MoL : Chapitre 47 Bonus
MoL : chapitre 49

Chapitre 48 – Un puits d’âmes.

 

Loin de toute route ou campement, dans une petite grotte artificielle que Zorian avait créée afin d’y installer son atelier et la base de ses opérations, se trouvait une grande table en bois. De nombreuses feuilles y étaient éparpillées, et Zorian les observait, sourcils légèrement froncés. La collection de notes et de diagrammes bruts en face de lui aurait sans aucun doute eu l’air d’un bazar sans nom pour tout observateur extérieur, mais ce chaos était disposé selon un schéma précis. Zorian avait passé un bout de temps à tout mettre place, et chaque feuille était exactement là où elle devait être.

Tapotant son crayon sur la table d’un air absent, Zorian considéra les informations situées devant lui. Tout ce qu’il savait à propos de Sudomir et de la Maison Iasku se trouvaient là, aux côté de toute information qu’il jugeait potentiellement pertinente pour l’assaut du portail à venir. En vérité, il avait déjà un plan… mais ça ne coûtait jamais rien de tout vérifier une seconde fois, juste au cas où quelque chose d’essentiel lui aurait échappé. Il ne restait plus que trois jours avant le festival d’été, aussi, s’il voulait encore modifier quoi que ce fût à son plan, c’était à peu près sa dernière chance.

Après sa conversation avec le maire dans la boucle précédente, Zorian était maintenant presque certain que celui-ci avait ses propres buts et désirait accomplir quelque chose, tout en étant effectivement une troisième faction de la force des envahisseurs. Loin d’être uniquement un membre loyal du Culte du Dragon du Dessous, à des lieues d’être sympathique avec les Ibasiens, il espérait gagner gros dans tout ça, tirer son épingle du jeu, et ce n’était pas la même que celle que les deux autres factions désiraient.

Malheureusement, il s’était trouvé incapable de découvrir ce que Sudomir insinuait en prétendant qu’il supportait l’invasion pour des raisons politiques. Cette phrase pouvait signifier n’importe quoi, vraiment – on ne pouvait pas venir à court des raisons possibles pour lesquelles quelqu’un pouvait vouloir voir Cyoria détruite ou affaiblie. Sudomir pouvait tout à fait tenter d’altérer l’équilibre du pouvoir au sein d’Eldemar afin de faire progresser sa cause de nécromancien, ou tenter de détruire Cyoria afin de saper l’importance de sa région pour rendre sa propre ville plus prolifique. Il était tout à fait possible qu’il tentât d’affaiblir Eldmar dans son ensemble pour des intérêts étrangers ou qu’il essayât tout simplement de détourner l’attention du gouvernement central en détruisant un centre loyaliste, en leur offrant un ennemi sur qui se concentrer pendant qu’il mènerait une autre œuvre à bien. Les possibilités étaient sans fin et il n’avait aucun moyen de les trier.

Enfin, aucun à l’exception d’envahir le manoir encore et encore ou d’attaquer directement Sudomir. Il attaquait déjà les lieus à chaque fin de mois, et s’en prendre au maire avant ça était plutôt compliqué et dangereux. Il était trop simple pour son ennemi de se téléporter si Zorian décidait de l’attaquer comme ça, et Zorian ne savait de toute façon pas où allait et ce que faisait ce type quand il ne jouait pas son rôle de maire. Certainement pas à son domicile à Knyazov Dveri, qui se trouvait être abandonné pratiquement en permanence. En comptant sur la chance de Zorian, Sudomir passait sans doute le plus clair de son temps caparaçonné dans son si cher manoir, qui se trouvait être essentiellement inattaquable, si ce n’était pendant l’invasion.

Non, la façon qu’il avait de prendre les choses en main actuellement était la bonne. Sudomir n’était jamais aussi vulnérable que lors du jour de l’invasion, et pas uniquement parce qu’il envoyait stupidement toutes ses forces rejoindre l’invasion avant de laisser le trou évident dans ses défenses totalement libre d’accès. La Maison Iasku était assurément plus qu’une base secrète pour lui… Autrement, il aurait été bien plus enclin de couper court pour fuir à toutes jambes, lors de la précédente attaque. Il y avait quelque chose là-bas – une chose qu’il ne voulait pas abandonner, même après avoir été métaphoriquement surpris pantalon baissé et proprement acculé dans un coin. Zorian sentait que s’il parvenait à trouver cette chose mystérieuse, il découvrirait les buts primaires de Sudomir.

Il passa plusieurs minutes de plus à scruter chaque document, à peser et abandonner diverses possibilités et à secouer de temps en temps la tête avant de poser les yeux sur le petit tas de notes relatives aux schémas des protections de la maison. Sa grimace concentrée prit immédiatement une nouvelle profondeur ; ces barrières l’inquiétaient. Ses recherches lui avaient permis de trouver plusieurs méthodes grâces auxquelles Sudomir aurait pu atteindre les réactions dont Zorian avait été témoin en tentant de les analyser, mais en toute honnêteté ? La réponse qui sautait aux yeux était la plus logique, pour un nécromancien : Sudomir avait lié des âmes à la barrière de son manoir. À partir du moment où Zorian l’avait imaginé, ça lui avait semblé si évident, ça expliquait l’étrange sentiment oppressant qu’il ressentait sans cesse lorsque le système le reconnaissait comme un ennemi. La plupart des barrières n’étaient pas si précises et efficaces lorsqu’il s’agissait de cibler une personne.

Un autre argument en faveur de cette théorie, la maison n’était pas située sur un puits de mana, pour autant que Zorian pouvait l’affirmer. Il avait passé plusieurs jours à errer autour de la zone où elle était bâtie, cartographiant les lieux jusqu’au niveau géomantique et esquivant des patrouilles de loups hivernaux, et n’avait rien trouvé pouvant supporter une telle hypothèse. Autrement dit, la Maison Iasku ne pouvait pas maintenir une structure de protection gourmande en mana. Pas avec des méthodes conventionnelles, en tout cas. Les âmes, en revanche… Les âmes continuaient à produire de mana, même après la mort. C’est ce qui les rendait si précieuses aux yeux des entités spirituelles comme les démons et l’une des raisons pour lesquelles les morts-vivants étaient tellement plus pratiques à utiliser que les golems. Il fallait une sacrée quantité de puissance pour alimenter une barrière de ce niveau de complexité, mais ce n’était pas irréalisable. De plus, Sudomir n’avait clairement pas de souci dans la récolte d’âmes si l’on se penchait sur la quantité de morts-vivants qu’il avait à disposition.

Malheureusement, la nature illégale de la magie de l’âme rendait difficile la collecte d’informations concernant ses limitations et particularités. Même s’il avait vraiment affaire à une maison sinistrement alimentée en âmes, Zorian n’avait pas la moindre idée de ce que cette vérité signifierait au regard des capacités de Sudomir ou comment l’exploiter. En gardant à l’esprit que le maire possédait sans aucun doute une défense de dernier recours mise en place au cœur de son domaine, Zorian se sentait juste un peu mal à l’aise à l’idée de s’y aventurer nonchalamment, sans en savoir plus sur ce à quoi il faisait face.

On ne pouvait pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Heureusement, Zorian était un mage, et en tant que tel, il avait même les capacités de s’autoriser le sourire de la crémière en plus de tout ça.

L’idée de base vint de la projection de Sudomir. Zorian ne pouvait pas vraiment se projeter dans la maison de la sorte car il se ferait stopper net par les barrières, mais il pouvait piloter son armée de golem à distance. Ce serait très peu pratique pour un mage classique, mais il était un télépathe, et un sacrément bon à ce point. Tout ce qu’il avait à faire, c’était installer quelques relais télépathiques à l’intérieur des golems, accompagnés par quelques formules modérément complexes pour leur donner la possibilité de comprendre ses ordres télépathiques.

Et ça fonctionnait bien. Non, ça fonctionnait mieux que bien. Peut-être parce qu’il avait animé les golems lui-même et qu’ils possédaient de fait une affinité naturelle pour sa façon de penser, mais leur donner des ordres télépathiquement était rapide et fluide – presque comme contrôler son propre corps. Il achevait des résultats encore meilleurs qu’avec des ordres verbaux, pour tout dire, et Zorian se demandait s’il y avait clairement un intérêt à se reposer sur ce genre de méthode conventionnelle à l’avenir. À moins de créer un golem pour l’usage d’une autre personne, les commandes verbales n’étaient utiles qu’en tant que solution de secours quand la télépathie se verrait neutralisée.

Malheureusement, l’idée de simplement envoyer des golems chez Sudomir et organiser le tout en restant en sécurité posait quelques problèmes. D’une part, le fait qu’il n’était pas présent en personne le rendrait incapable d’utiliser la magie pour les aider. Il ne pouvait pas lancer de sort au travers de ses golems – même sa magie mentale ne fonctionnait pas au-delà des créations elles-mêmes. Il ne serait pas non plus capable d’activer ses grenades disruptives et d’autres objets magiques à l’aide de pulsations de mana, ce qui avait nécessité une révision de son arsenal en quelque chose de bien plus brut et terre-à-terre, moins versatile. Finalement, il y avait un risque certain que Sudomir vit à travers son plan et se contente de désenchanter les golems, coupant net sa connexion avec eux. Selon les livres, il s’agissait de la raison majeure pour laquelle le contrôle à distance n’était pas populaire parmi les mages – si l’adversaire savait ce que l’on faisait, c’était des plus aisé à contrer. Il espérait que la solution qu’il avait trouvée allait fonctionner… À bien y penser, il ferait bien de le vérifier immédiatement…

Il lâcha son crayon dans un soupir et quitta sa pièce de planification, comme il l’avait baptisée, pour se rendre dans la chambre de création, au sein de laquelle il construisait ses golems et d’autres équipements. La plupart des golems étaient déjà terminés à ce point, se tenant silencieusement debout de l’autre côté de la pièce, là où ils ne le gêneraient pas pendant son travail, en attente d’ordres. Six golems – deux assez gros et épais pour infliger leur lot de dégâts et quatre plus petits et rapides qui serviraient de l’ossature de son équipe. Il étendit son esprit vers eux momentanément, testant leur réactivité pour voir si l’interface de contrôle mental s’était dégradée depuis la fois passée. Ce n’était pas le cas, parfait. Les premières dizaines s’étaient montrées instables, mais il semblait qu’il avait réussi à supprimer toutes les imperfections lots du dernier essai. Il tourna son attention vers ce qui l’avait poussé à venir là – sa dernière création, toujours pas terminée.

Elle n’avait pas l’air de grand-chose, pour tout dire. Un golem fin, presque squelettique et plus petit que ses quatre versions agiles. Le cœur d’animation qui l’alimentait était également sous-efficace – le golem en question ne pouvait rien faire sans instructions détaillées et constantes. Il était inutile, quoi qu’on pût lui demander… à l’exception, Zorian l’espérait, de ce pour quoi il avait été créé.

Précisément, pour lui servir de double corporel. Le golem était spécifiquement créé pour reproduire sa taille et ses proportions, et possédait un cœur d’animation supposé pouvoir se synchroniser avec ses ordres télépathiques aussi facilement que possible. Des capteurs magiques permettaient à Zorian de voir et entendre comme s’il s’agissait de son propre corps, et même s’il ne pouvait pas obtenir la même coordination motrice qu’avec ce dernier, ce serait sans doute suffisant pour lancer des grenades et se déplacer suffisamment naturellement pour se faire passer pour un être humain.

Il jeta un œil au récipient alchimique proche, duquel un épais liquide sirupeux bullait gentiment au-dessus d’un feu contrôlé. La solution de peau artificielle avait l’air plus ou moins terminée, mais la recette qu’il avait achetée prétendait que le tout devait décanter pour quinze minutes supplémentaires, alors il la laissa seule pour l’instant, se tournant vers ses golems pour une autre session de tests en attendant.

Finalement, une fois le temps écoulé, il recouvrit le golem de la solution et entreprit de modeler la couche ainsi créée en quelque chose qui lui ressemblait avant qu’elle ne durcisse.

Une demi-heure plus tard, il recula pour inspecter son œuvre. C’était… plutôt mauvais. Le golem ne lui ressemblait pas vraiment, et n’avait même pas l’air humain malgré ses efforts. Soit il était un pire sculpteur que ce dont il avait rêvé, ou alors il aurait dû retirer la solution du feu un peu plus tôt et au diable la recette. Mais c’était passable – quelques camouflages stratégiques, des lunettes, d’épais vêtements et peut-être un grand chapeau devaient pouvoir masquer les imperfections. Assez pour lui donner l’air humain face à Sudomir, en tout cas, au moins jusqu’à ce qu’il ferait face au nécromancien en personne, auquel point ce dernier se rendrait compte que le golem n’avait pas d’âme.

Oh, et puis même si l’idée s’avérait stupide et inutile, il ne regretterait rien. Il avait toujours voulu crée un double de lui-même afin de se soulager de certaines de ses corvées, et ça avait l’air d’un pas dans la bonne direction, à défaut d’autre chose. Les objets animés par des sorts pouvaient devenir furieusement intelligents à très haut niveau, et il devait être possible de créer un golem mimique qui pourrait passer tout test visuel.

Regardant la chose difforme devant lui, cela dit, Zorian sut qu’il était très loin de créer un truc de cet acabit.

Il ne serait jamais capable de l’envoyer aux réunions de famille à sa place !

 

___

 

Depuis le temps, l’assaut sur le portail était devenu une espèce de routine pour Zorian. Il gérait les défenseurs ibasiens pratiquement sans erreur, la seule complication se trouvant être le couple de drakes des grottes qu’il avait utilisé comme distraction et qui étaient tombés un peu trop rapidement à son goût. Ils étaient gros et solides, mais apparemment une horde d’adversaires faibles était un meilleur choix s’il désirait tenir les Ibasiens occupés jusqu’à pouvoir sécuriser la porte. Pourtant, tous ses golems avaient survécu à l’attaque et la plupart de ses objets magiques étaient encore à utiliser, alors Zorian considéra la première phase de l’attaque comme réussie. Le portail sécurisé, la vraie opération pouvait commencer. Il poussa le corps inconscient d’un des gardes pour forcer le mécanisme de défense de la maison à le reconnaître comme un allié et s’y lança, son groupe de golems sur les talons.

Le plan était simple : Zorian resterait dans la salle du portail, gardé par l’un des deux gros golems, tandis que le reste de ses forces serait envoyé plus profondément dans le manoir afin d’y affronter Sudomir. Zorian se contenterait de se projeter au-travers du plus petit golem, celui à l’apparence humaine, donnant occasionnellement aux autres golems des commandes verbales superflues pour compléter l’illusion. En espérant que ce serait suffisant pour tromper Sudomir et lui faire penser qu’il affrontait deux intrus humains, l’un deux gardant le portail tandis que l’autre conduisait une armée de golems plus profondément dans le manoir. Non seulement ce devrait empêcher Sudomir de tenter de couper sa liaison avec le golem, mais également attirer l’attention de Sudomir pour éviter qu’il n’envoyât ses forces vers Zorian.

La première surprise vint lorsque ses golems avaient atteint le point où les barrières s’étaient activées la fois passée. Cette fois, elles n’en firent rien. Étrange. Après y avoir réfléchi quelques instants, Zorian en conclu que c’était probablement dû à l’absence d’âme dans ses golems. Les barrières de détections étaient très certainement centrées sur l’âme, comme tout le reste dans cette putain de maison.

Malheureusement, ce ne fit que retarder le problème, car il rencontra vite une porte verrouillée à travers laquelle il devait passer pour progresser. Le golem que Zorian manipulait ne possédait rien pour crocheter la serrure, et même si ç’eût été le cas, il manquait de la dextérité manuelle nécessaire pour le faire. Aussi ordonna-t-il simplement au gros golem d’enfoncer la porte.

De façon prévisible, ce fut trop pour les barrières, qui s’activèrent de façon hostile. Zorian ordonna au groupe de golems d’avancer vers le centre du manoir le plus rapidement possible, avant que Sudomir n’éveillât son armée de morts-vivants pour tenter de les intercepter.

Curieusement, le portail dimensionnel resta ouvert malgré l’activation des barrières. Zorian pouvait sentir leur agitation tandis qu’elles sentaient bien qu’il représentait une menace et s’intensifiaient autour de lui, mais même s’il les avait activées d’une manière si effrontée, même s’il se trouvait dans la pièce du portail, les protections refusèrent de le fermer. Il devint alors évident qu’activer les défenses en-dehors de la salle du portail contournait sa fermeture automatique, mais ça avait moins l’air d’une erreur de confection qu’une volonté de la part de Sudomir que les choses fonctionnassent ainsi. Assurément, un expert en protection comme lui ne ferait pas ce genre de bêtises involontairement ? Et même s’il le faisait, il avait certainement à disposition un moyen de fermer le portail de sa propre initiative, indépendamment de toute activation automatique.

Que manquait-il dans l’équation ? Pourquoi Sudomir voulait-il que le portail restât ouvert, alors même que des intrus avaient pénétré sa maison ?

Eh bien, peu importait, en vérité. Il n’y avait qu’un moyen de le découvrir. Les golems avancèrent encore, alors même que la première vague de morts-vivants les rencontrait. Zorian possédait une bonne quantité d’objets magiques capables de les réduire en charpie ou en cendres, et il les utilisa plutôt libéralement pour s’occuper des défenseurs avec grand effet. Son avancée était imperturbable et régulière, et les attaques sur son groupe de golems devinrent de plus en plus légères et désorganisées à mesure que le temps passait. Sudomir n’avait même pas tenté de le contacter, pas plus en personne que via projection.

Il y avait bien moins de pièges que ce à quoi s’était attendu Zorian, bien qu’en rétrospective, il fût logique que Sudomir n’allât pas truffer ses couloirs d’explosifs et d’autres effets destructeurs. Personne ne voulait voir ses possessions dégradées par ses propres pièges, et la maison était dans tous les cas habituellement emplie à ras bord de morts-vivants. Lorsque Zorian tomba finalement sur un vrai piège, celui-ci arriva sous la forme d’un déclencheur qui emplit rapidement la pièce d’une épaisse fumée jaune. Sachant que le gaz n’avait pas d’effet sur ses golems et que l’activation du piège fut rapidement suivie par une dernière attaque de cadavres ambulants, Zorian supposa qu’il devait s’agir de poison. C’était un plutôt bon moyen de débiliter tout être vivants peu préparé tout en laissant libre champ à ses hordes de morts-vivants. La fumée réduisait également la visibilité pour quiconque se fiait à ses yeux, tandis que ce n’était apparemment pas le cas des sangliers et autres types vêtus de noir qui gardaient la maison.

Sudomir avait clairement tout donné pour cette dernière attaque, choisissant même d’envoyer une paire de golems de chair renforcer les plus familiers animaux et humains cadavériques. Les golems de chair parvinrent à détruire deux de ses propres golems avant de se faire réduire en charpie, mais le résultat n’avait pas laissé la place au doute de toutes façons. Les morts-vivants se firent exterminer et Zorian passa la dernière porte se trouvant encore entre lui et sa destination. Le golem qu’il contrôlait s’avança au cœur de la Maison Iasku et la vue qu’il lui offrir laissa Zorian sans voix.

La pièce était énorme et cylindrique, chaque portion des murs étant couvertes de formules et de glyphes. Plutôt que simplement gravés ou peints, les glyphes étaient composés d’un métal argenté et brillant incrusté dans la pierre. Ce qui attira vraiment son regard, par contre, était ce cylindre cristallin massif placé au centre exact de la pièce. Il s’étendait du sol au plafond, fixé à ses deux bases de pierre par des bandes de métal épaisses, et il en émanait une lueur bleutée douce qui baignait l’intégralité de la pièce et dont l’intensité faiblissait et augmentait à intervalles réguliers, telle une respiration lente. Ou comme un énorme cœur brillant.

Zorian fixa ce pilier cristallin et les murs couverts de glyphes dans un silence révérencieux, se demandant dans quelle absurdité kafkaïenne il venait de mettre les pieds. Il s’était attendu à trouver des choses intéressantes en ce lieu, oui, oui ! Mais l’envergure même de ce que cette pièce exsudait ne pouvait pas ne pas l’intimider au plus haut point.

— Magnifique, n’est-ce pas ? demanda Sudomir en sortant de derrière le pilier. Il m’a fallu des années pour bâtir tout ça. C’est un travail passionné, et j’aurais vraiment horreur de le voir endommagé. Alors soyez un peu plus prudent avec ces explosifs que vous balancez un peu partout, ok ?

Zorian fronça les sourcils face au maître de maison. Sudomir se tenait simplement là, à lui sourire de façon arrogante. C’était comme s’il défiait Zorian de l’attaquer. Pendant un moment, Zorian débattit sur la pertinence de l’idée d’ordonner à ses golems de se jeter en avant pour le réduire en bouillie, mais il décida finalement de se retenir encore un peu. Il voulait tenter d’obtenir quelque chose de neuf de sa part avant ça.

— Le cylindre est un dispositif de stockage d’âmes, n’est-ce pas ? demanda Zorian à travers le golem. C’est ainsi que vous alimentez les barrières de cet endroit. Il doit y avoir des centaines d’âmes piégées dans ce truc…

— Un dispositif de stockage d’âmes ?! répéta Sudomir, presque outragé, la main gauche tremblant de façon incontrôlable pendant une seconde, le forçant à utiliser la droite pour la bloquer. Vous pensez que tout ça n’est qu’un…

Il éclata de rire, comme s’il venait d’entendre la blague la plus drôle de l’univers. En réalité, il commençait à en pleurer.

Était-ce Zorian, ou le maire avait-il l’air un peu plus plus détraqué, cette fois ?

— Mon cher, stupide, et importun invité… Vous n’avez pas idée de ce dans quoi vous venez de mettre les pieds, n’est-ce pas ? Regardez autour de vous ! dit Sudomir après s’être calmé un peu, toujours la larme à l’œil et en tendant les bras comme pour inviter Zorian à bien observer la salle dans laquelle ils se trouvaient. Pensez-vous réellement qu’il s’agit d’un simple dispositif de stockage d’âmes ? Non, non, mon ami – ce que vous avez sous les yeux est un véritable pluie d’âmes contenant des milliers d’essences spirituelles, et de la place pour un million de plus !

— Un million d’âmes ? demanda Zorian, incrédule. Allons, Sudomir… Comment voudriez-vous rassembler tant d’âmes sans y passer dix vies ?

— Cyoria possède déjà un demi-million d’âmes, expliqua Sudomir en tremblant légèrement. Si l’attaque se passe comme prévu, l’intégralité des habitants de la ville va mourir ce soir. Ils vont alors venir ici et rejoindre les âmes que j’ai déjà rassemblées.

Il tapota sur le pilier de cristal, comme pour poser une emphase sur ses mots.

— Quoi ? demanda Zorian, une horrible réalisation le noyant d’un seul coup sous une cascade glacée.

— Oh oui… Cet endroit ? commença Sudomir en tournant sur lui-même, les bras écartés. Connais-tu l’araignée des sables ? Elle s’enterre et attend patiemment que sa proie passe au-dessus d’elle. Ensuite, elle la fait tomber dans un tourbillon de sable duquel elle ne peut plus sortir. Cet endroit… est l’équivalent d’un tel piège, et ses proies sont les âmes. Toute personne qui meurt dans le voisinage de mon manoir voit son âme attiré ici et piégé dans le puits. Normalement, ça ne signifie pas grand-chose, puisque nous sommes au milieu de nulle part. Mais maintenant…

— Le portail, comprit Zorian. Il permet d’étendre le piège à âmes au-dessous de Cyoria tandis que les Ibasiens massacrent sans pitié à la surface. C’est pourquoi vous ne l’avez pas fermé, même après avoir réalisé l’attaque.

— Chaque instant qui voit ce portail clos est autant de temps pendant lequel les âmes ne flottent pas vers le puits, confirma Sudomir. Et, vous voyez, le temps que je constate l’intrusion, il n’y avait déjà plus d’attaquants qui en sortaient. Seulement vous deux… ou peut-être juste un ? Je ne peux pas voir d’âme en vous. Vous n’avez pas réagi lorsque j’ai inondé le couloir d’un gaz suffoquant. Sans même parler de l’attitude étonnamment passive du mage situé à côté du portail. Vous n’êtes qu’une espèce de projection amusante, n’est-ce pas ?

Avant que Zorian ne pût rétorquer quoi que ce fût, Sudomir se mit à rire à nouveau, bruyamment et de façon hystérique, les mains s’ouvrant et se fermant d’une manière dérangeante. Zorian était presque sûr à ce point qu’il y avait définitivement quelque chose de pas net chez ce bonhomme. Il avait déclenché des changements plutôt radicaux chez lui suite à son invasion réussie. Le rire, les spasmes, la franchise de ses réponses… Sudomir avait presque l’air drogué. Avait-il paniqué face à la crise et pris quelque potion peu recommandable ? Ou peut-être avait-il effectué un rituel aux effets secondaires violents ? Quelle que fût la réponse, Sudomir devenait de plus en plus instable tandis que la conversation progressait et Zorian comprit qu’il n’en tirerait rien de plus.

— Pourquoi ? Pourquoi ?! hurla d’un seul coup le maire, passant instantanément du rire à un désespoir exagéré, sa peau ondulant comme si un nid de serpent s’y était éveillé et les yeux brillant d’un bleu léger – ouais, il avait clairement paniqué et fait un truc qu’il ne fallait pas. Pourquoi êtes-vous venu ici ?! Tout se passait si bien, si parfaitement ! Toutes ces années de planification, tous les sacrifices que j’ai faits ! Je ne vous laisserai pas tout me prendre ! Je ne laisserai pas, je ne laisserai pas, pas, pas, pas, pas !

Zorian n’avait pas attendu la fin de son élucubration déjantée pour ordonner à ses golems de l’attaquer, mais il était déjà trop tard. Avant que les golems ne pussent l’atteindre, le corps de Sudomir gonfla rapidement et se tordit, se transforma en celui d’un énorme monstre. Il devint vert, vaguement reptilien et possédait de petites ailes, vestiges d’un lointain passé – on aurait dit le croisement hérétique d’un troll et d’un dragon.

Les golems continuèrent à charger leur cible, bien sûr, imperturbables face à la transformation, mais la créature était plus fort et plus agile qu’eux. Il était sans doute en partie troll, oui, parce qu’il se régénéra rapidement après avoir été blessé. Il ne lui fallut pas longtemps pour réduire les golems en ferraille, et le plus gros d’entre eux n’en menait pas plus large.

Zorian était sur le point de lui balancer chaque objet magique qu’il possédait encore, lorsqu’il découvrit soudain que son nouvel ennemi monstrueux pouvait également cracher du feu. Le pauvre golem qu’il contrôlait fut réduit en une espèce de fondue dégoulinante en l’espace d’un instant.

Le deuxième gros golem disparut de son lien télépathique moins d’une minute plus tard. Sachant qu’il n’avait aucune chance face à cette version transformée et folle furieuse de Sudomir, Zorian recula dans la base ibasienne à travers le portail et tenta d’analyser ce dernier pour comprendre la façon dont il fonctionnait.

De façon prévisible, le portail détecta rapidement ses tests et s’éteignit. Bien sûr. Il s’était plus ou moins attendu à ce que ça arrivât. Bon. Au moins, de cette façon, Sudomir ne pouvait plus l’atteindre, et il avait également localisé l’un des pièges que Quatach-Ichl avait placés sur la porte pour détecter ce genre de tentative. Il lui faudrait un certain nombre d’essais, mais il sentait qu’il serait un jour capable de repérer chaque protection similaire pour toutes les désactiver.

Il n’eut pas vraiment le temps de se poser d’autres questions, cela dit. Quatach-Ichl en personne apparut près du portail peu après sa fermeture pour voir ce qu’il se passait. Zorian activa instinctivement le levier de retour temporel, à moins de deux mètres de la liche.

 

___

 

Au début du mois suivant, une fois qu’il eut fini de se calmer et de réfléchir à tout ça, Zorian décida que Sudomir devait être géré, d’une manière ou d’une autre. À l’origine, il lui avait couru après parce qu’il sentait en lui une cible plus facile que dans les dirigeants Ibasiens et qu’il en savait probablement beaucoup sur leurs secrets, mais la vérité sur son puits d’âmes perturbait vraiment Zorian. Il n’avait aucune idée de ce qu’il comptait faire avec des centaines de milliers d’âmes, mais ça ne pouvait en aucun cas augurer quoi que ce fût de bon. La politique, qu’il disait. Hmpf.

Pourtant, ce piège à âmes… Il devait être sacrément évident pour celui qui savait ce qu’il observait. Une magie de cette envergure n’était pas facilement dissimulable. Était-ce pour ça que Sudomir s’était débarrassé de chaque spécialiste de l’âme de la région ? Afin qu’ils ne pussent pas tomber par hasard sur son chef-d’œuvre et le dénoncer au gouvernement ? Mais alors, s’occuper de ce maire pourri serait aussi facile que de simplement le dénoncer aux autorités centrales pour les laisser gérer son cas.

Il n’avait pas besoin de ce genre de distraction à ce moment, cela dit – le paquet mémoriel de la matriarche se dégradait et il arrivait à court de temps. Aussi, pendant les deux boucles qui suivirent, il continua à faire ce qu’il avait fait précédemment, c’est-à-dire tout ce qu’il pouvait pour en apprendre davantage sur les paquets mémoriels et l’esprit Aranea en rendant visite aux Toiles. Il prit à nouveau le portail d’assaut par deux fois, mais ne chercha plus à accéder au puits d’âme du centre du manoir. Il n’en voyait pas l’intérêt – il manquait totalement de l’expertise nécessaire pour comprendre cette chose tout en doutant pouvoir apprendre quoi que ce fût en l’étudiant de plus près. Au lieu de ça, il explora simplement le reste du bâtiment, cartographia l’ensemble et tenta de voir s’il existait autre chose d’intéressant dans ces murs. Il n’en trouva rien, bien sûr. Certainement rien de comparable au pilier cristallin.

Il essaya également de comprendre comment fonctionnait ce collier en forme de larme que les nécromanciens utilisaient, en vain également. Les analyser ne lui attira pas les foudres de Quatach-Ichl, mais ne lui apporta pas non plus de réponse quant à la façon dont elles servaient de clé. La seule chose à laquelle il put penser était que le mana lui-même jouait peut-être ce rôle. Zorian ne parvint pas à l’identifier, et le pendentif s’avéra indestructible à toute attaque mineure. Ça lui rappela un peu le squelette de la liche, également noir et brillant et incroyablement résistant à la magie.

Bien que les Avocats Lumineux restassent ses instructrices principales pendant ces deux mois, il alla tout de même à la rencontre des huit Toiles dont les Adeptes de la Porte Silencieuse lui avaient parlé. Malheureusement, seules trois d’entre elles lui furent utiles : Le Temple de l’Esprit, les Artisans du Fantasme Parfait et les Adhérentes de la Contemplation. Zorian choisit de s’octroyer l’enseignement du Temple de l’Esprit le premier mois et celui du Fantasme Parfait par la suite. Les Adhérentes de la Contemplation étaient trop adeptes des énigmes étranges et des non-dits à son goût.

Le Temple de l’Esprit ne parlait que de mémoire, bien que plus spécifiquement le fait d’améliorer et organiser leurs propres souvenirs, et non lire ceux des autres, encore moins les modifier. Pourtant, cette Toile possédait une vraie expertise en paquets mémoriels, même si ce que ces Aranea lui enseignèrent était plus centré sur créer ses propres paquets plutôt que réparer ceux des autres. Ses compétences en création étaient désormais suffisamment bonnes pour qu’ils n’oubliât jamais une chose dont il voulait se souvenir, à l’avenir. Au moins, ça allait réduire drastiquement le nombre de calepins et de cahiers qu’il allait devoir mémoriser, comme les recherches de Kael, mais mieux, ses propres besoins étaient bien mieux servis par une meilleure organisation directe de ses souvenirs que par le stockage de livres.

Les Artisans du Fantasme Parfait possédaient un nom très indicatif. Spécialisées dans la magie de l’illusion – des illusions faites de vrais sons et de lumière ainsi que de jeux de l’esprit. Elles ne pouvaient pas vraiment l’aider avec son problème de paquet mémoriel mais Zorian devrait également interpréter les informations de la matriarche une fois celui-ci ouvert, et cette Toile s’y connaissait grandement dans ce qui concernait la différence entre esprits humains et Aranea. Elles le devaient si elles voulaient que leurs illusions fonctionnassent sur les humains.

Cependant, aussi utiles qu’elles furent, il n’y avait qu’une seule chose qui lui permettrait de réellement progresser dans la compréhension de l’esprit Aranea – les tabasser jusqu’à les assommer pour ensuite vriller leurs souvenirs par la force. Même avoir demandé à Lukav de l’aider en lui achetant une potion de transformation en Aranea ne s’était pas montré aussi utile, malgré les heures passées sous cette forme.

Au bout du second mois, il tenta une fois de plus de réparer le paquet mémoriel de la matriarche. C’était la dernière fois qu’il pourrait retarder l’inévitable, et il espérait obtenir cinq à six mois supplémentaires.

Au lieu de quoi il en eut trois.

Bordel de merde.

 

___

 

Bien qu’il n’eût plus que trois mois jusqu’à se voir obligé d’ouvrir le paquet mémoriel de la matriarche, Zorian décida de cesser sa recherche d’instruction auprès des Aranea et retourna simplement à Cyoria en prenant Kirielle avec lui. Il n’avait plus d’intérêt à chercher pour l’instant puisqu’il ne pouvait plus réparer le paquet qui se dégradait, et la seule chose qu’il pouvait désormais faire… était d’apprendre à interpréter les souvenir Aranea en lisant dans leur esprit. Il n’avait pas besoin de prendre des mois entiers pour ça. D’ailleurs, il voulait demander à Kael ce qu’il pensait de Sudomir et de son grand plan machiavélique, le Morlock étant le seul nécromancien amical qu’il connaissait.

Il ne raconta pas immédiatement l’histoire de Sudomir et de son piège à âmes, cela dit – ça allait forcément l’énerver, considérant qu’un certain nombre de personnes qu’il connaissait s’était fait tuer et se trouvaient très probablement dans le cylindre de Sudomir. Pas vraiment le meilleur sujet à aborder juste après lui avoir parlé de la boucle temporelle et de l’invasion qui allait frapper la ville à la fin du mois. Il laisserait Kael parcourir les notes qu’il s’était laissées lors d’une boucle précédente et il lui en parlerait plus tard.

Malheureusement, revenir à Cyoria signifiait qu’il devrait à nouveau souffrir les stupides sessions d’exercices de Xvim. Fais-moi léviter ces billes, fais-les briller de trente-six couleurs différentes, assemble-les en pyramide et en toutes les formes débiles qui me passent par la tête… Tellement… ennuyant ! Attends… faire fusionner deux billes ensemble ? Quoi ? Xvim ne lui donnait généralement pas d’exercices d’altération pendant leurs sessions. Mais peu importait. Il avait déjà tenté cet exercice de son côté, et il lui était facile de le reproduire.

Xvim fronça les sourcils. Zorian devait-il être ravi d’avoir enfin réussi à provoquer une réaction chez ce type ou s’inquiété de ladite réaction ?

Il s’avéra qu’il aurait dû s’inquiéter. Les demandes de Xvim devinrent immédiatement extrêmement atypiques. Zorian fut obligé de faire léviter de l’eau, de la congeler, de créer un cube parfait de cette glace avant de la trancher rapidement en deux sans la fissurer, de remodeler une pièce, brûler des images sur des panneaux en bois, faire…

Quelques-uns furent hors de sa portée, spécialement les derniers demandés. Tous les autres, il avait réussi à les achever, mais téléporter un escargot, réparer une montre cassée ou forcer une fleur à faner étaient autant de choses qu’il n’avait jamais tentées. Il parvint à en effectuer d’autres, mais pas avec le niveau qui lui était implicitement demandé. Pourtant, Xvim ne s’arrêta pas en arborant un air triomphant lorsque Zorian atteignit sa limite, en lui disant de recommencer, qu’il était un incapable et ce genre de choses habituelles. Au lieu de ça, il se contenta de changer d’exercice, apparemment désireux de tester quelles étaient ses limites dans… toutes les disciplines magiques ?!

— Réponds-moi honnêtement, finit par soupirer Xvim. Es-tu vraiment Zorian Kazinski ?

— Euh, oui ? bafouilla Zorian, perplexe. Pourquoi cette question ?

— Tu es trop bon, lui annonça brutalement Xvim.

Quoi ? Maintenant, Xvim décidait que Zorian était trop bon ? Qu’est-ce que c’était que cette nouvelle version de l’histoire ? Il avait envie de lui retourner la question, était-il vraiment Xvim ?! Il n’avait pourtant rien fait de plus impressionnant qu’à l’ordinaire.

— Je prends ça comme un compliment, dit Zorian. Je suis définitivement Zorian Kazinski, cela dit. Il n’y a pas de doutes à ce sujet.

— Alors comment expliques-tu tes talents en façonnage du mana ? demanda Xvim, imperturbable. Tu as un talent totalement impossible pour ton âge et tes antécédents familiaux. Peu importe à quel point tu es bon, peu importe même ton très cher frère, tes compétences sont juste… trop profondes et précises pour être autre chose que le résultat d’années d’entraînement intensif.

— J’ai commencé très jeune, tenta Zorian.

Xvim le regarda, pas amusé du tout.

— Je vais être parfaitement honnête avec toi, Zorian Kazinski, soupira une fois de plus Xvim. Je sais que je t’ai enseigné ces exercices. Pas tous, mais clairement ceux que tu as appris correctement. Non seulement m’as-tu montré certaines façons de faire que je suis le seul, à ma connaissance, à proposer, mais tu sembles également me connaître suffisamment pour anticiper mes requêtes avant même que je ne les formule.

Oups. Il avait fait ça ? Il ne l’avait même pas réalisé.

— Le problème, Zorian Kazinski, dit formellement Xvim en s’avançant sur son siège pour le fixer d’un regard indéchiffrable. Le problème, c’est que je ne me souviens pas te les avoir jamais enseignés. Et je t’assure que j’ai une excellente mémoire. J’aimerais une explication, si cela ne te dérange pas.

Zorian resta muet pendant presque une minute complète, réfléchissant à ce qu’il devait répondre à ça. Il pouvait jouer l’imbécile, mais il sentait que Xvim ne laisserait pas passer une telle attitude ; il n’était pas le dernier des idiots, et il venait de le prouver en beauté. Il pourrait lui raconter qu’il avait lu dans son esprit par le passé. En imaginant qu’il soit, du coup, un mage mental hors du commun pour avoir réussi une telle prouesse sans se faire surprendre, et ce fait sera difficile à cacher si Xvim tentait de le sonder en profondeur à la recherche de la vérité. Il était dans son intérêt de ne pas laisser les choses dégénérer en une telle investigation.

Il pouvait activer le levier de son âme, mais… ça semblait très excessif à ce point. Il ne pouvait pas faire ça pour un oui ou un non, dès que la moindre chose n’allait pas. Et il pouvait toujours le faire par la suite si la situation se détériorait à ce point. En plus, l’activer si tôt dans le mois pourrait attirer sur lui une attention indésirable de la part des deux autres voyageurs.

Serait-ce si mal de dire la vérité à son mentor ? Cet homme savait comment protéger son esprit, et ne se promènerait sans doute pas en criant ce qu’il avait appris à qui voulait bien l’entendre. Autant Xvim l’ennuyait, autant il était un mage adulte et capable, qui en savait clairement long sur les limitations de la magie et le développement de celle-ci. Il pourrait en vérité être utile de le convaincre…

— J’attends, Zorian, le rappela Xvim à l’ordre.

— Très bien, soupira Zorian un peu à contrecœur. La vérité, c’est que nous sommes tous piégés dans une boucle temporelle. Le mois entier, du début à la fin, jusqu’à la nuit du festival d’été, se répète inlassablement, mais tout le monde oublie tout ce qu’il s’y est passé lorsque le temps repart en arrière. Certaines personnes s’en souviennent, et j’en fais partie…

Xvim écouta l’explication de Zorian sans piper mot, sans poser de questions ni faire preuve d’incrédulité. Zorian ne lui raconta pas tout, bien sûr – il ne dit rien quant à l’invasion qui prendrait place à la fin du mois, par exemple, et il garda secret un maximum de choses à son sujet. Il ne dirait définitivement pas au type qui le soupçonnait peut-être d’avoir lu dans son esprit qu’il était capable de bien plus que ça !

Au bout d’un moment, les explications de Zorian prirent fin et le silence tomba sur la pièce. Xvim sembla perdu dans ses pensées et Zorian était parfaitement à l’aise d’attendre sa réaction sans réagir.

— Donc, finit par statuer Xvim. Tu dis que nous revivons ces sessions depuis plusieurs années désormais, sauf que je les oublie toutes les quelques semaines.

— Oui.

— Ça a dû s’avérer une expérience bien misérable pour toi, dans ce cas, fit remarquer Xvim de façon candide.

— Euh… bégaya Zorian, peu sûr de la façon dont il devait répondre.

— Je ne suis toujours pas sûr de croire à cette histoire, avoua Xvim. Elle semble aussi incroyable qu’impossible. Cependant, en imaginant que tu me dises la vérité, je me sens obligé de te présenter mes excuses pour le comportement de mes… erm, précédents moi. Tu vois, je mets un point d’honneur à me montrer très demandant et intolérant pendant le premier mois.

Quoi ?

— Quoi ?

Zorian ne parvenait pas à croire à ce qu’il entendait.

— Ça forge le caractère et décourage ceux qui ne sont pas capables, expliqua Xvim en haussant les épaules d’un air pas du tout repentant. De plus, la plupart des étudiants qui me sont envoyés ont besoin de gagner un peu d’humilité, pour leur propre bien. Malheureusement, une boucle temporelle ne colle pas très bien avec un tel comportement. Je ne t’aurais jamais fait traverser des années de ce traitement si j’avais eu un quelconque contrôle sur la situation.

Zorian était déchiré. Devait-il hurler de joie ou lui en coller une dans la face ? Il faisait passer chaque étudiant par un mois de souffrance en se comportant comme un enfoiré pour tester leur caractère ? C’était si stupide ! Comment pouvait-il s’imaginer qu’il s’agissait là d’un truc intelligent à faire ?

— Je ne peux pas possiblement trouver des mots adéquats pour vous exprimer à quel point j’ai envie de vous frapper, là, tout de suite, avoua Zorian.

— Nous parlerons de l’amélioration de ton vocabulaire en un autre temps, lui répondit simplement Xvim avant de déposer un crayon et une feuille de papier entre eux. Pour l’instant, j’aimerais que vous couchiez par écrit quelques preuves que je pourrais vérifier pour confirmer ton histoire.

Lançant à Xvim un dernier regard, Zorian ramassa le crayon se mit à écrire – avec son mana et sans bouger les mains, juste pour l’impressionner, naturellement en vain. Ç’allait être un très long mois, oh oui.

Raka
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9 thoughts on “MoL : chapitre 48

  1. La fin avec l’aveu de Xvim ma fais pleurer de rire… pauvre Zorian dire qui le supporte depuis 2 à 3 ans comme ça XD
    Merci pour le chapitre

  2. Merci pour ces deux chapitres( j’ai faillit louper le bonus).

    Ha la fin, c’est une véritable pépite ^^, ça faisait un moment que j’attendais que Xvim rentre dans la confidence, je sent que ça va être bien intéressant ^^

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