MoL : Chapitre 1
MoL : Chapitre 3

Chapitre 2 – Les petits problèmes de la vie

 

Même si l’académie adorait dire d’elle-même qu’elle constituait un établissement d’élite grâce à l’excellente qualité de son personnel enseignant, en vérité, leur suprématie résidait dans leur bibliothèque. Au travers de la contribution des Alumni, de généreuses allocations budgétaires de la part des anciens principaux mais aussi des étrangetés des lois locales ainsi que d’accidents historiques purement chanceux, l’académie avait construit une bibliothèque sans pareille. Vous pouviez y trouver absolument tout ce que vous désiriez, que le sujet soit magique ou non – une section entière était consacrée aux nouvelles romantiques, par exemple. L’endroit était si massif qu’il s’était en réalité étendu dans un réseau souterrain zigzaguant sous la ville comme des racines. De nombreux niveaux inférieurs n’étaient accessibles qu’à la guilde des mages, et ce n’était que maintenant que Zorian était autorisé à en consulter le contenu. Heureusement, elle était ouverte pendant les week-ends, et la toute première chose qu’il fit en se réveillant fut de descendre dans ces profondeurs afin de voir par lui-même ce qu’il avait manqué durant les deux dernières années… et peut-être donner à sa collection de sorts un nouvel ami.

Il fut agréablement surpris en découvrant le nombre de sorts et de manuels d’entraînement auxquels un mage du premier cercle avait accès. Il y avait là plus de livres et de sortilèges qu’on pouvait en maîtriser durant une vie entière. La plupart étaient soit des variantes très situationnelles ou mineures des autres, et il ne ressentit pas le besoin obsessif de tous les apprendre ; mais il pouvait déjà voir cet endroit comme celui qui le tiendrait occupé durant toute l’année. Nombre de livres avaient l’air étonnamment accessibles et sans danger et il ne put s’empêcher de se demander pourquoi ils étaient enfermés à un étage restreint au lieu d’être proposé à tout le monde. Il aurait tellement pu les utiliser pendant sa deuxième année…

Zorian était en train de chercher le sort de barrière anti-pluie que l’académie avait incorporée dans son système de protection quand il réalisa qu’il avait sauté le petit déjeuner et qu’il commençait à ressentir une famine dévorante. Il était déjà midi passé, après tout. Un peu à contrecœur, il choisit quelques livres qu’il allait pouvoir consulter dans le confort de sa chambre et s’en retourna en quête de nourriture.

Il n’y avait pas de cuisine dans sa chambre, à son grand dam. Par contre, l’académie proposait l’accès à une sacrément bonne cafétéria à ses élèves – la nourriture qu’ils offraient là était bon marché et agréablement bonne. Pourtant, c’était le choix du pauvre, la plupart des riches héritiers préférant manger dans l’un de ces restaurants qu’on pouvait trouver dans le voisinage de l’académie. Pour cette raison, Zorian ne put retenir un glapissement de choc quand il pénétra dans la cafétéria pour réaliser que les changements apportés à l’académie n’étaient pas qu’extérieurs – même à l’intérieur, tout était étincelant, les tables et les chaises neuves et rutilantes. La propreté de l’endroit était vraiment… étrange.

Secouant la tête, il posa quelques assiettes sur son plateau tout en notant que les cuisiniers étaient largement moins avares qu’avant avec la viande et le poisson, ce genre de choses plus coûteuses. Moins avares qu’ils ne l’étaient avant avec les élèves en tout cas. Soudain, il se surprit à observer les visages de tous les étudiants attablés là à la recherche d’une bouille familière. Clairement, quelque chose se passait et il avait horreur de ne pas faire partie du complot.

— Zorian ! Par ici !

Comme ça tombait à pic. Zorian se dirigea immédiatement vers le type un peu enrobé qui lui faisait des grands gestes. Il avait appris durant les années précédentes que son exubérant camarade de classe était fermement ancré dans le réseau social des célébrités de l’académie et qu’il savait à peu près tout sur tout le monde. Si quelqu’un savait ce qu’il se passait, c’était Benisek.

— Salut, Ben, commença Zorian. Je suis surpris de te voir à Cyoria si tôt. Tu n’arrives pas par le dernier train, d’habitude ?

— Je devrais être celui qui dis ça ! cria à moitié Benisek face à un Zorian qui ne comprenait toujours pas pourquoi il avait besoin d’être si bruyant en toute occasion. Je suis venu si tôt et toi, tu es déjà là !

— Tu es arrivé deux jours avant le début des cours, Ben, insista Zorian en résistant à l’urgence de lever les yeux au ciel. Tu es le seul qui imagines qu’arriver deux jours plus tôt est digne de mention. Ce n’est pas si tôt, tu sais. Je suis arrivé hier.

— Moi de même, protesta Benisek. Merde, si tu m’avais contacté, on aurait pu s’arranger pour voyager ensemble, ou je ne sais pas quoi. Tu as dû t’emmerder à mort pendant toute une journée en train.

— On peut le dire comme ça, concéda Zorian en souriant poliment.

— Alors ? Tu n’es pas chaud bouillant ? demanda Benisek en changeant de sujet d’un seul coup.

— À propos de quoi ? interrogea Zorian, amusé qu’il pose la même question que Kirielle, la veille.

— Le début d’une nouvelle année, pardi ! Nous sommes des troisième année, désormais ! C’est maintenant que ça va être drôle.

Zorian cligna des yeux. À sa connaissance, Benisek était l’une de ces personnes peu concernées par leur succès dans les arts des arcanes. Un emploi assuré l’attendait déjà au sein du commerce de sa famille et il était à l’académie simplement pour le prestige de devenir un mage licencié. Zorian s’était déjà à moitié attendu à ce qu’il abandonne immédiatement après la certification et pourtant il était là, aussi excité que pouvait l’être Zorian lui-même de plonger dans les vrais mystères de la magie. Il se sentait un peu mal de l’avoir jugé si vite sans jamais changer d’avis ; il se rappela de ne plus être si présomptueux à l’avenir.

— Ah, ça. Bien sûr que je le suis. Même si je dois admettre que je ne savais pas que tu prenais ton éducation tellement à cœur.

— De quoi tu parles ? s’étonna Benisek en lui offrant un regard suspicieux. Les filles, mec, je parle des filles. Les plus jeunes a-do-rent les aînés comme nous ! Les nouvelles vont être totalement à nos pieds !

Zorian grogna. Il aurait dû savoir.

— Peu importe, fit-il en se remettant rapidement de ses émotions. Comme tu es toujours au courant du moindre commérage et qu…

— Je m’informe de ce qui se passe en temps réel, coupa Benisek, la voix posée sur un ton mi moqueur, mi sermonneur.

— Si tu veux. Il se passe quoi avec l’académie tout brillante et colorée, là ?

Benisek leva les sourcils.

— Tu ne sais pas ? Oh, mec, les gens ne parlent que de ça depuis des mois ! Mais sur quel rocher vis-tu, Zorian ?

— Cirin est un glorieux village fermement situé au milieu de nulle part… comme tu le sais déjà très bien. Maintenant, crache le morceau.

— C’est le festival d’été, répondit Benisek. La ville entière est prête, pas seulement l’académie.

— Mais il y a un festival d’été chaque année, ne comprit pas Zorian, confus.

— Ouais, mais celui-là est spécial.

— Spécial ? En quoi ?

— Je ne sais pas, une connerie astrologique, geignit Benisek en secouant la main. Pourquoi ? Ça a de l’importance ? C’est une excuse pour faire une encore plus grosse fête que les autres années, c’est tout. On ne regarde point aux dents d’un cheval donné, voilà ce que j’en dis.

— Astro… commença Zorian, le sourcil levé. Attends, tu veux dire, l’alignement planétaire ?

— Ouais, ça, acquiesça Benisek avec le sourire. C’est quoi, d’ailleurs ?

— Tu as quelques heures à perdre ?

— À bien y réfléchir, j’ai pas envie de savoir, se rétracta bien vite Benisek en gloussant nerveusement.

Zorian renifla. Si simple à effrayer. En vérité, Zorian en savait très peu sur les alignements planétaires et ne pourrait probablement pas en expliquer la teneur plus d’une trentaine de secondes. C’était un sujet obscur et il suspectait fortement que Benisek eut raison et que c’était une excuse utilisée dans le seul but de s’amuser encore plus qu’habituellement.

— Du coup, tu as fait quoi, cet été ? reprit Benisek.

— Ben, grogna Zorian une fois de plus, je croirais entendre mon professeur d’école élémentaire. Maintenant, les enfants, pour tout devoir, vous allez écrire ce que vous avez fait durant les vacances d’été !

— Je me contente d’être poli, se défendit Benisek, pas besoin de m’agresser parce que tu as gâché ton été.

— Oh ? Et toi, tu as été productif ? le contrecarra Zorian.

— Eh bien, pas volontairement, admit Benisek en tremblant un peu. Père a décidé qu’il était temps pour moi d’apprendre l’artisanat de la famille alors j’ai passé l’été à l’aider et à jouer les assistants.

— Oh.

— Ouais, répondit Benisek en faisant claquer sa langue. Il m’a aussi fait choisir la gestion successorale comme option pour cette année. J’ai entendu dire que c’était un cours plutôt compliqué.

— Hm… Je ne peux pas dire que mes vacances d’été aient été particulièrement stressantes, pour ma part. J’ai passé le plus clair de mon temps à lire des histoires de science-fiction et à esquiver ma famille, finit par concéder Zorian. Mère a tenté de me mettre ma petite sœur sur le dos cette année mais j’ai réussi à l’en dissuader.

— Je comprends, acquiesça Benisek en haussant les épaules. J’ai deux petits sœurs et je pense que j’en mourrais si elles devaient m’accompagner ici. Elles sont toutes deux pires que des cauchemars ! Mais bref, qu’as-tu choisi comme options ?

— Ingénierie, alchimie minérale et mathématiques avancées.

— Mec ! Tu prends les choses tellement à cœur ! Je devine que tu vises un emploi dans une des forces arcaniques, hein ?

— Ouais.

— Pourquoi ? continua Benisek sur un ton incrédule. Créer des objets magiques… C’est difficile, c’est un travail qui demande beaucoup d’investissement personnel. Je suis sûr que tes parents pourraient te trouver un emploi dans leur commerce, non ?

Zorian lui offrit un sourire retenu. Oui, sans aucun doute, ses parents avaient déjà tout prévu pour lui au sein de l’entreprise familiale.

— Plutôt crever de faim dans les rues, finit-il par conclure en toute honnêteté.

Benisek leva un sourcil mais se contenta de secouer la tête d’un air triste.

— Je pense que tu es fou, personnellement. Qui as-tu choisi comme mentor ?

— Je n’ai pas eu le bénéfice du choix, toussota Zorian. Il n’en restait qu’un quand mon tour est arrivé. Je suis sous le tutorat de Xvim Chao.

Benisek lâcha sa cuillère en entendant ce nom et fixa Zorian, sous le choc.

— X… Xvim ?! Mais ce type est un cauchemar !

— Je sais, admit Zorian en soupirant longuement.

— Nom de dieu, je me ferais probablement transférer si je me faisais assigner à ce trou de balle. T’es bien plus brave que moi, pour sûr, confia Benisek.

— Et toi, qui as-tu choisi ? demanda à son tour Zorian d’un air curieux.

— Carabiera Aope, répondit Benisek, l’œil brillant.

— S’il te plait… Dis-moi que tu n’as pas choisi ton mentor en te basant uniquement sur son apparence, supplia Zorian en voyant le visage éclairé de son ami.

— Eh bien, pas uniquement son apparence, se défendit Benisek, ils disent qu’elle est plutôt tolérante…

— Tu es vraiment contre tout travail bonus, hein ?

— Tout ce truc, c’est un peu comme des vacances pour moi, expliqua Benisek. Je reporte mon emploi de deux ans et je m’amuse dans le même temps. On n’est jeune qu’une fois, tu sais ?

Zorian haussa les épaules. Personnellement, il trouvait qu’apprendre la magie et rassembler le plus de connaissances possible était déjà super intéressant et amusant en soi mais il savait pertinemment que peu d’autres jeunes hommes partageaient son point de vue.

— Je suppose, finit-il par marmonner nonchalamment. Y a-t-il autre chose que tout le monde sait sauf moi ?

Il passa une heure de plus à converser avec Benisek et tous deux abordèrent une grande variété de sujets. Il était particulièrement intéressant d’apprendre quels anciens camarades les rejoignaient en troisième année et lesquels ne le faisaient pas. Il avait remarqué que la plupart de ceux qui avaient échoué étaient issus de familles classiques, civiles. Et ce n’était pas étonnant : les étudiants nés dans une famille de mages étaient déjà aidés par des parents qui connaissaient la magie et avaient une réputation à tenir. Il fut agréablement surpris quand il apprit que ce connard en particulier ne les rejoignait pas en troisième année – apparemment, Veyers Boranova avait perdu son calme en entendant la sanction disciplinaire qui lui était due et s’était fait exclure de l’académie. Au revoir, tu ne manqueras à personne, tocard. Honnêtement, ce gosse était juste une menace et une disgrâce, c’était une honte qu’il n’eût pas été renvoyé plus tôt. Heureusement, il semblait bien qu’il y avait certaines choses qui ne pouvaient pas être ignorées même si vous étiez un héritier de la grande maison Boranova.

Zorian quitta les lieux quand Benisek se mit à discuter du pour et du contre des différentes filles de la classe contre son gré. Il ne voulait pas se laisser entraîner dans une telle conversation inutile et s’en retourna dans sa chambre afin d’y lire un peu. Il n’avait pas encore ouvert le premier livre quand il fut déjà interrompu : quelqu’un frappait à la porte. Très peu de personnes auraient trouvé utile de le suivre jusqu’à sa chambre et il avait déjà une idée assez précise de qui cela pouvait bien être avant même d’ouvrir la porte.

— Salut, cafard !

Zorian fixa en silence le large sourire en face de lui, se demandant sérieusement s’il devait se sentir offensé par l’insultant surnom avant de la laisser entrer. Dans le passé, quand il était toujours épris d’elle, ce surnom l’avait pas mal blessé… maintenant, il n’était guère que légèrement ennuyeux. Taiven entra prestement dans la chambre et sauta sur le lit comme une gosse. Vraiment, qu’avait-il vu en elle qui l’attirait ? Derrière une aînée magnifique d’apparence, qu’y avait-il ?

— Je pensais que tu avais été diplômée, commença-t-il.

— C’est le cas, répondit-elle aussitôt en ramassant l’un des livres de sorts que Zorian avait emprunté à la bibliothèque. Voyant la façon dont elle avait déjà pris possession de son lit, il s’assit sur la chaise du bureau.

— Mais tu sais ce qu’on dit… Il y a toujours trop de jeunes mages, jamais assez de professeurs pour les prendre sous leur aile. Je travaille en tant qu’assistante dans la classe de Nirthak. Eh, si tu as choisi l’option du combat non-magique, on va se voir sans arrêt !

— Ouais, je vois, renifla Zorian. Nirthak m’a mis sur liste noire par avance, juste au cas où tu voudrais te faire de fausses idées.

— Vraiment ?!

— Ouais. Non pas que j’aurais signé pour une classe pareille, de toute façon, répliqua Zorian.

Sauf peut-être pour la voir transpirante et haletante dans ce justaucorps qu’elle porte sans arrêt quand elle s’entraîne.

— Dommage, répondit-elle, apparemment perdue dans son livre. Tu devrais vraiment prendre un peu de muscles un de ces jours. Les filles aiment les garçons bien bâtis.

— Je me fous de ce qu’aiment les filles, trancha Zorian d’un ton sec tandis que Taiven commençait à parler comme sa mère. Pourquoi es-tu venue me voir, pour commencer ?

— Oh, du calme, c’était juste une idée en l’air, marmonna-t-elle en arborant un sourire dramatique. Les mecs et leur ego en carton…

— Taiven, je t’aime bien mais tu marches vraiment sur des œufs, là, prévint Zorian.

— Je suis venue pour te demander si tu voudrais me rejoindre, moi et quelques autres pour un travail, demain, avoua-t-elle en se débarrassant du livre sur le côté.

— Un travail ? demanda Zorian, les paupières plissées.

— Ouais. Ou plutôt, une mission. Tu sais, ces jobs que les gens postent et qu’on peut prendre sur le grand panneau d’affichage dans le bâtiment administratif ?

Zorian hocha la tête. Dès qu’un mage de la ville voulait que quelque chose soit fait pour une bouchée de pain, il postait une offre de job pour les étudiants intéressés. La paie était en général misérable mais les étudiants étaient obligés de collecter des points en les effectuant alors tous devaient en accepter quelques-unes. La plupart ne les commençaient même pas avant leur quatrième année à moins de vraiment avoir besoin de l’argent ; Zorian avait totalement prévu de suivre cette tradition.

— Il y en a une plutôt pas mal, expliqua Taiven. C’est en fait un simple travail de recherche et récupération dans les tunnels sous la ville que…

— Une sortie dans les égouts ? coupa Zorian, incrédule. Tu veux m’emmener dans les égouts ?!

— C’est une bonne expérience ! protesta Taiven.

— Non, décréta fermement Zorian en croisant les bras. Hors de question.

— Oh, allez, cafard, je t’en prie ! se plaignit Taiven. On ne peut pas prendre la mission si on n’est pas quatre ! Ça te tuerait de faire ce sacrifice pour une vieille amie ?

— Ça pourrait tout à fait ! décréta Zorian.

— Il y aura trois personnes pour te protéger ! tenta-t-elle de le rassurer. On y a déjà été trois cents fois et rien de dangereux n’est jamais arrivé. Rien n’arrive jamais, en bas. Les rumeurs sont très éxagérées.

Zorian renifla et détourna le regard. Même s’ils garantissaient réellement sa sécurité, c’était un endroit nauséabond empli de maladies de toutes sortes et il y serait en compagnie de personnes qu’il ne connaissait pas et qui lui en voudrait probablement d’être le paquet rapporté à cause d’une formalité.

D’ailleurs, il n’avait toujours pas pardonné à Taiven ce faux rendez-vous auquel elle l’avait prétendument invité. Elle ne savait peut-être pas qu’il craquait pour elle à cette époque mais c’était malgré tout très peu sensible de sa part de faire une telle chose.

Et il se sentirait sûrement plus enclin à l’aider si elle arrêtait de l’appeler cafard. C’était loin d’être aussi mignon et adorable qu’elle le pensait.

— Ok. Que dirais-tu d’un petit pari ? essaya-t-elle.

— Non, refusa Zorian sans autre forme de procès.

Elle laissa échapper un cri de stupeur effronté.

— Tu ne m’as même pas laissé m’exprimer !

— Tu veux te battre, expliqua Zorian. Tu veux toujours te battre.

— Et alors ? commença-t-elle à bouder. Tu flippes ? Tu admets que tu vas perdre contre une fille ?

— Absolument, lâcha Zorian contre toutes les attentes de Taiven. Les deux parents de cette dernière étaient pratiquants d’arts martiaux et ils lui avaient toujours appris comment se battre, depuis avant qu’elle sache marcher peut-être. Zorian ne tiendrait pas cinq secondes face à elle en combat rapproché.

Merde, il doutait que quiconque dans cette académie fasse mieux, d’ailleurs.

Taiven agita les mains, frustrée, avant de se laisser choir sur le lit. Pendant un moment, Zorian imagina qu’elle avait accepté sa défaite mais rapidement, elle se redressa en position du lotus, assise sur le lit. Le sourire qu’elle arborait ne présageait vraiment rien de bon.

— Alors, reprit-elle d’un air heureux. Comment vas-tu ?

Zorian soupira. Ce n’était pas du tout la façon dont il avait prévu de passer le week-end.

 

___

Deux jours plus tard, Zorian était confortablement installé dans sa toute nouvelle chambre et le lundi matin était déjà là. Se lever tôt était une pure torture après avoir pris l’habitude de dormir jusque tard dans la matinée mais il y parvint tant bien que mal. Zorian possédait de nombreux défauts mais le manque de discipline n’en faisait pas partie.

Il avait réussi à virer Taiven après trois heures de discussion – ou plutôt de lutte verbale. Il n’avait plus été d’humeur à quoi que ce fut après ça et remit la lecture à un autre jour. Au bout du compte, il passa le week-end entier à paresser, plutôt impatient de voir les cours commencer.

Le premier d’entre eux, ce jour-là, était un cours sur les Invocations Essentielles et Zorian n’était pas certain de ce qu’on était censé y apprendre. La plupart des autres cours sur son emploi du temps possédaient un sujet clair visible depuis le simple nom de la classe mais Invocation était un terme général : les invocations étaient ce que la plupart des gens imaginaient quand on leur parlait de magie, quelques gestes étranges, des mots arcaniques inconnus et paf, un sort. C’était en réalité bien plus complexe que ça – vraiment beaucoup plus – mais les néophytes se concentraient uniquement sur la partie visible de l’iceberg. Clairement, l’académie sentait que ce cours était important car il possédait un créneau absolument tous les jours de la semaine.

Tandis qu’il approchait la salle de classe, il remarqua un visage familier : celui d’une personne se tenant devant la porte, un presse-papier dans les mains. En tout cas, c’était une scène familière. Akoja Stroze était la déléguée de leur classe depuis la première année et elle prenait ce poste vraiment très au sérieux. Elle posa sur Zorian un regard dur lorsqu’elle l’aperçut et celui-ci se demanda ce qu’il avait encore fait pour mériter ça.

— Tu es en retard, décréta-t-elle lorsqu’il était suffisamment proche.

Zorian leva un sourcil sur cette réflexion.

— Le cours ne commence que dans dix minutes. Comment suis-je en retard ?

— Les étudiants sont supposés être dans la salle, prêts à démarrer, quinze minutes avant le début du cours, clama-t-elle sur le même ton ferme.

Zorian leva les yeux au ciel dans un beau mouvement circulaire. C’était ridicule, même pour Akoja.

— Je suis le dernier à arriver ?

— Non, finit-elle par concéder après un court silence.

Zorian la dépassa sans un mot de plus et entra dans la salle.

Il était toujours facile de dire quand vous arriviez au sein d’un rassemblement de mages. Leur apparence et la façon dont ils étaient habillés les faisaient sortir du lot, spécialement à Cyoria, là où tous les mages du monde envoyaient leurs enfants. Nombre de ses camarades de classe provenaient de grandes familles de mages quand ils n’en n’étaient pas les héritiers directs et un paquet de lignées de mages produisaient des enfants aux particularités remarquables, fut-ce à cause de l’hérédité ou d’améliorations secrètes auxquelles ils s’adonnaient rituellement… Autant de choses comme des cheveux verts, le fait de ne donner naissance qu’à des jumeaux liés par l’esprit ou même des tatouages au niveau des joues et du front. Il s’agit là d’exemples réels tous rencontrés au sein de sa classe.

Secouant la tête pour s’éclaircir les idées, Zorian s’approcha de l’avant de la classe en adressant des salutations polies à la poignée de camarades qu’il avait la chance de connaître un peu mieux que le reste. Personne ne tenta réellement de lui parler – même s’il n’y avait pas de rancune spéciale entre eux. Il n’était simplement pas très proche de qui que ce fût.

Il s’apprêtait à s’asseoir quand un sifflement affolé l’interrompit. Il jeta un coup d’œil sur la gauche et aperçut un des autres étudiants chuchoter quelque chose au lézard rouge-orangé couché sur ses genoux. L’animal lui rendait intensément son regard de ses yeux jaunes brillants, goûtant l’air autour de ses babines d’un air nerveux. Il cessa de siffler quand Zorian se rassit sur sa chaise en silence.

— Désolé pour ça, dit le maître du lézard. Il est encore un peu mal à l’aise en présence d’étrangers.

— Ne t’en fais pas, répondit Zorian en balayant les excuses d’un revers de la main ; il ne connaissait pas vraiment Briam mais il savait que sa famille élevait des drakes de feu et il n’était pas illogique pour lui d’en posséder un. Je vois que ta famille t’a donné un drake de feu. Un familier ?

Briam acquiesça joyeusement en grattouillant la tête de l’animal d’un air absent, ce qui lui fit fermer ses deux yeux noirs.

— Je me suis lié à lui cet été, raconta-t-il. Les liens avec les familiers sont un peu étranges au départ mais je pense que j’ai saisi le truc. Au moins, j’ai réussi à lui interdire de cracher du feu sur les gens sans ma permission, sinon j’aurais dû lui enfiler un collier suppresseur de feu, et il en a horreur.

— L’école ne va pas te causer d’ennuis si tu amènes cette demoiselle en classe ? demanda Zorian, curieux.

— Ce monsieur, corrigea Briam. Et non, ils ne vont rien dire. Tu peux amener un familier en classe si tu l’as déclaré à l’académie et que tu es capable de les forcer à se tenir bien. Et bien entendu, tant qu’ils restent d’une taille raisonnable.

— J’ai entendu dire que les drakes de feu peuvent atteindre une sacrée taille, en effet, fit remarquer Zorian spontanément.

— En effet, comme tu dis, confirma Briam. C’est pour ça que je n’ai pas été autorisé à en posséder un avant. D’ici cinq ans, il sera devenu bien trop gros pour me suivre dans la salle de classe mais d’ici là, j’en aurai déjà fini avec tout ça et je serai de retour au ranch.

Satisfait que la créature n’allait pas tenter de le mordre durant le cours, Zorian laissa son attention vagabonder ailleurs. Il passa la plupart de son temps à étudier les filles discrètement. Il en rejeta la faute sur l’influence de Benisek car il n’était pas habituellement du genre à reluquer ses camarades de classes, aussi mignonnes fussent-elles…

— Elle est canon, hein ?

Zorian bondit de surprise en entendant cette voix derrière lui et se lança quelques injures silencieuses pour avoir été repéré si vite.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit-il rapidement en tentant de retrouver son calme le plus vite possible en se tournant pour faire face à Zach. Le visage souriant et joufflu de son camarade de classe lui racontait qu’il ne faisait avaler de couleuvre à personne.

— Ne sois pas si nerveux, lui dit Zach avec enthousiasme. Je ne pense pas qu’il y ait un seul mec dans cette classe qui ne rêve pas occasionnellement de notre déesse rousse. »

Zorian renifla froidement. En réalité, il ne regardait pas vers Raynie, pas du tout, mais celle avec qui elle parlait. Non pas qu’il allait corriger Zach sur ce point, ou quoi que ce fut d’autre – Zorian ne savait pas trop quoi penser de Zach. D’un côté, le jeune homme aux cheveux d’un noir de jais était charmant, confiant et populaire, ce qui lui rappelait ses frères d’une façon assez dérangeante, et d’un autre côté… il n’était jamais impoli ou médisant avec Zorian, discutait souvent avec lui alors que tous les autres l’ignoraient royalement. Résultat, Zorian n’était jamais vraiment sûr de la façon dont il devait agir envers lui.

D’ailleurs, Zorian ne parlait jamais de ses goûts en matière de filles avec les autres. Les rumeurs qui volaient au gré des couloirs de l’académie parlaient trop souvent de qui appréciait qui et Zorian savait très bien que même des petites rumeurs infondées pouvaient ruiner une vie pendant des années.

— D’après ton air mélancolique, je suppose qu’elle est toujours insensible à ton charme, balança Zorian en tentant d’éloigner tout sujet de conversation de sa propre personne.

— Elle est délicate à gérer, confirma Zach. Mais j’ai tout le temps du monde.

Zorian leva un sourcil sur cette remarque, peu sûr de ce que Zach voulait insinuer. Tout le temps du monde ?

Heureusement, il fut sauvé d’une conversation qu’il ne voulait pas entretenir par la porte qui s’ouvrit bruyamment lorsque le professeur entra. Zorian fut honnêtement surpris de voir Ilsa entrer dans la salle de classe, son énorme livre vert dans les bras, celui que tous les professeurs transportaient. Pourtant, il n’aurait pas vraiment dû – il savait déjà qu’elle était professeure à l’académie alors il n’y avait rien d’illogique à la voir donner un cours. Elle lui adressa un sourire avant de poser son livre sur son bureau ; suite à quoi elle claqua des mains afin d’intimer le silence au sein de la classe, parmi tous ces étudiants trop occupés à leurs ragots pour remarquer l’arrivée de la professeure.

— Installez-vous, tout le monde, le cours a commencé, annonça Ilsa en acceptant la liste des élèves tendue par Akoja, qui restait debout près d’Ilsa avec attention, comme un soldat devant un officier supérieur.

— Étudiants, je vous souhaite la bienvenue dans le premier cours de cette nouvelle année. Je m’appelle Ilsa Zileti et je serai votre professeure pour celui-ci. Vous êtes tous élèves de troisième année désormais, ce qui signifie que vous avez reçu votre certification et avez fait votre entrée dans notre illustre communauté de magi. Vous avez prouvé votre intelligence, votre compétence et votre capacité à plier le mana, l’essence même de la magie, à votre volonté. Mais vous êtes conscient que votre voyage ne fait que commencer, n’est-ce pas ? Comme vous l’avez tous remarqué, et comme nombre d’entre vous s’en sont plaints, vous n’avez eu droit d’apprendre qu’une poignée de sorts jusqu’à présent, et tous ne sont que de vulgaires tours basiques. Vous allez être agréablement surpris d’apprendre que cette injustice s’arrête aujourd’hui.

Des acclamations de joie éclatèrent de part et d’autre de la salle de classe. Ilsa leur permit de se montrer sauvages l’espace de quelques secondes avant de lever la main pour les faire taire à nouveau. Elle avait assurément un truc pour la théâtralité.

Tout comme les élèves, d’ailleurs. Cette éruption de joie n’était très certainement pas due au simple fait qu’ils n’étaient pas parvenus à contenir leur joie.

— Mais que sont exactement les sorts ? demanda-t-elle. Est-ce que quelqu’un peut me le dire ?

— Oh, super, grommela Zorian. Des révisions.

Des murmures hésitants s’élevèrent dans la salle et ne cessèrent que lorsqu’Ilsa pointa du doigt une jeune fille particulière, qui répétait tout bas ce qui devait constituer sa réponse : de la magie structurée.

— En effet, les sorts sont issus de la magie mise en forme, structurée. Lancer un sort, c’est invoquer une construction de mana particulière. Une construction qui est par nature très limitée dans ce qu’elle peut faire. C’est pour cette raison que les sorts structurés sont également appelés sorts limités. Les exercices de mise en forme que vous avez effectués pendant les deux dernières années, ceux-là même que vous avez toujours considérés comme des corvées inutiles, sont une application de la magie non-structurée. En théorie, la magie non-structurée peut réaliser n’importe quoi. Les invocations sont simplement un outil pour vous rendre la vie plus facile. Une béquille, certains diront. Lancer un sort limité, structuré, c’est sacrifier la flexibilité et forcer le mana dans une construction rigide qui peut uniquement être altérée de façon mineure. Alors pourquoi est-ce que tout le monde préfère les invocations ? Les sorts ?

Elle attendit quelques instants avant de continuer.

— Dans un monde idéal, vous apprendriez comment manipuler toute magie de façon non-structurée, la pliant au moindre de vos désirs comme bon vous semble. Mais ce n’est pas un monde idéal. La magie non-structurée est lente et difficile à apprendre… et le temps est une ressource précieuse. D’ailleurs, les invocations sont utiles : grâce à elle, on peut effectuer tout un tas de choses. Elles peuvent donner des résultats de façon incroyable. Bon nombre des choses que vous allez accomplir en lançant des sorts, ou des invocations – vous avez retenu que c’est la même chose – n’ont jamais pu être reproduites grâce à la magie non-structurée. Les autres…

Elle sortit un crayon de sa poche et le plaça sur le bureau avant de lancer ce que Zorian reconnut comme un simple sort de Torche. Le crayon s’alluma et illumina la pièce toute entière d’une lumière douce et dansante. Bien, au moins, il savait maintenant pourquoi les rideaux étaient fermés dans la salle de classe – c’était compliqué de faire une telle scène à la lumière du jour. Cependant, le sort n’avait rien de nouveau pour Zorian, qui avait appris comment le lancer l’année précédente, comme tous les autres.

— L’invocation Torche est l’un des sorts les plus simples à lancer. Un sort que vous devez déjà tous connaître. Il est comparable à cet exercice d’émission de lumière non-structuré que vous devez aussi déjà connaître.

Ilsa se lança alors dans une explication à propos des avantages et des inconvénients du sort Torche comparé à l’exercice donnant le même résultat et sur la façon dont il représentait la différence entre magie structurée et non-structurée en général. Pour la plus grande partie de l’explication, ce n’était rien de plus que ce que Zorian savait déjà pour l’avoir appris dans les livres et il s’amusa en dessinant des créatures magiques sur la marge de son cahier pendant que la professeure parlait. Du coin de l’œil, il pouvait voir Akoha et certains autres élèves écrire furieusement tout ce qu’ils entendaient alors que ce n’était rien de plus qu’une session de révision approfondie et qu’ils avaient déjà probablement tous écrit tout ça les années passées. Il ne savait pas s’il devait être impressionné par leur dévouement ou dégoûté par leur esprit si simple. Il remarqua, cela dit, que certains des étudiants avaient animé leurs crayons par magie pour prendre facilement note de tout ce qui se disait. Zorian préférait personnellement écrire lui-même mais il pouvait bien voir qu’un tel sort était utile à la plupart de ses camarades. Il laissa rapidement une note de bas de page afin de ne pas oublier d’effectuer des recherches sur ce sort en particulier.

Ilsa se mit ensuite à parler de désenchantement – un autre sujet qu’ils avaient déjà approfondi durant l’année précédente et l’une des zones-clés dans laquelle ils devaient être exemplaires afin de passer le processus de certification. Pour être honnête, c’était un sujet complexe mais vital. Il n’y avait pas de solution miracle et universelle pour démembrer un sort structuré et sans savoir comment désenchanter vos propres sorts, s’essayer à la magie pouvait s’avérer désastreux. Pourtant, on aurait pu penser qu’à ce niveau, l’académie les aurait jugés aptes et aurait rapidement laissé ce point derrière eux.

Quelque part durant ses explications, Ilsa décida de pimenter un peu la chose grâce à des exemples et effectua quelques démonstrations de sorts qui donnèrent naissance à plusieurs piles de bols en céramique apparaissant sur son bureau comme par magie. Elle demanda à Akoja de les distribuer à tout le monde et les fit utiliser le sort Lévitation afin de les faire flotter au-dessus des pupitres de chacun. Comparé à ce que Zorian avait fait avec le vélo de la gamine, c’était ridiculement insultant.

— Je vois que vous avez tous réussi à faire léviter vos bols, déclara Ilsa. Maintenant je veux que vous lanciez le sort Désillumination dessus.

Zorian leva les sourcils. Qu’est-ce qu’elle cherchait à accomplir ?

— Allez-y, les urgea Ilsa. Ne me dites pas que vous avez oublié comment lancer ce sort ?

Zorian effectua rapidement une série de gestes et chantonna un cantique assez court en se concentrant sur le bol. L’objet vibra pendant une seconde avant de finalement chuter comme n’importe quel truc plus lourd que l’air. Une pléthore de sons l’informa qu’il n’était pas le seul dans son cas. Il leva la tête vers la professeure en quête d’une explication.

— Comme vous l’avez remarqué, le sort Lévitation peut être désenchanté par le sort Désillumination. Un développement intéressant, n’est-ce pas ? Qu’est-ce qu’un sort supposé annihiler les sources de lumière magiques a à voir avec la lévitation ? En vérité, mes jeunes étudiants, ce sort Désillumination est une forme spécialisée d’un sort plus basique de désenchantement, qui détruit la structure d’un sort pour l’annuler. Il n’est pas créé pour ce sort Lévitation mais sa nature même lui permet de l’affecter si vous lui fournissez suffisamment d’énergie.

— Pourquoi ne pas nous avoir demandé de l’annuler d’une façon normale, alors ? s’enquit l’une des filles.

— Une question qu’on abordera une prochaine fois, rétorqua Ilsa sans manquer le coche. Pour l’instant, je veux que vous preniez note de ce qui s’est passé lorsque vous avez brisé la structure du sort sur le bol. Il est tombé comme une pierre et s’il n’avait pas été renforcé par magie, il se serait brisé en percutant la table. C’est le problème inhérent à tous les sorts de désenchantement. Les sorts dits perturbateurs sont la forme la plus simple de désenchantement et virtuellement n’importe quel sort peut être brisé si vous fournissez assez de puissance. Mais parfois… annuler un sort peut avoir des effets néfastes, bien plus graves que si vous le laissiez suivre son cours. C’est particulièrement vrai pour les sorts de haute volée qui réagissent violemment, explosivement même, aux sorts perturbateurs à cause de la quantité phénoménale de mana qu’ils contiennent. Sans même parler du fait que « suffisamment de puissance » peut être largement au-delà de ce qu’un mage peut fournir. Placez vos bols sur la table et placez quelques pages de vos cahiers à l’intérieur.

Zorian fut quelque peu surpris par la requête soudaine d’Ilsa mais s’exécuta. Il trouvait toujours que déchirer du papier était quelque chose de cathartique et il en plaça de fait un peu plus que nécessaire avant d’attendre les instructions suivantes.

— Je veux que vous lanciez le sort Ignition sur le papier, immédiatement suivi par Désillumination afin d’éteindre le feu qui va en résulter.

Zorian soupira. Cette fois, il avait compris ce qu’elle essayait de faire et savait que les flammes n’allaient pas disparaître. Il fit cependant comme elle demandait ; les flammes, comme prévu, ne frétillèrent même pas l’espace d’un souffle et le feu mourut de lui-même quand le papier fut consumé.

— Je vois que vous savez tous lancer Ignition à la perfection, constata Ilsa. Je suppose que je ne devrais pas être surprise : chauffer des choses est l’une des choses les plus simples en matière de magie. Ça et les explosions. Pas un d’entre vous n’a réussi à disperser les flammes, par contre. Pourquoi, d’après vous ?

Zorian renifla en écoutant d’autres élèves tenter de deviner la raison. Deviner étant le maître-mot parce qu’ils avaient plus l’air de balancer des réponses hasardeuses dans l’espoir de toucher juste par chance que de réfléchir posément. Normalement, il ne se portait jamais volontaire pour quoi que ce fut dans une salle de classe mais il était déjà épuisé par ce jeu de devinettes et Ilsa n’avait pas l’air de vouloir leur donner la bonne réponse avant longtemps, cette fois.

— Parce qu’il n’y a rien à désenchanter, lança-t-il. Ce n’est qu’un simple feu, tout à fait normal, démarré par magie mais alimenté par un comburant et un combustible tout à fait classiques.

— Correct, acquiesça Ilsa. C’est une autre faiblesse des sorts de perturbation. Ils déconstruisent les sorts, mais tout effet qui n’est pas magique par nature ne peut pas être affecté. Gardez ça à l’esprit et retournons à notre problème immédiat…

Deux heures plus tard, Zorian quittait la salle en compagnie de tous les autres étudiants, un peu déçu. Il avait appris très peu de choses durant ce cours et Ilsa avait déjà annoncé qu’ils passeraient le mois entier à revoir les bases avant de passer à des choses plus avancées. Elle leur avait aussi donné un devoir à rendre sur le sujet du désenchantement. C’était destiné à être un cours ennuyant pour Zorian, qui avait déjà une excellente maîtrise des bases. Le pire ? Cinq fois par semaine. Tous les jours. Ô joie.

Le restant de la journée fut indigne de mention, les quatre cours qui restaient étaient purement introductoires, décrivant le matériel devant être utilisé et ce genre de détail. L’Alchimie Essentielle et les Opérations sur les Objets Magiques avaient l’air prometteurs mais les deux autres classes étaient juste une copie conforme de ce qu’ils avaient déjà vu pendant deux ans. Zorian n’était pas très sûr de la raison pour laquelle l’académie jugeait qu’ils devaient continuer leur apprentissage sur l’histoire des arts magiques et des lois magiques durant leur troisième année… à moins qu’ils n’aient cherché à délibérément ennuyer tout le monde. C’était spécialement plausible étant donné leur professeur d’histoire, un vieil homme du nom de Zenomir Olgai, trop enthousiasmé par son sujet et qui leur avait donné un livre d’histoire de 200 pages à lire pour la fin de la semaine.

C’était vraiment une façon catastrophique de démarrer la semaine pour Zorian.

 

___

 

Le lendemain débuta avec un cours de magie de combat, dispensé dans un hall d’entraînement en lieu et place d’une salle de classe. Leur professeur s’avéra être un ancien mage de combat dénommé Kyron. Il ne fallut qu’un simple regard à Zorian pour réaliser que ce n’allait pas être un cours des plus banals.

L’homme debout devant eux était de taille moyenne mais avait l’air taillé dans la pierre – chauve, le visage rigide et très, très musclé. Son nez un peu trop long et son torse nu ne faisaient qu’accentuer l’impression qu’il chassait le futur sans s’arrêter. Une exhibition de muscles, voilà ce qu’il en était. Un bâton de combat dans une main et le livre omniprésent des professeurs dans l’autre, si quelqu’un avait dû décrire cet homme à Zorian, ce dernier aurait trouvé la description plutôt amusante. Le retrouver en face de soi l’était nettement moins.

— La magie de combat n’est pas réellement une catégorie de sorts en soi, entama-t-il d’une voix puissante et écrasante, comme un général parlant à de nouvelles recrues plutôt qu’un professeur à des élèves – c’était sans doute la classe la plus silencieuse dans laquelle Zorian avait mis les pieds, même les pies comme Neolu et Jade étaient coites.

Après une seconde de silence, il reprit.

— C’est plus une façon d’utiliser la magie. Pour utiliser des sorts en combat, vous devez les lancer vite, efficacement et surpasser les défenses adverses. Ce qui signifie que vous allez avoir besoin pour ça d’une grande quantité de puissance et que vous soyez aptes à mettre les sorts en forme en l’espace d’un souffle… ce qui signifie à son tour que ces invocations classiques que vous avez répétées et répétées encore dans les autres cours sont I-NU-TILES !

Il frappa la base de son bâton sur le sol en insistant sur les trois dernières syllabes de sa phrase et ses mots se réverbérèrent à travers tout le hall d’entraînement. Zorian aurait pu jurer que ce type avait une voix améliorée par magie pour lui donner plus de force et d’impact.

— Incanter un sort prend quelques secondes, si ce n’est plus. Et la plupart de vos adversaires vont vous tuer avant que n’ayez fini. Spécialement aujourd’hui, avec les retombées de la Guerre de Fractionnement, quand n’importe quel idiot porte une arme à feu et est entraîné à combattre les mages avec efficacité.

Kyron secoua la main dans les airs et l’espace derrière lui s’effondra, révélant l’image à moitié transparente d’un minotaure. La créature avait l’air furieuse mais elle n’était rien de plus qu’une illusion.

— Beaucoup de sorts de combat utilisés par les mages d’antan se reposaient sur la fascination des gens pour la magie, ou leur méconnaissance de ses limitations. Aujourd’hui, chaque gosse passé par l’école élémentaire sait mieux que quiconque qu’il ne faut pas être effrayé par une illusion comme celle-ci. Alors un soldat ou un criminel le seront encore moins. La plupart des sorts et des tactiques que vous trouverez à la bibliothèque s’avèreront des plus obsolètes et inutiles.

Kyron s’arrêta un instant pour se frotter le menton.

— Et puis, il est assez compliqué de se concentrer sur le lancement d’un sort quand quelqu’un est en train d’essayer de vous tuer par tous les moyens, fit-il remarquer nonchalamment en secouant la tête. En conséquence de quoi personne ne lance, pour tout sort de combat, d’invocation classique. Au lieu de ça, les gens utilisent des formules, comme celle imprimée sur mon bâton, afin de lancer des sorts spécifiques instantanément et avec efficacité. Je ne vais même pas vous apprendre comment lancer de sort de combat sans ce type d’objet, ça prendrait des années, sinon plus. Si vous êtes réellement curieux, vous pouvez toujours fouiner dans la bibliothèque afin d’y trouver les cantiques corrects, les gestuelles et vous entraîner de votre côté.

Il tendit alors à chaque élève une baguette sur laquelle était imprimé un sort. Une baguette de missile magique, qu’il l’appelait. Il les fit s’entraîner à lancer ce sort sur des figurines d’argile à l’autre bout du hall, jusqu’à ce qu’ils arrivent à court de mana. Pendant qu’il attendait que la fille devant lui en ait terminé, Zorian étudia le petit bâton qu’il tenait. C’était un morceau de bois droit et rigide parfaitement adapté à sa main et qu’on pouvait attraper par n’importe quel côté sans en changer l’effet – qui était en réalité un éclair d’énergie sortant par le côté pointant loin du lanceur.

Lorsque ce fut finalement son tour, il réalisa que lancer un sort sans l’aide d’un cantique et de gestuelles était si facile que c’en était insultant. Il n’avait même pas vraiment besoin d’y songer, simplement pointer la baguette dans la direction désirée était suffisant ; un peu de mana concentré à l’intérieur et BOUM, la baguette faisait le reste. Le vrai problème résidait dans le fait que ce missile magique demandait bien plus de mana que n’importe quel autre sort que Zorian connaissait et il brûla ses réserves en à peine huit tirs.

Drainé de son mana interne et un peu déçu par la vitesse de déplétion de ce dernier, il observa Zach tirer des missiles magiques, l’un derrière l’autre avec une confiance paresseuse. Zorian ne put s’empêcher de se sentir un peu jaloux de son camarade – la quantité de mana que Zach avait utilisée devait être au moins trois ou quatre fois supérieure au maximum de Zorian. Et il n’avait pas l’air de vouloir ralentir pour autant.

— Bien, je vais vous libérer même si ce n’est pas encore officiellement terminé, déclara Kyron au bout d’un moment. Vous êtes tous vidés de votre mana à l’exception de monsieur Noveda ci-présent et la magie de combat n’existe pas sans entraînement. Comme mot d’adieu, je dois vous avertir : n’utilisez votre nouvelle magie qu’avec responsabilité et restriction. Dans le cas contraire, je m’assurerai de vous chasser en personne.

Si ç’avait été n’importe qui d’autre, Zorian aurait ri de cette bonne blague. Mais c’était Kyron et il avait l’air assez taré pour simplement tenir parole.

Ce fut ensuite le tour du cours de formulation magique, qui se trouvait être la branche même de magie utilisée pour fabriquer les outils dont ils se servaient dans leur cours de magie de combat. Leur professeure, une jeune femme affublée d’une coupe de cheveux orange défiant la gravité telle la flamme d’une bougie, faisait penser à Zenomir Olgai : elle possédait le même enthousiasme débordant de son sujet. Zorian aimait la formulation de sorts mais pas autant que Nora Boole. Elle leur avait recommandé pas moins de douze livres et avait annoncé qu’elle organisait des cours supplémentaires chaque semaine pour ceux qui étaient intéressés par d’avantage de connaissances. Puis, elle leur fit passer un petit test de soixante questions pour vérifier ce dont ils se souvenaient des années précédentes. Pour finir, elle ordonna à la classe de lire les trois premiers chapitres d’un des livres qu’elle leur avait conseillés, et ce, pour le cours suivant – qui s’avérait être le lendemain.

Après quoi le reste de la journée se déroula aussi paisiblement que possible.

 

___

 

 

Zorian frappa à la porte en face de lui, gesticulant nerveusement sur place. La première semaine de sa troisième année s’était révélée plutôt calme, exception faite de la surprise de découvrir que le cours de mathématiques avancées était également dispensé par Nora Boole qui s’était montrée similairement enthousiasmée par ce sujet également. Elle leur avait même fait passer un autre test préliminaire et « recommandé » d’autres lectures. Pourtant, nous étions désormais vendredi et il était temps de rencontrer ce fameux mentor.

— Entrez, résonna une voix de l’autre côté.

Zorian pouvait jurer sentir l’impatience dans cette voix tout comme l’homme pouvait déjà sentir que Zorian perdait son temps avant même de le rencontrer. Ce dernier ouvrit la porte et se retrouva face à face avec Xvim Chao, le célèbre mentor de l’enfer. Zorian comprit immédiatement à son expression que celui-ci ne lui offrait pas grande considération.

— Zorian Kazinski ? Assis-toi, s’il te plait, ordonna Xvim sans même prendre la peine d’attendre une réponse. Zorian attrapa de justesse le crayon qui vola dans sa direction au moment même où il prenait place.

— Montre-moi les trois bases, intima une fois de plus son mentor en parlant des exercices de mise en forme qu’ils avaient tous appris durant leur seconde année.

Zorian avait entendu parler de cette partie. Personne n’avait jamais maîtrisé les trois bases au point d’impressionner Xvim. Bien entendu, Zorian avait à peine commencé l’exercice de lévitation sur le crayon qu’il fut déjà interrompu.

— Lent, prononça Xvim pour tout verdict. Il t’a fallu une seconde complète de concentration pour te mettre dans le bon état d’esprit. Tu dois être plus rapide. Recommence.

Recommence. Recommence. Encore. Encore. Il continuait à répéter ce même mot et bientôt, Zorian se rendit compte qu’il était là depuis plus d’une heure. Il avait totalement perdu la notion du temps à force d’essais répétés de façon machinale, à force de se concentrer sur l’exercice plutôt que sur le désir grandissant de fourrer ce crayon bien profond dans un des orifices de Xvim.

— Recommence.

Le crayon s’éleva immédiatement dans les airs, avant même que Xvim n’eut fini de parler. Vraiment, comment pourrait-il être encore plus rapide que ça ?

Mais il perdit sa concentration quand une bille percuta son front.

— Tu t’égares. Tu as perdu ta concentration, sermonna Xvim.

— Vous m’avez jeté une bille à la tête ! protesta Zorian, incapable de parfaitement accepter que Xvim eut pu faire quelque chose de si puéril. Vous vous attentiez à quoi d’autre ?!

— Je m’attends à ce que tu restes concentré sur l’exercice quoi qu’il arrive, reprit Xvim. Tu l’aurais réellement maîtrisé, de façon viscérale et instinctive, une petite perturbation comme celle-là n’aurait eu aucun impact sur toi. On dirait que j’ai vu juste de façon regrettable, une fois encore : le cursus inadapté proposé par l’académie actuelle a, en une nouvelle occasion, bridé la croissance d’un élève prometteur. Il semble que nous allons devoir recommencer depuis les bases de la mise en forme du mana. Nous allons revoir les trois bases jusqu’à ce que tu les maîtrises sans aucune faille.

— Professeur, j’ai maîtrisé ces exercices il y a un an déjà, protesta Zorian une seconde fois, décidé à ne pas perdre son temps avec les bases une fois encore, ayant déjà passé bien trop de temps à les travailler selon lui.

— Non, tu ne les as pas maîtrisés, répliqua Xvim sur un ton qui montrait qu’il était presque offensé que Zorian ait pu même suggérer une telle éventualité. Être capable de réaliser ces exercices de façon fiable, ce n’est pas les maîtriser. D’ailleurs, cette pratique va t’apprendre la patience et comment contrôler ton tempérament rebelle, chose avec laquelle tu as clairement un problème. Ce sont deux choses essentielles à un mage.

Les lèvres de Zorian se resserrèrent. L’homme en face de lui le poussait volontairement à bout, Zorian en était certain. Apparemment, les rumeurs étaient fondées : ces sessions allaient s’avérer être autant de séances de gigantesque frustration.

— Commençons par l’exercice de lévitation, entama Xvim sans plus attendre et totalement insensible aux états d’âme de Zorian. Recommence.

Zorian le comprit à ce moment : il détestait désormais déjà ce mot.

Raka
Les derniers articles par Raka (tout voir)
MoL : Chapitre 1
MoL : Chapitre 3

Related Posts

9 thoughts on “MoL : Chapitre 2

  1. Deuxième chapitre de l’histoire et je suis capable de dire que l’auteur a déjà commencé à semer les bases de son histoire (à la manière d’Oda avec One piece).

    Vraiment hâte de lire la suite haha
    Et merci à toi Raka pour la trad

  2. Ah ce bon vieux xvim moi il me fait rire ce personnage
    Ce LN est l’un des meilleurs que j’ai lu ! Je suis content qu’il soit traduits ici 

    1. Et encore c’est que les deux premiers chapitres. A partir du 5-6, ça décolle, ça devient le genre de truc tu veux absolument bouffer la suite.

  3. Merci de re trad cette série, j’avais lu les chapitres sur l’autre site, et j’attend avec impatience la suite !

Répondre à Cailloux Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Social Media Auto Publish Powered By : XYZScripts.com