MoL : chapitre 4
MoL : Chapitre 6

Chapitre 5 – Recommencer

 

Zorian ouvrit les yeux d’un seul coup, une douleur aiguë dans l’estomac. Son corps tout entier se convulsa en réaction à l’objet qui venait de lui tomber dessus ; ce fut ce qui l’éveilla brusquement, la moindre trace de somnolence parfaitement dissipée.

— Bonjour, mon frère ! Résonna une voix désespérément joyeuse quelque part au-dessus de lui. Bonjour, bonjour, bonjour !

Zorian fixa Kirielle, sous le choc. Il tenta de comprendre ce qui venait de se passer. La dernière chose dont il se souvenait, c’était la liche qui lançait un sort étrange sur Zach et lui et puis ensuite, le néant. Ses yeux cherchèrent à droite, à gauche, frénétiquement, afin d’analyser son environnement et de confirmer ses soupçons. Il était dans sa chambre, de retour à Cirin. Ce qui n’avait absolument aucun sens. Il était heureux d’avoir pu survivre à cette terrible expérience, mais au moins, il espérait reprendre connaissance à l’hôpital. Kirielle n’aurait pas dû être si familière avec lui après ce qu’il venait de vivre – même en considérant qu’elle se fichait pas mal s’il pouvait être malade ou blessé. D’ailleurs, la scène toute entière était…

…trop familière.

— Kiri ?

— Hm, oui ?

— Quel jour sommes-nous ? demanda Zorian, déjà effrayé par la réponse attendue.

— Mardi.

Il fit la moue.

— Je veux dire, la date, Kiri. Quel jour sommes-nous ?!

— Le premier de Chariot. Tu pars pour l’académie aujourd’hui. Ne me dis pas que tu as oublié ça, poussa sa petite sœur. Littéralement – elle accompagna ses mots d’un coup bien placé dans les côtes de son frère, plantant son index tendu entre ses os. Zorian claqua sur sa main pour la dégager, sifflant de douleur.

— Je n’ai pas oublié ! coupa Zorian. Juste… C’est juste que…

Il s’arrêta là. Qu’était-il supposé lui dire ? Franchement, il n’avait aucune idée de ce qui lui arrivait lui-même !

— Tu sais quoi ? finit-il par murmurer après un moment de silence. Oublie ça, je pense qu’il est temps que tu descendes.

Avant que Kirielle ne pût répondre, Zorian l’attrapa et la retourna par-dessus le bord du lit puis en sortit à son tour d’un bond.

Il attrapa ses lunettes dans le tiroir proche et fit glisser ses yeux d’un bout à l’autre de la pièce avec plus d’attention pour le détail qu’à son habitude, cherchant n’importe quoi qui aurait été étrange, pas en place, décalé ou anormal. N’importe quel truc qui aurait pu faire tomber le masque et lui permettre de révéler une blague géante, bien que de mauvais goût. Tandis que sa mémoire n’était pas sans faille, il avait pour habitude de ranger ses affaires d’une manière précise et particulière afin de détecter toute trace de fouille de la part de sa famille. Il ne trouva absolument rien d’anormal, et à moins que celui qui avait mis tout ça en place connût la moindre de ses habitudes sur le bout des doigts – et c’était improbable – ou que Kiri eût enfin décidé de respecter la sacro-sainte intimité de sa chambre – l’enfer aurait gelé bien avant – alors il était réellement dans sa chambre, telle qu’il l’avait laissée à Cirin le jour de son départ.

Un rêve, alors ? C’était bien trop réel pour ça. Ses rêves avaient toujours été vagues, insensés et s’évaporaient dès qu’il n’y pensait plus. Cette expérience avait le goût de souvenirs, pas d’un rêve. Pas d’oiseaux bavards, de pyramides flottantes ou de loups à trois yeux se mêlant à d’autres scènes surréalistes comme d’habitude. Et il y avait bien trop – un mois entier, c’était bien trop pour un simple rêve. Non, il n’avait pas rêvé son temps à l’académie.

— Maman veut te parler, balança Kirielle depuis le sol où elle gisait toujours, apparemment peu pressée de se lever. Mais eh, tu peux me montrer un peu de magie avant de descendre ? S’il te plaît, s’il te plaîîîît ?

Zorian fronça les sourcils. De la magie, hein ? À bien y penser, il en avait appris, des choses sur la magie. Sûrement, si ç’avait été un rêve particulièrement élaboré, ce qu’il y avait appris s’avèrerait totalement illogique et pas du tout fonctionnel, n’est-ce pas ?

Il fit quelques gestes des mains et récita une incantation avant de les rassembler devant lui, en forme de coupe. Une balle de lumière flottante y naquît aussitôt.

— C’est incroyable ! s’écria Kirielle en touchant la boule lumineuse du doigt pour se rendre compte qu’elle la traversait sans résistance. Peu surprenant, en réalité, puisqu’il ne s’agissait que de lumière. Elle retira sa main et l’observa avec curiosité, comme si elle s’attendait à trouver un quelconque changement si elle persistait. Zorian ordonna mentalement à l’orbe de voler dans la pièce et de faire plusieurs fois le tour de Kirielle. Ouais, il connaissait définitivement ce sort – il n’avait pas seulement conservé le souvenir de la procédure de lancement, mais même celui de la façon de le contrôler après coup. Vous n’apprenez pas des choses comme ça dans un rêve, même quelque chose de prophétique, merde.

— Encore ! Encore ! supplia Kirielle.

— Oh, allez, Kiri, soupira Zorian, vraiment pas d’humeur à en rajouter. Je t’ai déjà montré une fois, non ? Va trouver autre chose à faire pour t’amuser.

Elle lui offrit une jolie moue, mais il était trop immunisé à ce genre de comportement de sa part. Elle fronça alors les sourcils et se redressa soudain comme si elle venait de se souvenir de quelque chose.

Et à bien y repenser…

— Non ! cria Zorian, mais il était déjà trop tard. Kiri s’était déjà précipitée dans la salle de bains et en avait claqué la porte.

— Merde, Kiri ! Pourquoi as-tu attendu que je me lève ?

— J’aimerais pas être à ta place, réponse attendue et qui arriva.

Zorian s’avança jusqu’à ce que son front touche la porte. Il le savait et il était tombé en plein dedans malgré tout.

Il grimaça. Il le savait, en effet. Peu importe ce qu’étaient ces « mémoires futures », elles semblaient relativement fiables. Est-ce que Cyoria allait réellement se faire envahir pendant le festival d’été, dans ce cas ? Que devait-il faire à ce propos ? Que pouvait-il faire ? Il secoua la tête et retourna dans sa chambre. Il n’allait pas perdre de temps à se poser ce genre de question tant qu’il n’aurait pas compris ce qui s’était vraiment passé. Il verrouilla sa porte afin d’avoir un peu d’intimité et se rassit sur son lit. Il fallait réfléchir.

Ok. Alors il avait vécu un mois complet de scolarité avant… que quelque chose n’arrivât… et puis il s’était réveillé dans sa chambre, de retour à Cirin comme si le mois entier ne s’était pas écoulé. Même en incluant la magie comme facteur principal du problème, c’était absurde. Le voyage dans le temps était impossible. Il ne possédait aucun livre discutant du sujet suffisamment pour que le concept en lui-même fût crédible, mais tous les passages qui traitaient du voyage dans le temps étaient d’accord sur un point : c’était irréalisable. Même la magie dimensionnelle ne pouvait pas faire plus que plier le temps afin de l’accélérer ou le ralentir. Il s’agissait de l’une des choses que les mages jugeaient sans exception au-delà de toute possibilité humaine.

Alors comment avait-il pu vivre tout ça ?

En pleine consultation des livres qu’il gardait dans sa chambre, il cherchait le moindre type de magie capable de simuler un voyage dans le temps d’une quelconque façon quand on frappa à sa porte. Il réalisa qu’il était toujours en pyjama et que sa mère voulait lui parler, un peu plus tôt. Il se changea en toute hâte et ouvrit la porte pour se retrouver sous l’œil de deux femmes, l’une d’entre elle uniquement se trouvant être sa mère.

Il faillit saluer Ilsa par son nom, mais se ravisa juste à temps.

— Une professeure de l’académie est venue pour te parler, expliqua sa mère, le regard désapprobateur lui annonçant clairement qu’elle allait lui parler une fois Ilsa partie.

— Salutations, entama Ilsa. Je m’appelle Ilsa Zileti de l’Académie Royale des Arts Magiques de Cyoria. J’espérais m’entretenir avec vous d’affaires vous concernant avant votre départ. Ce ne sera pas long.

— Bien entendu, accepta Zorian. Hm… Où voulez-vous…

— Votre chambre fera l’affaire, répondit Ilsa.

— Je vais vous chercher quelque chose à boire, coupa la mère de Zorian en s’excusant.

Zorian observa Ilsa tandis qu’elle sortait diverses paperasses et les plaçait sur son bureau, tentant de décider par où commencer. Si ses souvenirs futurs étaient valides, elle devrait lui tendre ce parchemin dès maintenant.

Ouais, voilà. C’était exactement ça. Savoir ce qui allait se passer par avance était étrange, vraiment.

Pour maintenir les apparences, Zorian examina le parchemin d’un œil curieux avant d’y injecter un peu de mana. C’était exactement comme il s’en rappelait : la calligraphie, les phrases aux tournures trop officielles, le sceau élaboré au bas du document ; Zorian sentit une vague d’effroi glacé lui descendre le long de la colonne. Dans quoi exactement venait-il de se fourrer ? Il n’avait aucune idée de ce qui lui arrivait, mais c’était énorme. Vraiment énorme.

Il sentit le besoin urgent de dire à Ilsa ce qui se passait et de chercher conseil auprès d’elle, mais il se retint. C’était de facto la chose la plus sensible à faire, un mage comme elle était probablement bien plus à même de traiter le sujet qu’il ne l’était lui-même, mais que pouvait-il sincèrement lui dire ? Qu’il se souvenait de choses qui ne s’étaient pas encore déroulées ? Ouais, elle en finirait rapidement. D’ailleurs, en considérant la nature de ses futurs souvenirs, il pouvait facilement se voir arrêter si une conspiration concernant l’invasion de Cyoria venait à être déterrée grâce à lui. Après tout, c’était bien plus crédible de le voir comme traître à une conspiration mise à mal suite à son aveu que les délires d’un voyageur du temps ou d’un prophète en herbe. L’idée de deux agents gouvernementaux en train de le torturer pour des informations lui traversa brièvement l’esprit et le fit frissonner.

Non, il était plus prudent de tout garder pour soi pour l’instant.

Ainsi, pour les dix minutes qui suivirent, Zorian revécut de façon basique sa première rencontre avec Ilsa, ne voyant pas l’intérêt de choisir différemment cette fois – tous les choix qu’il avait faits l’avaient été pour des raisons toujours aussi valides. Il ne chercha pas à se plaindre de Xvim parce qu’il savait déjà que c’était inutile et ne réclama pas une pause salle de bains puisqu’il savait déjà quelles options il désirait. Ilsa semblait totalement indifférente à son étrange comportement sûr de lui, apparemment tout aussi pressée que lui de voir la fin de ce rendez-vous. Et puis, encore une fois, pourquoi aurait-elle dû s’en étonner ? Elle ne possédait aucun souvenir lui rappelant ce avec quoi elle pouvait comparer leur première rencontre, elle ne le connaissait même pas jusqu’alors.

Zorian soupira et secoua la tête. Les souvenirs qui lui trottaient dans la tête avaient réellement l’air de vrais souvenirs et il était compliqué de les ignorer. Oui, ça allait être un très long mois.

— Tout va bien, monsieur Kazinski ?

Zorian leva des yeux curieux vers Ilsa, tentant de deviner pourquoi elle avait posé cette question. Elle fixa les mains du jeune homme pendant un court instant, mais Zorian le remarqua. Ses mains tremblaient. Il serra les poings et prit une profonde inspiration.

— Je vais bien, répondit-il avant de laisser couler deux secondes d’un silence inconfortable durant lequel Ilsa ne souhaitait visiblement pas cesser de l’étudier. Puis-je vous poser une question ?

— Bien entendu, acquiesça Ilsa. C’est pour ça que je suis là.

— Que pensez-vous du voyage dans le temps ?

Elle fut clairement prise au dépourvu par la question – c’était probablement l’une des dernières choses qu’elle s’attendait à entendre de la bouche de ce futur troisième année. Elle se reprit rapidement, cela dit.

— Le voyage dans le temps est impossible, lâcha-t-elle fermement. Le temps peut uniquement être dilaté ou compressé, jamais inversé ou sauté.

— Pourquoi ? s’enquit Zorian, honnêtement curieux et n’ayant jamais vraiment lu une véritable explication de l’impossibilité du voyage temporel, même si c’était surtout parce qu’il n’avait jamais été très intéressé par le sujet.

— J’admets que je n’en sais pas énormément quant aux détails, soupira Ilsa. Mais nos théories les plus poussées indiquent qu’aller contre le courant temporel est impossible, simplement. Comme dessiner un cercle carré, pas comme impossible de remonter un fleuve. La rivière du temps coule dans une direction, point. Au-delà de ça, d’innombrables tentatives parsèment l’Histoire, toutes des échecs purs et simples.

Elle lui offrit un regard acéré et suspicieux.

— J’espère sincèrement que vous ne gaspillerez pas vos talents dans une quête d’imbécile.

— J’étais juste curieux, se défendit Zorian. Je venais de lire un chapitre qui parlait des limitations de la magie et je me demandais pourquoi l’auteur était si certain que le voyage dans le temps était impossible.

— Eh bien, maintenant, vous savez, conclut Ilsa en se levant. Maintenant, si c’est tout, je dois vraiment y aller. Je serai ravie de répondre à toutes vos autres questions lundi après les cours. Passez une bonne journée.

Zorian la suivit du regard tandis qu’elle quittait la chambre et très sûrement la maison. Il s’effondra ensuite sur son lit et y repensa.

Définitif.

Un très long mois.

 

___

 

 

Pour une fois, le voyage en train ne berça pas Zorian. Il avait habilement noyé sa mère sous des sujets sensibles quand elle avait tenté de le sermonner et il était plutôt certain désormais que ce n’était pas une quelconque illusion élaborée, à moins que l’illusionniste eut été au courant de secrets de famille très bien gardés. Et Zorian était bien trop lucide pour que ce fut une hallucination, également. Pour autant qu’il pouvait l’affirmer à ce moment, il avait tout simplement réellement voyagé dans le temps. Il passa la majorité de son trajet à écrire la moindre chose importante à laquelle il pouvait penser ; il était sûr que ses souvenirs n’allaient pas disparaître sous peu, mais ça l’aidait à organiser le chaos qu’il avait dans la tête, remarquer des détails qui lui auraient échappés autrement, aussi. Il nota qu’il avait oublié de récupérer ses affaires sous le lit de Kirielle dans toute cette confusion, mais décida que ça n’avait pas d’importance. Si les cours étaient les mêmes que la fois précédente, il n’en aurait pas besoin pour le mois à venir.

C’était ce dernier sort, lancé par la liche et qui avait touché Zach et lui. Zorian en était sûr, maintenant. Le problème ? Zorian n’avait aucune idée de ce que pouvait être ce sort – même les mots étaient récités dans une langue inconnue ! Les incantations standards qui utilisaient l’Ikosien comme base permettaient à Zorian de saisir le principe et le but d’un sort rien qu’en entendant le cantique, mais la liche avait récité un truc totalement abracadabrant. Heureusement, Zorian avait une excellente mémoire et se souvenait de la plupart des consonances de l’incantation, aussi la coucha-t-il sur papier sous la forme la plus phonétique qu’il pouvait adopter. Il était absolument certain qu’il ne trouverait pas un tel sort au niveau auquel il pouvait descendre dans la bibliothèque de l’académie, et s’il existait seulement ailleurs que dans la tête d’une liche, il serait obligatoirement gardé sous clé à un niveau des plus restreints, mis bien hors de portée des mages du premier cercle tels que lui. Par contre, il pourrait commencer par chercher à identifier la langue utilisée dans un premier temps en trouvant un dictionnaire quelque part dans l’académie.

L’autre indice concernant tout ça, c’était Zach lui-même. Le gamin avait été capable d’affronter une liche – une PUTAIN DE LICHE – pendant plusieurs minutes avant de succomber. Même si le monstre s’était amusé avec lui, ça restait sacrément impressionnant. Zorian plaçait Zach à égalité avec les mages du troisième cercle, et peut-être plus haut encore. Mais que faisait ce type à l’académie, à jouer les étudiants de troisième année ? Quelque chose était louche à propos de Zach, même si Zorian n’allait pas lui en parler directement tant qu’il n’aurait pas trouvé quoi. Pour ce qu’il en savait, ça aurait très bien pu être un cas typique de Tu en sais trop à notre sujet, maintenant tu dois mourir. Il allait devoir la jouer finement à proximité de l’héritier Noveda.

Zorian ferma le carnet de notes et passa la main dans ses cheveux. Peu importe la façon dont il la regardait, la situation entière était totalement folle. Possédait-il vraiment des souvenirs du futur ou devenait-il simplement fou ? Les deux possibilités étaient terrifiantes et il n’était absolument pas de taille à gérer la situation lui-même, mais il ne savait pas non plus comment aborder le sujet afin de pousser quelqu’un à l’aider sans se faire interner ou torturer.

Il décida d’y réfléchir plus tard. Le lendemain, en fait. Tout ceci était vraiment trop bizarre, et il devait dormir avant de pouvoir décider quoi que ce fut.

— Excusez-moi, ce siège est libre ?

Zorian leva les yeux vers la personne qui venait de lui parler et la reconnut après une petite seconde de connexion. La fille au col roulé vert le rejoignait dans son compartiment. Bien entendu, la fois précédente, elle n’avait pas poussé le vice jusqu’à lui demander la permission. Qu’est-ce qui avait changé ? Ah, ça n’avait pas d’importance. Ce qui avait de l’importance par contre, c’était qu’elle allait être suivie par quatre autres filles. Bruyantes, odieuses. Pas moyen de passer un second voyage en leur compagnie à les écouter déblatérer toutes leurs conneries… une fois de plus.

— Ouais, acquiesça-t-il. En fait, je partais. Nous sommes à Korsa, n’est-ce pas ? Bonne journée, Miss.

Il attrapa rapidement sa valise et partit en quête d’un autre compartiment, abandonnant la fille au col roulé à son triste sort.

Peut-être que ces souvenirs étaient bons à quelque chose, finalement.

 

___

 

 

Bam !

— Cafard !

Bam ! Bam ! Bam !

— Cafard, ouvre cette saloperie de porte ! Je sais que tu es là !

Zorian roula sur son lit et grogna. Mais que faisait Taiven à sa porte si tôt ? Non, attends… Il attrapa le réveil posé sur sa table de chevet et l’approcha de son visage. Elle n’était pas là spécialement tôt, il avait dormi jusqu’à midi. Huh. Il se souvenait s’être rendu directement de la gare à l’académie pour s’effondrer quelques mintutes plus tard, dans sa chambre. Pourtant, il avait quand même réussi à dormir si longtemps ? Apparamment, mourir et s’éveiller dans le passé était une affaire éreintante.

BamBamBamBAMBAMBAM !

— J’arrive, j’ARRIVE ! hurla Zorian. Arrête de massacrer ma porte comme ça !

Naturellement, elle continua simplement de martyriser la pauvre porte avec encore plus d’enthousiasme. Zorian se dépêcha de se rendre plus ou moins présentable et s’avança d’un pas lourd vers l’entrée. Baissant la clanche, il offrit à Taiven un regard glacial…

…qu’elle se hâta d’ignorer.

— Enfin ! critiqua-t-elle. Mais qu’est-ce que tu fichais ?!

— Je dormais, avoua Zorian en grognant.

— Vraiment ?

— Oui, insista-t-il.

— Mais…

— J’étais épuisé, coupa Zorian. Complètement. Et qu’est-ce que tu fous encore sur le pas de la porte ? Entre.

Elle se précipita à l’intérieur de la chambre et Zorian eut besoin d’un moment avant de pouvoir l’affronter. Dans ses souvenirs, elle ne lui avait jamais rendu visite après qu’il eut refusé de l’accompagner en mission dans les égoûts, ce qui en disait long sur ce qu’elle pensait de leur « amitié ». Et puis, encore une fois, il n’avait à peu près plus du tout pensé à elle jusqu’alors, donc il était peut-être mal placé pour la juger. Dans tous les cas, il était encore moins enclin à la rejoindre maintenant qu’il ne l’avait été la première fois – il y avait des affaires bien plus urgentes à régler de son côté en plus de l’appréhension générale : tout ce qu’il avait dans la tête était-il valide cette fois encore ? De la sorte, il se sentit bien moins coupable en la jetant dehors après avoir refusé son offre une fois de plus. Il ne lui fallut qu’une heure pour la convaincre de le laisser seul.

Ceci fait, il prit immédiatement la route en direction de la librairie en faisant un léger détour par une boulangerie proche pour y acheter un encas pour plus tard. Une fois sur place, il se mit en quête de livres traitant du voyage dans le temps et de dictionnaires qui lui permettraient d’identifier l’étrange langage de la liche.

Dire qu’il fut profondément déçu aurait été un euphémisme. D’une part, il n’existait là aucun ouvrage abordant le thème du voyage dans le temps. Le sujet n’était pas considéré comme un champ de recherche sérieux, avec toute cette impossibilité et qu’en savait-il d’autre. Le peu qui était écrit à ce propos était disséminé au travers d’innombrables titres çà et là, dissimulé dans des sections non répertoriées de la bibliothèque ou dans des paragraphes sans rapport de livres aléatoires. Percer à travers toutes ces informations était une véritable corvée et pas gratifiante pour un sou, avec ça – rien de ce qu’il avait pu trouver n’était à même de l’aider à résoudre le mystère dans lequel il était plongé. Dénicher le langage de la liche s’avéra être une tâche encore plus frustrante : il ne parvint même pas à identifier les racines de ce charabia, alors en traduire le propos…

Il passa le week-end entier plongé en vain dans des textes, abandonnant finalement ses efforts quand il était devenu évident que ça n’allait rien donner. En plus, les employés de la librairie commençaient à le regarder étrangement en se rendant compte de ses choix littéraires, et il ne voulait pas donner naissance à quelque rumeur infondée et malheureuse. Heureusement, il se jugeait capable de pousser Zach à révéler ce qui se passait quand les cours commenceraient.

 

___

 

— Tu es en retard.

Zorian fixa l’expression solenelle d’Akoja, perdu dans ses pensées. Il était heureux de ne pas avoir à gérer un drame suite à son comportement désastreux le soir du bal – presqu’aussi heureux que de ne pas être mort – mais ne pouvait pas s’empêcher de se questionner quant à son comportement le soir de sa mort. Elle n’avait pas vraiment l’air d’avoir craqué pour lui, alors pourquoi les commentaires de Zorian l’avaient-ils tant affectée ?

— Quoi ? demanda-t-elle, faisant réaliser à Zorian qu’il la fixait silencieusement depuis un peu trop longtemps, oupsi.

— Ako, pourquoi me dis-tu ça alors que la moitié de la classe n’est pas encore là ? demanda Zorian.

— Parce qu’il y a une chance que tu écoutes, contrairement à eux, admit la déléguée. Et puis quelqu’un comme toi devrait être un exemple pour les autres étudiants, pas se rabaisser à leur niveau.

— Quelqu’un comme moi ? releva Zorian.

— Entre dans la salle, trancha Akoja.

Il soupira et s’exécuta. C’était sans doute pour le mieux de laisser les choses telles quelles – il avait d’autres problèmes à gérer et elle était largement trop attachée aux règles à son goût de toute façon.

Il ne savait même pas ce à quoi il s’attendait maintenant qu’il était entré dans la salle. Que tout le monde s’arrête et le regarde d’un air interloqué, peut-être ? Au moins, il aurait une raison de se sentir si nerveux en s’apprêtant à suivre le premier cours de l’année pour la deuxième fois. Bien entendu, personne ne nota vraiment son arrivée. Ce n’était pas une deuxième fois, pour eux… et Zorian ne faisait rien de particulièrement étonnant. Il broya son malaise en prenant place au fond de la classe, épiant discrètement l’arrivée des nouveaux dans le but d’y trouver Zach. Il était sûr que son camarade était connecté à tout ça d’une quelconque façon, et ce mystérieux adolescent apparaissait à Zorian comme le meilleur moyen de comprendre ce qui lui arrivait.

Il y eut une légère agitation quand le familier de Briam, le drake de feu, se mit à siffler et à chasser le voisin terrifié de Briam dans un nuage de cendres, mais son maître le calma rapidement. Apparemment, le reptile magique détestait ce pauvre voisin encore plus que Zorian. Dans tous les cas, Ilsa arriva peu après et le cours débuta.

Zach n’apparut jamais.

Zorian passa la totalité du cours entièrement hébété, choqué par la tournure des évènements. Où pouvait donc être passé Zach ?! Tout s’était déroulé grosso modo comme la première fois, l’absence de Zach en étant la première déviation majeure. Cette absence cimenta Zach au rôle du type absolument connecté à toute cette folie, mais le plaçait également hors de portée de Zorian pour l’instant.

Le cours fut encore plus ennuyeux que la première fois ; de sa perspective, il avait déjà vu ces révisions un mois auparavant. Apparemment, Ilsa travaillait avec une espèce de script, parce que son cours était en tout point identique à celui dont il se souvenait, la seule différence notable se trouvant dans le fait que Zach n’était pas là pour concurrencer Akoja dans la course des bonnes réponses.

C’était presque drôle, la façon dont les choses semblaient plus claires en rétrospective. Zach avait agi étrangement depuis le tout début, dans ce tout premier cours, mais Zorian n’en avait eu cure. Bien entendu, Zach se portant volontaire pour répondre aux questions était tout à fait étranger à son caractère mais pas totalement impossible. Il s’agissait d’une simple session de révisions, après tout ; ils devaient tous connaître déjà ces choses pour passer la certification en fin de seconde année. Il avait fallu deux longues semaines pour que tout le monde commence à se rendre compte des progrès phénoménaux de Zach.

Tant de questions, si peu de réponses. Zorian ne put qu’espérer que Zach finirait par se montrer tôt ou tard.

 

___

 

Zach ne vint pas en cours ce jour-là, ni le suivant et encore moins le surlendemain. Arrivé vendredi, Zorian était plutôt sûr qu’il ne se montrerait jamais. Selon Benisek, Zach avait simplement disparu de sa maison le jour où Zorian avait pris le train pour Cyoria et personne n’avait jamais eu le moindre indice quant à ce qui lui était arrivé. Zorian ne pensait pas pouvoir inventer quoi que ce fut que les enquêteurs engagés par la famille de Zach n’aient pas fait, et comme il ne voulait pas attirer l’attention sur lui plus que de raison, il mit le mystère « Zach » de côté pour le moment.

Sa scolarité se passait bien, au moins. Grâce à ce qu’il savait par avance, il fit un perfect au test surprise de Nora Boole sans même avoir à étudier le sujet – une simple révision de dernière minute était suffisante. Une fois que les cours allaient réellement commencer, ça allait probablement changer, mais pour le moment, il avait tout le temps du monde pour réfléchir à ce qu’il devait faire concernant le festival d’été qui approchait trop rapidement et l’assaut qui allait l’accompagner.

Malheureusement, avec Zach absent, Zorian était dans une impasse de tous les côtés et ne savait désormais plus que faire.

— Entrez.

Zorian ouvrit la porte du bureau de Xvim et soutint son regard avec défiance. Il était confiant dans la précision de ses souvenirs – mise à part l’absence étrange de Zach – et savait qu’il allait au-devant d’un nouvel exercice de frustration. Il fut momentanément tenté de boycotter les rendez-vous avec son mentor, mais il soupçonnait Ilsa d’avoir vu dans sa persévérance stoïque ce qui l’avait poussée à le prendre sous son aile. D’ailleurs, il sentait qu’il accorderait une faveur à Xvim s’il l’abandonnait là – Zorian avait le sentiment tenace que l’homme avait tenté de le faire partir la fois d’avant – et était bien trop méchant pour le mériter. Il s’assit sans maugréer, un peu déçu que l’homme n’eut pas remarqué son geste intentionnellement malpoli.

— Zorian Kazinski ? demanda son mentor, identité aussitôt confirmée par un hochement de tête du principal concerné, qui attrapa avec expertise le crayon qui lui était lancé.

— Montre-moi les trois bases, ordonna l’homme, pas le moins du monde surpris par cet exploit de coordination.

Instantanément et sans même avoir besoin d’un souffle de plus, Zorian ouvrit la main, le crayon bondissant littéralement dans les airs.

— Fais-le tourner, ajouta Xvim.

Zorian ouvrit de grands yeux. Qu’était-il arrivé à ce Recommence ? Son essai actuel n’était pas meilleur ou pire que les derniers qu’il avait en mémoire et la seule réponse de Xvim cette nuit-là avait été la même qu’à chaque fois, Recommence. Qu’est-ce qui avait changé, cette fois ?

— Tu as des soucis d’audition ? demanda Xvim. Fais-le tourner !

Zorian cligna des yeux, réalisant finalement qu’il devrait se concentrer sur son exercice actuel plutôt que sur ses souvenirs. Quoi ? Que voulez-vous dire par là ? Ça ne fait pas partie des trois bases…

Xvim soupira de manière dramatique et ramassa lentement un autre crayon qui se mit à léviter au-dessus de sa paume. Mais au lieu de simplement flotter dans les airs, celui-ci se mit à tournoyer comme un ventilateur.

— Je… Je n’ai aucune idée de la façon de faire ça, admit Zorian. Nous n’avons pas appris ça en cours.

— Oui, la façon dont les cours pourrissent les élèves, c’est criminel, annonça Xvim. Une si simple variante d’un exercice de lévitation ne devrait pas être hors de portée d’un mage certifié. Peu importe, nous allons corriger cette déficience avant de passer à autre chose.

Zorian soupira à son tour. Super. Pas étonnant que personne n’ait jamais pu maîtriser les trois bases pour Xvim si le bonhomme persistait à redéfinir ce que maîtriser signifiait. Il existait probablement des centaines de « variations mineures » pour chacune des trois bases, suffisamment y pour passer des décennies, alors il était peu étonnant que personne n’eût pu toutes les maîtriser en deux petites années. Spécialement en considérant les standards de la maîtrise pour Xvim.

— Allez, le pressa Xvim. Commence.

Zorian se concentra intensément sur le crayon qui flottait au-dessus de sa paume en tentant de deviner comment faire ça. Ce devait forcément être relativement simple. Il devait juste fixer un point de rotation au centre et pousser sur les bords, n’est-ce pas ? En tout cas, ce fut la première chose qui lui traversa la tête. Il parvint à faire légèrement bouger le crayon lorsqu’il sentit un objet familier lui frapper le front.

Zorian fixa Xvim, se maudissant silencieusement pour avoir oublié les mauvaises habitudes de son mentor. Xvim lui rendit son regard tout en analysant le crayon qui flottait toujours dans les airs.

— Tu n’as pas perdu ta concentration, remarqua Xvim. Bien.

— Vous m’avez jeté une bille, protesta Zorian.

— Je ne faisais que te presser, rétorqua Xvim, non-coupable. Tu es trop lent. Tu dois aller plus vite. Plus vite, plus vite, encore plus vite ! Recommence.

Zorian soupira longuement et retourna à la tâche. Ouaip, définitivement un exercice de frustration.

 

___

 

 

Entre l’absence de familiarité avec l’exercice et les interruptions intempestives de Xvim, Zorian ne parvint qu’à faire osciller le crayon à la fin de la session, ce qui était… quelque peu humiliant, en réalité. Ses compétences de mise en forme au-dessus de la moyenne étaient l’une des choses qui le démarquaient des autres mages et il sentait qu’il aurait dû faire bien mieux malgré les tentatives de sabotage répétées de son mentor. Heureusement, un livre expliquant l’exercice dans le détail fut facile à trouver à la librairie de l’académie et il comptait le maîtriser d’ici la semaine suivante. Enfin, pas le maîtriser, non – pas au sens entendu par Xvim – mais il voulait au moins savoir le faire avant d’attaquer la leçon suivante avec Xvim.

Bien sûr, normalement, il ne fournirait pas tant d’efforts pour un simple exercice de mise en forme ennuyeux, mais il avait besoin de se distraire. Au début, la situation toute entière avait été si ridicule qu’il avait trouvé aisé de rester calme et posé. Une partie de lui continuait même à espérer que tout ceci n’était en réalité qu’un rêve et qu’il allait s’éveiller un beau matin en ayant tout oublié. Cette part avait commencé à paniquer et à s’agiter quand il était devenu évident que tout ça était réel. Qu’était-il censé faire ? L’absence mystérieuse de Zach pesait lourdement sur ses épaules, enflammant sa paranoïa et le rendant de moins en moins enclin à parler de l’invasion à quiconque. Zorian n’était pas une personne fondamentalement philanthrope et il ne voulait pas sauver des gens pour tout perdre à la fin. Peu importaient ses souvenirs futurs, il avait une deuxième chance dans la vie – il était plutôt sûr qu’il mourrait, à la fin – et il n’avait aucunement l’intention de reproduire ce qui avait merdé. Il avait considéré le côté éthique de la chose, son devoir de prévenir les gens d’un danger menaçant la ville, mais il devait exister un moyen de le faire sans détruire sa vie ou sa réputation.

L’idée la plus simple était de prévenir le plus de gens possible pour s’assurer qu’au moins certains le prendraient au sérieux, et de le faire face à face plutôt que par écrit ; les lettres pouvaient être ignorées d’une façon qui n’était pas envisageable lors d’une conversation. Malheureusement, ça le pointerait assurément du doigt comme étant totalement fou, et ce, jusqu’au jour de l’assaut. S’il y avait un assaut, rien que ça. Et si les conspirateurs décidaient de faire profil bas, cette fois ? Si leurs plans étaient démasqués et que l’invasion ne se produisait pas ? Et si personne ne le prenait au sérieux à temps avant de décider de le faire passer pour le bouc émissaire ? Et si l’une de ces personnes qu’il essayerait de prévenir était en réalité dans l’autre camp et le faisait tuer avant qu’il ne puisse le dire à d’autres ? Et si, et si… Il y avait bien trop d’éventualités. Et il soupçonnait que l’une d’entre elle était la cause de la disparition de Zach.

Il résulta de ces réflexions l’idée de rester anonyme. Cette idée lui parlait de plus en plus à mesure du temps qui passait. Le problème résidait cependant dans le fait qu’envoyer un message à un grand nombre de personnes sans se faire tracer en retour était chose difficile lorsque la magie pesait sur la balance. Les divinations n’étaient pas toutes-puissantes, mais Zorian ne possédait qu’une compréhension académique de leurs limitations et ses précautions ne tiendraient probablement pas face à un chercheur confirmé.

Zorian soupira et commença à essayer de former une tentative de plan dans son carnet, ignorant complètement l’enthousiasme de leur professeure d’histoire. Il devait décider qui contacter, qu’écrire dans ses lettres et comment s’assurer qu’il ne pourrait pas être retrouvé. Il doutait quelque peu que le gouvernement autorisait les auteurs à publier des méthodes expliquant comment échapper à la divination, mais il comptait malgré ça vérifier ce qui s’en disait à la bibliothèque. Il était si profondément plongé dans sa tâche qu’il ne remarqua pas que le cours était terminé, griffonnant furieusement tandis que tous les autres se levaient et quittaient la salle. Il ne remarqua définitivement pas Benisek regarder par-dessus son épaule.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Zorian ferma son calepin d’un coup sec d’un mouvement réflexe aussitôt que Benisek eut commencé à parler et lui envoya un regard qui en disait long.

— C’est malpoli de lire par-dessus l’épaule des gens, fit-il remarquer en même temps.

— Tendu, hein ? sourit Benisek en traînant bruyamment une chaise depuis la table d’à côté afin de s’installer en face de Zorian. Relax, je n’ai rien lu.

— Pas comme si t’avais essayé, hein ? le piqua Zorian, ce qui élargit encore plus le rictus de Benisek. Qu’est-ce que tu veux, de toute façon ?

— Juste parler un peu, fit Benisek en haussant les épaules. Tu as vraiment changé, cette année. Tu as cette expression frustrée du matin au soir et tu as toujours l’air occupé alors qu’on en est à peine au début de l’année. Je voulais savoir ce qui te gênait, tu vois ?

— Tu ne peux vraiment rien faire pour ça, Ben, soupira Zorian.

Benisek faillit s’étrangler, apparemment outragé par sa remarque.

— Tu veux dire quoi par là ? Je te ferai savoir que je suis un expert en matière de filles.

Ce fut au tour de Zorian de s’étouffer à moitié en tentant de répondre.

— En matière de filles ?!

— Oh, allez, reprit Benisek en éclatant de rire. Sans arrêt distrait ? Perdu dans tes pensées au milieu d’un cours ? Préparer un plan pour envoyer des lettres anonymes ? C’est tellement évident, mec ! Qui est l’heureuse élue ?

— Il n’y a pas d’heureuse élue, grogna Zorian. Et je pensais que tu n’avais rien vu ?

— Écoute, je ne pense pas que le coup des lettres anonymes soit une si bonne idée, avoua Benisek en ignorant complètement sa remarque. C’est tellement… première année, tu sais ? Tu devrais juste aller la voir et lui dire ce que tu ressens, point.

— Je n’ai pas le temps pour ça, souffla Zorian en se levant de son siège.

— Eh, allez… protesta son ami qui lui courait déjà après. Mec, t’es difficile à gérer, on te l’a déjà dit ? Je voulais juste…

Zorian l’ignora. Il n’avait vraiment pas besoin de ça à ce moment précis.

 

___

 

 

Rétrospectivement, Zorian aurait dû savoir que se contenter d’ignorer Benisek n’était pas une bonne idée. Il ne fallut que deux jours à la majorité de la classe pour apprendre que Zorian craquait pour quelqu’un, et leurs spéculations à tout va étaient vraiment dérangeantes. Sans même dire qu’elles étaient une distraction dont il se serait passé. Pourtant, sa gêne disparut le jour où Neolu s’approcha et lui fournit une petite liste des livres qu’il pourrait trouver utiles. Une moitié de lui désirait foutre le feu à la liste, spécialement ces dizaines de petits cœurs qui la décoraient, mais au bout du compte, sa curiosité naturelle prit le dessus et il se précipita à la bibliothèque afin de vérifier de quoi il s’agissait. Il se disait qu’au moins, il allait bien rire en les lisant et il en avait besoin.

Il eut plus que ça, au final – en lieu et place de simples livres donnant des conseils en amour comme il s’y attendait, les livres que Neolu lui avait conseillés traitaient tous de la façon d’écrire des lettres, d’offrir des cadeaux et le tout bien sûr sans se faire repérer par divination ou d’autres types de magie. Apparemment, si vous appeliez ça Amour Interdit : les Mystères des Lettres Ecarlates Révélés et que vous le décriviez comme étant des conseils conjugaux, vous pouviez le publier en passant outre la censure habituelle.

Bien sûr, il n’avait aucune idée du niveau de fiabilité de ces conseils et le bibliothécaire le regardait avec un regard amusé consulter ce genre d’ouvrages, mais il fut malgré tout ravi de les avoir trouvés. Si tout ça fonctionnait en fin de compte, il allait devoir rendre la pareille à Neolu.

Comme le festival d’été approchait, Zorian se prépara et complota. Il acheta un lot complet de feuilles en papier, de crayons et d’enveloppes dans un de ces magasins présentant un air trop pauvre pour organiser une liste de ses clients ou pouvoir les retrouver facilement. Il écrivit ses lettres avec prudence de façon à éviter de révéler tout détail personnel. Il s’assura de ne pas toucher le papier, ne serait-ce qu’avec le bout des doigts, les cheveux ou même une goutte de sueur. Sa calligraphie était volontairement rude et rigide, une police formelle qui n’avait rien à voir avec la sienne. Puis, il détruisit les crayons, l’excédent de papier et d’enveloppes et ce fut fait.

Une semaine avant le festival, il posta les lettres dans différentes boîtes publiques dispersées dans tout Cyoria et attendit.

C’était… éprouvant, nerveusement, pour ne pas en dire plus. Rien n’arriva cependant, personne ne vint le confronter au sujet des lettres, ce qui était une bonne chose, mais rien ne semblait sortir de l’ordinaire non plus. Personne ne l’avait cru ? Les lettres n’avaient-elles pas atteint leurs destinations ? Les gens étaient-ils si subtils dans leurs réactions qu’aucune perturbation n’était visible ? L’attente le tuait.

Finalement, il en eut assez. Le soir avant le bal, il décida qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait et prit le premier train qui quittait la ville. Ses lettres pouvaient avoir fonctionné ou non, mais de ce côté, il était en paix. Si quiconque demandait – et il doutait de cette possibilité – il utiliserait l’excuse de l’accident alchimique. Il avait foiré une potion et inhalé des vapeurs hallucinogènes pour ne reprendre ses esprits qu’une fois loin de la ville. Oui, c’était exactement ce qui s’était passé.

Comme le train s’éloignait de Cyoria sous couvert de la nuit, Zorian réprima ce malaise grandissant et ce sentiment de culpabilité ; il avait fait si peu pour prévenir les gens de l’attaque. Mais qu’aurait-il pu faire d’autre ? Rien, voilà quoi. Rien du tout.

Après quelques instants, il finit par trouver un sommeil agité, bercé par le cahotement rythmique du train, ses rêves emplis d’étoiles filantes tombant sur la ville et de squelettes baignés de vert.

 

___

 

Zorian ouvrit les yeux d’un seul coup, une douleur aiguë dans l’estomac. Son corps tout entier se convulsa en réaction à l’objet qui venait de lui tomber dessus ; ce fut ce qui l’éveilla brusquement, la moindre trace de somnolence parfaitement dissipée.

— Bonjour, mon frère ! Résonna une voix désespérément joyeuse quelque part au-dessus de lui. Bonjour, bonjour, bonjour !

Zorian oublia de respirer, l’espace d’une seconde, en regardant sa sœur sans y croire, sa bouche s’ouvrant et se fermant à intervalles réguliers. Quoi… Encore une fois ?

— Oh, tu te fous de ma gueule ! grogna Zorian, provoquant la fuite de Kirielle qui lui jeta un regard apeuré depuis le bout du lit en pensant qu’il s’adressait à elle. Non, pas toi, Kiri, je… J’ai fait un cauchemar, voilà tout.

Il ne pouvait pas y croire. C’était arrivé, encore une fois ?! Mais putain de merde ! Il était heureux la dernière fois que c’était arrivé, parce que ça lui avait évité de… eh bien, de mourir. Mais maintenant ? Maintenant, c’était juste alarmant. Terrifiant. Pourquoi est-ce que ça lui arrivait ?

Oh, et pendant qu’il se lamentait intérieurement, Kirielle courut se barricader dans la salle de bains une fois de plus. Qu’elle aille se faire foutre !

Raka
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12 thoughts on “MoL : Chapitre 5

  1. Hilarant xD

    L’histoire commence à devenir vraiment intéressante !

    Par contre c’est qui Naolu ?

  2. Ok, c’est comme Edge of tomorrow ( ou plutôt All you need is kill )
    Merci, hâte de voir comment il va évoluer !

  3. Franchement, Un grand merci pour cet découverte!!!
    Une de plus j’ai envie de dire.
    Je l’ai terminé hier soir en vieux google trad tout pourris tellement j’étais à fond dans l’histoire et que j’ai pas pu attendre!!
    108 chapitre de pure bonheur
    Merci

    1. Fort dommage de se gâcher une histoire pareille avec un niveau Gtrad, surtout vu le très haut niveau de l’anglais utilisé et la profondeur du texte 🙁

      1. En effet, la patience est encore en cours d’acquisition….
        Je prendrais le temps de le déguster maintenant !!

  4. Merci pour le chapitre.

    Pauvre Zach qui a vu son âme détruite pour avoir nargué la liche

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