MoL : Chapitre 21
MoL : Chapitre 23

Chapitre 22 – Complications

 

Zorian s’éveilla dans son lit à Cirin, Kirielle affalée sur son ventre pour lui souhaiter une bonne journée à sa charmante manière. Il était vexé envers lui-même pour ne pas avoir prêté attention à son environnement mais aussi à son attaquant, celui qui l’avait tué. Il s’attendait au moins à survivre à toutes ces situations critiques et ces dangers évités de justesse et il s’était fait achever pas une attaque surprise ?

Le voyage en train lui servit à coucher des schémas d’objets magiques sur son calepin. La plupart étaient triviaux, plats qui conservent la chaleur ou autres pièges explosifs se déclenchant sous certaines conditions mais il caressait l’idée de créer un mannequin d’entraînement. Il avait trouvé une combinaison de sorts d’altération qui pourraient lui permettre d’en construire un à partir de copeaux de bois et de terre mais créer le cœur animé n’était pas chose aisée. Et puis, même s’il y parvenait, il devrait schématiser une enveloppe de protection qui devrait courir à la surface du mannequin pour l’empêcher de se désintégrer lorsqu’il commencerait à le bombarder de sorts… hypothétiquement d’une manière explosive – il ne voulait pas se faire arroser de shrapnel. Il ferait aussi bien d’ajouter une fonction de réparation automatique mineure afin de l’empêcher de tomber en morceaux à cause de micro-fractures et autres joyeusetés.

Il ne s’attendait pas à terminer ce projet durant ce mois.

Dans tous les cas, cette fois, Zorian n’attendit pas autant avant de contacter les Aranea. Une fois dans sa chambre, il sacrifia une heure pour fabriquer une baguette de missile magique à des fins de défense et se mit immédiatement en route vers l’entrée du donjon la plus proche.

Contrairement à ses précédents essais pour trouver les Aranea, il me se contentait pas de marcher à l’aveuglette en attendant de tomber par hasard sur un éclaireur – il tentait de sentir leurs esprits grâce à son tout nouveau sens spirituel. Malheureusement, il ne sentait rien d’autres que d’occasionnels rats et –

Il s’arrêta, sentant l’esprit d’une puissance inhabituelle provenant de l’un des rats devant lui. Il ordonna mentalement à la lumière flottante de s’intensifier pour un instant et fut récompensé par la vue inquiétant de ce rat à qui il manquait le sommet du crâne.

Pendant une seconde complète, Zorian et le rât-crâne se tinrent debout l’un en face de l’autre et se regardèrent, indécis, en tentant de décider de la suite. Puis – gentiment, de manière hésitante – le rat tendit une sonde télépathique pour tenter de s’introduire dans l’esprit de l’humain en face de lui. Pendant un court instant, Zorian considéra l’éventualité de le combattre télépathiquement mais il classa rapidement cette idée comme aussi stupide que risquée. Il était totalement novice en combat télépathique et ce rat n’était qu’un simple relai pour la colonie entière. Aussi, il sortit plutôt sa toute nouvelle baguette magique pour tirer avec.

Au moment où il tendit la main pour atteindre la baguette, le rat abandonna immédiatement le lien télépathique et tenta de fuir. Trop lent, trop lent ! La boule de force s’écrasa sur la petite créature dans un craquement violent, pulvérisant ses os et la broyant en une pâtée méconnaissable.

Eh bien, voilà qui était fait. Zorian envoya son sens spirituel aussi loin qu’il le pouvait pour tenter de sentir le reste de la colonie et ne trouva rien. Soit ce rat-là était un éclaireur isolé, soit les autres possédaient un moyen de se camoufler.

Le temps qu’il eut décidé de bouger, la bouillie qui avait été le rat quelques temps plus tôt était déjà recouverte d’une espèce de gel vert translucide mobile. Les oozes qui patrouillaient ces sections murées du donjon étaient des créatures créées artificiellement. Moins agressives, moins dangereuses que leurs contreparties sauvages, Zorian n’avait cependant jamais été fanatique lorsqu’il s’agissait de tenter le destin et fit de son mieux pour éviter le monstre gluant. Les brûlures acides étaient compliquées à soigner, après tout, même par magie.

Lorsqu’il trouva finalement les Aranea, la rencontre fut plutôt décevante. Celle qu’il trouva ne savait pas parler aux humains et il lui fallut 10 minutes de gesticulations télépathiques pour enfin lui faire comprendre dans une migraine furieuse qu’il avait besoin de voir la matriarche. Quand celle-ci se montra, elle l’envoya simplement bouler pendant quelques jours, le temps qu’elle digère le contenu du paquet mémoriel.

Ce n’était pas inattendu mais il espérait que la matriarche aurait raffiné sa mémoire en quelque chose qui aurait pu convaincre sa version passée un peu plus rapidement que la fois précédente. Elle était un peu excessive et prétentieuse mais c’était agréable de pouvoir parler de la boucle temporelle avec quelqu’un. Et puis, en vérité, il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre, pour délier ce paquet de mystère concernant la boucle sans l’aide des araignées, que de lentement mais sûrement assembler des connaissances en magie et garder les yeux ouverts.

Tandis qu’il retournait vers sa chambre pour dormir sur sa nouvelle migraine, il tenta de réfléchir à un moyen de faire progresser ses études en magie plus rapidement. Il avait besoin d’un professeur. Un professeur qui accepterait de lui apprendre des sorts que la plupart des instructeurs considéreraient trop dangereux pour un étudiant à peine certifié. Qui pourrait bien faire l’af… oh.

Ça pourrait bien juste fonctionner…

 

___

 

Le lendemain, quand Taiven vint le voir pour le recruter dans leur petite expédition dans les égouts, elle le trouva en train de s’entraîner à la magie de combat sur l’un des terrains d’entraînement de l’académie plutôt que dans sa chambre. Il aurait pu facilement se protéger de ses sorts de divination à ce moment, mais la laisser le traquer faisait partie du plan : il espérait la recruter comme partenaire d’entraînement et potentiellement… comme professeur.

Il s’était toujours imaginé avoir dépassé le rejet – par mégarde, mais quand même – de Taiven mais apparemment, il existait toujours un ressentiment quelconque parce qu’il avait remarqué une chose très importante lors de la boucle précédente. Une chose qu’il aurait dû remarquer bien plus tôt, s’il n’avait pas passé son temps à la repousser et l’ignorer inconsciemment. Taiven n’était pas foncièrement opposée au fait de l’aider, spécialement si ça impliquait quoi que ce fut relatif au combat. Pourquoi persistait-il à s’entraîner seul quand il possédait des amis spécialisés dans ce domaine bien particulier ?

Ainsi était-il, lançant missile après missile sur la cible devant lui tout en tentant de les rendre aussi économes que possible en mana. Il espérait que Taiven lui propose de l’aider de son propre chef en le voyant et ne fut pas déçu. Elle y attacha cependant une condition.

— Donc, en conclusion, j’ai droit à un mois d’instruction de ta part, gratuitement, si je t’accompagne dans les égouts en échange ? demanda Zorian.

— Ouaip ! répondit joyeusement Taiven, apparemment très satisfaite d’elle-même. Zorian pouvait comprendre pourquoi – elle venait de trouver un moyen de l’obliger à descendre avec elle et il ne lui en avait coûté qu’une chose qu’elle était déjà encline à faire pour commencer.

— Je suppose que ça me va, soupira Zorian en considérant mentalement la façon dont il devait gérer cette situation.

Il pouvait très bien les suivre, bien sûr, et les laisser tourner en rond pendant un moment – c’est ce que Taiven attendait de lui, après tout – puisqu’il était à peu près sûr que les Aranea ne l’attaqueraient pas, lui et son groupe. Cependant, après y avoir bien réfléchi, il décida de faire autrement.

— J’ai moi aussi une condition, cela dit. Je suis en de bons termes avec une colonie d’araignées intelligentes qui vivent dans les égouts et je suspecte quelque peu qu’elles soient celles qui ont dérobé la montre. J’aimerais tenter de leur parler avant que tu descendes et que tu brûles tout.

— Tu… es ami avec un groupe d’araignée géantes des égouts ? répéta Taiven en le regardant d’un air curieux.

— C’est à peu près ça, confirma Zorian, qui aurait plutôt décrit les Aranea comme des connaissances et alliées de fortunes plutôt que comme des amies mais elle n’avait pas besoin de le savoir. J’imagine que toi et tes amis peuvent garder ça secret ? Je suis sûr que tu peux voir le genre de problèmes que ça pourrait me causer – et à elles aussi – si la rumeur se répandait.

— Ne t’en fais pas. Je ne suis pas une commère, répondit Taiven dédaigneusement. Et je dois encore voir Grogneur et Grommeleur raconter ce genre de trucs avant de les traiter de bavards. Ton secret est bien gardé avec nous, oh grand charmeur de monstres. Tu… penses qu’elles vont nous rendre la montre si on leur demande ?

— Si l’histoire du client n’est pas une pure connerie, alors oui. Je ne vois pas quelle utilité elles pourraient avoir d’une montre à gousset. Mais quoi qu’il arrive, j’ai une requête pour toi avant que tu ne partes.

— Oh ? Laquelle ?

— Apprends-moi un sort de feu plus destructeur que le lance-flamme, demanda Zorian.

— Quelle est la taille de ta réserve de mana ? renchérit immédiatement Taiven, pas du tout dérangée par la requête.

— Magnitude 12, répondit Zorian.

— Hmm… Un peu plus faible que ce que je pensais mais décent, je suppose, jugea Taiven.

Zorian décida de taire la nature ridicule de ses réserves naturelles.

— Quel genre de sort cherche-tu, pour commencer ?

— Préférablement quelque chose qui peut tuer un troll, lâcha Zorian de façon éhontée.

— Quoi ? s’exclama Taiven en le regardant comme s’il était taré. Cafard, tu es bien trop inexpérimenté pour t’amuser à aller chercher des noises à des trolls. Mais putain, tu penses à quoi, là ?

— Contente-toi de me faire plaisir, Taiven, soupira Zorian. D’ailleurs, c’est pour me défendre – je ne compte pas aller déclarer la guerre à quiconque.

— Hpmf, renifla Taiven en haussant les épaules. Dit le type qui se promène et rencontre des araignées géantes dans les égouts pendant son temps libre. Mais très bien, je suppose que si tu comptes vivre cette vie de toute façon, tu auras besoin de sorts plus puissants dans ta manche. J’attends une explication très rapidement, en revanche.

— Après le festival d’été, je te raconterai tout, promit Zorian doucement.

— Je retiens, déclara Taiven en le frappant douloureusement au torse. Maintenant, il existe deux sorts qui remplissent plus ou moins tes critères, bien qu’ils ne tueront un troll que si tu peux le toucher en pleine gueule. Boule de feu et Rayon incinérateur. La boule peut traquer une cible et coûte moins cher en terme de mana. Le rayon est bien plus destructeur mais se trouve être un gouffre à mana et il faut savoir viser.

— Enseigne-moi les deux, trancha Zorian.

La boule de feu allait sans doute lui être bien plus utile de manière générale mais le rayon incinérateur allait trouver son utilité également un jour ou l’autre.

— T’es sûr d’avoir les capacités nécessaires en mise en forme, Cafard ? demanda Taiven. Parce que ce genre de sort ne va pas faire pouf, si tu te loupes. Ça va faire boum, et dans ta gueule.

Zorian renifla dédaigneusement.

— Fais-moi confiance, ce n’est clairement pas un domaine dans lequel je patauge, dit-il avant de lever son bras, paume pointée vers le sol, et exprima sa volonté. Terre et poussière s’élevèrent et ces matériaux qui couvraient le terrain d’entraînement rejoignirent sa main en un pilier diffus avant de se coalescer en une sphère compacte dans sa main.

Une fois satisfait par la taille de la sphère, il tendit la main vers l’une des cibles et la masse de terre et de poussière se projeta rapidement vers l’avant, se catapultant comme sortie d’un canon. Malheureusement, la construction était trop instable et se désintégra à mi-chemin en un nuage qui retomba paresseusement au sol et ruinant l’effet escompté.

Cela ne rendit pas le fait moins impressionnant aux yeux de Taiven, cela dit.

— Merde ! C’était sacrément impressionnant ! s’écria-t-elle. Comment tu fais ça ? Je ne pense pas que je serais capable de le faire… Soulever un rocher, ok mais un matériau diffus comme la terre et la poussière ? C’est un exercice plutôt avancé… Hmm… Si tu es si bon avec la mise en forme du mana, je pense qu’il y aura quelques autres sorts à t’apprendre…

Zorian se mit à sourire. Il avait décidément eu une excellente idée.

 

___

 

Durant les jours suivants, tout en attendant qu’elle rassemble son équipe pour la virée dans les égouts, Zorian eut droit à un cursus éclair de la part de son amie. Taiven opta pour une approche relativement large du sujet, choisissant de lui apprendre autant de sorts différents que possible plutôt que de le perfectionner dans un sort après l’autre. Elle prétendait qu’il possédait déjà une collection de sort avec lesquels il était efficace et qu’il avait besoin de variété et d’option plutôt que de nouveaux atouts ultimes. Plus tard, elle admit qu’elle l’avait testé pour tenter de découvrir les limites de ses talents de façonnage du mana. Limite qu’elle ne trouva jamais – Zorian était meilleur qu’elle sur ce plan ; tout ce qu’elle pouvait lancer, il le lançait.

Tous les sorts en questions n’étaient pas du type offensif classique comme il s’y était attendu de sa part. Certains, comme l’escalade arachnide lui permettant de grimer des murs verticaux et d’autres surfaces stables ou la chute de plume le sauvant de terribles chutes, étaient plutôt des sorts de survie que d’attaque. Néanmoins, Taiven avait insisté sur le danger que pouvait représenter l’environnement. Pour un mage, il était parfois aussi risqué de se trouver en terrain dangereux que d’affronter des ennemis vivants et Zorian avait besoin de connaître ces sorts s’il prévoyait de se balader dans le donjon.

Elle fut aussi horrifiée par son manque de sorts défensifs. Pas uniquement le manque de barrière défensives outre le bouclier de base – bien qu’elle ne fut pas contente de ça non plus – mais plus spécifiquement de protections. Les protections devenaient essentiellement inutiles une fois le combat commencé car elles étaient très longues à lancer et peu d’adversaires donneraient au mage le temps de le faire durant un combat réel mais Taiven prétendait qu’elles étaient totalement nécessaires pour tout mage qui prévoyait une rixe proche. Tant que vous ne faisiez pas surprendre ou piéger et que vous saviez qu’on allait vous attaquer, vous pouviez au moins lancer quelques sorts de protection basiques afin d’augmenter votre résistance et de contrer certains sorts communs. Et si vous connaissiez le répertoire de sorts de votre adversaire ainsi que sa spécialité ? Alors vous pouviez ruiner toute sa stratégie avec quelques protections de choix. C’était la raison pour laquelle l’humanité était parvenu à s’approprier petit à petit le territoire des monstres au fil des années – la plupart des créatures magiques possédaient une poignée de capacités innées et une fois que vous saviez comment les contrer, les stratégies devenaient une formalité.

Malheureusement, on ne pouvait que superposer un certain nombre de protections l’une sur l’autre avant qu’elles ne commençassent à interférer les unes avec les autres et que l’édifice complet s’écroulât. Savoir comment les combiner demandait un certain talent, qui s’approchait d’une spécialisation à part entière. Taiven n’était pas très douée avec les protections à proprement parler, était plus tournée offensive, et il allait devoir trouver quelqu’un d’autre pour tout ce qui dépassait les bases.

Cependant, la plupart des sorts qu’elle lui enseigna étaient des projections d’énergie offensives et défensives tournant majoritairement autour des champs de force et du feu, mais pas uniquement. Il y avait également quelques sorts simples basés sur le froid et l’électricité. Parmi d’autres choses, Zorian pouvait désormais lancer la plus que célèbre Boule de feu… exactement deux fois avant d’être à sec. Pas très utile, en réalité mais Taiven prétendait que tout mage fier de sa profession savait au moins lancer des boules de feu et que l’utilité d’un tel sort allait naturellement augmenter en même temps que ses réserves de mana.

— En réalité, je suis curieux… Y a-t-il un moyen d’élargir une réserve de mana ou d’accélérer sa croissance ? demanda Zorian. Je sais que le faire artificiellement peut donner naissance à des effets secondaires assez vilains mais existe-t-il une méthode d’entraînement qui accélèrerait la croissance naturelle ?

Taiven le regarda avec un peu d’appréhension.

— Techniquement, oui… admit-elle. C’est aussi simple que l’utilisation intensive de sorts qui épuisent constamment tes réserves. Ce genre de pratique ferait décoller la croissance de ton mana de façon effrayante. Cependant, ce genre de croissance peu naturelle massacrerait totalement ta capacité à mettre en forme le mana – la croissance naturelle est lente parce que ton âme s’assure que ton contrôle sur le mana ne dérape pas avec la quantité à gérer. Et sacrifier ton talent en façonnage du mana est vraiment quelque chose de très idiot, que ferait quelqu’un qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Ne fais pas ça, je t’en prie. Je ne le ferais jamais et tu sais que je ne suis pas une fille très responsable. Tu peux certainement attendre quelques années pour les laisser se développer, non ?

Eh bien, il n’était bien sûr pas très pressé pour l’heure, Zorian devait l’admettre.

— Je suppose que tu as raison, dit-il. Je pense si les réserves de mana atteignent un maximum après un certain temps, c’est parce que l’âme ne peut supporter qu’une certaine quantité de puissance. Augmenter artificiellement la limite après ce point détériore les capacités de façonnage du mage, avec peu d’espoir de les récupérer un jour. Pas étonnant que personne ne le recommande – peu importe ce qu’on atteint, le résultat est toujours Plus de pouvoir pour moins de contrôle.

— Il existe toujours une balance entre contrôler et puissance, rajouta Taiven. Ce n’est pas apparent la plupart du temps puisque très peu de personnes tentent de développer leur mise en forme jusqu’à leurs limites. De nombreux mages pensent que posséder plus de mana est toujours mieux : ils peuvent toujours travailler le façonnage, la mise en forme, mais qu’augmenter les réserves de mana sans subir d’effet secondaire est par nature impossible. Ce n’est pas vrai, cela dit. Peu importe le temps qu’ils passent à affûter leur compétence de mise en forme du mana, ceux possédant de grandes réserves se retrouvent incapables de lancer certains sorts demandant un doigté précis – des choses avancées comme la magie mentale, les illusions détaillées et des constructions d’altération complexes.

— Attends, tu es en train de dire que je perdrai la capacité à lancer des sorts en finesse à mesure que ma réserve va croître ? s’alarma Zorian.

— Non, non, je parle de tes réserves de mana naturelles. Ta capacité innée, avant de lui permettre de progresser via le lancement de sorts. La magnitude. La plupart des sorts, même les plus sophistiqués, sont destinés à des mages moyens, de magnitude 8 à 12. Tu es dans cette tranche, bien confortablement installé dans la fourchette prévue. Merde, j’ai même entendu parler d’un mage de magnitude 15 qui a réussi à devenir un sacré bon illusionniste donc même si tu galères un peu, ça n’aura pas vraiment d’importance.

En considérant la magnitude réelle de Zorian – 8 – il n’avait apparemment rien à craindre. Pourtant, il s’inquiétait pour Zach, qui semblait posséder une magnitude aux alentours de 60. Comment traitait-on ce genre de pouvoir monstrueux sur l’échelle de Taiven ?

— Et les personnes avec une magnitude vraiment élevée ? demanda-t-il alors. Jusqu’à combien peut-on aller avant que les sorts de précision deviennent impossibles à lancer ?

— Je n’ai jamais vu de tels nombres, avoua Taiven. Mais je dirais aux alentours de 20.

— Mais… et les nombres vraiment gigantesques ? insista Zorian. Et si un mage possédait une magnitude de 60 ?

Taiven cligna des yeux, apparemment hébétée par la question.

— Eh bien, il ne serait pas humain ! dit-elle finalement. Est-ce seulement possible ? De toute façon, je ne suis même pas sûre que ce serait une bonne chose, même pour un mage de combat comme moi. N’importe qui possédant de telles réserves devrait passer des années de plus que les autres pour obtenir un résultat à peine aussi satisfaisant. Peut-être une décennie, voire plus, je n’en sais rien.

Zorian songea à l’élève si nul qu’avait été Zach avant la boucle et fronça les sourcils. Il avait imaginé que Zach n’était qu’un paresseux idiot mais peut-être qu’il se fourvoyait ? Bien sûr, il sentait que Zach était un cas spécial. Ces réserves de mana totalement monstrueuses étaient totalement hors de portée d’un être humain. Il n’avait trouvé aucune archive d’un quelconque mage de ce calibre dans les livres et la plupart des experts à qui il avait posé la question lui avaient affirmé que ce genre de personnage n’existait que dans les mythes. Et… alors que Zach était un mage vraiment mauvais, il avait réussi à obtenir sa certification : ses grandes réserves de mana ne semblaient pas être un si grand handicap que ce qu’elles auraient dû l’être.

Peut-être était-ce simplement une caractéristique de la lignée Noveda ? Le genre à donner à leur famille une réserve immense sans la contrepartie perte de contrôle. Peut-être. Possible. Bien sûr, les Noveda n’avaient jamais publiquement prétendu posséder une lignée spéciale mais ce ne serait pas la première maison à avoir menti à ce propos.

— J’hésite même à mettre ça sur le tapis, continua Taiven. Mais… si tu es vraiment désespéré et que tu désires un coup de pouce rapide, tu peux toujours absorber le mana ambiant plus rapidement que ce que tu parviens à l’assimiler. Je suis sûre que tu en connais les conséquences, en revanche…

Zorian acquiesça. Il existait deux formes de mana disponibles pour un mage : la réserve personnelle et le mana ambiant qui émanait du monde souterrain. Le mana personnel était présent dans l’âme de tout être vivant, en diverses quantités et totalement lié à la personne qui le produisait. Il se pliait facilement à la volonté de son créateur et était naturellement plus malléable et contrôlable que toute autre chose capable d’alimenter leur magie car il ne résistait jamais aux efforts du mage qui le façonnait. Le mana ambiant, d’un autre côté, était à la fois plus dur à contrôler et toxique pour les êtres vivants. Pas suffisamment pour tuer un mage qui s’en servait une fois de temps en temps mais tout utilisation prolongée et plus substantielle donnait invariablement lieu à l’arrivée de la maladie et surtout… de la folie. Les mages d’antan croyaient que le mana ambiant était teinté de la haine du Dragon du Dessous envers les humains et en détestaient l’usage mais les mages modernes avaient découvert quelques trucs et astuces pour s’en servir occasionnellement. Par exemple en l’utilisant pour alimenter des objets, qui ne possédaient pas d’âme à corrompre ou de corps à tuer. Un autre moyen était d’assimiler le mana ambiant dans les réserves personnelles pour en annuler les propriétés toxiques. Tandis que le processus d’assimilation était trop lent pour alimenter correctement des sorts, être capable de régénérer ses réserves personnelles plus rapidement qu’en se fiant à la régénération naturelle était bien pratique et ce genre de chose se répandit rapidement. À l’époque moderne, chaque étudiant en magie savait comment le faire, de la même façon qu’il connaissait les bases du lancement de sort.

— Je vais tomber malade, répondit Zorian. Et peut-être fou, si je l’utilise constamment.

— Exact, confirma Taiven. Utiliser le mana brut de façon régulière est stupide mais si es vraiment coincé comme je le suppose… Eh bien, il est peut-être plus pertinent de rester allongé quelques jours à cause de la fièvre qu’être mort.

— Tu l’as déjà fait… devina Zorian.

Taiven le regarda d’un air étonné, comme si elle ne s’attendait vraiment pas à ce qu’il comprenne.

— Eh, peut-être une fois ? …Ou deux ? chuchota-t-elle en gigotant pour changer de posture, clairement gênée. Mais garde ça pour toi, ok ? La plupart des mages de combat l’ont fait une paire de fois dans leur vie mais les inspecteurs de la Guilde n’acceptent pas Tout le monde le fait comme excuse valable.

Zorian plaça son doigt sur ses lèvres pour indiquer qu’elles resteraient scellées. Ce n’était pas comme si elle savait des choses qui pouvaient le foutre dans la merde, n’est-ce pas ?

— Revenons à la leçon, oh grande enseignante, conclut Zorian. Puisque tu as prévu de m’apprendre des sorts de feu gourmands en mana, j’ai appris que tu savais invoquer un vortex de feu…

 

___

 

Quand vint le moment, Taiven et ses deux amis laissèrent Zorian prendre l’initiative de les guider au travers du territoire Aranea. Ils avaient déjà tenté de localiser la montre par divination et lamentablement échoué, ce qui n’était pas vraiment surprenant si elle avait été prise par les Aranea – elles étaient engagées dans une guerre de l’ombre contre les envahisseurs depuis un bout de temps, avant même que commence la boucle, et leurs protections anti-divinations étaient de haut de gamme.

[Nous nous rencontrons à nouveau, Zorian Kazinski,] lui annonça la matriarche.

Entourée de 6 gardes d’honneur – bien que seuls deux étaient visibles, les quatre autres pendus au plafond sous un sort d’invisibilité quelconque. Zorian savait où les araignées se trouvaient uniquement parce qu’il pouvait sentir leurs esprits.

[Et une fois de plus, tu as amené des invités supplémentaires avec toi. Trois, cette fois. Si ça continue ainsi, nous allons devoir trouver un lieu de rendez-vous plus spacieux d’ici quelques réinitialisations.]

[Marrant,] renvoya Zorian. [Mais en réalité, il s’agit du groupe duquel je faisais partie lorsque j’ai rencontré les Aranea pour la première fois. Nous cherchions une montre supposément en votre possession, tout comme nous le faisons aujourd’hui. Ça semble familier ?]

— Que se passe-t-il ? demanda Taiven.

Elle et ses deux amis étaient restaient un peu plus en retrait, observant avec une certaine appréhension les trois araignées en face d’eux.

— Pourquoi la fixes-tu silencieusement ?

Avant que Zorian ne put répondre, la matriarche se mit à agiter ses quatre pattes antérieures. Puis, elle s’exprima en vocalisant ses propos par magie.

— Quelle est cette histoire de montre que j’entends ? demanda-t-elle en tournant ses deux énormes yeux vers Taiven.

Le choc d’entendre une araignée parler passée, il fallut plusieurs minutes de clarifications et d’explications. Au bout du compte, la matriarche se remémora l’évènement en question.

— Oh, maintenant, je me souviens, dit-elle. Bien que cet homme n’était certainement pas un passant innocent et que cette montre n’était pas un simple outil servant à mesurer le temps. Il a attaqué notre Toile avec deux autres voyous et a fini par perdre son bibelot lorsqu’il nous a fuies.

[Il fait partie des envahisseurs,] rajouta la matriarche par télépathie pour que seul Zorian fut capable de la comprendre. [Ou il travaille pour eux, au moins. Tu dis que tu l’as vu ? Excellent. Nous avons enfin un point d’entrée dans l’organisation. Un visage, un nom et un contact face à face devraient suffire à trouver où il vit… Tu connais son nom, n’est-ce pas ? Excellent. Il faut espérer qu’il s’agit de son vrai nom. As-tu serré sa main lorsque tu as accepté le job ? Non ? Essaye de le faire lorsque tu lui rendras son jouet. Tente d’y apposer un sort de pistage si tu sais comment faire…]

D’une manière étonnante, la matriarche était capable de participer à deux conversations différentes en même temps, parlant avec Taiven et ses deux amis à voix haute et avec Zorian par télépathie. Zorian n’était pas béni de la sorte lui-même et se coupa essentiellement des explications orales pour se concentrer sur la matriarche dans sa tête. Finalement, elle sembla le réaliser et mit un terme à la communication mentale afin de lui permettre de prêter attention à ce qu’elle racontait à voix haute.

— …aussi ne suis-je pas certaine de l’utilité de cet objet, mais il est clairement magique, annonça-t-elle. Il est inutile pour nous autres Aranea mais nous sommes familiers avec le concept d’échange. Nous espérions l’échanger à l’un de nos contacts humains contre quelque chose que nous pouvons utiliser mais comme notre cher ami Zorian le demande en personne, je suppose que nous allons te faire cette faveur. Je suis sûre qu’il nous rendra la pareille… un jour.

— Euh… bafouilla Taiven en le regardant d’un air gêné. Est-ce… ok, Cafard ? Es-tu… ?

— Ouais, ça me va, fit Zorian en haussant les épaules – aussi loin qu’il put se sentir concerné, il ne devait pas vraiment de faveur à la matriarche pour ça.

[Je n’ai dit ça que pour préserver les apparences,] lui expliqua-t-elle en silence. [Ce serait étrange que je vous le donne sans raison. D’ailleurs, aussi loin que je me sens concernée, tu vas me payer généreusement en m’aidant à traquer ton employeur afin que nous puissions lui soutirer des informations.]

— Crocs de la Victoire va aller vous chercher le bibelot, annonça la matriarche, ce qui fit immédiatement réagir l’un des deux gardes d’honneur qui se glissa dans les ténèbres. Je vous demanderais volontiers de prévenir votre employeur de ne plus descendre nous agresser, mais je suppose qu’il est probablement mieux que vous gardiez le silence quant au fait que vous nous avez parlé.

— Pourquoi vous a-t-il attaqué, de toute façon ? demanda Taiven. Vous m’avez l’air sympa.

— La plupart des organisations vont tuer les montres sensibles et intelligents comme une évidence, s’il s’en trouve au sein de leurs frontières, expliqua Grogneur.

Lui et Grommeleur avaient été plutôt discrets jusqu’à présent et il était un peu étonnant de l’entendre parler tout d’un coup. Taiven lui lança un regard glacial.

— Quoi ? Je dis juste qu’ils n’ont pas besoin de raison. Leur présence représente une offense pour de nombreuses personnes.

— C’est un peu plus complexe que ça, rectifia la matriarche. Les humains affrontent les autres races sensibles, c’est vrai, mais c’est parce que la plupart sont extrêmement territoriales, meurtrières et voient les humains comme une source de nourriture parmi d’autres. En certaines occasions, ce n’était pas le cas et les humains se sont montrés aptes à faire quelques exceptions et adopter une approche plus… nuancée. Il y a plusieurs dragons qui entretiennent des relations amicales avec les humains, les hommes-lézards de Blantyrre sont un partenaire commercial de longue date de plusieurs nations humaines et nombre des états Fragmentés longeant les étendues sauvages ont passé des pactes plus ou moins secrets avec des clans de monstres vivant au sein de leurs frontières.

— Tu y a beaucoup réfléchi, remarqua Zorian.

— Bien que peu connues, nous avons interagi avec les humains depuis un sacré bout de temps maintenant, et toujours de façon paisible, reprit la matriarche. Les Aranea ont vécu dans les profondeurs de ce donjon depuis aussi longtemps qu’existe Cyoria. Lorsque ses fondations ont été posées, plusieurs campagnes ont été lancées contre les sections locales du donjon pour en nettoyer les menaces qui y rôdaient. Cependant, ce vide de puissance a ainsi permis aux races plus faibles comme les Aranea de se déplacer plus facilement. Le donjon autour du Trou est une résidence de luxe pour toutes sortes de créatures magiques, comme vous le savez sans doute, et la compétition a été rude. Heureusement, tandis que nous manquions de force brute ou de compétences magiques destructrices, nous étions bien plus ouvertes à la coopération avec les humains pour notre bénéfice mutuel. Nous avons contacté certains des vôtres qui partageaient le même état d’esprit et leur avons donné des informations sur nos ennemis communs – forces, faiblesses, habitations, timing des attaques et des déplacements… Tout ce dont ils avaient besoin pour les éradiquer ou au moins les handicaper jusqu’à ce que nous puissions les achever. La collecte d’information a toujours été notre spécialité.

Zorian lui-même fut fasciné par cette histoire et plus qu’un peu surpris que la matriarche accepte de raconter tout ça devant Taiven et ses amis. Mais encore une fois, Zorian ne leur avait jamais dit que les Aranea étaient télépathes et leurs esprits étaient totalement ouverts, ne disposant d’aucune protection. La matriarche avait déjà très probablement une bonne idée de la propension de ces invités à causer des ennuis – ou pas. Et puis… ils ne se souviendraient de rien une fois le temps réinitialisé.

— Même donner des informations aux humains nous a été bénéfique étalement, nous ne le faisions que rarement gratuitement. Contre nos secrets, nous formulions des demandes de notre côté. Nos alliés humains utilisaient les informations fournies par nos soins pour se faire un nom et asseoir leurs carrières tout en nous enseignant quelques-unes de vos magies et en nous apprenant à nous y adapter. Armé par notre propre système de magie structurée, nous autres Aranea avons gagné en puissance et versatilité, solidifiant notre emprise sur cette région et en faisant de la Toile sous Cyoria la plus prestigieuse de toutes les Toiles Aranea. La prospérité qui en résulta nous a fait prospérer en nombre et les Aranea de cette époque envoyèrent un flot ininterrompu de colonisatrices vers les régions limitrophes afin d’en évincer ou de phagocyter toute colonie Aranea moins développée. Mais même si ces Aranea avaient quitté Cyoria à la recherche de leur propre destinée, aucun lieu n’avait le prestige de Cyoria et la Toile-mère fut rapidement vue avec envie et ressentiment. Bientôt, un certain nombre de ces Aranea et de leurs descendants se rassemblèrent et armées de l’expérience du combat contre les toiles mineures lors de l’expansion du territoire, chassèrent les membres originaux de la Toile-mère loin de chez eux. Ce n’allait pas être la dernière fois que Cyoria changerait de mains. Les conquérants se firent rapidement évincer par un autre groupe, et celui-ci par un autre, et finirent par se faire chasser par… nous. Nous sommes les cinquièmes à avoir possession de cet endroit et bien que notre position soit sûre à cet instant, toute forme de faiblesse pourrait pousser nos voisines à se montrer… nerveux.

— Huh, souffla Zorian. Si vous étiez, par exemple, décimées par quelqu’un et que vos nombres étaient sévèrement réduits…

— Nos voisines lanceraient quelques attaques réussies, dans le meilleur des cas, répondit la matriarche. Mais peu importe, je veux dire que les humains et les Aranea ne sont pas, et n’ont jamais été, ennemis. Bon, exceptés quelques… incidents isolés. De chaque côté. En fait, j’ai pris l’initiative d’encourager des contacts plus proches entre cette Toile et les humains de Cyoria. J’espère que le jour viendra. Ce jour où les Aranea seront capables de marcher sous la lumière du soleil, dans les rues de la ville comme n’importe quel citoyen.

— Et je suppose que vous espérez aussi que les humains vous défendront des menaces extérieures comme n’importe quel citoyen, devine Grogneur. Comme, disons, des toiles rivales qui en veulent à votre territoire ?

— Je confesse. Cette possibilité pèse lourdement dans ma façon de penser, avoua la matriarche. Las autorités de la ville seraient bien moins enclines à fermer les yeux si nous avions une relation formelle et établie avec elles.

— Alors voilà ton discours de recrutement ? demanda Taiven. Tentes-tu de nous faire devenir tes agents ?

— Plus de contact est toujours un mieux, reprit la matriarche. Mais non, je ne tente pas de vous recruter. J’ai simplement senti que vous étiez inquiets à propos de ma relation avec Zorian et je désirais apaiser un peu vos craintes. Mais Crocs de la Victoire revient déjà avec le bibelot alors nous allons devoir couper court à cette réunion. Parlez à Zorian si vous voulez un jour continuer à discuter avec moi.

Bien sûr, le garde d’honneur de la matriarche revint aussitôt après avec la montre. Zorian s’attendait à moitié à la voire revenir, la montre pendant à sa griffe ou à une mandibule mais elle revint en réalité avec une espèce de harnais de plumes recouverts de poches tout autour de son corps. Dans l’une d’elles se trouvait la fameuse montre et au moment où Zorian se demanda comment les Aranea avaient fait ça avec des pattes en lieu et place de mains, il réalisa immédiatement qu’il était stupide. La matriarche avait déjà confirmé qu’ils traitaient avec les humains depuis fort longtemps.

Ils se firent rapidement leurs adieux et retournèrent en direction de leur employeur, objet clé dans les mains.

— Je ne sais pas quoi penser, dit Taiven une fois qu’ils eurent pris de la distance. Elles semblent sympathiques mais c’est un peu inquiétant de découvrir qu’il existe une colonie entière de ces araignées sous la ville, qui tirent leur toile sur je ne sais combien de personnes.

— Ouais, confirma calmement Grommeleur.

Zorian pouvait clairement comprendre pourquoi Taiven l’appelait comme ça – il avait tendance à parler vraiment doucement, le rendant très dur à comprendre parfois.

— Tu savais que Cyoria est plutôt célèbre pour sa soie d’araignée ? Les marchands qui la vendent sont rarement bavards au sujet de l’endroit où ils s’en procurent en si grande quantité et ont déclaré que leur source était un secret bien gardé. La plupart des gens pensent qu’ils ont réussi à créer une espèce arachnide facile à entretenir et dont la soie est facile à récolter, et qu’une telle ferme serait cachée quelque part. Mais je pense qu’il est plutôt évident qu’ils ont tort…

Zorian ne participa pas à la majeure partie de la conversation, alternant entre une écoute passive lorsqu’ils disaient de choses intéressantes et une étude de la montre qu’ils venaient de retrouver chez les Aranea. C’était, comme l’avait décrit la matriarche, un outil magique à la forme de montre uniquement. Les aiguilles ne bougeaient pas et la vis qui aurait dû permettre de la remonter faisait corps avec la montre elle-même, semblant n’être qu’un simple ornement placé là pour donner l’illusion d’une vraie montre à gousset. Il tenta d’infuser du mana à l’intérieur mais n’obtint aucun résultat concret – la montre nécessitait sans doute que l’utilisateur le fasse d’une manière bien spécifique, comme de nombreux objets magiques.

Les leçons en divination que lui avait données Haslush devinrent réellement utiles à cet instant. Trouver son utilité ? L’outil ne cacha rien à Zorian, qui le découvrit de façon étonnamment aisée – pour le dire simplement, c’était un équipement de voleur. Plus spécifiquement, un détecteur de barrières, créé pour guider une divination ultérieure destinée à découvrir les faiblesses d’un système compliqué de barrières afin de pouvoir le briser avec facilité. Leur employeur tentait probablement de découvrir une faille dans les défenses Aranea.

Pourtant, même si le but de l’objet était devenu clair aux yeux de Zorian, la méthode de fonctionnement restait un mystère. Après plusieurs essais visant à l’ouvrir – en vain – sans l’endommager, il décida de tenter quelque chose de plus expérimental. Il exsuda un nuage de mana de ses mains, de la même façon qu’il le faisait pour crocheter une serrure, et le dirigea vers l’intérieur de la montre par les failles et interstices. L’information résultante était floue mais lui indiqua que dans l’outil se trouvait un grand nombre de cristaux et d’engrenages. Sans doute n’était-il pas supposé être ouvert… Alors comment…

Ah ! Alors c’était ça, le truc ! Les aiguilles de la montre n’étaient pas seulement statiques ! Elles n’étaient rien de plus qu’une image peinte sur une protection de verre. Zorian pressa son doigt sur le verre et l’enfonça dans le mécanisme. Un cliquetis léger résonna de l’intérieur et quand Zorian relâcha la pression, la montre s’ouvrit immédiatement en deux pour révéler une interface compliquée, parsemée de symboles. Une interface très compliquée… Il n’allait pas comprendre comment elle fonctionnait pendant la petite heure dont il disposait avant d’atteindre leur client.

Mais il allait tellement prendre cet objet pour lui afin de l’étudier, lors d’une boucle future…

 

___

 

Le job fut terminé sans complications. Zorian choisit de ne pas placer de sort de localisation sur la montre car il ne savait rien de la sensibilité de l’outil et ne voulait pas tout ruiner. Ce fut un excellent choix : le client lança immédiatement plusieurs sorts de diagnostic sur sa montre à peine l’objet entre ses mains et Zorian reconnut l’un d’eux comme une détection de sorts de localisation simples. Une fois la transaction terminée, Zorian insista pour lui serrer la main, prétendant que c’était une tradition de son village après tout contrat bouclé avec succès, pour porter chance la fois suivante. L’homme leva les yeux au ciel et maugréa quelque chose d’incompréhensible à propos des campagnards mais s’exécuta malgré tout. Mission accomplie.

Après ça, tous les quatre allèrent boire un coup dans une taverne proche. Taiven avait insisté et ne comptait pas entendre raison. Puis, le groupe se sépara et Zorian descendit dans les égouts une fois de plus pour retourner auprès des Aranea.

[Un lecteur de barrière, tu dis ?] demanda la matriarche. [C’est logique. Lui et ses amis sont coincés hors de notre territoire depuis un moment déjà, tout en tentant de rester camouflés. Je suis surprise qu’il ait embauché une poignée d’étudiants, par contre.]

— Ouais, je ne suis pas sûre de ce qu’il a derrière la tête, répondit Zorian. C’était une idée stupide, si on me demande.

[Nous le découvrirons dans quelques jours, si tout va bien,] reprit la matriarche. [Cela dit, nous devons discuter d’autres choses. Je crois t’avoir dit lors de l’une des précédentes boucles temporelles que je suis tombée sur des informations plutôt importantes.]

— En effet, tu l’as dit. Je me demandais d’ailleurs de quoi il s’agissait.

[Ça concerne les envahisseurs. Tout d’abord, je pense que tu avais raison : ils sont en effet d’Ulquaan Ibasa.]

— Je le savais, grogna Zorian en grimaçant. Il se passe quoi ? Ils veulent se venger ? Simple opportunisme ?

[Un peu des deux,] affirma la matriarche. [Ils ont de la rancœur à cause de leur exil et pensent que vous êtes faibles maintenant que la Guerre de Fractionnement et le Nettoyage ont anéanti la plupart de vos mages de combat. Mais ce n’est pas le point important. Ce qui compte concerne une question si basique que j’ai moi-même honte qu’aucun de nous deux n’y ait songé. Précisément, pourquoi les envahisseurs pensent-ils être capables de conquérir Cyoria, en premier lieu ?]

Zorian ouvrit la bouche pour répondre avec l’aide de la boucle temporelle, duh, mais le referma rapidement. Selon la matriarche, cette invasion était planifiée depuis avant le début du mois. Clairement, il y avait quelqu’un. Une personne associée à l’invasion et qui avait réussi à s’inviter dans la boucle pour se mettre à leur donner des informations pour rendre l’attaque incroyablement efficace. Oui, il y avait quelqu’un dans la boucle, mais avant ça ? Sans connaître la structure exacte des barrières de protection de l’académie et la façon de les contourner, leur assaut était pratiquement enterré avant d’avoir commencé. En plus de ça, la matriarche prétendait que les Aranea gardaient les envahisseurs hors des souterrains de Cyoria avec une relative efficacité depuis bien avant la boucle temporelle. Alors vraiment, l’invasion n’avait aucune chance de prendre le contrôle des lieux.

— Peut-être qu’ils n’en ont jamais été convaincus, remarqua Zorian. De pouvoir conquérir la ville, je veux dire. Cyoria est plutôt importante en Eldemar mais ce n’en est ni la capitale ni son cœur industriel. C’est le siège de la Guilde des Mages d’Eldemar et l’emplacement de la plus prestigieuse académie du monde et ni l’une ni l’autre n’est supposément encline à travailler avec l’envahisseur. Plus probablement, ils tentent peut-être de faire le plus de dégâts possible, pour occuper la puissance magique d’Eldemar pendant qu’une autre force de frappe se dirige ailleurs.

[Tu brûles,] confirma la matriarche. [Ils essaient en effet de provoquer le plus de dégât qu’il leur est possible d’en faire mais ce n’est pas une simple distraction. Apparemment, la date du festival d’été possède une signification magique profonde. C’est le jour de l’année durant lequel le voile entre les plans d’existence est le plus fin. En fait, cette affaiblissement commence exactement un mois avant la date pour atteindre son apogée le soir du festival. Et cette année, il est encore plus spécial. Je crains que les Aranea ne s’y connaissent pas vraiment en astronomie sachant que nous vivons sous terre, mais on parle d’un… alignement planétaire ?]

Zorian prit une profonde inspiration, un frisson lui courant le long de la colonne. Bien sûr ! Mais comment avait-il fait pour passer à côté pendant tout ce temps ?! Bordel d’idiot ! L’alignement planétaire, les planètes en ligne, une fois tous les 400 ans ! La dernière fois que c’était arrivé, une cité de mages en avait profité pour se téléporter, bâtiments, infrastructures et habitants, aussi loin que depuis Miasina jusqu’à la côte sud d’Altazia, réalisant de fait le plus grand exploit en matière de téléportation de masse de tous les temps. Si quelqu’un désirait manipuler l’espace et le temps à grande échelle, c’était le moment idéal.

— Oui, ça expliquerait beaucoup de choses, dit-il finalement. Pourquoi la boucle a-t-elle été initiée à ce moment, pour commencer. Mais attends, comment est-ce que ça les aide à infliger plus de dégâts à la ville ? Prévoient-ils de téléporter la ville dans l’océan ou un truc du genre ?

[Non. Tout d’abord, ils prévoient d’invoquer un grand nombre de démons de haut niveau afin de les aider lors de l’invasion. Voilà pourquoi ils ont continué l’attaque la fois passée, malgré leur échec face à nous et leur incapacité à bombarder les défenses de l’académie. Les démons, spécialement les plus puissants, sont virtuellement immunisés aux attaques mentales et très résistants à la magie. Les Aranea se feraient massacrer en un rien de temps et les mages seraient trop occupés à se battre pour leurs vies pour aider les défenseurs civils dans la ville. Ces mêmes défenseurs se retrouveraient à affronter des trolls et des élémentaires de feu, tous deux insensibles aux armes à feu, les loups et les oiseaux servant de support.]

— C’est… C’est horrible, jugea Zorian après avoir digéré tout ça pendant quelques secondes. Pourquoi ne le font-ils pas maintenant ?

[Ils ne peuvent pas, tu as oublié ? Pas d’invocation pendant la boucle temporelle. Le plan matériel tout entier a été isolé des plans spirituels,] lui rappela la matriarche.

— Oh, ouais, se souvint Zorian. Je suppose que ça foutrait un sacré bordel dans le monde. Je me demande s’ils ont continué l’invasion durant la première boucle, lorsqu’ils n’avaient aucun agent à l’intérieur. Ils savaient probablement que leurs plans étaient destinés à s’effondrer sans l’aide des démons.

[Ils l’auraient probablement fait,] dit la matriarche. [Les démons ne sont ultimement qu’une distraction, de même que le reste de leurs forces. Les dirigeants de l’invasion sont conscients que les démons ne sont pas suffisants pour rayer Cyoria de la carte… la déstabiliser, tout au plus, la ruiner en partie. Non, leur cible réelle se trouve dans la zone autour du Trou. Avec les défenseurs occupés à combattre l’invasion, un groupe de mages doit sécuriser l’endroit et lever un immense cercle d’invocation.]

— Ugh, grogna Zorian. Laisse-moi deviner : un super méga gros démon.

[Loin de là. Ils veulent invoquer un primordial.]

Le visage de Zorian perdit instantanément sa couleur.

— Quoi ?! Mais… La ville entière ne serait plus qu’un immense cratère sans vie ! Et leurs propres forces ?!

[Sacrifiables,] continua la matriarche sans honte. [Ceux qui sont assez puissant pour importer seront prêts à se téléporter au moins signe indiquant la réussite de l’invocation, le reste n’étant que des pions sacrifiables qu’ils ne s’attendant pas à voir survive. D’ailleurs, tu remarques qu’il n’y a que très peu de mages humains dans leurs forces ; seul un minimum d’Ibasiens étaient nécessaires pour maintenir un certain contrôle sur les différents monstres et démons. Et tu es plutôt optimiste dans tes prédictions… Le dirigeant Ibasien espère qu’être invoqué à l’aide du plus gros puits de mana du continent permettrait au Primordial le temps d’errer sur ce plan pendant des semaines. Dans ce cas, il massacrerait les terres d’Altazia avant d’arriver à court de puissance ou jusqu’à ce qu’on parvienne à le bannir dans son royaume. Ulquaan Ibasa pourrait alors simplement terminer le travail et exterminer les survivants démoralisés.]

Zorian ne savait sincèrement que dire. D’un côté, le plan était totalement fou et une grande partie de lui-même se demandait si ça allait seulement fonctionner. Où avaient-ils trouvé un rituel permettant d’invoquer un putain de Primordial ? Mais malgré tout, il avait vu les envahisseurs piétiner leur chemin à travers Cyoria à de trop nombreuses reprises pour les réduire à ça. S’ils pensaient que le plan allait fonctionner, alors il fonctionnerait.

— Où ont-ils trouvé les mages volontaires ? demanda Zorian. Ils doivent savoir qu’ils vont se faire massacrer par le Primordial avant de pouvoir fuir, s’ils sont si proches. D’ailleurs, de quel Primordial s’agit-il ? Le sais-tu ?

[L’invocation doit être effectuée par l’Ordre Esotérique du Dragon Céleste… que tu connais probablement mieux sous le nom du Culte du Dragon du Dessous. Apparemment, ils sont totalement d’accord pour mourir afin d’invoquer l’un des Enfants de la Grande Mère. Ceux de leurs membres qui ne sont pas impliqués dans l’invocation à proprement parler aident les forces de l’invasion en tant que mages de support ou simples saboteurs au cas où ils devraient faire face à des défenses imprévues. En réalité, maintenant que j’y pense, ils agissent probablement comme des infiltrés de manière générale ; nous allons devoir pénétrer leur groupe plus profondément pour en obtenir plus d’informations. Quoi qu’il en soit, non. Je ne sais pas quel Primordial. Simplement qu’il s’agit de l’un de deux qui ne savent pas voler – les envahisseurs ne souhaitant pas qu’il risquer de s’envoler et de visiter leur petite île.]

— J’imagine, confirma Zorian. Bien sûr, tout ça signifie que nous avons un problème sur les bras. Peu importe à quel point l’invasion semble terrible dans la boucle, elle sera encore pire quand on en sera sortis. Ils disposeront de supports supplémentaires de la part de démons puissants en plus de tout ce qu’ils possèdent déjà et nous allons devoir sacrifier une partie de notre temps pour bousiller le rituel du Primordial. J’ai envie de dire que ces cultistes sont fous et sont incapables d’invoquer diablotin handicapé, de ne même pas envisager un trois fois damné Primordial, mais la possibilité est juste tellement catastrophique qu’on ne peut pas s’y risquer.

[Oui. Cette éventualité complique effectivement les choses considérablement,] confirma la matriarche. [Je prévoyais à l’origine de continuer à perturber le flot de l’invasion jusqu’à ce que nous trouvions le troisième voyageur, jusqu’à ce qu’il soit forcé de se révéler, par erreur ou frustration. L’attirer dans un piège et le faire tomber en catatonie. Trouver une opportunité parfaite de contrer l’invasion sur plusieurs réinitialisations. Et finalement, trouver comment détruire la boucle elle-même pour nous occuper des envahisseurs pour de bon. La partie concernant le voyageur semble réalisable mais trouver un contre va être clairement impossible tant qu’il manque une telle variable, au sein de la boucle…]

Zorian était un peu mal à l’aise à propos de la façon dont la matriarche parlait de détruire impunément l’esprit d’une personne mais il devait admettre qu’il ne connaissait aucun autre moyen de s’occuper d’un voyageur du temps. La seule autre façon impliquait de détruire son âme et c’était sans doute encore plus répréhensible moralement. En plus, il ne savait pas comment détruire une âme. Et il espérait ne jamais devoir le savoir.

— Bien, soupira Zorian d’un air épuisé. Quelle journée. Une autre bombe à me balancer ?

[Eh bien… Pas vraiment, non. Cependant, ces développements récents signifient que j’ai désormais bien moins de temps libre pour toi, ce mois-ci en tout cas. Heureusement, tu as atteint un niveau auquel tu n’as plus besoin d’une experte telle que moi pour te guider et j’ai trouvé une remplaçante parfaite. Zorian, dis bonjour à Chercheuse Enthousiaste de Nouveauté.]

L’une des Aranea ayant accompagné la matriarche, plus petite et qui avait l’air de ne pas tenir en place, tomba soudain du plafond et atterrit devant eux.

[Salut ! Je suis Chercheuse Enthousiaste de Nouveauté et je vais totalement être ta professeure ce mois-ci ! Je sais que vous humains avez des soucis avec nos noms alors tu peux m’appeler Nouveauté. Je m’en fous.]

Elle tourna en rond atour de Zorian tout en lui parlant télépathiquement, comme un étrange chiot trop désireux de l’inviter à jouer.

[Ah, peu importe. Quand la matriarche a demandé qui serait volontaire pour t’enseigner des choses, j’étais genre : C’est ta chance, Nouveauté ! J’étais tellement partante ! Ils ne me laisseront pas aider pour les défenses parce que je suis apparemment trop jeune mais ils m’ont dit que tu étais encore un nouveau-né en matière d’art psychique et je peux tellement m’occuper des bébés ! Et, eh, tu peux m’apprendre des trucs, toi aussi ! J’ai toujours été curieuse à propos des humains, genre, comment faites-vous pour marcher sur deux pattes sans tomber sans arrêt, et…]

Zorian coupa la transmission pour jeter un coup d’œil vers la matriarche.

[Elle est fournie avec un bouton pour l’arrêter ?] lui demanda-t-il.

Pour toute réponse, la matriarche projeta simplement une mixture d’amusement et de satisfaction.

Raka
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