MoL : Chapitre 25
MoL : Chapitre 27

Chapitre 26 – Destruction de l’âme

 

Le temple était aussi imposant qu’il l’avait été la fois passée, lorsque Zorian l’avait visité – les mêmes Anges qui en gardaient l’entrée en l’observant de haut, le même sentiment de désolation provenant des lieux dans leur ensemble et la même histoire gravée dans les lourdes portes. Cette fois, il étudia celles-là avec plus grand intérêt qu’il l’avait fait, cela dit, plusieurs de ces images étant devenues bien plus parlantes au regard de ce qu’il avait appris depuis. Spécifiquement, certaines des gravures les plus basses dépeignaient des monstres qui surgissaient de copeaux du cœur du Dragon du Dessous. Ces monstres étaient clairement des Primordiaux. Ils possédaient cet aspect mélange improbable de diverses formes de vie qui semblait être le point commun entre tous les Primordiaux et ils correspondaient à la description de ceux que les humains connaissaient, que l’on pouvait trouver dans les livres.

Le croisement diabolique entre un scorpion, une libellule et un mille-pattes était clairement Hynth, le Seigneur des Locustes dont la carapace de bronze était imperméable à toute attaque, à l’exception peut-être des armes divines et ses quatre pinces pouvaient tordre et déchirer tout ce qu’elles attrapaient comme du papier. La capacité de libérer des nuages d’insectes affamés et dévoreurs des pores de sa peau suffisait à dévaster une campagne sur des kilomètres tandis que le monstre lui-même écrasait quiconque osait s’opposer à lui. L’image complète d’une catastrophe naturelle ambulante. Le paquet d’ailes illustré au-dessus de Hynth était en toute probabilité Ghatess, qui était purement et simplement une boule composée d’ailes d’oiseaux – et uniquement d’ailes d’oiseaux – capable de donner naissance à ouragans et tornades où qu’il passât tout en absorbant la matière au centre de son corps, où elle semblait disparaître sans laisser de trace. Le mélange sanglier, crocodile et porc-épic était Ushkeshko, bête d’un verre noir indestructible qui empoisonnait violemment quiconque avait le malheur de s’égratigner sur l’une des innombrables protrusions en forme de lames, lorsqu’il ne les envoyait pas simplement comme autant de flèche vers ses ennemis. L’entité gluante couverte d’yeux dans sa gueule était –

— Puis-je vous être utile, jeune homme ?

Zorian sortit de sa contemplation de la porte pour accorder son attention à Batak. La fois passée, il avait demandé à parler à Kylae mais cette fois, lui seul suffirait. Ce serait sans doute même préférable, considérant que Kylae était supposée être une maîtresse en divination. Il offrit un sourire nerveux à Batak avant de prendre la parole.

— Je… Je voulais vous parler, si ce n’est pas trop un problème.

— Bien sûr, s’enjoua l’homme en faisant immédiatement entrer Zorian.

Ce dernier se souvint que le temple ne recevait pas beaucoup de visiteurs. Ce devait être une existence difficile et solitaire que de servir ce lieu. Bientôt, ils furent tous deux attablés dans l’espèce de petite cuisine que Batak utilisait pour recevoir ses visiteurs, un pot de thé fumant entre eux.

— Alors… De quoi vouliez-vous me parler ? commença Batak après quelque discussion sans intérêt visant à se présenter et à détendre l’atmosphère, tout en levant sa tasse de thé pour en boire une longue gorgée.

— Je voulais poser des questions sur les Primordiaux, dit Zorian.

Batak se mit à toussoter et cracher du thé – par la bouche et le nez – avant de passer quelques dizaines de secondes à tousser violemment, la larme à l’œil.

— Pourquoi *cough* voudriez-vous savoir des choses sur eux ? demanda-t-il, l’air atterré.

— Je… ne suis pas sûr de pouvoir vous en parler. Je ne veux pas de problèmes.

Batak le regarda de manière impassible mais il était curieux malgré tout, Zorian pouvait le sentir, accompagné d’un soupçon d’inquiétude.

— Eh bien, je ne sais pas si vous avez entendu, il y a une rumeur qui parle de ce groupe qui va tenter d’attaquer la ville pendant le festival d’été, commença Zorian.

— J’en ai entendu parler, en effet, soupira Batak.

— Il y a quelques jours, j’étais dans les niveaux supérieurs du Donjon avec des amis pour un job. Un simple travail de recherche et récupération d’un objet mais nous avons fini par tomber sur une base souterraine emplie à craquer de trolls de guerre et nous avons failli y rester. La police tient tout ça très secret mais j’ai cru comprendre que leur enquête a révélé qu’il existait plusieurs autres bases en-dessous de nos pieds. Quelqu’un a passé des mois à préparer minutieusement le terrain pour cette attaque et ils ont… beaucoup de ressources à investir.

Après plus d’une heure d’explications et de clarifications, Batak accepta l’idée que l’attaque était quelque chose de bien plus sérieux qu’il l’avait imaginé, et plus important, qu’elle n’était qu’une distraction pour couvrir une tentative d’invocation de Primordial. Heureusement, tout ce que disait Zorian était vrai et si Batak disposait d’une méthode pour déceler des mensonges, il comprenait que ce qu’il entendait était honnête. Le fait que Kylae avait eu une prédiction vide passé la date fatidique aidait également à rendre les prétentions de Zorian légitimes aux yeux de Batak, l’invocation réussie d’un Primordial pouvant tout à fait être la raison de l’échec des divinations. Ce qui était en réalité ce pourquoi Zorian était venu dans ce temple en particulier plutôt que, disons, le temple principal de la ville.

— Je vais prévenir la hiérarchie cléricale. Ils devraient être capables d’envoyer quelques enquêteurs spécialisés pour vérifier, dit Batak. Spécialement si on leur apporte des preuves solides plutôt qu’une simple dénonciation anonyme. Avez-vous des preuves écrites, peut-être ?

— Voici, répondit Zorian en tirant un paquet de documents et de notes de son sac. Tout ce que j’ai sur cette invasion. J’ai tenté de me montrer le plus direct et méthodique possible. Je préfèrerais que mon nom ne soit pas mentionné, par contre.

— Je ne peux pas garantir cela, admit Batak en observant les documents avec anticipation. Si votre nom est prononcé durant l’enquête –

— Il ne le sera pas, l’interrompit Zorian.

— Eh bien, alors je ne vois pas de problème, fit Batak en haussant les épaules. Un peu étrange de votre part de posséder tant d’informations sur ce groupe si vous n’êtes pas un traître de leurs rangs.

Zorian garda le silence.

— Très bien, dit Batak en secouant lentement la tête comme pour s’éclaircir les idées. Êtes-vous toujours intéressé par les histoires sur les Primordiaux ou était-ce simplement une façon d’attirer mon attention ?

— Je suis toujours intéressé, ouais, répondit Zorian. Je suis vraiment curieux de savoir pourquoi ils ont besoin d’organiser tout ça simplement pour en invoquer un.

— Pour être honnête, je ne pense pas en savoir suffisamment sur les Primordiaux pour satisfaire votre curiosité à ce regard. Quiconque veut invoquer l’une de ces créatures est clairement dérangé. Mais peu importe, dites-moi plutôt, que savez-vous à propos des Primordiaux vous-même ?

— Ce sont des espèces de puissants esprits descendus des temps anciens, tenta Zorian. Comme les fées, les élémentaires mais plus vieux encore, plus étranges et bien plus dangereux.

— Je savais que vous diriez ça, soupira Batak. À l’avenir, lorsque vous vous intéressez à un aspect du monde spirituel, consultez des textes religieux avant de vous plonger dans des écrits magiques. Je sais que l’Église peut se montrer un peu tordue concernant certaines choses, mais nous connaissons notre affaire quand il s’agit des esprits et de tout ce qui leur est attaché. Depuis que les dieux ont cessé de parler, les esprits sont tout ce qu’il nous reste et nous avons effectué des recherches intensives à leur sujet. D’ailleurs, nous ne nous en cachons pas.

Zorian acquiesça en timidement. Il ne lui avait jamais traversé l’esprit de regarder dans les livres religieux. Il en mit la faute sur le prêtre de Cirin, vieux bigot hypocrite qui cherchait la misère avec Zorian à chaque fois qu’ils se croisaient et l’avait dégoûté de la religion dans son ensemble.

Batak laissa courir ses doigts sur la table comme s’il jouait un grand air au piano, rassemblant ses pensées.

— Bien. D’abord, laissez-moi vous raconter quelque chose sur les esprits actuels. Je suis désolé si c’est quelque chose de familier mais j’ai besoin de partir de là pour expliquer pourquoi les Primordiaux ne peuvent en aucun cas être des esprits.

Zorian lui fit signe qu’il pouvait continuer.

— Les esprits sont, d’un point de vue pratique, divisés en deux groups principaux : les esprits étrangers et les esprits natifs. Les étrangers passent le plus clair de leur temps dans leur propre monde spirituel et ne peuvent entrer dans notre monde qu’en étant convoqués par quelqu’un ici. Les démons et les anges sont les plus célèbres des esprits étrangers bien que mettre tous les démons dans le même sac soit typiquement humain parce que c’est plus pratique – il n’existe pas d’équivalent démoniaque de la hiérarchie angélique et deux démons vont très certainement se battre entre eux plutôt que coopérer vers un but commun. Les esprits natifs sont une multitude d’esprits qui existent sur le plan matériel par défaut – vous avez déjà mentionné les élémentaires et les fées, qui en sont les plus communs. Les natifs sont très probablement des étrangers qui se sont adaptés avec le temps à la vie sur notre plan, car ils partagent des propriétés de base avec les étrangers : ils n’ont pas de corps à la manière des êtres organiques ; ce sont des âmes sans corps qui ont besoin d’un réceptacle afin de pouvoir interagir avec le monde qui les entoure.

— Alors les esprits sont des entités spirituelles, supposa Zorian. Comme les liches ou les voleurs de corps.

— Oui, ça y ressemble fortement, confirma Batak. En fait, certains esprits se comportent comme des voleurs de corps et préfèrent habiter celui d’un humain ou d’un animal. Et il est pertinent de penser que le processus de transformation en liche a été développé à force d’observer la façon dont les esprits interagissent avec leur réceptacle. Peu importe. Les Primordiaux. Les Primordiaux possèdent des corps. De vrais corps de chair et de sang. La plupart des gens, mages inclus, pensent qu’ils ne sont que des esprits à cause de l’étrange forme de leur corps et leur résistance inouïe aux dégâts mais ils ont vraiment plus en commun avec les dragons et d’autres créatures magiques qu’avec des entités spirituelles. Les esprits tendent à être étrange parce que leurs corps ne sont que des coquilles ectoplasmiques qu’ils peuvent tordre à volonté. Les Primordiaux sont des créatures du plan matériel, comme vous et moi.

— Mais attendez, lâcha Zorian. Si les Primordiaux ne sont pas des esprits, mais… plutôt des créatures magiques étranges… Comment les envahisseurs prévoient-ils d’en invoquer un ?

— Ils ne le prévoient pas, expliqua Batak. Je ne voulais pas vous interrompre pendant que vous parliez tout à l’heure mais vous avez très certainement mal interprété quelque chose dans cette histoire. Les Primordiaux ne peuvent pas être invoqués puisqu’ils sont déjà ici, avec nous. Scellés au fond du monde et endormis, mais ici tout de même. Ce qui peut être fait… c’est les libérer.

Zorian sentit un frisson lui parcourir l’échine. Le Primordial n’allait pas disparaître, il le réalisa soudain. Les envahisseurs pensaient qu’ils invoquaient un démon puissant pour massacrer leurs ennemis mais ce machin n’allait jamais retourner sur son plan personnel ou dieu savait où, parce que chez lui, c’était ici.

— Pourquoi ont-ils été scellés ? demanda Zorian. Pourquoi pas simplement tués ?

— Les Primordiaux ne meurent pas de la façon dont on l’imagine, répondit Batak. Ils sont une relique rémanente du passé, d’un âge et d’un monde où tout était encore jeune, lorsque le Dragon du Dessous avait à peine été lié au centre du monde. Ils sont ses enfants originaux, la plus pure expression de sa rage et de sa haine et de ce fait, ils ont trouvé un moyen de frapper l’humanité et les dieux même dans la mort. Ils font apparaître des engeances d’eux-mêmes plus petites dans leurs derniers instants et infligent souvent des effets proches de la corruption à la zone entourant leur trépas. Même les dieux ont du mal à s’occuper de ce qui suit la mort d’un Primordial et ils ont fini par simplement les contenir de force aux confins du monde.

— Et les envahisseurs pensent que l’un d’eux est sous Cyoria, supposa Zorian.

— Apparemment. Je n’en sais rien personnellement, personne n’a jamais vu ces choses de près ou de loin, de mémoire d’Homme. Les écrits historiques sont délibérément vagues à leur propos et quant à leurs localisations. Pourtant, Cyoria était bel et bien ce qu’on appelait un des confins du monde jusqu’à récemment, historiquement parlant. Alors je suppose que c’est possible ? Il est étrange que personne n’ait jamais trouvé d’indice pendant tout ce temps, cela dit, si on prend en compte le nombre de mages qui s’aventurent dans le donjon régulièrement…

— Je vois, ponctua Zorian avant de s’excuser et quitter les lieux.

Intéressante conversation mais qui ne changeait pas fondamentalement ce qu’il devait faire et ce qu’il était déjà fait.

 

___

 

Zorian était plutôt ravi d’avoir organisé cette rencontre. Avoir proposé à Kirielle de rencontrer Nouveauté était uniquement dû à la curiosité et à l’amusement, mais lui présenter Tinami était… bon, ok, c’était aussi conduit par la curiosité et l’amusement. Mais ça ne signifiait pas qu’il ne comptait pas en tirer parti et y gagner quelque chose de la part de mademoiselle magie interdite Aope. Comme, disons, lui demander de lui enseigner le sort d’invisibilité. Il savait, il savait simplement que Tinami avait appris à lancer ce sort, magie restreinte ou non et il avait totalement raison ! Alors maintenant, il avait finalement achevé la liste des sorts qu’un mage digne de ce nom devait connaître, et tout ce qui lui avait fallu, c’était promettre de faire une chose qu’il aurait faite gratuitement de toute façon.

Et la cerise sur le gâteau ? Nouveauté l’adorait pour lui avoir promis de lui présenter deux nouveaux humains.  Il n’avait même pas eu besoin de lui inventer quoi que ce soit puisqu’elle prenait ça comme une faveur !

Oui, Zorian était content de lui-même. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à patienter en compagnie de Kirielle jusqu’à ce que les deux invitées se montrent et reculer d’un pas pour admirer le feu d’artifice. Nouveauté arriverait la première et rencontrerait Kirielle pour commencer, car leur rendez-vous promettait d’être très court. Puis l’Aranea resterait là, chez Imaya, jusqu’à ce que Tinami arrivât finalement chez Imaya. Il ne devait y avoir aucun problème mais juste au cas où les choses dussent dégénérer au-delà de ce qu’il pouvait gérer, Zorian s’était arrangé pour prendre quelques précautions.

— Alors, les Aranea sont de la taille d’un chien ? demanda Kirielle.

— Un gros chien, confirma Zorian. Mais Nouveauté n’est pas effrayante du tout et je suis sûr que vous vous entendrez à merveille. Elle me fait un peu penser à toi, en réalité.

— Une araignée géante te fait penser à moi ? lui demanda Kirielle, étonnamment menaçante pour une gamine de 9 ans.

— Tu vas le découvrir bientôt, la contenta Zorian, plus amusé qu’autre chose. Elle arrive tandis que nous discutons.

Il n’avait consacré que la moitié de son attention à sa conversation avec Kirielle, tentant de s’entraîner à prêter un sens à son environnement tout en s’accordant le luxe de discuter en même temps. De ce fait, il repéra immédiatement Nouveauté lorsqu’elle arriva à portée malgré le fait qu’elle avait tenté de masquer sa présence mentale au maximum pour le surprendre. Il lança sans attendre une attaque télépathique dans sa direction et elle abandonna instantanément toute tentative de furtivité pour un petit bras de fer mental qui expulsa Zorian de son esprit en un rien de temps. Malgré cette piètre démonstration, Zorian était satisfait. Il pratiquait ce genre de salutations depuis quelques jours, et ce, depuis qu’il avait compris que Nouveauté ne considérait pas ces petits jeux comme quelque chose d’hostile. Comparé à ses résultats initiaux, c’était absolument sans pareil.

C’était plutôt amusant de voir Nouveauté refuser de lui enseigner les bases du combat télépathique à cause des ordres de la matriarche mais de constater qu’elle n’avait aucun souci à le faire en jouant de la sorte. En fait, après les quelques premiers essais, elle initiait même ce genre de combat inopiné elle-même et tentait parfois de le surprendre comme elle l’avait fait ce jour-là. Il supposa qu’elle ne voyait pas ça comme un entraînement – à ses yeux, c’était un amusement. Elle serait sans doute fâchée contre Zorian si elle le surprenait à penser de la sorte mais elle était encore une enfant sous bien des aspects.

[C’était à peine meilleur qu’hier,] se plaignit Nouveauté, ne partageant apparemment pas l’opinion optimiste de Zorian. [C’est exactement pour ça que je pense qu’on aurait dû s’en tenir à mon idée pour ton entraînement. Il aurait été un million de fois plus rapide que nos petits jeux.]

[Tu ne m’enfermeras pas dans l’une de tes nurseries,] trancha Zorian.

[Mais tu la quitterais en tant que maître du combat télépathique en une semaine !] protesta Nouveauté. [Bon, un maître selon les standards humains, mais peu importe.]

[Non,] répondit encore Zorian, qui devint d’un seul coup conscient que Kirielle tirait sur sa chemise.

— Qu’y a-t-il, Kiri ?

— Tu planes.

— Je parlais à Nouveauté, répondit Zorian, ce qui lui valut un regard étrange. Par télépathie, je veux dire.

— Oh, fit Kirielle en ouvrant les yeux en grand après avoir réalisé. Je suis si jalouse que tu puisses faire ça. Je voudrais aussi pouvoir parler avec les gens sans être entendue. Ce serait tellement pratique avec papa et maman qui ne sont jamais loin.

— Tu crois que je ne le sais pas ? soupira Zorian. Tant de choses auraient été plus simples si j’avais pu faire ça plus tôt. Bien que peut-être qu’il s’agissait d’une bénédiction sous couvert – beaucoup de gens, à Cirin, auraient paniqué en entendant soudain des voix dans leur tête, et l’abus de magie mentale est puni très sévèrement par la guilde des mages. Bref, allons te présenter à Nouveauté.

Tout à son honneur, Nouveauté n’avait pas immédiatement bondi vers Kirielle pour se mettre à la tripoter de tous les côtés. Tout à l’honneur de Kirielle, celle-ci ne hurla pas de terreur pour se jeter derrière son frère au moment où une araignée géante bondit dans la chambre. Au lieu de ça, toutes deux se firent face silencieusement, conservant une distance respectable afin de ne pas se choquer l’une l’autre. Finalement, Nouveauté ne put se retenir.

[Un mini-humain !] s’écria-t-elle télépathiquement, brisant cet instant d’immobilisme. [Grande Toile, elle est tellement plus petite que toi ! Peut-elle seulement déjà parler ?]

— Q… Quoi ?! réagit Kirielle à la voix dans sa tête. Bien sûr que je sais parler ! J’ai même appris à lire et à compter l’an dernier ! Tu me prends pour un bébé ?!

[Oh, tu sais parler, c’est excellent ! Excellent ! Je craignais réellement que tu ne fus qu’un bébé,] admit l’Aranea en se déplaçant à droite et à gauche pour observer Kirielle sous différents angles. [Non pas qu’être un bébé est mal, mais j’ai été assignée à la surveillance des bébés pendant siiiiii longtemps et c’est siiiiii ennuyant au bout d’un moment, tu sais ? Les bébés sont tellement à demander des trucs, et toujours à se plaindre et à s’agiter, ils ne connaissent rien d’intéressant et ne savent pas tenir en place…]

Elle pouvait parler, tiens. Zorian esquissa un sourire involontaire.

— Hm, ouais, avoua Kirielle avant de regarder son frère d’un air suspicieux, frère qui fit de son mieux pour maintenir un masque impassible au travers d’une volonté surhumaine.

Oh, qu’il avait envie de rire ! Ses lèvres s’autorisèrent enfin à frémir légèrement lorsque l’attention de sa sœur se retourna à nouveau vers l’araignée.

— Je suppose que je peux comprendre ça. Mais je ne suis définitivement plus un bébé ! J’ai 9 ans, c’est déjà beaucoup !

[Ouah, c’est beaucoup !] confirma Nouveauté. [Tu as à peine un an de moins que moi ! Comment ton frère peut-il être si grand, alors ?]

— Il est… plus vieux que moi ? tenta Kirielle. Attends, si tu as dix ans, n’es-tu pas un enfant comme moi ?

[Pas moyen !] protesta Nouveauté. [Je suis passé par la cérémonie de maturité l’an dernier alors je suis totalement une adulte de la tribu et personne ne peut prétendre le contraire !]

Zorian observa les deux filles s’affronter dans un choc des cultures miniature qui se termina par une espèce de compromis. Elle se plaignirent toutes deux de ne pas être prises au sérieux par leur entourage – Zorian se demanda ironiquement pourquoi – et échangèrent des informations sur leurs espèces respectives. Zorian apprit quelques nouvelles choses sur les Aranea, des choses dont il n’avait jamais entendu parler ou lu quoi que ce soit. Apparemment, elles avaient une espérance de vie plus courte que les humains, leurs anciennes atteignant l’âge avancé de 55 ans. Il savait qu’elles pouvaient tisser des toiles mais il semblait que ces toiles n’étaient pas forcément destinées à attraper des proies mais étaient essentiellement à la base de matériaux de constructions de murs, ponts et d’autres structures précises. Il avait imaginé qu’elles étaient souterraines par nature et que seule la colonie de Cyoria échangeait avec la surface de manière si avancée mais il eut la surprise d’apprendre que si elles vivaient sous terre, toutes préféraient chasser à la surface.

Arriva le moment où Nouveauté décida de tenter sa chance et approcha Kirielle, qui recula frénétiquement en réponse, coupant court au contact prématuré. Non que Zorian en fut surpris – au moins, tout s’était bien mieux passé qu’il l’imaginait. Merde, Kirielle avait même indiqué qu’elle n’était pas forcément contre une autre rencontre à l’avenir.

[Aww,] se recroquevilla Nouveauté le coussin qu’elle occupait après s’être laissée tomber d’un air pitoyable. [Je lui ai fait peur.]

— Elle a dit qu’elle te reverrait dans quelques jours, lui rappela Zorian.

[Mais je voulais discuter encore,] bouda l’Aranea par télépathie.

— Laisse-lui un peu de temps pour digérer tout ça. Et n’essaye pas de la câliner, la prochaine fois, se mit à rire Zorian.

[Mais les humains adorent les câlins ! Je l’ai totalement lu dans l’un de tes livres !] protesta Nouveauté.

Zorian songea lui expliquer que ce n’était pas universel – ses parents n’avaient par exemple jamais été enclins au contact physique avec leurs enfants et Zorian ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il avait serré quelqu’un dans ses bras à l’exception de Kirielle. Non qu’il fut particulièrement porté sur cette pratique lui-même, d’ailleurs. Finalement, il n’en fit rien.

— Je crains que les Aranea n’aient simplement pas ce qu’il faut pour faire un câlin correct, acquiesça sagement Zorian. Triste mais vrai.

[Avons-nous vraiment l’air si horribles pour vous autres humains ?]

— Effrayantes, corrigea Zorian. Le mot que tu devrais utiliser est celui-ci. Tu ne devrais sans doute pas passer autant de temps à décrire avec amour la façon dont tes crocs peuvent percer os et cuir renforcé ou la façon dont tu mets à mort une proie en les plantant profondément dans leur épine dorsale.

[Mais les chats font de même, et les chats sont mignons ! Tu me l’as confirmé toi-même ?]

— Et tu as immédiatement ajouté qu’ils avaient l’air délicieux, ce qui a totalement invalidé ma tentative pour te faire paraître moins menaçante.

Nouveauté lui envoya un message télépathique accompagné par un ton clair de contrariété. Zorian haussa les épaules et retourna sur son livre en attendant Tinami.

 

___

 

— Oh. Mon. Dieu, articula Tinami en fixant Nouveauté comme une œuvre d’art. Elle est belle !

[Eh bien, oui, je ne veux pas avoir l’air arrogante mais on m’a déjà dit que j’avais une certaine prestance,] se vanta Nouveauté, se redressant légèrement pour paraître légèrement plus digne.

— Et elle parle réellement par télépathie, comme dans la légende ! s’exclama Tinami avant de se tourner vers Zorian. Où diable as-tu réussi à rencontrer une Aranea ? Comment as-tu fait pour devenir son ami ? Puis-je toucher ? Penses-tu qu’elle m’enseignera des choses si je lui demande ? Est-ce que tu –

— Je ne pense pas pouvoir gagner au jeu du oui, non, oui, non plus de quatre fois d’affilée alors une question à la fois, si tu veux bien, coupa Zorian. Et pour la plupart d’entre elles, ce n’est pas à moi qu’il faut demander.

— Oh ! Je suis désolée ! Je ne voulais pas vous manquer de respect et vous ignorer, reprit Tinami rapidement en se tournant vers Nouveauté. J’étais juste si excitée et je trouvais naturel de m’adresser à celui qui m’a permis de… Pour être honnête, j’étais à peine à moitié convaincue que son idée n’était pas qu’une vaste blague et j’avais déjà préparé une petite malédict –

— Eh ! protesta Zorian. C’est totalement illégal !

— …Mais je suppose que ce ne sera pas nécessaire, du coup, et c’est sûrement pour le mieux, continua Tinami allègrement comme s’il ne l’avait pas du tout interrompue, avant de prendre une profonde inspiration. Je m’appelle Tinami Aope, et je suis enchantée.

30 minutes plus tard, Zorian se vit mis en-dehors de sa chambre sans cérémonie afin de laisser aux filles un peu d’intimité. Lâchement ingrates, toutes les deux. Il considéra la possibilité de lancer un sort pour les espionner mais sachant que leur conversation allait sans doute tourner autour de Tinami s’extasiant devant la légendaire Aranea et cette dernière se pavanant sous les compliments, il n’y perdait pas grand-chose, finalement. Il resta à proximité pendant une demi-heure de plus au cas où un problème venait à se présenter mais après un moment, il était devenu évident qu’elles n’avaient absolument plus besoin de lui – et surtout qu’elles ne voulaient plus de lui. Aussi finit-il par entrer pour leur dire qu’il partait faire un tour.

Lorsqu’il fut assez loin de Tinami pour ne plus la sentir du tout, il trouva un coin tranquille et s’y camoufla dans une barrière anti-divination.

— Tu peux venir, maintenant, dit-il dans le vide.

La matriarche bondit prestement depuis les ombres pour apparaître au grand jour. Le truc était devenu bien moins impressionnant maintenant qu’il savait devenir invisible lui aussi, et de fait le répliquer.

[Elle n’est ni une voyageuse temporelle ni connectée à l’invasion, d’aucune façon,] affirma la matriarche. [Et autant que je le sache, personne dans sa famille ne l’est.]

Zorian acquiesça. Il s’y attendait – les Aope faisaient partie de l’élite dirigeante d’Eldemar et trop intimement liés à sa structure politique pour participer à un truc chaotique ayant de telles répercussions et Tinami était trop honnête face au sens spirituel de Zorian pour qu’il puisse l’imaginer jouer un rôle. Mais c’était toujours bien d’avoir une confirmation.

— Tu n’as pas eu de problèmes avec ses défenses mentales ?

[Elle en avait mais mises en places d’une mauvaise manière, un peu comme les barrières avancées dont tu as fait la démonstration à Nouveauté,] dit la matriarche. [Je suis certaine qu’elle n’a pas remarqué mon intrusion et je n’ai rien fait que regarder alors il n’y a aucune trace de mon passage.]

— Elle n’a pas pu te tromper ? demanda Zorian. J’ai lu plein d’histoires dans lesquelles les gens font semblant de se laisser dominer par un sort avant de le surprendre en le poignardant dans le dos, une fois leur défense baissée.

[Cela doit être un truc de magie humaine. Je ne peux pas imaginer ce genre de choses arriver à un psychique. Bon, à moins que la cible ait construit un faux esprit au-dessus du vrai et que l’attaquant ait pu être assez stupide pour penser qu’il s’agissait du vrai. Ça n’arrive jamais. Construire un esprit factice et le faire paraître réel est vraiment, vraiment difficile.]

Zorian cligna des yeux. Il n’avait même pas imaginé que construire un faux esprit était possible.

— Eh bien, désolé de t’avoir embêtée avec ça, dans ce cas.

[Absurde. C’était une suspicion raisonnable et j’ai trouvé un nombre de détails utiles en rampant dans son esprit. Non seulement sa famille n’est-elle absolument pas amicale envers les envahisseurs mais leurs plans risquent fort de les contrarier. Cyoria se trouve être leur territoire, la base de leur puissance politique et de leur influence et ils ne voudraient en aucun cas voir tout ça ruiné. Et puisque Nouveauté se trouve là, à charmer la jeune héritière Aope, nous avons un moyen facile et rapide d’entrer en contact avec la tête de la maison Aope. Nous assurer l’aide d’une telle maison noble va nous garantir que l’évidence d’un complot de cette envergure sera prise au sérieux. As-tu parlé au prêtre ?]

— Oui, acquiesça Zorian. Il a dit que l’Église allait envoyer quelqu’un pour enquêter.

[Une preuve de plus de notre légitimité,] annonça la matriarche avec une pointe de satisfaction.

— J’espère que je ne vais pas me retrouver au milieu d’un interrogatoire, dit Zorian. Je ne pense pas que mes demi-vérités et mes sous-estimations de la réalité pourront tenir face à des enquêteurs professionnels.

[Ma Toile tente de faire diversion pour éloigner toute enquête de ton nom alors ça devrait aller,] le rassura la matriarche. [Nous avons déjà piégé et tué trois groupes différents qui menaient une enquête pour le Culte du Dragon, et nous avons subtilement redirigé les enquêtes de police dans notre direction.]

— Tu as fait ça ? s’étonna Zorian.

[Il a été décidé de changer le mois actuel en une espèce de prototype,] expliqua la matriarche. [Comme je te l’ai dit, le but de ma Toile est simple : nous voulons nous révéler à la ville et un jour rejoindre ceux qui arpentent ses rues en liberté en tant que citoyennes de droit, tout comme vous autres humains. Tandis qu’une approche trop directe serait bien trop néfaste pour ce que nous comptons réaliser dans cette boucle, nous avons décidé de nous révéler à un certain nombre de personnes influents de la ville malgré tout. Cela nous permettra à la fois de coordonner la réponse à l’invasion et de tâter leurs réactions.]

— Et ?

[La réaction est mitigée. Le fait que nous apportons une telle information concernant une invasion à venir n’aide pas à les calmer, pour tout dire. Nous avons entendu passer plusieurs messages secrets et des réunions qui l’étaient tout autant, et bon nombre discutaient de la façon dont ils devaient s’occuper de nous de manière hostile. Fort heureusement, leur conclusion les pousse à attendre après le festival. D’autres parlaient déjà également de la façon dont ils allaient tirer profit de notre existence.]

— Et vous n’avez aucun problème avec ce dernier point, n’est-ce pas ? supposa Zorian.

[Personne ne veut tuer une poule aux œufs d’or,] métaphorisa la matriarche. [Sans vouloir t’offenser mais je fais plus confiance en votre cupidité qu’en votre compassion. J’ai parlé à Zach de ce dont tu voulais discuter, au fait, et tu avais raison. Il ne se souvient pas d’une quelconque boucle achevée plus tôt que prévue pour une raison obscure. Ta mort n’a pas l’air de réinitialiser le temps.]

— Je le savais, dit Zorian. Même Zach aurait réalisé que quelque chose n’allait pas s’il passait son temps à remonter le temps quand je me fais tuer avant lui. Voilà une preuve de plus qu’il est l’ancre de la boucle.

Zorian avait, à un certain moment, caressé l’idée qu’il y avait en réalité un esprit réel derrière la boucle ; un dieu qui avait décidé de briser le silence, peut-être, ou une espèce de très puissant esprit. Cependant, il y avait toutes ces petites choses qui rendait plus logique l’hypothèse que la boucle était le résultat d’un sort quelconque et aucun indice n’était plus clair que la façon dont ce sort gérait la détection du voyageur temporel. Clairement, à un certain niveau, le sort savait que Zach était le pivot essentiel de la boucle temporelle et que tous les autres n’étaient que des passagers. Cela dit, en même temps, ce n’était qu’un sort et il pouvait facilement se voir confus – via un petit lien d’âme par exemple – et inclure plusieurs personnes en son sein. Tout ça avait l’air d’être une fonction stupide de détection tentant de réconcilier des directives incompatibles plutôt qu’un esprit intelligent qui savait ce qu’il faisait et capable de juger de la situation.

Le problème étant qu’un sort avait besoin d’un lanceur de sort. Un sort ne se lançait pas tout seul. Et un lanceur de sort humain ne devait pas être capable de remonter le temps une fois, alors des centaines, comme Zach le prétendait ?

[Si nous parvenons à pousser le troisième à se révéler, la plupart de ces questions devraient obtenir une réponse assez rapidement,] nota la matriarche. [Je les suspecte fortement de savoir ce qu’est la boucle et la façon dont elle fonctionne.]

— Ouais, confirma Zorian. Espérons.

 

___

 

Les jours passèrent. Quand Zorian ne se conformait pas à une de ses nombreuses obligations – il n’accepterait jamais plus autant de choses à la fois à l’avenir ! – il alternait entre la création de divers pièges et objets nécessaires pour le piège mis en place pour capturer le troisième voyageur et les visites aux Aranea afin de les aider à éradiquer les rats-crânes de la ville.

Choisir le lieu de l’embuscade et la préparer était finalement retombé sur ses épaules. Les Aranea savait comment faire des pièges et les placer de façon sournoise, bien sûr, mais la plupart étaient basées sur quelque chose de létal ou d’assauts mentaux. Considérant que leur proie savait très certainement comment contrer la magie Aranea et qu’elles la voulaient vivante, leurs connaissances en la matière étaient peu pertinentes. Il incomba ainsi à Zorian de créer quelque chose qui pourrait réprimer et neutraliser leur cible, ou au moins la distraire le temps que les Aranea pussent faire peler toutes ses défenses mentales et se mettre au travail. Kael aida Zorian à créer un mélange de puissants sédatifs alchimiques à des fins d’anesthésie et la matriarche leur servit d’assistante, étant l’Aranea la plus capable en matière de magie structurée et qu’elle en savait beaucoup sur les flux de mana locaux. Elle serait également celle qui dirigerait l’exécution de l’embuscade, accompagnée de ses fidèles Aranea, et se devait d’être extrêmement familière avec le fonctionnement des pièges.

Au bout du compte, Zorian décida d’un piège en trois parties, placé en plein milieu du camp Aranea. Le premier tiers consistait en un effet exotique placé à même le sol qui changeait la pierre en un liquide temporaire. L’effet s’activerait pour un moment uniquement, se désactivant aussitôt après et piégeant dans la roche quiconque serait tombé dedans jusqu’aux genoux. Pour autant que Zorian pouvait en juger, un mage n’avait pas de moyen rapide et efficace de s’en sortir rapidement. Le sort ne pouvait pas plus être dispersé que les cendre d’un livre ne pouvaient retrouver leur forme initiale et tenter d’exploser la roche revenait sensiblement à annihiler les jambes de la pauvre victime. La seule façon pratique d’en sortir était de se téléporter ou de se déphaser, ce qui consistait en la seconde partie du piège : un verrou dimensionnel qui annulerait la plupart des tentatives du genre. Finalement, la dernière partie du piège impliquait la dispersion dans la zone d’une fumée composée du puissant sédatif de Zorian et Kael.

C’était un peu simple mais Zorian avait lu que les plans les plus simples étaient souvent les plus efficaces. Moins de complexité laissaient moins de champ à l’erreur et à l’inattendu. Juste au cas où, cela dit, il avait mis en place plusieurs autres pièges dans d’autres cavernes Aranea. Des embuscades bien moins compliquées qui se limitaient à des explosions. Beaucoup de violents explosions.

Mis à part ça, Zorian avait créé bon nombre d’équipement de combat pour les Aranea participant à l’embuscade : des disques de protection qu’elles pouvaient coller à leur corps pour annuler les attaques magiques les plus faibles, des cubes de pierre et des fioles produisant une variété d’effets une fois éclatées au sol et un peu d’équipement pour lui-même et quelques mages mercenaires que la matriarche avait embauchés discrètement pour l’occasion. Bien sûr, dans un scénario idéal, Zorian n’aurait besoin de combattre personne et l’équipement qu’il s’était autorisé serait une immense perte de temps… Mais vraiment, quelles étaient les chances qu’un scénario se déroule de la meilleure façon possible ? Les choses étaient allées un peu trop bien pour lui récemment.

Zorian n’était pas le seul à être occupé. Kirielle persista à tenter d’apprendre la magie, de façon plus bornée et diligente que Zorian l’avait jamais vu faire quoi que ce fut. Elle y arrivait très bien pour une débutante complète mais le côté triste de l’histoire était clair : elle avait un talent plus proche de celui de Zorian que de Daimen ou un autre prodige. Nouveauté était devenue une espèce de liaison officielle entre les Aranea et la maison Aope et fut sujette à un cursus éclair sur la diplomatie et l’étiquette de la part de la matriarche – une chose dont elle se plaignait à Zorian à chaque fois qu’elle le voyait. Tinami, de son côté, s’intéressa bien plus aux leçons avec Zorian dès lors qu’elle eut découvert des détails sur la signification du terme psychique et semblait travailler sur un projet personnel le reste du temps. Zorian suspecta, à partir des lambeaux de pensées qui bullaient parfois dans son esprit lors de leurs connexions, qu’elle tentait de trouver un moyen de devenir elle-même une psychique, de façon artificielle. Ce qui s’avérait à une chose follement dangereuse car ça signifiait triturer son esprit… mais c’était la maison Aope, après tout. Kael poursuivait également un projet personnel qu’il refusait d’expliquer à Zorian – bien que ça eut apparemment tout à voir avec la formulation de sorts parce qu’il posait constamment des questions à Zorian sur le sujet. Zorian le laissa faire car Kael avait été incroyablement utile au cours du mois, prenant sur lui pour aider Zorian au mieux de ses compétences pour une raison obscure. Zorian ne s’imaginait pas qu’il y avait là uniquement de la générosité et n’avait pas oublié à quel point le Morlock était fasciné par la boucle temporelle, aussi se demandait-il quand la question fatidique allait arriver. Quand allait-il approcher Zorian pour lui dire ce qu’il voulait vraiment ?

Apparemment, la réponse était juste avant le festival.

— Salut, Zorian, fit Kael. Tu es occupé ?

— Pas vraiment. J’attends Akoja pour aller au bal, expliqua Zorian. Ça ne sert à rien de commencer quoi que ce soit, elle va arriver absurdement tôt. Qu’y a-t-il ?

Ah, Akoja. Il n’était toujours pas très sûr de la raison qui l’avait poussé à lui demander sa main pour la soirée. Probablement parce qu’elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour lui fournir toutes les indications du monde afin de lui faire comprendre que c’était ce qu’elle désirait et il ne voulait pas la rendre triste sans raison. Elle n’avait bien sûr pas simplement approché pour le lui demander – merde, elle avait même posé un lapin le jour du rendez-vous qu’ils avaient arrangé et avait ensuite fait passé ce qu’elle voulait lui demander comme quelque chose de scolaire au lieu de… eh bien, quoi que ce put être. Il fallait espérer qu’elle allait être un peu moins vindicative cette fois et que la soirée n’allait pas se terminer par le même genre de catastrophe que la première fois.

— J’ai… un cadeau et une requête, dit tout de même Kael ; Zorian traduisit mentalement cette combinaison par un pot-de-vin et une requête. Premièrement, j’ai réfléchi sur tes histoires des précédentes boucles et n’ai pas pu m’empêcher de remarquer la présence d’une puissante liche aux côtés de l’ennemi. Elles sont… très compliquées à affronter, spécialement avec la magie classique.

— Mais pas avec la magie de l’âme, c’est ça ? continua Zorian.

— Eh bien, en quelque sorte. Ce n’est pas simple, même avec la magie de l’âme mais il existe des tours qu’on peut jouer à une liche si l’on sait comment travailler les âmes. La chose qu’il faut que tu gardes en mémoire concerne l’âme d’une liche. Celle-ci est automatiquement éjectée de son corps pour retourner à son phylactère quand la forme physique, le corps, est détruite. Cela se produit parce que la destruction du corps tranche le lien entre l’âme et le ce dernier… Bien évidemment puisqu’il n’y a plus de corps à proprement parler. Si tu peux trancher le lien entre l’âme et le corps, ce qui est bien plus simple qu’il n’y paraît chez les créatures dont l’âme est artificiellement connectée au corps, alors l’âme serait instantanément renvoyée vers le phylactère, même si le corps reste intact.

— La liche serait bannie avec efficacité, conclut Zorian. Ça ne la tuerait pas mais…

— Le processus de possession d’un nouveau corps n’est pas si rapide pour une liche. Elles ont besoin d’un jour entier au minimum et en considérant qu’elles possèdent un corps prêt à l’emploi sous la main. Bannir la liche vers son phylactère est aussi efficace que la tuer, pour tes besoins.

— Tu es en train de me dire que tu peux m’enseigner un sort qui peut faire ça ? s’excita Kael.

— Eh, non, répondit Kael, éclatant rapidement la bulle d’espoir de Zorian. Et ce serait d’une valeur douteuse, même si je le pouvais. Le sort te demande de toucher la cible.

— Ouais, grimaça Zorian, je ne me vois pas allez prendre la liche dans mes bras, et je ne la vois pas me laisser faire.

— Alors je t’ai préparé ceci, à la place, lui annonça Kael en sortant un petit disque d’argent, semblable à une grande pièce.

À y regarder de plus près, cependant, Zorian s’aperçut rapidement que c’était un outil magique, couvert de formules en lieu et place des textes classiques trouvés sur une pièce de monnaie standard.

— Je n’ai pas besoin de toucher la liche ! réalisa-t-il après y avoir réfléchi quelques instants. Il faut simplement que la pièce la touche !

— Oui, confirma Kael. J’ai remarqué que tu étais particulièrement attiré par les objets magiques, alors j’ai gravé le sort sur cette pièce… ça devrait fonctionner mais je ne peux pas garantir quoi que ce soit alors utilise-le à tes propres risques et périls. J’ai tenté de la faire aussi petite et inoffensive que possible mais…

— Mais on ne peut jamais être sûr que la liche va laisser la pièce la toucher, termina Zorian. Tenter d’éviter le contact avec n’importe quel objet étrange lancé par son ennemi est une base du bon sens. Bien sûr, toucher le bouclier de la cible ne suffit pas, n’est-ce pas ?

— J’ai peur que non.

— Ouais, c’est ce que je craignais. Merci quand même. Et qu’en est-il de ta… requête ?

— Eh bien… En vérité, je voudrais une faveur, en échange de mon aide. Je sais que tu vas encore m’utiliser lors des prochaines boucles et je n’y vois aucun problème… mis à part que je veux y trouver mon compte également.

Je ne suis pas sûr de ce que je pourrais faire pour toi qui ne soit pas formaté par la réinitialisation, mais ok, fit Zorian en haussant les épaules. Quel est ton vœu, ô grand Kael ?

— Je veux que tu fasses ce que tu fais déjà – utiliser la boucler pour permettre d’affiner mes compétences, expliqua Kael. Si l’on parle de la mise en forme du mana et autres magies du genre, il est presque impossible de s’améliorer à moins d’être inclus dans la boucle. Mais il existe une discipline qui en est bien moins dépendante. Une dans laquelle il s’avère que je suis déjà très bon.

— L’alchimie, comprit Zorian.

— Exactement. Maintenant, pratiquer l’alchimie à mon niveau implique de nombreuses expériences – tester les effets des potions, les améliorer et en faire des concoctions originales. Ce genre de choses prend un temps fou et nécessite beaucoup de fonds… Mais une fois que l’on possède la recette d’une potion…

— Tu veux que je t’aide à créer des merveilles avant de te donner les résultats lors d’une boucle suivante, te permettant de les raffiner toujours plus, puis prendre ces résultats et –

— Exactement ! l’interrompit Kael. Puis, lorsque la boucle prendra fin, tu me donneras les fruits de cette quantité astronomique de travail et ça m’aura économisé des mois, peut-être des années d’efforts ! Evidemment, je les aurais fournis, mais je ne m’en souviendrais pas ! Mais tu vas devoir t’impliquer dans les entrailles de l’alchimie bien plus que tu le fais déjà. Cela dit, je ne vois pas ça comme un gros problème pour toi. Tu vas clairement en avoir besoin quoi qu’il arrive si tu comptes t’adonner à la création d’objets magiques de très haut niveau.

Il s’avéra donc que Kael avait passé la majeure partie du mois à pratiquer des expériences et avait couché tous les résultats dans un calepin. Il y avait beaucoup de texte mais Kael expliqua qu’il fallait réellement mémoriser les deux dernières pages uniquement, qui contenaient le résumé de toutes les recherches : lesquelles étaient des impasses, quelles autres avaient du potentiel, et avait surligné la recette incomplète d’une potion anti-fièvre. Kael expliqua que lui donner ces résultats lors de la prochaine session ne ferais pas que l’aider lui, mais permettrait également à Zorian de le convaincre de sa légitimité en lui disant qu’il était un voyageur temporel, bien plus rapidement qu’il n’était actuellement capable de le faire. Kael accepterait alors bien plus rapidement de l’aider. Zorian n’y vit aucun mal et passa le reste du temps avant le bal à apprendre ce qu’il devait apprendre ainsi qu’à feuilleter le contenu du livret. Ce n’était pas tous les jours qu’un mage pouvait analyser les recherches d’un autre mage et Zorian pourrait assurément s’en servir à l’avenir.

— Zorian, ta petite amie est là ! appela Kirielle en tentant de paraître moqueuse mais ne finissant que par devenir contrariante.

— J’arrive, lança Zorian avant de fermer le calepin.

Il descendit à la rencontre d’Akoja, qui tentait de ne pas avoir l’air mal à l’aise devant Imaya et Kirielle et qui échouait lamentablement, totalement perdue quant à la façon de réagir à la façon légère de Kirielle d’aborder la situation et les conseils d’Imaya sur ce qu’il fallait faire si Zorian devenait un peu trop pressant pendant la soirée (fous-lui dans les bijoux semblait en être le cœur du contenu). Après quelques minutes, il décida d’avoir pitié d’elle et de la tirer des griffes de ces deux filles afin de se mettre en route.

Il était temps de préparer le spectacle.

 

___

 

La soirée se passait de façon splendide. Akoja était toujours plutôt frustrante mais avec leur rendez-vous n’étant cette fois pas une mission d’Ilsa, elle n’était pas aussi insistante et ne le traîna pas d’une présentation à l’autre pour se contenter de le critiquer toutes les quelques minutes à la place tout en étant bien trop raide pour entamer la moindre danse. Quant aux envahisseurs, ils performaient incroyablement mal. Zorian surveillait la situation à travers les relais télépathiques qu’il avait laissés aux Aranea et il était évident que l’invasion dans son ensemble avait été déjouée jusqu’aux racines. Tandis que la ville ne croyait pas à l’ampleur décrite par les Aranea et avait totalement sous-estimé les forces qu’elle avait octroyées à ce problème – réaction qui était encore et malgré tout considérée comme trop importante par une bonne partie des dirigeants – ils étaient malgré tout préparés à répondre à une attaque… et les agresseurs étaient une simple coquille vide de leur force habituelle à cause de leurs bases ébranlées et de nombreux dirigeants assassinés. Il n’y eut aucun bombardement initial parce que les mages d’artillerie avaient été pris en embuscade avant de pouvoir œuvrer, l’académie avait opté pour un changement des schémas de protection pour que les envahisseurs ne puissent pas se téléporter à volonté et les chemins qu’ils utilisaient pour frapper furent majoritairement contestés par les défenses de la ville, qui inondaient les rues à mesure qu’on se rendait compte de l’ampleur de l’attaque.

Alors dire que Zorian fut surpris quand la porte de la salle du bal explosa soudain en arrosant les invités proches d’une myriade d’échardes pointues et d’un relent de force qui les balaya simplement aurait été un large euphémisme. Quelques instants plus tard, avant que la poussière n’eut pu retomber, trois personnes se tenaient dans la salle.

Au centre de cette formation de trois se trouvait la liche. Exactement comme Zorian s’en souvenait : une figure squelettique imposante, les os noirs à l’aspect vaguement métallique, lourde armure sur le dos et la tête surmontée d’une couronne. Dans sa main décharnée se trouvait un sceptre qui complétait l’apparence royale. À sa gauche se tenait une femme vêtue d’un ensemble noir lui rappelant vaguement quelque chose de militaire – un pantalon simple et une veste avec un blason sur le devant, un crâne sans doute, vu de loin – et de lourdes bottes. Des habits très simples et pratiques, sinistres par leur couleur noire uniquement. Elle s’avança d’un pas imposant, attrapa une épée à sa ceinture, le visage froid et sévère, et Zorian ne put s’empêcher de remarquer sa peau blanche et ses cheveux noirs remontés en une queue de cheval haute. Elle avait tout l’air d’un vampire.

…Elle était un vampire, n’est-ce pas ? Grands dieux, à chaque fois qu’il s’imaginait que les forces Ibasiennes ne pouvaient pas avoir l’air plus menaçantes qu’elles ne l’étaient, les ennemis sortaient quelque chose de leur manche pour lui montrer qu’ils le pouvaient totalement.

La partie gauche de ce triumvirat ennemi se trouvait être une personne vêtue d’une robe d’un rouge sang qui la couvrait des pieds à la tête. Son visage était caché derrière un voile de ténèbres qui semblait tout simplement remplir chaque centimètre carré de la robe et qui obscurcissait les traits de l’individu en-dessous. Contrairement à la liche et à la fille vampire, qui faisaient de leur mieux pour avoir l’air dignes et imposants, Robe Rouge – Zorian le nomme instinctivement ainsi dans sa tête – s’avança prudemment en étudiant la foule choquée présente dans la salle de bal avec intérêt, sa tête masquée balançant de droite à gauche à la recherche de quelque chose. Ou de quelqu’un, en l’occurrence : au moment où ses yeux tombèrent sur Zach, il s’arrêta et prit la parole.

— Lui, vocalisa Robe Rouge, la voix résonnant et tonnant par magie en pointant son bâton vers Zach.

Comme pour ponctuer ses mots, une rangée de trolls de guerre et de mages en robes brunes déferlèrent dans la salle de bal par la porte détruite et tous sortirent de leur perplexité béate en réalisant qu’ils se faisaient attaquer.

Le chaos explosa.

 

___

 

Le plan que Zorian et la matriarche Aranea avait mis en place supposait que le troisième voyageur attaquerait Zach, le surpasserait en terme de puissance et tireraient les informations concernant les Aranea directement de son esprit. Zoiran n’était pas certain de ce déroulement mais la plus grosse incertitude se trouvait dans le fait que Zach pusse perdre contre son adversaire. Pour tout Zach qu’il était, il n’en restait pas moins un combattant hors-pair.

Il ne fallut pas longtemps à Zorian pour comprendre que Robe Rouge était le troisième et la manière dont il comptait battre Zach lui apparut claire comme de l’eau de roche – en ne venant pas seul. Zach semblait déjà avoir du mal à gérer la liche seule, Robe Rouge et le vampire n’allaient certainement pas arranger la situation. Il n’avait jamais été question d’une telle association d’adversaires.

Bien sûr, Zach était dans une pièce emplie de mages qui combattirent également les trois agresseurs mais les autres forces qu’ils avaient fait entrer servirent à les contrer en les distrayant, pour finir par les écraser sous le nombre. Kyron tenta d’aider tout comme le firent quelques autres mais ils n’étaient simplement pas au niveau de leurs adversaires.

Cela dit, ils avaient essayé. Kyron avait invoqué une espèce de fouet brillant qui trancha le bras du vampire directement au niveau de l’épaule et utilisa immédiatement ce même fouet pour s’emparer de l’épée de son ennemie, clairement magique, brillant d’un étrange feu violet qui passait à travers les boucliers. Ce fut ce fait qui confirma les suspicions de Zorian : elle était bien un genre de mort-vivant, son moignon ne laissant pas échapper la moindre goutte de sang et semblait ne faire que la gêner un peu ; elle sortit rapidement un couteau de son autre main et se remit à attaquer les gens au hasard. Robe Rouge était actuellement blessé, quelques étudiants ayant réussi à écraser son bouclier sous un barrage de missiles magiques, mais malheureusement pas assez pour faire plus que ça : les missiles avaient été encaissés par le bouclier et Robe Rouge allait toujours suffisamment bien pour les annihiler en réponse. Quant à la liche, elle allait injustement bien. Rien ne semblait égratigner ses os, même pas le moins du monde. Zach avait réussi à exploser son armure brillante en morceaux grâce à des espèces d’éclairs noirs et la couronne était même tombée de son crâne mais rien ne parvenait à laisser une marque sur les os en eux-mêmes. Putain, elle était faite de quoi, cette liche ?

Zorian ne s’impliqua pas, bien à contrecœur. Le plan ne le demandait pas et franchement, il allait se faire tuer s’il essayait. Il avait aidé à achever quelques trolls et mages ennemis qui s’étaient aventurés trop près de sa position mais mis à part regarder Zach se faire lentement oppresser par ses ennemis, il ne bougea pas.

Mais les choses se passent rarement comme prévues. Au bout d’un moment, Kyron en eut assez que la fille vampire passât son temps à interrompre ses combats avec la liche et la fit voler au loin. Elle atterrit tout près d’Akoja.

Zorian avait été séparé d’elle un peu plus tôt au cours de l’attaque et avait décidé de ne pas lui courir après : elle était clairement effrayée et refuserait qu’il s’approche de tout danger alors que lui-même ne comptait pas rester sur le côté à regarder les gens mourir. Cependant, le vampire décida soudain de s’en prendre à Akoja au lieu de reprendre son combat initial. Pourquoi ? Bordel, s’il le savait ! – peut-être qu’elle voulait un otage ? Dans tous les cas, Zorian lança immédiatement un cube explosif à faible rayon sous ses pieds pour la forcer à s’arrêter et insuffla la majorité de son mana dans un rayon d’incinération dirigé droit sur sa poitrine.

Les sorts de rayons n’étaient pas la forme idéale de combat pour Zorian : ils infligeaient énormément de dégâts mais demandaient tout autant de mana et il était facile de perdre sa concentration et de laisser une grande partie de la puissance s’évaporer dans la nature avant qu’elle eut atteint sa cible. Et dans une pièce emplie de civils en pleine crise de panique, dans la nature signifiait bien souvent à travers les passants innocents. Zorian savait qu’il devait tuer le vampire rapidement, cela dit : elle était extrêmement rapide et sa lame semblait trancher au travers des champs de force avec facilité, ce qui signifiait qu’il se ferait égorger aussitôt à portée. Il devait impérativement utiliser son sort le plus destructeur. Heureusement, elle était assez perturbée par l’explosion du cube et Zorian n’eut aucun mal à verrouiller le rayon sur elle ; il savait pour l’avoir vue combattre contre Zach et Kyron qu’elle était vulnérable au feu.

Le rayon la frappa pendant cinq secondes complètes, la réduisant en un squelette noirci et une pile de cendres.

Akoja était sous le choc à la fois de cette femme folle qui avait tenté de se jeter sur elle et de la méthode brutale de destruction. Les autres étudiants autour d’elle fixaient Zorian dans un mélange de peur et de respect, et Robe Rouge continua de combattre Zach sans réagir. La liche, par contre…

Oh, putain de merde. La liche fixait Zorian.

Effectivement, la liche jeta un seul coup d’œil à la carcasse fumante du vampire et verrouilla ensuite ses orbites vides sur Zorian, son regard semblant percer chair et âme. Kyron profita de ce moment de distraction pour lancer une autre rafale de ce fouet brillant qui avait tranché le bras de feu la victime de Zorian mais au lieu de l’esquiver, la liche l’attrapa simplement de l’une de ses mains squelettiques, ses doigts noirs se refermant autour du fouet de lumière sans en subir aucun effet secondaire et tira. Kyron laissa l’arme se dissiper presque immédiatement mais pas assez vite pour conserver son équilibre. La liche s’empressa de tirer un rayon rouge hargneux et traça une ligne entre Kyron et Zach qui s’écroulèrent tous deux dans une gerbe de sang.

— Attention ! cria Robe Rouge. Ça aurait pu le tuer ! Je vous ai dit que j’en avais besoin en vie !

— J’en ai assez de tout ça, répondit la liche. Il est suffisamment vivant pour ce que tu veux en faire et il se débattra moins ainsi. Et tu devrais surveiller le ton sur lequel tu me parles, petite crevette. Tu n’es pas le patron ici et je peux te tuer quand bon me semble sans que quiconque ne sourcille. Suffisamment de tes informations se sont révélées incorrectes et ta valeur est déjà remise en question.

— Je vous l’ai dit, il y a un traître ! dit Robe Rouge. C’est pour cette raison que j’ai besoin de Zach intact.

— Tu n’as pas besoin de lui intact pour extraire une information de son esprit, rétorqua la liche. Dépêche-toi de régler ça. Les renforts arrivent déjà depuis la ville.

Robe Rouge sembla sur le point de dire quelque chose mais la liche avait déjà repris son analyse de Zorian ; finalement, il se pencha sur le corps inconscient de Zach et commença à lancer quelque sort compliqué avant de placer une main sur le front de Zach.

Zach qui bougea d’un seul coup, révélant qu’il feignait l’inconscience pour tenter de frapper Robe Rouge au visage. Malheureusement, si Zach n’était pas inconscient, il n’était pas non plus au mieux de sa forme et Robe Rouge dévia le coup avant de frapper sa tête contre le sol à plusieurs reprises, jusqu’à ce que Zach ne bouge réellement plus. Puis, il relança le sort.

Maintenant, qui est trop violent ? ricana la liche d’une voix vide. Tu aurais pu lui fracturer le crâne avec ces coups, tu sais ? Les êtres vivants sont des créatures si fragiles…

— Les Aranea ? dit Robe Rouge après un moment. Je ne peux pas y croire. Je n’avais jamais pensé que ces saloperies d’insectes auraient… Peu importe. Je vois y aller. Il est temps de régler quelques comptes.

— Les Aranea n’ont jamais fait partie du –, commença la liche, mais Red Robe s’était déjà téléporté. Hmpf. Quand je revois cet idiot, je le tue. Il apporte plus de complications qu’il n’a de valeur.

Il se tourna vers Zorian après quelques secondes de plus et tous s’écartèrent de lui.

— Je la détestais, tu sais ? lâcha nonchalamment la liche en désignant les cendre de la fille vampire. Elle pensait être tellement meilleure que la bonne vielle Quatach-Ichl. J’étais une relique, qu’elle disait, alors qu’elle représentait les générations suivantes de morts-vivants, ou une connerie du genre. Maintenant, regarde-la, tuée par un étudiant précoce avec un sort de feu tout simple. Pourtant, même si je trouve la situation amusante, je ne peux pas exactement te laisser t’en tirer ainsi, tu sais ? Elle était importante, plus que ce qu’il me sied et je ne peux pas simplement rentrer à la maison en annonçant Vous vous souvenez cette héritière de la maison Zoltan que vous m’aviez confiée ? Je l’ai comme qui dirait perdue, oups. La tête de la maison voudra au strict minimum recevoir ta vie en échange, pour ne pas dire ton âme.

Merde, merde, merde. MERDE ! Alors il avait fini par tuer une espèce d’héritière de grande maison, maintenant ? D’un autre côté, il avait eu confirmation que la liche était bien Quatach-Ichl. C’était un homme, n’est-ce pas ? Il pouvait arrêter de parler de lui au féminin, même s’il était une liche. Et maintenant, si seulement il pouvait s’en sortir avec son âme intacte…

— Je suppose que vous n’accepterez pas un pot-de-vin pour prétendre que je vous ai échappé ? tenta Zorian avec autant de calme qu’il pouvait en rassembler tout en sortant le disque d’argent que Kael lui avait confié, l’envoyant en direction de la liche.

Heureusement, sur un coup du destin extravagant, la liche réagit exactement comme Zorian l’avait espéré : elle tendit la main et attrapa la pièce au vol. Zorian avait parié qu’elle ferait ainsi plutôt que de la dévier ou l’envoyer voler du dos de la main, car il était une liche et il se considérait invulnérable – quelque chose de relativement justifié en considérant ces espèces d’ossements indestructibles. Dans tous les cas, au moment où la main squelettique se referma autour de la pièce d’argent, il se figea sur place avant de s’effondrer au sol comme une marionnette aux fils tranchés.

— Quoi ? s’étonna l’un des étudiants derrière lui. Qu’est-ce qui s’est passé ? Putain, tu lui as fait quoi ?!

Zorian l’ignora et se précipita vers Kyron et Zach et examina leurs blessures. Quelques secondes plus tard, il fut tiré en arrière par une fille qui avaient l’air plus âgée que lui de quelques années et qui prétendait être une professionnelle médicale entraînée et qu’il devait la laisser faire.

Mais au lieu de ça, il sortit un relai de sa poche et ferma les yeux afin d’établir le contact avec les Aranea pour voir ce qui se passait de leur côté.

 

___

 

Tout avait si bien commencé. L’intrus à la robe rouge, probablement le troisième voyageur temporel, s’était avancé pitoyablement dans le piège, sa confiance gonflée à bloc par la ligne de défense Aranea à l’entrée du camp ainsi que ses victoires précédentes contre les gardes que la matriarche avait sacrifiées volontairement pour ankyloser l’ennemi dans une espèce de fausse impression de sécurité. Au moment où il s’approcha du centre de la pièce, le sol se liquéfia et il y plongea, incapable de contrer un piège bien trop rapide.

Les Aranea et les mercenaires humains engagés par la matriarche pour la soirée avaient attaqué immédiatement, faisant pleuvoir sédatifs et sorts de neutralisation.

Mais quelque chose sonnait faux. Les sédatifs n’avaient l’air d’avoir aucun effet sur l’homme rouge et les sorts échouèrent également à montrer le moindre effet. Même totalement immobilisé, l’homme parvenait à se défendre efficacement en exploitant toutes les ouvertures pour tirer d’étranges rayons violets qui achevaient instantanément tout ce qu’ils touchaient. Ils étaient lents à préparer et ne ciblaient qu’un ennemi à la fois et les pertes étaient légères mais frustrantes. Finalement, l’un des rayons transperça un mercenaire humain et ses compagnons perdirent leur calme, répondant par un barrage de lances luisantes qui transpercèrent le bouclier de leur ennemi pour le toucher en plein torse.

Pendant un moment, la matriarche craignit qu’ils l’eussent tué, ce qui aurait rendu toutes les préparations et planifications inutiles… mais la réalité s’avéra être encore pire que ça. Au lieu d’assister à une éruption de sang et de tripes, les Aranea virent le corps de leur ennemi disparaître en fumée…

Celui qu’ils avaient combattu n’était même pas le troisième en personne. Il n’était qu’une coquille ectoplasmique vide infusée avec quelques compétences magiques. Un simulacre, fait pour tester la température de l’eau et les distraire.

Un cône de lumière violette baigna la pièce, tuant instantanément tous les mercenaires humains et nombre des loyales Aranea. Damnation – leur adversaire avait tiré avantage de la distraction que son espèce de clone avait créée pour les faire tomber dans une embuscade de son cru. La matriarche se tourna pour ordonner une retrai –

 

___

 

Zoltan fut éjecté de sa transe au moment où, à la fin, sa connexion à la matriarche fut violemment tranchée. Voir les évènements se dérouler de son point de vue était étrange et quelque peu déplaisant et il devrait lui parler sur l’idée de faire ce genre de choses sans permission mais en considérant la fin de la communication ? Elle était sans doute morte, et les autres Aranea allaient suivre sous peu.

Ils avaient échoué. Toutes ces préparations et ils avaient échoué. Bordel.

— Zorian ?

Une voix rocailleuse venant du sol le sortit de ses pensées. C’était Zach, qui avait repris conscience, un épais bandage enroulé autour de la tête.

— Zorian, tu es avec nous à nouveau ? Tu étais perdu dans le vide, pendant un moment.

— Ouais, expira profondément Zorian. Je… vais bien.

— Ils disent que tu as tué la liche, lâcha immédiatement Zach en désignant la pile d’os noirs à quelque distance de là, autour de laquelle étaient attroupés quelques braves étudiants qui chuchotaient et tendaient le doigt dans leur direction. Comment as-tu pu réussir un exploit pareil, nom de dieu ?

— J’ai tranché le lien entre l’âme et son corps physique, la forçant à retourner dans son phylactère. Il n’est pas vraiment mort, juste… banni.

— Oh, réalisa Zach. Pourtant, c’est… Je n’ai jamais réussi à faire quoi que ce soit de proche. Comment… Comment savais-tu réaliser un tour comme celui-là ? Tu… Es-tu…

— Je dois y aller, coupa Zorian en se remettant sur ses pieds.

— Eh, attends ! tenta de l’interrompre Zach, qui voulut lui aussi se lever mais fut moins fort que la douleur qui lui arracha une grimace. Tu ne peux pas juste m’ignorer et part… Zorian ! Zorian !!

Celui-ci ignora Zach tout comme il ne répondit pas aux question d’Akoja sur sa destination. Il continua vers la sortie, planifiant déjà mentalement le chemin le plus rapide vers les égouts. Personne n’osa bouger pour l’arrêter.

— Zorian ! Connard ! La prochaine fois que je te vois, je jure que je t’en fous une dans la gueule ! hurla Zach en espérant que l’écho de ses paroles parviendrait à le rattraper.

— Désolé, Zach, chuchota Zorian pour lui-même. Mais c’est une priorité.

 

___

 

Le temps que Zorian arrivât au camp Aranea, l’endroit était désert et Robe Rouge avait déjà filé vers d’autres horizons. Probablement en chasse pour en terminer avec quelques Aranea en fuite, dispersées à travers la ville – Zorian savait qu’un certain nombre d’Aranea se trouvaient à la surface au moment où l’embuscade avait pris place. Quelle qu’en fut la raison, Zorian remercia sa bonne fortune et commença à examiner le camp afin d’y trouver des indices sur ce qui était vraiment arrivé et à la recherche de quelques mâles Aranea survivants.

Le combat avait été féroce mais Zorian ne put s’empêcher de remarquer que la plupart des dégâts infligés au camp l’avaient été par les Aranea elles-mêmes en tentant futilement de freiner l’avancée de Robe Rouge en se servant des cubes magiques qu’il leur avait offerts et grâce à leurs propres pièges. Robe Rouge les avait tuées proprement, ne laissant aucune marque sur le corps des déchues – il s’agissait évidemment de ces étranges sorts violets, mais pourquoi avait-il poussé le vice jusqu’à les tuer toutes sans verser la moindre goutte de sang alors qu’il pouvait simplement balancer quelques boules de feu pour les faire griller en masse ?

Il avait fait les choses à fond, cela dit. Zorian ne savait pas si leur ennemi ignorait que les mâles n’étaient pas intelligents ou s’il s’en fichait simplement mais un bon nombre de mâles avaient péri sous son désir d’en exterminer autant que possible. Ce zèle était étrange – il ne semblait pas hystérique ou furieux dans la salle de bal, alors pourquoi avoir insisté à ce point pour attraper jusqu’à la dernière araignée tout juste avant la fin de la boucle ? Il avait même nettoyé la crèche, nom de dieu ! Oui, évidemment, les tuer toutes pouvait lui assurer de choper un éventuel voyageur dans leurs rangs, chose qu’il avait dû lire dans l’esprit de Zach. Mais quand même… elles seraient à nouveau là quelques heures plus tard.

Dérangeant. Même si l’impact émotionnel de voir un camp entier charcuté jusqu’au dernier enfant était quelque peu assourdi par leur anatomie non humaine, Zorian était tout de même malade et dérangé par la brutalité froide du troisième voyageur.

Bon. Peut-être que le message d’outre-tombe de la matriarche allait apporter quelques réponses. Avec l’aide de sa boussole de divination et de son sens spirituel, il traqua lentement tous les mâles survivants un à un pour en extraire les parties de messages qu’ils possédaient.

Il y avait deux morceaux de message, Zorian le réalisa très vite. La première partie était une simple narration – un message vocal qui lui avait été légué par la matriarche expliquant ses actions. La seconde était une carte détaillée des souterrains de Cyoria, dont plusieurs endroits étaient marqués comme étant importants. Les deux messages étaient incomplets à cause du zèle avec lequel Robe Rouge avait annihilé tout le monde mais la matriarche semblait considérer la carte comme étant cruciale, plusieurs mâles étant vecteurs des mêmes portions et des mêmes secteurs.

Comme la boucle filait inexorablement vers son échéance, Zorian assembla ce qu’il avait pu découvrir.

[Manquant] …dire que les choses ont mal tourné. Je sais que tu penses que j’aurais dû m’y attendre vu la façon dont j’ai précipité tout ça mais…  [Manquant] …simple : la boucle se dégrade. Je ne peux pas dire combien temps va se passer avant… [Manquant] …peut partir n’importe quand. Aussi, l’arrêter était… [Manquant] …peut y avoir qu’une seul gagnant à ce jeu. Je suis sincèrement… [Manquant] …espère que ce ne sera pas nécessaire, mais juste au cas où, j’ai placé une carte pour… [Manquant] …autre continent entier. Je ne pensais pas que c’était possible, même avec l’aide de… [Manquant]

C’était tout. La carte était également pleine de trous, bien que Zorian put remarquer qu’il s’agissait d’une carte très complète des souterrains de Cyoria d’un point de vue commercial.

Avant qu’il put vraiment considérer le message plus longtemps, la boucle arriva à son terme et tout s’assombrit.

 

___

 

Zorian ouvrit les yeux d’un seul coup, une douleur aiguë dans l’estomac. Son corps tout entier se convulsa en réaction à l’objet qui venait de lui tomber dessus ; ce fut ce qui l’éveilla brusquement, la moindre trace de somnolence parfaitement dissipée

— Bonj –, commença Kirielle, que Zorian coupa d’un bond pour se mettre assis, balayant sa sœur en une étreinte écrasante. Le mouvement abrupt choqua Kirielle pendant quelques secondes d’un silence dont Zorian se servit pour respirer profondément à plusieurs reprises afin de se calmer.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Kirielle, qui gigotait dans ses bras mais ne tentait pas vraiment de s’en libérer.

Zorian la laissa immédiatement partir et tenta de concevoir une bonne réponse, en vain.

— R… Rien, soupira-t-il. C’est un cauchemar. Juste un cauchemar.

Et c’était vraiment un cauchemar. Toutes leurs manipulations et préparatifs, tout son entraînement au combat, toutes les astuces auxquelles il avait pensé, et il avait tout de même perdu. Perdu misérablement. Les Aranea… elles avaient été chassées jusqu’à la dernière comme des bêtes errantes, massacrées. Pourquoi ? Qu’espérait accomplir le troisième avec une telle brutalité ? Le message que la matriarche lui avait laissé n’expliquait pas grand-chose de plus.

— Comme si j’étais vraiment inquiète, pouffa Kirielle and le frappant avant de bondir loin de lui. Maman veut te parler alors tu devrais te dépêcher.

— C’est vrai, répondit Zorian avant de se lever pour faire mine de se diriger vers la porte. Comme prévu, Kirielle se hâta vers la salle de bains et Zorian verrouilla immédiatement sa porte une fois seul et se mit à tourner en rond comme un tigre en cage.

Il devait prévenir les Aranea, et devait les prévenir aussi rapidement que possible. Il n’allait pas emmener Kirielle avec lui cette fois et au moment où il débarquerait à Cyoria, il… non, non, non. Trop lent. C’était trop lent. Bien trop lent. En tenant compte des actions de Robe Rouge lors de la boucle précédente et le fait qu’il s’imaginait que les Aranea étaient des voyageuses temporelles, Zoiran n’arriverait jamais avant lui pour les empêcher de les massacrer une fois de plus, au tout début de la boucle cette fois.

Les Aranea devaient être prévenues immédiatement, pas à la fin de la journée. Il allait devoir se téléporter directement à Cyoria. Il s’excusa mentalement auprès de sa mère et de Kirielle pour le choc qu’il allait leur offrir quand elles s’apercevraient qu’il n’était plus dans sa chambre verrouillée et se mit aussitôt à lancer le sort.

Il ne pouvait pas se téléporter directement dans le camp Aranea. Les Aranea avaient protégé la plupart des camps contre les téléportations et dans tous les cas, elles vivaient assez loin sous la surface. Se téléporter sous terre était une mauvaise idée – entre la quantité brute de roche dans le chemin et les interférences magiques créées par les niveaux élevés de mana ambiant, il courait au suicide. Aussi pressé qu’il pouvait l’être, se tuer à la suite d’une téléportation ratée était encore pire qu’un retard et il ne pouvait pas gaspiller de mana. Se téléporter au centre de téléportation de Cyoria allait déjà s’avérer suffisamment difficile pour un mage de son niveau dans le domaine.

La téléportation avait dangereuse réputation parmi les mages. C’était dû au fait qu’à la base, le sort de téléportation classique n’était pas purement dimensionnel – il contenait, en substance, une part de divination qui devaient définir les coordonnées d’arrivée que le lanceur tentait d’atteindre et si la divination était mal lancée… eh bien, toutes sortes de choses étranges et déplaisantes pouvaient se produire. Et puis il y avait le fait que certaines personnes n’aimaient vraiment pas qu’on se téléporte chez eux ou sur leur territoire et plaçaient des barrières qui ne faisaient pas que faire échouer la téléportation, mais qui la faisait échouer catastrophiquement. Ce genre de choses était illégales mais certains types de personnes les utilisaient malgré tout.

À ces exceptions près, la téléportation était plutôt sans danger et un moyen de transport pratique. Tant que la destination ne se trouvait pas derrière une barrière. Ou sous terre. Ou dans un endroit où l’on n’était jamais allé. Ou… ouais.

Ah, peu importait. L’essentiel était qu’il pût se rendre à Cyoria rapidement. Cyoria possédait heureusement un flambeau de téléportation qui attirait et redirigeait les voyageurs vers une localisation centrale et rendait de ce fait la téléportation plus aisée – et moins coûteuse en mana. Ce qui signifiait que Zorian n’allait pas avoir à dépenser la plupart de ses réserves juste pour ce voyage, ce qui était une très bonne chose.

Son monde se tordit de façon peu plaisante – il n’était clairement pas assez doué avec le sort pour produire une transition douce comme le faisait Ilsa – et d’un seul coup, il fut au point de redirection de téléportation de Cyoria. Il accourut en tout hâte dans la ville elle-même afin de se préparer. Aussi tentant qu’il était de se précipiter dans les égouts pour y chercher les Aranea, il devait penser à sa propre sécurité avant tout. Les Aranea pouvaient être sauvées lors d’une boucle future mais s’il se faisait capturer par Robe Rouge, tout serait perdu. Il devrait attendre une demi-heure pour remplir ses réserves de mana afin d’être capable de se défendre dans les souterrains alors il en profita pour se mettre à la recherche d’un magasin vendant de l’équipement, à défaut d’avoir le temps de se faire le sien en personne.

Trouver un tel magasin à Cyoria n’était pas si difficile. Malheureusement, leur choix de baguettes magiques achetables en toute légalité était vraiment ridicule. Il acheta un bracelet bouclier et une baguette de missiles magiques mais ne put mettre la main sur tout ce qui nécessitait un permis.

— J’ai horreur de parler comme un tueur en série ou quelque chose du genre, mais n’avez-vous pas quelque chose de plus… létal, dans vos rayons ? demanda Zorian impatiemment.

— Eh bien, évidemment mais je ne peux pas vraiment vous le vendre sans me créer de problèmes, n’est-ce pas ? répondit le marchand avec un sourire radieux, pas du tout dérangé par la question. La guilde des mages surveille de très près le stock de baguettes et d’armes dangereuses et je ne veux pas avoir d’histoires pour une poignée de pièces. Désolé.

Il regarda ensuite Zorian d’un air sournois.

— Mais vous savez, si c’est de la létalité que vous cherchez, puis-je vous suggérer un choix un peu moins… orthodoxe ? lui demanda-t-il en regardant à droite et à gauche pour vérifier que personne n’écoutait.

Il sortit de derrière son comptoir une boîte en bois toute simple. Cérémonieusement, il souleva le couvercle et en montra le contenu à Zorian.

Zorian, qui regarda ce contenu pendant quelques secondes en y réfléchissant. C’était effectivement peu orthodoxe, oui, mais…

— Je prends, décida-t-il.

Le marchand lui adressa un sourire entendu et établit une facture.

 

___

 

Il savait que quelque chose n’allait pas au moment où il s’était approché du camp sans se faire intercepter par les sentinelles. Il aurait déjà dû l’être, spécialement parce qu’il gonflait délibérément sa présence télépathique pour être aussi visible qu’il pouvait l’espérer. Personne ne vint le confronter et personne ne répondit à ses salutations vocales. C’était stressant et comme Zorian avançait vers le campement, un courant de terreur inonda son esprit.

Était-il déjà trop tard ? Mais il était venu aussi rapidement qu’il était raisonnablement possible de le faire !

Il finit par rencontrer une Aranea au bout de quelques minutes, suivie d’une autre 30 secondes plus tard. Mortes, toutes deux. Il n’y avait aucun signe de blessure physique, ni sur les cadavres ni sur l’environnement et il ne détectait aucun résidu magique pouvant indiquer un combat récent. Tout ça avait l’air, de façon trop perturbante, de la scène suivant l’attaque de Robe Rouge lors de la boucle précédente, les dégâts environnementaux en moins. Il lança rapidement trois sorts protecteurs sur lui-même : un pour contrer les divinations, l’invisibilité qui était de mise et un sort servant à augmenter ses résistances naturelles à la magie. Il ne savait pas ce qu’étaient ces sorts violets mais ils avaient l’air de sorts à effet direct plutôt que simples projections alors la résistance à la magie devait fonctionner. Finalement, il sortit un foulard qu’il avait acheté à la surface pour cette occasion précise et l’enroula autour de sa tête pour masquer son identité. Il était invisible, oui, mais ça changerait au moment même où il lancerait un sort et ce n’était pas une méthode de camouflage très fiable.

Il s’avança ensuite plus profondément dans le camp, à proprement parler.

C’était un cimetière. Où que se posaient ses yeux se trouvaient des Aranea mortes, silencieuses et immobiles, les pattes recroquevillées vers l’intérieur et les yeux vitreux perdus dans le vide. Le plus terrifiant était sans doute l’absence du moindre signe de lutte, nulle part – pas de dégât de sort, pas de concentration de mana résiduelle ou de groupes de corps emplies comme si les défenseurs avaient tenté de retarder l’attaquant. En fait, la plupart des Aranea semblaient avoir simplement rendu l’âme au beau milieu d’une scène quotidienne et banale, certaines se nourrissant d’un rat et d’autres sculptant leur toile.

Après 30 minutes à tenter d’emboîter les pièces du puzzle, Zorian fut tenté d’en conclure que le troisième voyageur avait simplement utilisé un rituel de zone – de très grande zone – qui répliquait les effets de ce rayon violet afin de tuer tout le monde d’un seul coup, avant même que les Aranea réalisassent ce qu’il se passait. Le problème, cependant, résidait dans le fait que toutes les Aranea n’étaient pas mortes. Certains mâles avaient survécu alors que l’hypothétique sort de zone avait annihilé toutes les femelles et la moitié des mâles. Se dire qu’ils étaient simplement hors du camp quand l’attaque avait eu lieu n’était absolument pas pertinent – les gardes qu’il avait croisées à l’entrée du camp étaient également mortes et elles étaient relativement éloignée du cœur du camp.

Après avoir capturé plusieurs mâles et avoir plongé dans leurs esprits, il commençait à réaliser quelque chose. Tous les mâles capturés lui semblaient… familiers. Il avait déjà scruté l’esprit de ces créatures avant ça, c’était certain. Il l’avait fait dans la boucle précédente, à la recherche du message de la matriarche.

Non. C’était impossible ! Les Aranea n’étaient pas des voyageurs temporels, alors comment aurai –

Un sifflement vibrant accompagné d’un éclair de lumière annonça l’ouverture d’un portail magique et il se tourna immédiatement pour se confronter au nouvel arrivant. En tout espoir, ce pourrait être Zach et –

Bien sûr que ce n’était pas Zach. Bien entendu. Pourquoi les choses ne pouvaient-elles jamais être faciles ?

Pendant deux secondes, Zorian et Robe Rouge se fixèrent en silence, tous deux surpris. Le troisième voyageur portait la tenue que Zorian lui connaissait – une cape rouge sang qui couvrait chaque partie de son corps et entouré d’un sort qui laissait les quelques morceaux de peau, comme le visage, dissimulés derrière un voile de ténèbres. Zorian était techniquement invisible et l’autre mage n’aurait pas dû être capable de le voir mais il savait à sa façon de regarder droit dans sa direction sans bouger que le sort d’invisibilité n’avait aucun effet sur lui.

Ce moment d’immobilisme fut brisé au moment où Robe Rouge sortit une baguette d’un mouvement ample et familier et tira une salve de cinq missiles magiques vers Zorian. Pris au dépourvu, ce dernier ne put qu’encaisser le coup grâce à son bracelet qui érigea un bouclier devant lui. Heureusement, il tint bon mais il savait qu’il n’allait pas gagner un combat contre un type qui avait défoncé Zach. Il parvint à lancer un sort de désintégration sur le sol de la grotte entre lui et son adversaire, donnant naissance à des nuages de poussière et de fumée dans les airs et les utilisa pour couvrir sa fuite.

Il courut.

 

___

 

Il n’alla pas bien loin.

— Tu te protèges des divinations, lança Robe Rouge de sa voix distordue. Bien. Au moins, tu es plus malin que cet idiot de Zach. Tu y crois ? Même après toutes ces dizaines d’années dans cette boucle temporelle, il n’a toujours pas appris à se cacher des sorts de recherche les plus enfantins ! Toi, d’un autre côté, tu y es depuis combien de temps ? Trois, quatre ans ? Et tu parviens déjà à échapper à ma perception de l’âme.

Zorian n’y répondit rien, préférant s’enfoncer plus profondément dans la fissure dans laquelle il se cachait et se torturant le cerveau pour tenter de trouver un moyen pour lui échapper. Heureusement que Kael lui avait appris à masquer sa présence face à une perception de l’âme, parce que Robe Rouge était apparemment un putain de nécromancien !

Il était heureux qu’il eût deviné comment l’autre mage l’avait aperçu sous son sort d’invisibilité, ou il serait déjà mort à l’heure qu’il était.

— Elles sont définitivement mortes, si tu te posais la question, continua Robe Rouge, qui semblait ne pas être capable de localiser Zorian avec précision mais tout en sachant qu’il n’était pas loin – et il se rapprochait. Quand je les ai tuées à la fin de la réinitialisation précédente, je n’ai pas uniquement tué leurs corps. Peu importe combien de recommencements se succèderont, ces Aranea commenceront toujours mortes, leur corps présent mais leur âme évaporée pour de bon. La magie de l’âme est fascinante, n’est-ce pas ?

Même si l’avait suspecté, Zorian sentit son cœur faire un bon à cette révélation. Les Aranea… étaient mortes pour toujours ? C’était… Il sentit un ouragan de colère se former tout au fond de lui, accompagné par un torrent de culpabilité et se força à grand mal à les réprimer. Ce n’était pas encore le moment. Il y aurait un temps pour le regret et la culpabilité, mais pour l’heure, il devait s’assurer que ce temps viendrait.

— Mais je ne suis pas aussi violent et irresponsable que j’y parais, tu sais ? se mit à converser Robe Rouge. Si tu me donnes le nom des autres personnes que les Aranea ont amenées dans la boucle temporelle, je te promets de te laisser en paix, tant que tu ne te mets pas sur mon chemin. Je pourrais même t’apprendre une ou deux choses.

Zorian cligna des yeux. C’était pour ça que Robe Rouge n’avait pas simplement inondé la salle de balle d’un déluge de feu, sort auquel seul Zach aurait survécu ? Parce qu’il pensait qu’il existait d’autres voyageurs temporels ? Huh. Oui. C’était une conclusion raisonnable : la matriarche l’avait dit tel quel à Zach, après tout, et Robe Rouge avait tiré ses informations directement de Zach.

Soudain, l’ennemi s’élança en avant et l’attrapa par la chemise. Avant que Zorian put faire quoi que ce fut d’autre, il fut écrasé contre le mur de pierre irrégulier à plusieurs reprises, faisant apparaître des étoiles devant ses yeux et le forçant à lutter pour ne pas sombrer plus loin que dans une demi-inconscience dans laquelle il se trouvait déjà. Il tenta de se libérer mais n’avait jamais été particulièrement doué dans les arts physiques et la force de Robe Rouge était simplement surhumaine et incompréhensible par rapport à sa taille et sa carrure.

— Combien de voyageurs ? répéta Robe Robe sur un ton menaçant, laissant tomber toute prétention amicale et polie.

Quelqu’un d’autre aurait pu être tenté de mentir mais Zorian savait qu’il valait mieux se taire. On pouvait tirer des conclusions de mensonges ou de demi-vérités. On ne pouvait pas utiliser la divination sur un silence.

— Oh, ok, comme tu veux, soupira Red Robe dramatiquement. Je suppose que je vais simplement l’arracher de ton esprit comme je l’ai fait avec Zach. Peu importe ce que ces insectes arrogants t’ont dit, elles ne sont pas les seules capables de magie mentale.

Zorian sentit qu’il tentait de se connecter à son esprit mais réalisa aussitôt que la tentative était absurdement simple et ridicule. Elle était infiniment suffisante pour percer l’esprit d’un civil, mais Zorian… n’était pas un civil. Il était meilleur que lui, et de loin, il le savait. Peu désireux de laisser cette erreur de jugement de son adversaire se terminer inutilement, il s’agrippa immédiatement au lien mental et balaya l’attaque télépathique de Robe Rouge avant de contrattaquer en envahissant son esprit. Conscient qu’il n’avait aucune expérience avec les attaques subtiles, il se mit à bombarder sa cible d’une succession chaotique de hurlements télépathiques. Robe Rouge eut un mouvement de recul et tenta de mettre fin à la connexion à laquelle Zorian s’agrippait bien trop puissamment. Après avoir échoué, il grimaça et tenta de se saisir d’une baguette mais l’attaque de Zorian provoqua un spasme dans sa main qui fit glisser l’arme d’entre ses doigts.

Après plusieurs secondes, Zorian réalisa que si l’autre mage ne lui arrivait pas à la cheville en matière de combat télépathique, il n’était pas sans défenses nonobstant. Il ne pouvait pas surcharger Robe Rouge mentalement et au moment où sa concentration faiblirait, son ennemi en profiterait pour mettre fin à la connexion et le massacrer jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de lui dans le monde physique. Il tenta d’envoyer des ordres aux membres de Robe Rouge par le biais de son esprit pour lui faire lâcher prise afin de fuir mais la main qui le maintenait immobile resta résolument serrée autour de son cou.

Eh bien, parfait. Zorian porta la main à sa ceinture et en tira le revolver qu’il avait acheté chez le marchand, vidant le barillet entier dans le torse de Robe Rouge à bout touchant.

Zorian perdit sa concentration à la suite de la détonation, qui même s’il s’y attendait, le surprit. Mais comme les deux premières balles percutèrent le torse de Robe Rouge, ce dernier érigea un aegis de dernière seconde à même sa peau et les quatre autres balles s’y écrasèrent inutilement. Cela dit, les dégâts étaient là et deux balles avaient atteint leur objectif, passant à travers toute protection que la robe pouvait posséder. Le sang coulait.

Zorian profita du contrecoup du choc et de la surprise pour fuir, espérant que les blessures fraîches de Robe Rouge allaient le dissuader de le suivre. L’absence de bruits de pas à ses trousses lui affirma qu’il avait vu juste.

Cela dit, un rayon désintégrateur manqua sa tête de près et lui annonça également que l’ennemi n’était pas encore hors de combat.

— Tu m’as tiré dessus, putain ! hurla hystériquement Robe Robe derrière lui. Quel genre de mage utilise un flingue ?!

Zorian ne lui accorda pas l’honneur d’une réponse et choisit de continuer à courir. L’idée de simplement activer ses bombes, les seuls objets qu’il avait pris le temps de fabriquer lui-même, et de se suicider lui traversa l’esprit mais il réalisa aussitôt que ce serait une horrible fin : Robe Rouge était un nécromancien, le suicide n’allait pas le protéger, pas de la façon dont il l’espérait. Ce n’était pas comme si la boucle allait prendre fin s’il mourrait – il n’était pas Zach.

Non, il devait trouver un moyen d’en finir avec la vie tout en s’assurant que Robe rouge ne pourrait pas récupérer son corps après coup. Il réfléchit pendant quelques secondes et accéda à la carte que la matriarche avait laissée pour lui et qu’il possédait désormais dans son esprit, à la recherche de… Là ! Ce tunnel conduisait à un puits vertical au fond duquel se trouvait un lac marqué comme étant Dangereux. Ce qui signifiait très probablement que quelque chose vivait là, une chose prête à dévorer quiconque s’aventurerait dans ces eaux. Son corps serait probablement annihilé bien avant que Robe Rouge n’y parvienne.

Il esquiva de peu les deux sorts suivants, Robe Rouge sur ses talons, pas aussi handicapé par ses blessures qu’il aurait dû l’être. Il lui avait tiré dans la poitrine, bordel ! Deux fois ! Qu’avait-il donc fait pour obtenir ce genre de résistance ?! Une espèce de rituel interdit, peut-être ?

Robe Rouge sembla finalement perdre patience et inonda le tunnel entier d’une lumière bleue électrique dans un vortex qui paralysa aussitôt les muscles de Zorian et noya son esprit dans un océan de douleur. Mais c’était déjà trop tard, Zorian venait d’enjamber le vide du puits qui déboulait bien plus bas sur le lac géant, et l’inertie fit le reste.

Zorian chuta et se surprit à trouver amusant le fait qu’il faisait de son mieux pour se suicider alors que son ennemi tentait par tous les moyens de l’en empêcher. Il allait se faire dévorer… Il eut malgré tout la présence d’esprit d’activer les bombes juste avant de toucher la surface de l’eau, et son monde se termina dans la lumière et la douleur.

 

Fin de l’arc 1.

 

Raka
Les derniers articles par Raka (tout voir)
MoL : Chapitre 25
MoL : Chapitre 27

Related Posts

15 thoughts on “MoL : Chapitre 26

    1. Buzou on pense à toi Raka
      Merci de faire de si belles traductions pour notre plaisir égoïste, je n’ai trouvé aucune erreur. N’hésite pas à te reposer si ça te prend trop de temps T^T

Répondre à Coco Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Social Media Auto Publish Powered By : XYZScripts.com