MoL : Chapitre 34
MoL : chapitre 36

Chapitre 35 – Des erreurs ont été commises.

 

Le commencement du mois est toujours le moment le plus ennuyant, songea calmement Zorian, debout sur l’un des quais de Cirin.

Il sortit une montre de sa poche et l’inspecta quelques instants avant de la ranger dans un soupir. Le train était en retard. Le train était toujours en retard, parce que c’était un fait qui avait lieu moins d’un jour après le début de la boucle et rien de très important ne s’écoulait vraiment avant, pas au point de créer une divergence de cet ordre.

C’est dans des moments comme celui-là qu’il se demandait pourquoi il s’embêtait simplement à passer par cette mascarade à chaque début de mois alors qu’il pouvait simplement se téléporter hors de sa chambre et en avoir fini. Ça lui permettrait de gagner des heures de frustration et il savait pour l’avoir déjà fait que personne ne lançait de chasse à l’homme s’il le faisait. Il gagnerait techniquement une demi-journée à chaque recommencement – ce qui finirait par s’additionner et signifier rapidement quelque chose, n’est-ce pas ?

Mais, comme elles le faisaient à chaque fois qu’il songeait à cette option, ses pensées dérivèrent vers Kirielle et leur mère, et il se demanda quelle serait leur réaction dans un tel cas. Il ne les avait jamais épiées lorsqu’il fuyait la maison à la première opportunité mais il ne pouvait imaginer que l’une ou l’autre l’eût bien pris. Il se n’entendait pas si bien avec sa mère mais il savait qu’elle tenait à lui à sa propre façon exaspérante, quant à Kirielle…

Il regarda vers sa petite sœur qui se tenait à quelque distance de lui, l’air maussade. Le mauvais côté de l’amélioration de ses capacités empathiques ? Eh bien, il savait à quel point elle était dévastée de ne pas pouvoir l’accompagner à Cyoria. Si juste ça était si énervant, il ne pouvait concevoir comment elle réagirait s’il se téléportait immédiatement après l’avoir chassée de sa chambre. Il ne pouvait clairement pas se résoudre à faire ça, peu importe à quel point ce choix était le plus sensé. Il se sentait déjà assez coupable dans la situation actuelle.

Il s’approcha d’elle et lui ébouriffa les cheveux, ce qui la fit sortir momentanément de son désarroi pour lui claquer la main avant de le regarder d’un œil brûlant. Enfin… Ce qu’elle imaginait être un regard brûlant.

— Ne sois pas si triste, Kiri, dit-il, sans obtenir d’autre réponse que le pic de colère et de ressentiment qui émana d’elle.

Bordel…

— Écoute, ajouta-t-il. Je t’emmènerai avec moi la prochaine fois que je vais à Cyoria, d’accord ?

Son regard passa de colère à perplexité en l’espace d’une demi-seconde, puis son esprit tenta de mettre une logique derrière ce qu’il venait de lui dire. Elle finit par tourner la tête et bouder. Pendant un moment, Zorian pensa qu’elle ne répondrait plus mais lorsque sa girouette d’esprit cessa de faire des vas-et-viens entre différentes émotions, elle s’arrêta sur un léger espoir enfoui.

— Promis ? finit-elle par marmonner au bout de quelques secondes.

— Oui, répondit son frère sérieusement. Je te le promets.

Quelque part en lui, Zorian réalisa qu’il le pensait sérieusement. Quand il déciderait finalement de retourner à Cyoria, il prendrait Kirielle avec lui. Ce n’était pas le moins du monde sensé – il lui coûterait un temps considérable pour s’occuper d’elle et elle serait en bien plus grand danger que s’il la laissait derrière lui – mais il le ferait malgré tout. Pas uniquement pour le bien de sa sœur, d’ailleurs. Vivre chez Imaya commençait à lui manquer, avec Kirielle, Kael et Kana…

Il dut reculer pour ne pas perdre l’équilibre lorsque Kirielle lui fonça dessus, le serra de ses petits bras et enfouit son visage contre son estomac.

— T’as intérêt à pas mentir, dit-elle en levant les yeux d’un air suspicieux, les yeux plissés. Je ne te pardonnerai jamais !

— Ouais, ouais, pouffa Zorian en lui tirant sur le nez jusqu’à ce qu’elle le lachât.

Un sifflement bruyant déchira l’air, le train était finalement arrivé à la gare.

— Je dois y aller maintenant. On en reparle quand je rentre.

Quinze minutes plus tard, Zorian regardait une Kirielle bien plus heureuse qui agitait la main avec enthousiasme tandis que le train quittait la gare. Zorian lui répondit par un signe de la main bien plus timide et un sourire. Peut-être que ça n’avait pas été la plus sage des décisions, mais il avait le sentiment que c’était la bonne malgré tout.

 

___

 

Zorian passa l’entièreté du voyage en train vers Teshingrad à tendre de compter les passagers en ne se servant que de son sens spirituel – un comportement étonnamment difficile à cause de la barrière anti-façonnage placée sur les lieux. Tout en n’était pas totalement capable de l’empêcher de ressentir les esprits, le bruit statique mineur produit par la barrière s’intensifiait rapidement avec l’éloignement, réduisant avec efficacité sa portée réelle de moitié. C’était une sensation étrangement semblable à celle provoquée par le bruit de fond dans le Donjon, qui provoquait plus ou moins le même effet.

Hmm… Maintenant qu’il y pensait, c’était probablement ce qui avait inspiré cette barrière pour commencer. Cela signifiait-il que pratiquer la magie à l’intérieur du train l’entraînerait à filtrer les nuisances du Donjon ? Une chose à garder à l’esprit, en tous les cas. Créer une série de barrière de plus en plus puissantes afin de s’y entraîner avait l’air d’une bien meilleure idée que l’était son plan original – qui consistait principalement à tenter de forcer les choses en se téléportant dans le Donjon jusqu’à y arriver.

Une fois débarqué, Zorian se téléporta à Knyazov Dveri et descendit immédiatement dans le Donjon local, où il se fit un devoir d’assembler chaque morceau de mana cristallisé dont il connaissait l’emplacement, toutes ces veines qu’il avait découvertes lors de la boucle précédente, avant la rencontre fatale avec l’œil bestial. Lorsqu’il tenta de les revendre dans le village des explorateurs, au sein même de la boutique qu’il avait choisie pour ça, il rencontra quelques… problèmes.

Apparemment, il y avait une énorme différence entre descendre dans le Donjon de temps en temps et en remonter avec quelques cristaux de mana – ce qu’il avait fait durant sa dernière session – et faire l’aller-retour en quelques heures à peine avec un sac plein. Non seulement le marchand n’avait-il pas suffisamment de liquidités pour tout lui acheter mais le fait que Zorian eût trouvé tant de richesses après une seule et première descente si rapide créa bien plus d’émoi que ce à quoi il s’attendait. Après tout, vous ne réussissiez pas ce genre d’exploit sans disposer d’une méthode secrète plus efficace que la chance de tout un chacun ou il fallait l’être vraiment assez pour toucher un tel gros lot. L’une ou l’autre possibilité faisait automatiquement de lui une personne digne du plus grand intérêt pour absolument tous les chasseurs de trésors de Knyazov Dveri, ainsi que de quelques autres personnes.

Toute sorte de plan qu’il avait prévu de mener à bien pour ce début de mois fut instantanément broyé et brûlé. Il avait bien trop attiré l’attention sur lui, ce qui rendait impossible toute tâche discrète et toute discussion anonyme. Ses barrières anti-divinations passèrent un test intensif sous les tentatives d’espionnages dont il fut sans cesse victime depuis, et tandis que Zorian pensait qu’elles tenaient admirablement le coup face aux assauts inconnus à répétition, il ne pouvait en être parfaitement formel. Un espion particulièrement entreprenant peignit des formules sur des mites vivantes pour les changer en des enregistreurs vocaux ambulants et semi-autonomes – si Zorian n’avait pas tenter de les chasser par télépathie et trouvé curieux qu’elles reviennent sans cesse vers lui, il n’aurait sans doute jamais repéré ces petites infiltrées. Combien d’autres avaient pu faire de telles choses sans qu’il le remarque ?

Bien sûr, tout le monde ne tentait pas de jouer du masque et de la dague dans la nuit. Un certain nombre de personnes vinrent simplement lui demander de discuter de leurs offres incroyables et qu’en savait-il d’autre, et quelques-uns prirent son non, merci pour ce qu’il était, calmement. Au moins un groupe l’attaqua directement quand il les envoya paître, bien que fort heureusement, ils n’étaient pas vraiment taillés pour ça et prirent la poudre d’escampette plutôt facilement. Un autre avait aussi tenté de rentrer dans sa chambre illégalement, essai qui se termina en un voleur en devenir fortement électrisé et une rude discussion avec la police sur des mesures de sécurité un peu trop létales.

Finalement, après une semaine à esquiver tentatives de recrutement excessifs et autres sorts dirigés vers lui, Zorian décida de s’avouer vaincu et de quitter la ville. Il avait échoué à sauver l’alchimiste et le prêtre de toutes façons à cause de tous ces yeux sous lesquels il croulait et il avait peu de raisons de rester en ville. En fait, il avait même toutes les raisons d’en partir. Il rassembla simplement ses affaires, incluant un lot d’énormes cristaux de mana qu’il n’avait jamais réussi à vendre, et se téléporta aussi loin au sud qu’il pouvait le faire.

Vivre et apprendre, supposa-t-il. La prochaine fois qu’il utiliserait cette astuce, il irait vendre son stock en-dehors de Knyazov Dveri et probablement pas tout d’un coup. Il était plus malin de se rendre à Korsa et Eldemar car elles étaient de grandes villes et voyaient certainement plus de trafic quotidien en matière de cristaux de mana, en plus de posséder plus de boutiques. Cyoria aurait été encore plus pertinente sur ce point mais il ne le ferait que lorsqu’il serait prêt à s’y rendre pour de bon – non seulement était-elle grande mais elle était surtout le centre magique du continent entier.

Mais peu importait, le mois en cours n’était pas encore totalement perdu. Il y avait tant et plus de choses à faire hors de Knyazov Dveri. Par exemple, trouver les Toiles Aranea avec lesquelles faire du commerce. Il savait qu’elles existaient un peu partout sur le continent mais à part celle qui s’était fait détruire sous Cyoria, il ne connaissait pas la localisation exacte des autres. Même s’il n’était pas encore prêt à les confronter dans l’immédiat, il ne lui ferait aucun mal de passer un mois ou deux à tenter d’en trouver la position exacte, autant de Toiles qu’il pourrait en découvrir, ainsi que définir le niveau de neutralité ou d’amitié dont chacune était disposée à faire preuve. Si Lance de Résolution devait avoir dit vrai, les autres seraient peu enclines à l’attaquer uniquement parce qu’ils les auraient contactées. Les Aranea modernes étaient les descendantes d’Aranea qui avaient obtenu ce qu’elle avait en faisant du commerce avec les humains, après tout, et la plupart devaient être au moins moyennement réceptives à l’idée de recommencer.

Nouveau but en tête, Zorian se téléporta à Eldemar, la capitale du royaume, afin de rendre visite à la bibliothèque de la Société des Cartographes. Aussi loin qu’allaient les collections de cartes, la leur était sans égale et étonnamment gratuite à la consultation – tant que vous ne détruisiez rien, vous ne deviez payer que les cartes dont vous désiriez une copie. Zorian avait passé plusieurs jours en ces lieux la dernière fois qu’il avait parcouru la capitale, parcourant les étagères sans but, consultant uniquement les cartes qui attiraient son attention, et avait juré qu’il y reviendrait dès qu’il en aurait le temps. Le cas actuel semblait être une raison aussi bonne qu’une autre.

— J’espère vraiment que ce n’est pas sur l’une de nos cartes que vous êtes en train d’écrire, jeune homme, lui lança une voix au-dessus de l’épaule. Pour autant que notre bibliothèque est concernée, ce serait vu comme de la destruction de notre propriété.

Zorian bondit de surprise en entendant la voix surgir sans qu’il s’y attende, trop absorbé par sa recherche pour remarquer le bibliothécaire qui venait de s’approcher de lui. Il regarda la carte devant lui, lourdement annotée et luttant pour le peu d’espace du bureau avec plusieurs piles de cartes, de journaux de voyage et d’atlas avant de tourner son attention vers le vieux bibliothécaire barbu derrière lui.

— Bien sûr que non, dit-il à l’homme. C’est la carte d’Eldemar la moins coûteuse que j’ai pu trouver dans une boutique en chemin.

— Hmm. Cela vous gênerait-il si je jetais un œil sur ce sur quoi vous travaillez ? Il est rare de voir un si jeune homme en ces lieux, si profondément absorbé dans sa recherche.

— Je tente de trouver une colonie Aranea, avoua Zorian, ne trouvant nul besoin de mentir.

— Et ce sont… ?

— Des araignées magiques qui parlent.

— Ah. Cela me semble un projet fort intéressant, affirma le vieux bibliothécaire. Je vous en laisse le soin. En tant que conseil amical, je puis vous dire qu’il aurait probablement été plus rentable de laisser la bibliothèque vous fournir des copies des cartes que vous avez achetées. La Société des Cartographes n’est pas une entreprise à but lucratif et nous tentons de garder les prix le plus bas possible.

— Je garderai ça à l’esprit, dit Zorian. Dites, puisqu’on parle de copies… Pensez-vous que je puisse apprendre la façon de copier des documents tels que ceux-là ? Ou est-ce une espèce de secret ?

— Ce n’est pas un secret, affirma le vieil homme. La politique officielle de la Société décrète que les cartes doivent être aussi disséminées que possible, et nous ne possédons pas de monopole sur ce type de magie.

— Oh, bien, dit Zorian.

Il connaissait quelques moyens de copier des documents par magie, mais ils se basaient sur l’animation d’instruments afin d’en transcrire le contenu. C’était une méthode qui ne fonctionnait pas du tout sur le contenu non-textuel et se révélait lent même pour les travaux écrits. Celui utilisé par la Société des Cartographes créait des duplications parfaites de toute carte, jusqu’à chaque détail et ombrage, d’un seul et unique sort.

— Cela signifie-t-il que vous pouvez m’enseigner comment lancer ce sort ?

— J’ai peur qu’il ne s’agisse pas là d’un service offert par la bibliothèque. Cependant, si vous rendez visite aux bureaux principaux de la Société, vous pourrez vous inscrire à des cours de base concernant la magie relative aux cartes, à la cartographie, à la recherche… comme vous le faites actuellement, précisa le bibliothécaire. Les prix sont très abordables et ça vous aiderait sans doute dans votre quête des Aranea également.

Zorian arbora un air pensif.

— Je suppose que je vais y jeter un œil, dit-il.

Il n’était certainement pas à court d’argent grâce à son pillage du donjon du début du mois et il allait passer quelques jours à Eldemar d’une manière ou d’une autre.

Le bibliothécaire quitta bientôt Zorian pour le laisser à ses propres affaires et ce dernier observa la carte devant lui. Il n’avait encore rien de concret mais il y avait plusieurs endroits susceptibles d’abriter une Toile Aranea. Korsa, Janik, Godz et Padina étaient toutes de grandes villes avec un accès à une partie locale du Donjon et étaient facile à joindre depuis Cyoria, la source de l’expansion Aranea. L’une d’elles étaient assurée de posséder au moins une tribu à proximité et elles pourraient même être assez avenantes pour lui céder la localisation d’autres Toiles s’il demandait gentiment – ou les achetait assez cher. Korsa était particulièrement attractive sur ce point, la ville possédant une grande industrie textile comprenant une entreprise particulière qui vendait des vêtements faits de toile d’araignée. Ils obtenaient la plupart de leurs matériaux de base de Cyoria – peu surprenant puisque la ville possédait elle aussi un commerce du textile extensif – mais au moins une partie était récoltée localement… d’une espèce arachnide géante et presque inoffensive native de la région.

Ouais. Totalement pas une colonie Aranea.

Zorian laissa une petite note dans son calepin afin de penser à traquer chaque endroit qui produisait de la soie en quantité notable et décida d’arrêter les recherches pour la journée.

 

___

 

Zorian passa cinq jours à Eldemar, bien qu’en toute honnêteté, il eût trouvé tout ce qu’il pouvait sur les sites Aranea potentiels en trois jours à peine. Les deux jours suivants furent principalement utiles à des fins de relaxation, et pour lui permettre de se préparer mentalement pour ce qui allait suivre. L’idée d’une rencontre imminente avec un autre groupe Aranea le laissait déprimé et lui rappelait par trop ce qui était arrivé au groupe précédent, celui avec lequel il avait vécu toutes ces aventures sous Cyoria, et ce n’était pas exactement un état d’esprit acceptable lorsqu’on allait à la rencontre de télépathes. Il fit de son mieux pour se reprendre en main en faisant un peu de tourisme dans la capitale et en farfouillant dans diverses boutiques magiques qu’il croisait.

Il ne fit que farfouiller, cela dit, et n’acheta rien – Eldemar était un endroit où la vie était extrêmement chère, trouvait-il. Tout, de la chambre qu’il louait jusqu’aux prix dans les magasins, était hors de prix par rapport à tous les endroits dans lesquels Zorian avait séjourné. La qualité a un prix, lui assuraient les marchands. Quelle montagne de conneries. Il suspectait le citoyen moyen d’Eldemar d’être simplement plus riche que partout ailleurs dans le pays et pouvaient ainsi payer plus. Le grand nombre de théâtres, de musées et de scènes musicales indiquaient certainement que les habitants avaient en effet de quoi dépenser.

Ceci mis à part, la ville était agréable. En ordre. Le quartier royal était muré et hors-limites pour des invités comme lui mais cela ne signifiait pas que le gouvernement laissait le reste de la cité hors de la bulle. Zorian ne put trouver aucun bidonville évident – tous les bâtiments étaient entretenus et les rues très propres. La police patrouillait partout et furent même rejoints par un petit groupe d’hommes armés à un certain point.

Demandant alentour, il découvrit que la sécurité était toujours aussi élevée. Eldemar avait été une des cibles favorites des saboteurs durant les Guerres de Fractionnement, au moins l’un d’entre eux parvint à mettre la ville à feu et à sang. Les flammes consumèrent de nombreux bâtiments importants, y compris les deux académies de magie d’Eldemar et sa bibliothèque centrale. Le temps que la ville eût retrouve son équilibre après reconstruction, la plupart des mages et leurs dépendances avaient déjà migré vers Cyoria, cimentant sa montée en puissance en tant que nexus magique du continent. Les citoyens d’Eldemar semblaient toujours aigris à ce propos et arboraient un ressentiment décent quant à cette partie de leur histoire. Dans tous les cas, la sécurité avait été immensément renforcée suite aux ravages du feu et n’avait jamais réellement été révoquée par la suite. Même les souterrains locaux furent méthodiquement purgés et rebâtis en quelque chose de plus facilement gérable. L’exploration du Donjon était interdite dans les limites de la ville – au lieu de ça, la famille royale envoyait l’armée dans les profondeurs plusieurs fois l’année pour y nettoyer tout ce qui aurait pu s’avérer dangereux.

Techniquement, il pouvait barrer Eldemar de la liste des candidats possible aux Aranea. Si l’une d’entre elle avait existé, elle avait déjà certainement été éradiquée ou chassée, à ce moment. Ça aidait également à expliquer pourquoi l’envahisseur ciblait Cyoria au lieu de la vraie capitale, quand bien même Eldemar abritait le palais royal, la salle du trésor de la famille royale et les bâtiments officiels du gouvernement – ces cibles étaient bien plus judicieuses si l’on comptait faire s’effondrer ou déstabiliser le continent. La ville était trop bien gardée pour une attaque de grande ampleur de ce genre, à moins de ne pas vouloir bénéficier de l’effet de surprise.

Il finit par suivre les cours offerts par la Société des Cartographes. Plus précisément, il paya un supplément pour obtenir un instructeur personnel capable de lui donner des leçons particulières, ce qui pouvait lui faire gagner du temps. Zorian fut agréablement surprise par le mage qu’ils lui envoyèrent en réponse – le jeune homme qui lui était assigné était poli et direct dans ses méthodes d’enseignement. Un retour bienvenu de la malchance habituelle de Zorian en ce qui concernait les professeurs. Il ne participa qu’à trois session avec lui et ce fut suffisant pour obtenir une pléthore de sort de cartographie, tous ne traitant pas avec les cartes classiques en papier. Le favori de Zorian était un sort qui créait une réplique miniature illusoire des environs du lanceur sur sa paume – il s’était bien amusé à lancer ça.

Il était tentant de passer le reste du mois à simplement errer un peu, s’amuser avec les cartes et visiter quelques curiosités dans la capitale mais il n’en fit rien. Il avait une tâche à accomplir, et une limite de temps invisible l’attendait quelque part, loin devant. Au bout du cinquième jour, il rassembla ses affaires et prit départ pour Korsa afin de dénicher les Aranea.

 

___

 

Korsa était une grande ville – la troisième plus grande du royaume, pour être précis, juste après Cyoria et Eldemar. Même si Zorian était certain que les Aranea fussent là quelque part, il savait qu’il lui faudrait des éons pour les trouver s’il les cherchait en explorant le Donjon local et il ne s’y essaya même pas. Il approcha plutôt le fabricant de textiles qui produisait des articles à base de soie d’araignée et lui demanda directement où trouver les Aranea.

L’homme refusa de répondre, prétendant qu’il n’avait aucune idée de ce dont parlait Zorian et le jeta dehors, lui demandant de ne plus remettre les pieds dans sa boutique. Dur. Pourtant, Zorian ne s’était jamais attendu à obtenir satisfaction avec une telle requête. Il voulait simplement que l’homme informe ses partenaires Aranea qu’un étrange garçon venait d’arriver en ville et posait des questions à leur sujet. Si les Aranea locales étaient un tantinet identiques à celles de Cyoria, il attirerait leur attention en un éclair. Il n’aurait même pas à les chercher parce qu’elles le chercheraient avant.

Il fallut moins de deux jours aux Aranea pour le traquer et le trouver.

Il était tard dans la soirée, le lendemain de son arrivée à Korsa ; Zorian sentit une signature Aranea entrer dans son rayon de détection. Considérant qu’il était actuellement assis sur une petite colline juste hors de la ville et entourée par beaucoup d’herbe et de champs et rien de grande importance à part ça, il se sentait confiant : elle était là pour lui.

[Salutations,] envoya Zorian par télépathie. [Je m’appelle Zorian Kazinski. Je suis venu pour vous proposer un marché.]

Les esprits Aranea étaient toujours aussi étranges pour lui et il ne reconnaissait pas leurs émotions avec facilité, mais il était certain qu’il avait réussi à la choquer par ce premier contact.

[Êtes-vous Ouvert ?] demanda l’Aranea après quelques secondes.

[Oui,] confirma Zorian. Il décida de ne pas faire mention les Aranea de Cyoria et des relations qu’il avait entretenues avec elles pour l’instant – pour tout ce qu’il en savait, les Aranea étaient des ennemies mortelles entre tribus. [Puis-je savoir à qui j’ai affaire ?]

[Je m’appelle… Chercheuse des Huit Voies Universelles, de la Toile des Plonge-Lames,] envoya l’Aranea. [Vous pouvez m’appeler Chercheuse.]

[Chercheuse, très bien. Je voudrais commencer par présenter mes excuses pour la façon dont j’ai attiré votre attention mais je ne savais pas comment vous contacter sinon. J’espère que je n’ai pas causé trop de problèmes,] expliqua Zorian. [J’espère que nous pourrons travailler ensemble malgré ce départ quelque peu abrupt.]

[J’ai peur de ne pas être en position de négocier au nom de ma Toile ; je ne peux pas affirmer quoi que ce soit. Ma tâche était uniquement de vous trouver pour faire mon rapport à la Toile,] répondit Chercheuse. Traduction : elle était supposée fouiller la mémoire de Zorian pour découvrir ce qu’il voulait mais le fait qu’il fût un psychique compliquait quelque peu les choses. [Ceci dit, je suis sûre qu’un si petit incident sera vite oublié si vous évitez de nous effrayer ainsi à l’avenir. Juste pour savoir ce que je dois dire à la matriarche, quel genre de marché proposez-vous ?]

[Je souhaite échanger des connaissances et de l’entraînement,] dit Zorian. [Spécifiquement, je veux votre aide pour apprendre comment manier mes capacités psychiques.]

[Vous semblez déjà plutôt doué dans ce domaine, je dois dire,] fit remarquer Seeker avant d’envoyer une légère poussée télépathique creuser dans les défenses de Zorian, attaque qui fut immédiatement claquée du doigt par ce dernier, la forçant à se rétracter. [Peu d’humains auraient été capable d’utiliser la télépathie si subtilement, et encore moins auraient remarqué cette attaque.]

[Vous me flattez, mais nous savons tous deux que je ne suis qu’un débutant lorsqu’on parle d’arts mentaux,] répliqua Zorian. [Je souhaite aller au-delà des simples bases. Au minimum, je voudrais une meilleure compréhension du combat télépathique et développer des capacités de manipulation de mémoire.]

Chercheuse produisit un éclat d’incertitude et de surprise au travers du lien télépathique, et Zorian ne sut comment l’interpréter. Une espèce de juron Aranea, peut-être ?

[Vous êtes assurément ambitieux, jeune humain,] dit-elle. [J’espère que vous réalisez que ce n’est pas un petit service que vous demandez. Je ne crois pas que la matriarche sera contente de l’entendre. Qu’offrez-vous exactement en retour ?]

[J’ai un certain nombre d’objets magiques qui seraient très utiles aux Aranea, y compris un qui permet la communication télépathique sur une grande distance. Comme j’en suis l’inventeur et créateur, je peux le modifier à souhait pour coller à vos besoins. Je suis également un mage plutôt capable en général et je peux vous aider dans toute tâche qui nécessiterait une magie humaine. Et finalement, je suis en possession d’informations importantes dont je ne veux pas discuter ici, et qui, j’en suis certain, vous intéresseront au plus haut point.]

Il y eut un léger silence tandis que l’Aranea absorbait tout ça, après quoi elle répondit avec une note de tentation.

[Je vois. Comme je l’ai dit, je ne suis pas qualifiée pour accepter ce genre de marché mais je vais présenter votre cas devant la matriarche et nous verrons bien ce qu’elle en dit. Y a-t-il autre chose que je devrais savoir ?]

[Pas vraiment, non. Je voudrais savoir comment vous contacter proprement à l’avenir, si cela ne vous gêne pas.]

Chercheuse réfléchit l’espace de quelques instants avant de lui envoyer mentalement une carte des égouts de Korsa, dont trois endroits étaient marqués d’un petit soleil bleu.

[Vous pouvez nous contacter en vous rendant à l’un de ces endroits, mais s’il vous plaît, ne soyez pas impatient. Il faudra sans doute quelques jours avant que nous soyons prêtes à vous parler à nouveau et l’impatience ne va pas vous offrir bonne réputation parmi nous.]

[C’est parfait,] répondit Zorian, qui n’avait aucune intention de rester à Korsa pour plusieurs jours tandis qu’elles délibèreraient sur le fait de le recevoir ou non mais heureusement, il n’aurait pas à le faire. Il pouvait faire d’une pierre deux coups en leur donnant un moyen de le contacter où qu’il pût aller tout en leur fournissant un exemple tangible de ce qu’il pouvait leur offrir.

Il retira un grand disque en bois de sa veste et le plaça au sol, devant lui.

[Ceci est un relai télépathique,] expliqua-t-il. [Quiconque le touche sera capable de contacter la personne en possession de l’autre disque, peu importe la distance. Dans ce cas particulier, cette personne se trouve être moi. Je ne serais pas à Korsa pendant très longtemps, alors utilisez ceci pour me contacter lorsque vous aurez pris une décision.]

[Je n’amènerai pas une hypothétique bombe dans le camp,] se défendit l’Aranea. [Mais je suppose que je peux le traîner dans un coin oublié où personne ne va le trouver jusqu’à ce qu’on revienne le chercher. Adieu, Zorian Kazinski. Si le destin le permet, nous nous reverrons dans quelques jours.]

 

___

 

Zorian ne perdit pas de temps pendant que les Plonge-Lames réfléchissaient à sa proposition – il quitta Korsa pour continuer à chercher d’autres colonies Aranea. Malheureusement, aucune autre colonie n’était aussi facile à trouver que celle-là, même en vivant sous des villes bien plus petites. Le temps que les Plonge-Lames le contactèrent huit jours plus tard, il n’avait trouvé qu’une colonie de plus. Les Collectionneuses Illustres de Gemmes vivaient sous un petit village près de Ticlin et bien que parfaitement polie et amicales, l’informèrent immédiatement qu’elles avaient un contrat exclusif avec le dirigeant du village, qui les limitait au commerce avec lui et personne d’autre. Pas de chance. Ceci dit, elles acceptèrent de fournir à Zorian la localisation de cinq autre Toiles dans leur voisinage, qui pourraient se trouver plus enclines à accepter l’idée, et c’était toujours une petite victoire.

Avant que Zorian n’eût la chance d’en visiter le moindre, cependant, il reçut finalement un appel des Plonge-Lames, qui lui dirent être prêtes à le voir. À ce moment, la boucle arrivait presque sur sa dernière semaine et Zorian doutait tirer grand-chose de l’arrangement mais il s’y rendit quand même.

Lorsqu’il atteignit l’endroit désigné, il n’y trouva néanmoins que deux Aranea, ce qui était très suspect. Son expérience avec les Aranea, aussi limité fut-elle, lui disait qu’elles auraient dû être au moins trois – une négociatrice et deux gardes. De façon plus réaliste, elles auraient même dû être encore plus nombreuses. La matriarche Cyorienne était habituée à emmener au moins quatre gardes d’honneur où qu’elle aille et c’était lorsque les rencontres se passaient avec ce bon vieux Zorian, qu’elle connaissait et qui ne représentait pas une menace. Les Collectionneuses Illustres de Gemmes avaient envoyé un total de huit membres au rendez-vous de bienvenue.

Ses suspicions se confirmèrent quand les deux Aranea se révélèrent n’être que des guides, supposées le mener à l’endroit où le vrai rendez-vous allait avoir lieu. Zorian fut instantanément alarmé et sa paranoïa ne fut pas calmée le moins du monde lorsque les deux Aranea le conduisirent loin dans le donjon, en profondeur. Bien trop profond à son goût.

— Ok, on s’arrête là. Je ne vais pas plus loin, dit Zorian à voix haute, ne faisant même pas l’effort de communiquer par télépathie avec ses guides, la voix résonnant puissamment sur les murs de la grande caverne dans laquelle ils se trouvaient, faisant instantanément trembler les araignées.

[S’il vous plaît, soyez patient,] lâcha nerveusement l’une d’elles. [Nous ne sommes pas loin du lieu de rencontre. Juste un peu plus loin.]

— Eh bien, ce ne sera pas un gros problème d’aller leur dire de se pointer ici plutôt que de m’attendre là-bas, dans ce cas, continua Zorian sur le même ton. L’endroit exact importe peu, à moins que vous ne soyez en train de me mener vers une embuscade.

Le corps des guides se rigidifia d’un seul coup et annonça à Zorian tout ce qu’il avait besoin de savoir. Il eut tout juste assez de temps pour insuffler du mana dans le bouclier mental gravé sur le médaillon qu’il portait sous sa chemise pour l’occasion avant que deux attaques mentales s’abattent sur la barrière nouvellement érigée comme un duo de masses d’armes. Il lança immédiatement un missile surchargé sur l’une des Aranea devant lui, l’écrasant comme un raisin trop mûr. Son esprit s’évanouit d’un seul coup et disparut de son rayon de détection.

L’autre Aranea, réalisant qu’il n’abaisserait pas son bouclier mental, se jeta sur lui, crocs sortis, tout ça pour rebondir impuissamment sur un autre type de bouclier que Zorian n’avait désormais que trop l’habitude de créer devant lui. Il sortit une baguette de sa ceinture et la pointa vers l’araignée.

— Pourquoi as-tu fais ça ? lui demanda-t-il. Dis-moi tout et peut-être que je ne t’incinèrerai pas sur place.

Elle ne répondit pas. Après une seconde, Zorian réalisa avec une certaine gêne qu’elle ne pouvait pas, son esprit était parfaitement protégé à ce moment. Il abaissa le bouclier mental pour un moment mais garda la baguette levée.

[S’il vous plaît, je ne sais rien !] gémit-elle mentalement.

Zorian resta alerte pour toute surprise qu’elle pourrait tenter de lui envoyer via le lien télépathique mais elle n’essaya même pas. Elle semblait complètement paralysée par la terreur.

[J’étais juste supposée vous guider ici, personne ne m’en a donné la raison ! Ne me tuez pas, je ne veux pas mourir !]

Zorian grogna avant d’avancer la baguette d’un coup vers elle. Elle émit un pic de terreur et laissa échapper un crissement angoissé au possible, se rétractant sur elle-même en prévision de sa fin… et s’arrêta lorsque tout ce qui se passa fut l’apparition d’une bulle de force autour d’elle.

À ce moment, Zorian sentit la signature de deux autres Aranea arrivant à toute vitesse depuis l’endroit où il était supposé se rendre.

Merde. Les deux araignées avaient dû envoyer un signal d’alerte télépathique au corps de force de l’embuscade. Il jeta à la survivante un coup d’œil rapide, la faisant se recroqueviller encore un peu plus dans sa cage de force et fit demi-tour avant de courir vers la surface. Il savait que les humains étaient plus rapides que les Aranea et il pouvait simplement semer ses poursuivantes et –

Il y avait huit Aranea devant lui, huit nouvelles existences qui venaient d’apparaître et bloquaient toute échappatoire.

Zorian insulta sa chance légendaire et s’arrêta en tentant de réfléchir à un moyen de s’en sortir. Son bouclier mental, à nouveau érigé, n’allait pas tenir longtemps contre… 16 Aran… Non, 18 ?! Deux venaient encore d’arriver, plus lentes que leurs collègues.

Six attaques télépathiques s’écrasèrent sur son bouclier mental, échouant à le briser mais le faisant dangereusement vaciller. La vision de Zorian se troubla et il en perdit presque l’équilibre. Il se demanda un moment pourquoi seulement six d’entre elles avaient attaqué alors qu’elles étaient si nombreuses à portée… et il se souvint de ses conversations avec Nouveauté à propos du combat télépathique. Marteler des boucliers mentaux trop violemment pouvait facilement détruire l’esprit en-dessous.

Sept attaques, cette fois. Son bouclier tint bon, mais à peine et Zorian tomba à genoux.

Elles ne tentaient pas de le tuer. Bien sûr que non – quel aurait été l’intérêt ? Non, elles essayaient de le capturer…

Zorian faillit perdre conscience lorsque neuf attaques s’écrasèrent sur son bouclier mental, l’éclatant comme un œuf et se frayant un chemin direct vers son esprit. La douleur était insupportable, faisant disparaître toute autre pensée et l’empêchant de se concentrer. Il y avait quelque chose, une chose qu’il devait faire, il en était sûr, mais sur sa vie, il ne pouvait pas mettre le doigt dessus…

Il sentit ses muscles se rigidifier alors qu’un esprit étranger se saisit de son contrôle moteur et commença à fouiller son esprit à la recherche de faits et de données. Il devait faire quelque chose… Il devait…

Soudain, une image apparut devant lui, en un éclair. Deux colliers qui pendaient autour de son cou, l’un deux gravé du sort de défense qui lui avait ultimement fait faux bond et l’autre, qui contenait…

Son esprit reprit instantanément sa place, son but clair et précis. Activer le collier de suicide, c’est ce qu’il devait faire. Il sentit l’esprit étranger paniquer en réalisant ce qu’il comptait faire et trois attaques supplémentaires lacérèrent ses pensées. Elles étaient bien plus faibles que celles qui avaient détruit son bouclier mais son esprit n’était plus protégé maintenant et il les ressentait comme autant de couteaux qui s’enfonçaient dans son cerveau. Il s’accrocha de toutes ses forces à l’idée, à cette idée, l’idée qu’il devait activer ces anneaux à son cou, à tout prix. Il oublia ce que ces anneaux faisaient réellement, les lames mentales le lacérant trop douloureusement pour qu’il pusse se rappeler. Il oublia pourquoi c’était important et ce qu’il faisait là et pourquoi il était là, et qui il était et pourquoi il était celui qu’il était. Mais il savait qu’il devait le faire… il devait…

Un faible et doux sursaut de mana plus tard, le monde devint blanc, brûlant et il n’y eût plus que les ténèbres.

 

___

 

Comme de nombreuses fois auparavant, Zorian s’éveilla dans sa chambre, à Cirin. Cependant, il n’y avait pas de Kirielle sur son ventre, cette fois, et il était tard dans la soirée.

Et puis, il y avait ce mal de crâne absolu. Impossible à oublier, celui-là.

Soudain, la porte grinça légèrement et une tête familière apparut pour jeter un œil, comme effrayée par ce qu’elle allait trouver dans la pièce. Zorian plissa les yeux, sa vision floue sans lunettes, et observa Kirielle en se posant des questions.

Les yeux de sa sœur s’élargirent aussitôt sous le coup de la surprise. Il se connecta à son esprit afin de comprendre ce qu’il se passait et –

— Ow, croassa-t-il avec peine. Ok, apparemment, il n’était pas censé faire ça.

— Maman ! Il est réveillé ! Il s’est réveillé ! Il s’est réveillé ! hurlait-elle dans les escaliers.

Zorian grimaça face à cette agression sonore et tenta de se souvenir de ce qu’il s’était passé. Quel bordel de situation l’avait-elle mis dans un état pareil lors de la dernière boucle ? Pourquoi était-il si mal en point à peine le nouveau mois commencé ? La dernière chose que son esprit parvenait à décrypter…

Soudain, ses souvenirs refirent surface, accompagnés d’une vague de douleur fraîche et il se rappela de tout. Bon, pas exactement tout – ses souvenirs de tout ce qu’il s’était passé après son combat contre les guildes étaient brouillés et inconsistants, mélangés et confus – mais suffisamment pour comprendre ce qui lui était arrivé.

Ces putains de salopes d’araignées de merde !

— Zorian ?

Zorian hoqueta de surprise à la voix de sa mère, qui le sortit de ses pensées.

— Uh… Je… vais… euh, bien ? bafouilla-t-il. Ma tête me fait mourir mais je ne pense pas que ce soit sérieux. Peux-tu me donner mes lunettes ?

Sa vision s’éclaircit immédiatement, lunettes sur le nez, et lui permit de comprendre à quel point sa mère le regardait d’un air inquiet. Intérieurement, il grimaça. Il était presque sûr qu’il savait quel était le problème, mais il valait mieux feindre l’ignorance.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

— Tu ne t’es pas réveillé, répondit sa mère. Tu as effrayé Kirielle comme tu ne pourrais l’imaginer – elle a dévalé les escaliers ce matin, pleurant de toutes ses forces, en hurlant qu’elle t’avait tué. Bon, tu n’étais évidemment pas mort mais nous n’avons rien pu faire pour te choquer au point de te faire reprendre connaissance. Nous avons fait venir un docteur et il n’a rien trouvé d’anormal. Pour autant qu’il pouvait en juger, tu étais dans le coma sans raison.

Zorian acquiesça lentement. C’était logique. Les Plonge-Lames avaient vraiment fait – Attends, c’était quoi, la première partie ?

— …qu’elle m’avait tué ? demanda-t-il, l’air étonné.

— Je n’ai pas dit ça ! protesta Kirielle, entrant soudain dans la chambre en portant un bol de soupe. Maman invente des trucs ! C’est juste que je… hm…

— Relax, Kiri, soupira Zorian. Tu ne peux pas me tuer juste en me sautant sur le ventre.

Le silence qui s’ensuivit lui apprit douloureusement qu’il avait fait une erreur. Qu’avait-il… ?

Oh. Oh, non. Merde.

— Comment sais-tu que j’ai fait ça ?

— Parce que… Heh, c’est ce que tu fais toujours ? tenta Zorian, l’esprit toujours un peu brouillon et insensible, sans doute la raison pour laquelle il avait fait l’erreur pour commencer. Eh, et cette soupe, hein ? Elle est pour moi ?

— Pas toujours, répondit Kirielle en reniflant, lui lâchant le bol entre les pattes ; ouah, la catastrophe évitée de peu.

Mais sa mère le regardait toujours d’un œil incertain.

Zorian considéra les choses dans leur ensemble tout en reniflant l’arôme du bol de soupe – les Aranea avaient peut-être tordu son esprit mais il n’y avait rien de dysfonctionnel avec son estomac et il n’avait rien mangé de la journée. Ce mois entier allait sans doute être un gros gâchis. La migraine allait durer des semaines et ne s’en aller que trop lentement et il serait passablement inutile tant qu’elle lui collerait au crâne. En plus de ça, il n’était pas sûr que sa mère allait le laisser se rendre à l’académie après un épisode pareil, et il allait peut-être s’avérer impossible de quitter la maison sans devoir la fuir à plat ventre. Il était peut-être plus sage de passer le mois entier à en guérir et s’assurer que ses agresseurs ne lui avaient pas fait cadeau d’une mauvaise surprise ou de conséquences permanentes.

Il jeta un œil à sa mère et à sa sœur, toutes deux possédant toujours un regard inquiet comme si elles s’attendaient à le voir tomber en morceaux au premier coup de vent ; puis il baissa les yeux vers le bol de soupe.

— Alors, dit-il. Tu n’en aurais pas encore, pas hasard ?

 

___

 

Comme il s’y attendait, sa mère ne voulut même pas entendre parler d’un potentiel retour à l’académie si tôt après son coma inexplicable et insista pour qu’il restât à la maison afin de récupérer. Cependant, elle et son mari avaient un voyage arrangé vers Koth trois jours plus tard et elle n’était clairement pas d’avis de le reporter. Comme la dernière chose que désirait Zorian était e passer plus de temps près de ses parents que nécessaire – même si sa mère s’était montrée étonnamment douce et serviable à ce moment, il savait que ça n’allait pas durer plus de quelques jours – il était tout à fait partant pour la laisser prendre le départ comme prévu, le laissant seul à la maison pour se remettre sur pied.

Au bout du compte, père et mère n’eurent pas besoin d’être longuement convaincus et Zorian eut simplement à promettre qu’il resterait à la maison pour un bon mois avant de se rendre à l’académie, les voisins lui rendant d’occasionnelles visites pour s’assurait qu’il tenait parole. Oh, et qu’il gardait Kirielle à la maison avec lui, mais il ne considérait plus ça comme la corvée que ç’avait été jadis.

Notablement, c’était la première fois, depuis qu’il était dans cette boucle temporelle, qu’il avait pu parler à son père. Il ne fallut qu’un commentaire désagréable à propos de son faible fils, qui tombe comme une mouche pour se rappeler pourquoi. S’il avait de la chance, ce serait la dernière fois qu’il devrait interagir avec lui.

Le mois s’écoula en une convalescence calme. Kirielle avait été initialement enthousiasmée à l’idée de le chouchouter pour le remettre sur pied mais il ne lui fallut que deux jours avant de se lasser de son rôle d’infirmière et de laisser tomber toute corvée de cuisine et d’entretien de la maison. Ça lui allait, cela dit, elle lui voulait du bien mais il n’était pas un grand amateur de viande brûlée et d’œufs à moitié cuits, qui étaient respectivement les deux choses qu’elles savait cuisiner. Lorsqu’il se remit à cuisiner, elle sembla prendre ça pour un signe de sa bonne santé retrouvée parce qu’elle commença à le harceler pour qu’il lui apprenne la magie quelques heures plus tard. N’ayant rien de mieux à faire de son temps, il accepta. Au moins, elle montra pour ça plus de patience qu’elle en avait pour la cuisine.

Comme le mois touchait graduellement à sa fin, Zorian soupira de soulagement. Cette attaque n’avait pas laissé la moindre conséquence qu’il pouvait détecter. Les migraines étaient contraignantes mais heureusement temporaires. Au bout de la troisième semaine, elles étaient totalement parties. Il n’avait pas de souci à utilises ses pouvoirs et il remarqua que les trous dans sa mémoire – même ceux de la toute dernière attaque – s’étaient remis en place peu à peu au bout d’une semaine à peine. La fin était cependant dure à interpréter à cause de son état pitoyable à ce moment. Le paquet mémoriel de la matriarche était toujours présent et intact, attendant le jour où Zorian serait suffisamment bon pour l’ouvrir lui-même.

Il avait eu de la chance. Ça aurait pu tourner bien plus mal pour lui, au bout du compte. Bien, bien pire. S’il n’avait pas réussi à activer les anneaux de suicide à temps…

Mais peu importait – apprendre et vivre. Vivre et apprendre. Il devrait simplement s’assurer d’être mieux préparé la fois suivante, lorsqu’il rendrait visite à une autre colonie d’Aranea. Il y avait cinq autres candidats donnés par les Collectionneurs Illustres de Gemmes et toutes ces araignées ne pouvaient pas sans exception être des traîtresses et des saloperies comme les Plonge-Lames, n’est-ce pas ? Pourtant, il avait l’intention de prendre de meilleures précautions à l’avenir afin d’éviter à ce genre de situation de pouvoir se reproduire à nouveau.

Si un autre groupe d’Aranea tentait de le trahir dans le futur, il serait prêt à leur montrer à quel point l’erreur était grosse.

Raka
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