps Taiven allait rester sous pression avant de se mettre à lancer des sorts à la volée. Elle n’était pas exactement un parangon de patience.

[Je suis désolé de devoir me montrer quelque peu malpoli, mais j’ai vraiment besoin de parler à la matriarche,] répéta Zorian en faisant de son mieux pour reproduire et envoyer l’étrange succession d’images que lui avait envoyée Lance de Résolution quand elle lui avait dit son nom. Il espérait ainsi que l’Aranea allait le prendre au sérieux lorsqu’il lui parlerait des paquets mémoriels d’un autre temps.

[J’écoute ta conversation avec Yeux Avertis Qui Ne Manquent Rien D’Important depuis un moment, maintenant, Zorian Kazinski,] annonça le toucher familier de la matriarche.

Posséder la capacité d’envoyer votre esprit dans n’importe quel endroit habité par l’un de vos subordonnés était vraiment bien trop pratique.

[Ça l’est, en effet,] confirma la matriarche. [Maintenant, que dirais-tu de te présenter et de me dire comment tu connais… ce qui ressemble à mon vrai nom ? Puis, nous pourrons parler de ces informations importantes que tu as pour moi…]

[Je m’appelle Zorian Kazinski, jeune mage, à peine entraîné,] se présenta Zorian. [Et si je connais ton nom, c’est parce que tu me l’as dit toi-même… juste avant d’insérer un paquet mémoriel dans mon esprit en m’accordant ta confiance pour le récupérer.]

[Je… Je ne me souviens pas d’une telle chose,] hésita-t-elle.

[Je sais,] la rassura Zorian. [Si tu avais été capable de garder ces souvenirs-là, tu n’aurais pas eu besoin de ces paquets mémoriels.

[C’est une sacrée affirmation,] déclara la matriarche après un moment de réflexion. [Comment puis-je être sûre que tu me dis la vérité ? Il s’agit peut-être d’un piège. Tu pourrais être en relation avec ceux qui nous envoient ces trolls.]

[Honnêtement, je n’ai aucune idée de la façon dont je pourrais prouver la véracité de mes affirmations,] avoua Zorian. [Dans cet autre temps, tu étais certaine que tu possèderais un moyen de le vérifier toi-même, sans autre preuve que mes paroles et tu ne m’as rien dit qui pourrait me permettre de te convaincre.]

[Je vois,] dit la matriarche, qui resta ensuite silencieuse pendant quelques secondes. [Autorise-moi l’accès à ton esprit, et je verrai ces paquets mémoriels par moi-même.]

[Bien entendu,] confirma Zorian en baissant toute résistance lorsque la matriarche s’enfonça plus profondément dans son esprit. Il se tourna vers Taiven, qui semblait totalement à bout de patience à force d’assister à… rien du tout, en fait.

— Taiven, je communique avec l’Aranea par télépathie. Tout ira bien mais je tombe au sol et que je me mets à hurler dans les minutes qui viennent, considère-toi libre de déchaîner l’enfer.

Il possédait toujours ses cubes de suicide mais une protection de plus ne faisait pas de mal. Taiven hocha immédiatement la tête et Zorian vit l’Aranea face à lui se tortiller légèrement sur place, en proie à la nervosité. La matriarche ne répondit rien, absorbée dans son œuvre.

Plusieurs minutes plus tard, la présence de la matriarche se retira de son esprit.

[Il… Il faut que je réfléchisse à tout ça,] dit-elle d’un air songeur. [Viens me trouver dans trois jours et nous parlerons.]

[Attends !] protesta Zorian. [Il me faut un moyen de descendre ici sans passer par une entrée officielle. Autrement, je vais devoir amener Taiven avec moi à chaque fois et je ne suis même pas sûre qu’elle voudra encore me parler après ça.]

Zorian fut immédiatement bombardé par un mélange d’informations, dont une image mentale représentant la section locale des tunnels ainsi que 8 différentes entrées qui n’étaient sans doute connues d’aucun humain de la surface. Ouah, les gens ne plaisantaient pas en disant que les sous-sols avaient plus de trous qu’une passoire. Dans tous les cas, il s’agissait apparemment de la fin de la conversation avec les Aranea parce que celle en face de lui bondit prestement dans les ténèbres pour y disparaître, le laissant seul avec Taiven.

Il jeta un coup d’œil prudent vers elle et frissonna en la voyant froncer les sourcils.

— Ok, maintenant que l’araignée est partie, je suppose que tu vas m’expliquer quel est le bordel qui se passe ici ? Parle, commanda-t-elle.

Les Aranea stupides et leur manque de discrétion… Qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir raconter à Taiven, maintenant ? Hmm…

— Avant d’en arriver là, j’aimerais mettre le doigt sur le fait que si tu avais attendu à l’entrée comme je te l’avais –

— Zorian !

— …C’était juste pour dire, renifla légèrement Zorian. Ok, ben voilà. Je suis un empathe. Tu sais ce que ça veut dire ?

— Pas… vraiment.

— Ça veut dire que je peux sentir les émotions des gens, expliqua Zorian. Et malheureusement, cette capacité innée est actuellement instinctive. Je ne possède pas de contrôle conscient et ça me cause souvent des problèmes alors j’ai cherché de l’aide pour maîtriser tout ça. À mon grand dam, je n’ai trouvé personne qui soit capable de m’aider chez les humaines, alors… j’ai élargi mes horizons. L’araignée que tu as vue est une Aranea – une espèce consciente et télépathe de qui j’espère apprendre comment contrôler mes pouvoirs.

Taiven le fixa pendant quelques instants en ouvrant régulièrement la bouche pour la refermer juste après.

— Et ils ont dit quoi ? demanda-t-elle finalement.

— Ils vont y réfléchir, avoua Zorian en haussant les épaules.

Taiven secoua la tête, incrédule, et se mit en marche vers la sortie en lui faisant signe de la suivre.

— Sortons de là, charmeur de monstres, dit-elle. On doit discuter de tout ça ailleurs. Quelque part où je peux m’asseoir et boire un truc.

Zorian suivit.

 

___

 

Fidèle à sa parole, Taiven le conduisit vers une taverne en extérieur afin qu’ils puissent s’installer et se détendre en parlant. Enfin, pour qu’elle puisse se détendre – Zorian ne trouvais pas l’expérience très relaxante, notamment parce qu’elle comptait le faire payer pour les boissons. Mais étrangement, Taiven avait accepté la plupart de ses explications sans se plaindre, trouvant même sa décision de trouver des réponses chez les Aranea couillue plutôt que téméraire et stupide. Cela dit, les choses se dégradèrent à partir de là. Elle était fâchée qu’il eut originellement prévu de rencontrer les Aranea sans renforts au cas où et elle voulait savoir s’il avait déjà fait des choses comme ça avant. Qui avait assuré ses arrières si oui était apparemment important pour elle. Tout ça escalada en une dispute solide et enflammée à propos de la sagesse et de la nécessité d’y aller seul, sa capacité à combattre pour sortir de là si les choses avaient pris une mauvaise tournure et Zorian ne savait honnêtement pas si elle se fâchait parce qu’il se mettait en danger ou parce qu’il ne l’avait pas invitée en premier lieu.

Deuxième option, très probablement : elle insista rapidement sur le fait qu’il devait l’emmener avec lui la fois suivante. Elle n’allait que se mettre sur sa route et tenter de lui extorquer ses secrets alors il refusa. Taiven n’apprécia pas du tout mais sembla réaliser qu’elle ne gagnerait rien en pressant l’affaire dans l’immédiat. Au lieu de ça, elle changea son fusil d’épaule et suggéra qu’elle pouvait l’aider à développer sa magie de combat. Zorian savait qu’il s’agissait d’un piège – qu’elle voulait simplement lui foutre une raclée lors d’un duel amical afin de lui montrer à quel point il allait se faire défoncer face à un adversaire sérieux, et revenir sur la nécessité de l’accompagner. Il accepta malgré ça, curieux de savoir combien de temps il allait tenir face à elle, avec rien d’autre à perdre que sa fierté, un mois durant.

Voici comment il se retrouvait actuellement en face de Taiven dans la salle d’entraînement familiale, chatouillant sa baguette de missile magiques en tentant de décider de la meilleure façon d’aborder cet… entraînement. La salle était, selon Taiven, lourdement protégée afin de garantir la sécurité des personnes à l’intérieur des dommages des sorts mais l’usage de magie létale était malgré tout peu recommandée. Malheureusement, tandis que le bannissement des sorts mortels était parfaitement sensé pour un entraînement, ça éliminait clairement une bonne partie de son arsenal. Il n’avait jamais considéré les combats qui ne revêtaient pas un caractère « tué ou être tué » et son choix de sorts tendait à être sacrément proche du côté destructeur de l’échelle.

— Je vois que tu as investi dans une baguette de sorts, nota Taiven avec un sourire confiant. Elle a dû te coûter quelques pièces.

Ce qui n’était pas dit mais largement compris, c’était que cet argent était gâché. Zorian n’avait aucune chance de surpasser les défenses de Taiven avec des missiles magiques et tous deux le savaient. C’est pour cette raison qu’il ne comptait même pas essayer – entrer dans une bataille d’usure face à une personne dont les réserves de mana étaient largement supérieures était juste idiot. La baguette clairement exposée était une distraction, du genre qui devait donner à Taiven de fausses idées quant à son mouvement d’ouverture. Son atout réel se trouvait être le bracelet bouclier caché sous sa manche droite.

— Je l’ai faite moi-même, répondit Zorian. Donc elle ne m’a rien coûtée.

— Vraiment ? s’étonna Taiven. Je ne savais pas que tu étais si bon en formulation. Je veux dire, je sais que ça t’intéresse mais…

— Tu as ton talent, j’ai les miens, la coupa Zorian avec un rictus.

Il était plutôt satisfait d’avoir tant progressé en formulation – non seulement la formulation était une matière qui l’intéressait depuis fort longtemps mais ça signifiait qu’il pouvait également assurer son indépendance financière une fois qu’il aurait trouvé un moyen de sortir de la boucle. La formulation était communément admise comme un domaine difficile à appréhender et maîtriser et les experts étaient tous payés pour leurs services. Zorian était d’ores et déjà assez bon pour commence à toucher des commissions s’il le désirait et ne ferait que s’améliorer à mesure du temps qui passait.

— Peu importe. Au bout du compte, tu te feras écraser même au niveau de l’équipement, malgré ta petite baguette personnelle, décréta Taiven tout en tendant la main, ce qui attira un bâton accroché au mur.

Zorian savait que c’était un bâton magique avant même qu’elle n’eut concentré du mana à l’intérieur, provoquant l’apparition d’une série de lignes jaunes et brillantes à sa surface.

— M’as-tu-vu, lâcha-t-il, confirmant mentalement qu’il apprendrait à le faire un jour.

— Prêt ? demanda Taiven en pointant son bâton d’une manière menaçante.

— Prêt, confirma Zorian en faisant tournoyer la baguette dans sa main.

Taiven réagit immédiatement en envoyant une petite salve de 5 missiles magiques. Elle était rapide, bien plus que lui et il pouvait voir à son visage qu’elle se considérait déjà gagnante.

Bien trop présomptueuse, Taiven, pensa-t-il en levant la main qui portait la baguette tout en élevant un bouclier devant lui. De l’autre main, il jeta dans sa direction une fiole emplie de liquide blanc.

Les missiles s’écrasèrent sur le bouclier comme autant de marteaux. Si Taiven avait fait face à l’ancien Zorian, celui qui existait avant la boucle temporelle, alors ç’aurait marqué la fin du combat. Tout bouclier qu’il aurait pu ériger aurait été maladroit et se serait brisé comme du verre. Mais voilà, ce n’était pas ce Zorian-là. Elle affrontait un voyageur temporel, qui avait passé un bon bout de temps à répéter le même mois. Presque deux ans, d’après son propre compte.

Dans le grand Tout, deux ans ne représentaient pas tant. Mais il s’agissait malgré tout de deux ans de magie de combat continue, la plupart du temps concentrée sur quelques sorts bien particuliers – et le bouclier en faisait partie. Bouclier qui était presque sans faille : le disque de force était pratiquement invisible lorsqu’il n’était pas sous pression et Zorian pouvait le surcharger grandement pour le renforcer au-delà du possible.

Le bouclier tint bon. La vague de missiles éclata en vain à sa surface, faisant apparaître de façon opaque les endroits qui avaient résisté aux attaques et ne provoquant rien de plus notable.

Avant que Taiven ne put réagir et lancer une autre attaque, Zorian envoya une pulsation de mana en direction de la fiole qui volait vers elle. Elle éclata dans les airs comme si un poing invisible venait de l’écrabouiller et une épaisse fumée blanche se répandit à l’endroit où le liquide s’était changé en vapeur.

La fiole n’avait rien de spécial ; une simple mixture alchimique qui faisait tousser quiconque osait l’inhaler mais suffisante pour empêcher Taiven de reprendre ses esprits. Elle recula en titubant et se mit à cracher ses poumons à pleine gorge. Zoiran profita de ce moment sans faire preuve de pitié et envoya un écraseur droit sur la poitrine de Taiven, en espérant que ça marquerait la fin du combat. Il s’attendait malgré tout à moitié à voir Taiven capable d’ériger un bouclier à la dernière seconde.

Quelque chose, son empathie peut-être, le mit en garde et le poussa à esquiver quand Taiven lança soudainement son bâton droit devant elle vers le missile en approche (et par extension, vers lui). Et ce fut une bonne chose qu’il le fit parce qu’elle ne lança pas de bouclier comme il s’y attendait un peu, elle balança une charge massive de force qui balaya son missile comme un flocon de neige pour continuer sa route, impunie. Malheureusement, il n’esquiva pas en totalité et bien qu’il eut évité le gros de l’impact, il fut pris dans la zone d’effet et envoyé tournoyer comme une marionnette. Il se retrouva bientôt la tête au sol, ce sol froid et sans merci. Ce fut sans doute les protections magiques donnant un rendu matelassé à la pièce qui l’empêchèrent de finir avec le crâne fracturé.

Comme Taiven semblait plus intéressée par l’idée de cracher ses poumons que celle de finir le combat, il se permit de rester au sol un moment, attendant que sa tête arrête de tourner. Apparemment, il avait créé un gaz un peu trop puissant… Il se remit laborieusement sur ses pieds et s’approcha de Taiven, qui récupérait.

— Tu as une définition bien étrange de non-létal, lui lança-t-il.

— Bien fait pour ta gueule, esp – *cough* – èce de tricheur !

— Je t’ai bien eue, hein ? ricana Zorian.

Elle fit une grimace et balança son bâton dans sa direction avec légèreté, s’attendant bien évidemment à ce qu’il esquive ce mouvement au ralenti. Dans le but unique de se pavaner un peu, Zorian éleva un nouveau bouclier à la place de reculer, faisant rebondir le bâton et forçant Taiven à le lâcher.

Taiven fixa le bouclier semi-transparent d’un œil blasé et le frappa avec force à plusieurs reprises. Le disque de force ne devint pas opaque, sans même parler du faire de simplement onduler.

— Mais putain, c’est quoi, ce bouclier ?! demanda-t-elle. Il a pris 5 missiles sans broncher et il a l’air… différent. Il est presque totalement transparent ; je peux le voir uniquement parce que je suis si près que je peux le toucher. Quand nous étions en plein combat, je ne l’avais même pas remarqué avant que mon attaque ne s’empale dessus. Au début, je pensais même que tu étais en train d’essayer de te protéger avec ta main.

— C’est un simple sort de bouclier, il est juste très surchargé et superbement exécuté, expliqua Zorian. J’ai passé beaucoup de temps à le travailler.

— Ça ne t’aurait malgré tout servi à rien sans ton petit tour de merde, râla Taiven. C’était censé être un combat magique, bordel !!

— Tu as dit que tu voulais voir comment je me battais, répondit Zorian en haussant les épaules. Au fait, comment savais-tu où lancer ton attaque ? Tu avais les yeux fermés.

— Oh. C’est juste un petit truc que m’a appris un de mes professeurs. Je doute que ça te soit utile – c’est plutôt gourmand en terme de mana.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Zorian.

— Eh bien, c’est un simple mouvement qui demande de balancer une grande quantité de mana pour saturer la zone. Tu peux ensuite l’utiliser pour sentir ton environnement quand tu ne peux pas le voir. L’information est assez rudimentaire mais tu peux facilement repérer des grosses concentrations de mana comme le missile magique que tu m’as lancé. Je ne savais pas où tu te trouvais même avec l’aide de ce nuage de mana mais je me disais que si je visais dans la direction d’où venait le missile, j’avais peu de chances de me tromper.

Cette façon de faire semblait… étrangement familière. Zorian était à peu près certain qu’il utilisait exactement le même truc pour déverrouiller des portes, sauf qu’il se servait de ce nuage de mana comme extension tactile et non pour percevoir les sources de mana. Bien sûr, il y avait une énorme différence entre une serrure et une zone entière… Il ne pouvait simplement pas se permettre de gaspiller tout ce mana.

Cependant…

— Taiven, commença-t-il. Imaginons un moment que je sature une grosse bulle autour de ma tête avec cette méthode. Serais-je capable de sentir des billes chargées de mana lancées dans ma direction ?

Taiven sourcilla et cligna des yeux.

— Je… suppose ? Tu passerais sans doute plus de temps à maîtriser la formation d’une telle bulle qu’à apprendre à détecter de petites sources de mana, par contre.

— Mais ce serait plus facile que de tenter de le faire avec mes sens naturels, n’est-ce pas ?

— Bien plus facile, confirma Taiven. En fait, N’importe quelle méthode serait plus facile que ça. Merde, pour ressentir des billes sans aucune aide ou sort annexe, il faudrait que tu sois… je ne sais pas, archimage.

Zorian se sentit soudain incroyablement stupide. Bien sûr que la tâche de Xvim semblait outrageusement difficile – il le faisait mal ! Xvim s’attendait probablement à ce qu’il utilise ce genre de méthode pour ressentir les billes. Ce trou de balle ne prenait même pas la peine de lui donner un enseignement propre et guidé. Ou un enseignement tout court, d’ailleurs.

Putain, qu’est-ce qu’il détestait ce type.

 

___

 

Suivant une discussion animée à propos de qui avait gagné leur petit échange – Zorian prétendait à une égalité et Taiven à une victoire totale de sa part – elle décréta que d’autres combats résoudraient le problème et Zorian ne vit pas de raison de le lui refuser. Il perdit évidemment tous les combats suivants. Taiven était suffisamment puissante pour le surclasser si elle le désirait et il n’avait plus l’élément de surprise de son côté. Pourtant, il sentait qu’il s’était bien battu : Taiven avait dû y mettre du sien pour le battre. Même elle admettait que s’il prenait un adversaire par surprise et se montrait suffisamment sans pitié lors des premières attaques, il pourrait même vaincre des mages de guerre professionnels, tout en le prévenant qu’il se mettrait rapidement la loi à dos ce faisant. La guilde des mages voyait d’un très mauvais œil les personnes qui en arrivaient à se battre jusqu’à la mort, même en cas de défense légitime.

Et de toute façon, avoir découvert ce qu’attendait exactement Xvim de lui avait rendu tout ça rentable. La plupart de ce qu’il fallait maîtriser pour créer cette bulle de mana lui était déjà familier et il ne lui fallut que quelques heures pour être capable de créer un nuage de mana diffus autour de sa tête. Bien entendu, il ne pouvait pas ressentir de sources de mana grâce à lui mais une bille était également un objet physique. Aussi, quand arriva le vendredi et que Xvim lui fit découvrir sa méthode oh si maligne d’apprentissage, Zorian fut capable d’identifier calmement les billes tandis qu’elle volaient autour de – et parfois vers – sa tête. Xvim n’en fût naturellement pas impressionné, bien entendu. Il commença simplement à lui lancer de nouvelles billes en lui demandant de les classer par intensité de mana, chose que Zorian ne put faire, naturellement, puisqu’il les ressentait par un moyen physique rudimentaire. Oh, ça ne l’inquiétait pas trop ; maintenant qu’il savait ce qu’il devait faire, il s’attendait à maîtriser la technique bien assez rapidement. Peut-être à la fin du mois en cours, à moins que Zach ne décidât d’aller chatouiller un autre dragon ou de faire un truc aussi dingue.

Heureusement, l’intérêt premier de Zach à ce moment résidait dans l’organisation d’une espèce de fêtes de toutes les fêtes en invitant la classe entière durant le festival d’été dans sa maison. Ayant connaissance de l’invasion et faisant partie de la boucle temporelle, Zorian comprenait ce qu’essayait de faire Zach. Il tentait de sauver le plus d’étudiants possible d’une mort certaine sans rien avoir à leur expliquer. Zorian n’avait aucune idée de ce que Zach comptait faire avec toutes ces personnes quand l’attaque se déclarerait ou comment il comptait gérer Ilsa et son entêtement : tout le monde devait participer au bal.

Trois jours passèrent et Zorian était de retour dans les égouts. Trouver les Aranea s’avéra plutôt facile puisqu’elles l’attendaient, cette fois. Tous les doutes qu’il avait entretenus quant au fait qu’il risquait de ne pas être pris au sérieux furent balayés par l’éclaireur Aranea qu’il croisa l’amena rapidement vers une figure familière. La matriarche avait décidé de lui parler en personne plutôt que de projeter son esprit au travers de l’un de ses subordonnées.

[Eh bien, j’ai eu le temps de digérer tous les souvenirs que mon… autre moi m’a léguée,] commença-t-elle. [L’histoire n’est pas… aussi peu plausible que tu pourrais le penser et les souvenirs que tu m’as transmis contiennent des preuves irréfutables. Je suppose que nous devrions échanger nos histoires maintenant, non ? De tes expériences, je ne connais que les bases dont tu as parlé à tes amis et tu sais très peu de nous également, tu ne sais pas pourquoi ce voyage dans le temps m’intéresse tant.]

[Je suppose que ça a du sens…] répliqua Zorian avec prudence.

[Mais tu veux que je commence,] continua la matriarche. [Très bien, je n’ai rien contre et je suis de bonne foi. La première chose qu’il faut que tu saches est que ma Toile est en conflit avec ceux que tu appelles envahisseurs depuis plusieurs mois maintenant. Ce sont des adversaires exaspérants mais gérables… Mais les choses ont changé il y a une semaine : ils ont soudain développé une espèce de pouvoir de prémonition à propos de nos tactiques et capacités. Ils savent contrer des techniques secrètes passées de matriarche en matriarche depuis des générations et qui n’ont pas été utilisées de mémoire d’Aranea jusqu’à ce jour. Ils possèdent des contres pour des capacités uniques, propres à une Aranea en particulier. Ils semblent même savoir comment nous allons réagir en réponse à leur menace plus pressante et leurs mouvements plus agressifs. En définitive, ce qu’ils savent de nous tient de l’impossible. Crois-le ou non, le voyage dans le temps a été sérieusement discuté comme une possible méthode de leur part.]

[Pas les divinations ?] demanda Zorian.

[Nous connaissons la divination, enfant,] répondit la matriarche. [S’il existe un domaine dans lequel nous excellons mis à part l’art mental, c’est bien celui-ci. Mais tu fais bien d’en parler, parce que les divinations sont une des pièces du puzzle. Tu vois, notre Toile tente de prédire le futur grâce à la divination de manière routinière, et nous rencontrons le succès de façon très variable – les évènements très disruptifs ont tendance à rendre les prévisions inutiles. Que penses-tu qu’il s’est passé durant la dernière semaine de prévisions ?]

[Rien n’a fonctionné ?] supposa Zorian.

[Oh, ça a fonctionné. Et ça a donné des résultats grandement différents à chaque fois que nous avons répété la chose, peu importe la durée entre les essais. Mais ça a fonctionné, oui. Tant que nous ne tentons pas de pousser les prévisions au-delà du soir de ton festival. Cette date passée, toutes les prévisions nous reviennent vierges. Comme s’il n’existait plus rien, après. À chaque fois.]

Zoiran déglutit bruyamment. Il s’était souvent demandé ce qui se passait autour de lui, ce que devenait le monde quand la boucle recommençait mais avait ultimement classé cette question comme ne pouvant trouver de réponse. Il ne savait pas s’il devait être soulagé du fait qu’il n’avait pas à s’inquiéter de laisser un corps sans âme dans une autre réalité ou dérangé par le fait que le monde entier était simplement effacé à intervalles réguliers.

[Je suis surpris de ne pas en avoir entendu parler,] remarqua-t-il. [On pourrait penser que les oracles humains auraient constaté quelque chose d’aussi énorme.]

[Tu sous-estimes la difficulté des prévisions du futur,] le prévint la matriarche. [Il faut un certain niveau de talent pour lire l’avenir et le temps demandé est à la hauteur de la difficulté. Sans même parler du fait que les résultats sont souvent inutiles, ou pire… faux. Même si tu vas jusqu’à réussir à prédire l’avenir, il y a fort à parier que tu ne pourras le faire que sur quelques jours, les prédictions devenant de plus en plus imprécises à mesure que l’on s’éloigne dans le temps. J’ai entendu nombre d’Aranea se plaindre que de telles prévisions sont une perte de temps et vos oracles parviennent à un niveau de précision plus faible que nous. Pourtant, j’imagine que tu as raison – il y a probablement des groupes humains qui ont lancé des prédictions et fait face à la même chose et se taisent pour l’instant pour un panel de raisons. Personne n’aime les prophètes alarmistes… Personne parmi les autorités et les administrations, en tous les cas. Ce serait bien sûr une confirmation de nos propres expériences mais je suspecte que très peu de devins seraient enclins à partager leurs secrets avec des araignées qui parlent. Peut-être si un certain jeune mage avec un intérêt poussé pour la divination allait leur parler… ?]

[Je vais voir ce que je peux faire,] annonça Zorian.

[Je te donnerai une liste de noms,] déclara la matriarche. [Maintenant, que dirais-tu de me donner des détails sur la boucle temporelle ainsi qu’une description des tes expériences en son sein ?]

Zorian leur expliqua la situation de base, laissant de côté de nombreux détails qu’il considérait peu pertinents ou un poil trop personnels. La matriarche ne lui avait fait qu’un résumé un peu complet de son histoire, après tout. Il ne se sentait pas trop mal en faisant de même.

[Ce lien entre toi et Zach est vraiment peu pratique,] fit remarquer la matriarche. [Je ne te blâme pas de ne pas tenter ta chance mais es-tu sûr que tu ne peux pas parler à Zach sans lui mettre la puce à l’oreille ? Qui sait quelles informations utiles il pourrait connaître sur tout ça ? Je suis sûre que si tu lui fais part de tes craintes, il sera d’accord pour garder ses distances.]

Zorian n’en était pas si sûr. Il savait que Zach n’était pas un mauvais bougre mais qu’il n’était pas non plus un modèle de patience et de self-control. Aucune de ses précédentes rencontres avec lui ne l’avait convaincu qu’il avait énormément changé à ce regard. Zach trouverait sans doute l’existence d’un autre voyageur temporel fascinante et ferait tout pour tester le lien d’âme jusqu’à ce qu’il soit totalement actif ou qu’il se soit révélé sans danger.

[Je suis surprise que tu n’aies pas déjà arraché cette connaissance de son esprit,] fit remarquer Zorian. [N’est-il pas un… Euh… Simple d’esprit ?]

[Ce n’est pas un psychique mais il possède un certain talent dans l’art de protéger son esprit,] expliqua la matriarche, pas du tout honteuse d’admettre qu’elle avait déjà tenté de violer ses pensées. [Pas très bien mais suffisamment pour que je sois obligée de me limiter aux pensées de surface. Maintenant, cesse d’éviter ma question.]

Zorian soupira.

[Tout ce que j’ai découvert à propos du lien d’âme suggère qu’il n’y a probablement aucun lien entre moi et Zach. Les liens d’âme ont tendance à être évidents et ne peuvent échapper à des sorts de détection simples. Mon instructeur en divination dans l’une des boucles précédentes m’a appris un sort capable de détecter les liens d’âme et je l’ai utilisé à l’école à plusieurs reprises. Chaque étudiant possédant un familier lui est clairement connecté et les deux jumeaux possédant un lien d’âme le sont également, de façon claire. Il n’y a en revanche aucun lien visible entre Zach et moi. Je ne pense pas qu’un effet secondaire accidentel d’un sort offensif de mutilation d’âme soit capable de créer un lien d’âme classique, complet, correct et indétectable.]

[Curieux,] avoua la matriarche. [Qu’est-ce, sinon un lien d’âme ?]

[Kael pense que lorsque la fusion des âmes s’est terminée en même temps que nos morts, le lien entre nous a été tranché plutôt que prudemment dénoué. En conséquence de quoi, une partie de l’âme de Zach s’est trouvée fusionnée avec la mienne et vice-versa. La fonction de contrôle du temps en a été confuse et au lieu de décider quelle partie de Zach était la vraie, nous avons simplement été renvoyés tous les deux dans le passé.]

[Voilà qui expliquerait pourquoi Zach a été absent lors des premières fois et pourquoi il est revenu si malade,] suggéra la matriarche. [Vous avez probablement passé tous les deux un certain nombre de boucles dans le coma pendant que vos âmes guérissaient et intégraient les parties qui leur étaient étrangères. Il aura eu moins de chance que toi et a subi plus de dégâts en ayant été la cible principale du sort.]

[Ça l’expliquerait,] confirma Zorian. [Et honnêtement, c’est l’explication la plus plausible que je puisse trouver.]

[Alors pourquoi ne pas vouloir en parler à Zach, dans ce cas ?] insista la matriarche. [Oh, je vois… Le troisième voyageur.]

[Oui. Il est plutôt évident à ce point qu’il existe au moins une personne de plus dans la boucle, mis à part Zach et moi. Ce quelqu’un aide les envahisseurs et est dieu sait combien de fois plus âgé que moi au sein des boucles temporelles alors je ne veux définitivement pas attirer leur attention. Et ils savent, pour Zach. Je veux dire, c’est obligé – il n’a absolument pas gardé le secret à propos de son statut et quant à ses activités. Pourtant, ils ne font rien contre lui. Zach tente clairement de combattre les envahisseurs, alors pourquoi le laisser libre et en bonne santé ?]

[Parce que ses actions importent peu sur le long terme,] supposa la matriarche. [D’après ce que tu me dis, il tente de devenir assez puissant pour se dresser en personne face à l’invasion entière. Il n’a pas vraiment de chance d’y arriver, même avec tout le temps du monde.]

[Oui, et il est possible qu’il ait déjà été neutralisé. Je suis plutôt sûr que Zach est l’élément-clé dans cette histoire de boucle temporelle. Le voyageur initial. Il possède trop de potentiel, que ce soit financier, en héritage familial, en réserve de mana… Il pourrait bénéficier de cette histoire plus que quiconque et je ne pense pas que ce soit accidentel. De plus, si je suis effectivement inclus parce que je possède une partie de l’âme de Zach en moi, ça veut dire que ce qui alimente la boucle temporelle me reconnait comme une partie primordiale, une partie de la cible originale du sort. Le truc, c’est que ses actions passées indiquent clairement une ignorance en matière d’un plan à grande échelle, comme s’il avait lui-même été aspiré dans cette boucle sans avertissement ou information.]

[Tu penses que ses souvenirs ont été édités,] comprit l’Aranea.

[Je pense que Zach a confié son secret à la mauvaise personne,] dit Zorian. [Ils ne pouvaient pas simplement se débarrasser de lui – comme je l’ai dit, il est la clé de ce sort – mais ils pouvaient éliminer ce qui faisait de lui une menace. Détourner son attention là où il ne dérangerait pas. Mais je ne suis pas Zach. Je ne suis pas le moteur de cette boucle et ils peuvent disposer de moi quand bon leur semble. Si je parle à Zach et qu’il se fait surveiller comme je le pense, ou s’il est incapable de la fermer face aux mauvaises personnes, je pourrais simplement me voir… effacé.]

[Eh bien…] hésita la matriarche. [Tu es certainement bien paranoïaque. Mais encore, c’est peut-être la seule raison qui fait que tu existes toujours aujourd’hui, en possession de tes souvenirs… alors peut-être ne devrais-je pas parler. Mais tu réalises que tu vas devoir discuter avec Zach tôt ou tard, n’est-ce pas ?]

[De préférence pas avant d’avoir pu identifier le troisième voyageur,] dit Zorian.

[Alors nous devrions faire de sa traque une priorité,] affirma la matriarche.

[Comment ?] interrogea Zorian. [Je ne sais même pas où commencer. Ça pourrait être n’importe qui.]

[En considérant que Zach est capable de tuer le vieil Oganj tout seul, ce n’est clairement pas n’importe qui.]

[Il n’a pas toujours été si puissant, tu sais,] fit remarquer Zorian. [Pendant les quelques boucles, au départ, n’importe quel mage décent aurait pu le massacrer, même certains de nos camarades de classe. Pour ce que ça vaut, ç’aurait pu être une question de traîtrise plutôt que de combat à la loyale. Quelqu’un aurait pu le guider dans un piège après l’avoir drogué.]

[Même un camarade de classe, dis-tu ?] s’étonna quelque peu la matriarche. [C’est intéressant. N’as-tu pas dit que Zach était obsédé par le fait d’en apprendre davantage sur le reste de ta classe ? Il n’aurait sans doute pas jugé dangereux de partager avec eux son petit secret, spécialement parce qu’ils ne sont que des étudiants… À quel point les connais-tu ? L’un d’eux agit-il étrangement ?]

[Je ne… suis vraiment proche d’aucun d’eux,] admit Zorian. [Je ne pense pas être capable de remarquer si le comportement de l’un de mes camarades devenait suspect, tant qu’ils ne font rien de totalement illogique. Je peux clairement en citer quelques-uns qui ne sont pas des voyageurs temporels mais…]

[Essaye d’enquêter,] trancha la matriarche. [Ce serait terriblement gênant s’il s’avérait que le troisième voyageur se cachait en pleine lumière depuis tout ce temps, non ? Tente de voir si tu peux connecter l’un d’eux aux envahisseurs, également.]

La matriarche donna à Zorian une liste de devins humains qui pouvaient potentiellement en savoir plus sur les irrégularités relatives aux prédictions et tous deux se mirent d’accord sur le fait de se revoir trois jours plus tard. Zorian était un peu gêné que le sujet concernant son empathie et le moyen de la contrôler n’eût été mis sur le tapis mais il supposa que la matriarche voulait d’abord s’assurer qu’il pouvait lui être utile avant d’investir du temps pour lui enseigner des arts potentiellement secrets.

Ça faisait du bien d’avoir quelqu’un de son côté dans cette masse épineuse. Il espérait juste qu’en se confiant à la matriarche Aranea, il ne répétait pas l’erreur de Zach avec la personne derrière toute cette situation.

Raka
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8 thoughts on “MoL : Chapitre 19

      1. et même fille, il me semble qu’il passe au féminin à un moment (un elle ou un adjectif au féminin)… me trompe peut-être.

        1. Ah, c’est possible, avec moi plus un texte de X milliers de mots, on ne sait jamais. Une coquille est vite passée inaperçue.

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