Mol : Chapitre 52

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Chapitre 52 – Les choses s’effondrent

 

Zorian fut pris au dépourvu par l’apparition du dragon squelettique. Après tout, il avait déjà exploré la Maison Iasku à la fin des boucles précédentes, et savait ainsi quel genre de forces possédait Sudomir. Il pouvait à peine s’imaginer avoir réussi à louper un truc aussi énorme, dramatique et draconique. Cerise sur le gâteau, la façon dont ce nouvel ennemi s’était révélé n’était pas que bruyante et spectaculaire, mais il savait clairement où trouver Zorian. Il avait immédiatement pris son envol dans sa direction…

Bon, probablement pas vers lui spécifiquement – selon toute probabilité, il se contenta de faire route vers les dirigeants de l’assaut pour tenter de décapiter la hiérarchie d’un seul coup. L’idée n’était pas mauvaise, la majeure partie des donneurs d’ordres étant rassemblés en un point de commandement. Bien sûr, une telle attaque nécessitait une puissance considérable et une vélocité de même ampleur – du genre à être capable de dépasser la ligne de front et atteindre lesdits commandants à l’arrière, suffisamment brutale pour ne pas être arrêtée par les défenses – mais le dragon squelettique était totalement qualifié pour ça. Il pouvait voler rapidement et était clairement infusé d’une magie puissante.

Malheureusement, les dirigeants de l’assaut incluaient Alanic, de qui Zorian ne s’éloignait jamais beaucoup à cause du rôle qu’il jouait devant les autres prêtres et les militaires. Aussi, il se trouvait qu’un énorme dragon mort-vivant fonçait désormais vers lui à vive allure.

— L’endroit le plus sûr de tout le champ de bataille, mon cul, grommela Zorian, juste assez fort pour être entendu par Alanic.

Le prêtre placide ne répondit rien et se concentra au lieu de ça sur le lancement d’un sort. Une mesure anti-espionnage, si Zorian interprétait correctement ses gestes, aussi fût-il enclin à croire que le prêtre était dérangé par la facilité apparente avec laquelle Sudomir avait réussi à localiser leur centre névralgique. Sans doute tentait-il d’éviter une surveillance plus avancée.

Regardant autour de lui, Zorian remarqua que les autres mages de la zone de commandement se hâtaient également de lancer tout un tas de sorts. Les lieux devinrent rapidement un tourbillon d’activité – et encore plus que ce qu’ils avaient été lors des prémices de l’assaut. Malgré ça, Zorian resta calme, conscient que toute contribution de sa part causerait plus de mal que de bien. Il pouvait à peine comprendre ce qu’il se passait autour de lui, alors comment aurait-il pu s’assurer qu’il ne dérangeait pas une action de prime importance ? À moins que l’un des mages ne demandât expressément son aide, il se retiendrait d’agir.

Le dragon avait à peine entamé son vol vers la zone de commandement qu’un épais nuage noir s’éleva dans le ciel au-dessus de la forêt autour de la demeure. Des becs de fer. Leurs nombres noircirent le firmament et emplirent l’air d’une présence et de cris sinistres qui pouvaient facilement être entendus jusqu’à l’endroit où se trouvait Zorian. Sudomir comptait probablement se servir d’eux comme distraction pour couvrir l’attaque du dragon.

L’essaim de corvidés magiques se sépara rapidement en cinq plus petits groupes qui descendirent sur le champ de bataille en envoyant une pluie de plumes mortelles sur les soldats d’Eldemar. En réponse, l’un des golems de guerre pointa sa paume de métal vers les becs de fer en approche et une série d’explosions retentirent au milieu de leurs rangs chaotiques. Des centaines de ce que Zorian voyait comme des poulets rôtis à point tombaient avec chaque détonation. Les soldats n’étaient pas non plus sans défense, et s’équipèrent rapidement de lance-grenades pour commencer à bombarder les oiseaux de potions étranges qui détonèrent également en éclats de lumière et d’électricité, fauchant sans effort les becs de fer. Malgré ça, leur assaut en fut à peine ralenti et ils continuèrent à approcher, leurs troupes semblant sans fin. S’il y avait quelque chose à en retenir, c’était que la mort de leurs congénères les avait rendus encore plus colériques et belliqueux, si l’on se fiait à ce que racontait l’augmentation de leur férocité et du volume de leurs cris.

Zorian fronça les sourcils et gesticula sur place, peu à l’aise. La boucle entière partait à vau-l’eau depuis un moment maintenant, sentant qu’il avait perdu le contrôle sur la façon dont les choses se passaient depuis un bout de temps. En voyant ce qu’il se passait devant lui, son malaise n’allait que grandissant. Les forces d’Eldemar pourraient même finir par perdre, à ce rythme. Devait-il vraiment activer la fonction de retour immédiat et tout recommencer ?

Non… Non, pas encore. Il prenait un petit risque, car mourir là signifierait qu’il se ferait piéger dans le pilier au sein de la maison de Sudomir, mais il voulait voir comment les choses allaient se développer. Au minimum, il voulait voir comment la bataille allait se terminer. Peut-être que Sudomir avait d’autres surprises pour eux, en plus de ce dragon de dernière minute qui s’approchait rapidement.

Et en parlant du dragon, Zorian s’était attendu à le voir tenter de s’écraser sur eux pour les écraser en combat rapproché. La plupart des squelettes ne pouvaient pas faire grand-chose de plus. Mais évidemment, les formules et la machinerie complexe utilisées dans la construction de ce dragon-là n’étaient pas uniquement de la décoration. Toujours en route vers leur position, il ouvrit sa gueule décharnée et il en sortit un fin rayon jaune, né aux confins de son crâne vide. Le rayon était léger et translucide mais Zorian savait qu’il ne devait pas le prendre pour le faible sort qu’il n’était pas. Traversant la distance entre le dragon et la zone de commandement en un instant, il perdit à peine se structure et sa puissance.

Heureusement, les mages en charge de la défense possédaient d’excellents réflexes – dans le bref laps de temps entre l’ouverture de cette gueule agressive et celui où le rayon en sortit, ils érigèrent un bouclier de protection pour encaisser l’attaque. Contrairement aux barrière que Zorian trouvait familières, celle-ci n’était pas une fine enveloppe de force – c’était un mur ectoplasmique épais et gélatineux qui déformais ce qui se passait de l’autre côté.

Le rayon frappa le mur et y creusa un gros cratère, creusant facilement sur plus de la moitié de sa profondeur. Cependant, le matériau ectoplasmique proche remplit rapidement la crevasse pour combler ce qui en avait disparu, et en quelques secondes, le tout avait l’air aussi intact qu’à sa création.

Le dragon tira deux fois de plus, tentant de surpasser la défense en ciblant le même endroit à répétition, en vain. Il ne pouvait simplement pas infliger plus de dégâts que ce que le mur pouvait régénérer.

Peu marqué par son échec, il continua son vol. Les deux vortex de feu créés pour gérer la horde de morts-vivants initiale, toujours puissants, se déplacèrent pour l’intercepter. Le dragon dévia de sa trajectoire pour confronter l’un d’eux, soufflant une espèce de vague de désenchantement dans sa direction. Bien que la flamme diminuât en intensité, le sort résista. En même temps, volées sur volées de projectiles magiques se mirent à s’élever dans les airs en direction du dragon, désormais à portée des mages. Les sorts hurlèrent, divers et variés en aspect et en puissance, chacun d’eux différent de son voisin et du reste de la volée, d’une certaine façon. Après un instant de contemplation, Zorian réalisa qu’ils testaient les défenses du dragon pour voir s’il existait une faiblesse notable à exploiter.

Malheureusement, les sorts s’écrasèrent et s’avérèrent aussi efficaces que l’attaque précédente du dragon. En partie parce que le dragon était étonnamment agile et dansa dans les airs en esquivant une grande partie des sorts qui lui étaient destinés, et d’une autre part à cause du champ de force qui le protégeait. C’était un simple aegis de force, rien de bien exceptionnel, mais il y avait une raison pour laquelle les aegis étaient si populaires parmi les mages… Ils étaient efficaces. Une pellicule de force comme celle-là pouvait facilement arrêter tout ce qui pouvait être physiquement stoppé… et la plupart des sorts ne passaient pas au travers des objets.

Pourtant, les volées de sorts s’enchaînèrent encore et encore, et les deux vortex de feu firent de leur mieux pour engouffrer le dragon et le traîner vers leurs profondeurs enflammées. Bien que ces vortex eurent l’air de constructions énergétiques, ils pouvaient à l’évidence exercer une sacrée force physique, parce qu’ils parvinrent à complètement entraver l’avancée du dragon. Leurs essais visant à infliger des dégâts quelconques s’avérèrent par contre totalement inutiles. Le dragon squelettique semblait posséder une quantité de mana inextinguible, et il s’en servait pour alimenter ses défenses en temps réel ; tout ce qui s’en approchait été invariablement dévié. Il était probablement alimenté par des âmes piétées, un peu comme la maison qu’il défendait.

Mais son avancée avait été interrompue, et aucune défense n’était réellement parfaite. L’un des mages découvrit qu’un des sorts était particulièrement efficace lorsqu’il s’agissait de pénétrer les défenses magiques de la créature – une espèce de disque fait d’un feu pourpre qui se collait à la surface du bouclier qu’il brûlait ensuite inlassablement – et le moment où la première couche des défenses du monstre mort-vivant-mécanique disparut. Malheureusement, le dragon semblait l’avoir réalisé, comprit qu’il était dans une position peu enviable et intensifia hâtivement sa lutte. Il lança une attaque après l’autre en direction des vortex de feu, tout en accordant de temps à autre un tir perdu dirigé vers les autres menaces qui le bombardaient de sorts, et au bout de quelques instants, les vortex s’éteignirent.

Il se tourna alors pour tirer ses rayons jaunes une fois de plus, mais cette fois pas directement vers la zone de commandement ou vers le reste des forces d’Eldemar. Au lieu de ça, il visa le sol devant ses cibles, traînant le rayon sur de longues distances et soulevant un épais nuage de poussière et de gravats, réduisant la visibilité et empêchant la plupart des sorts d’être lancés efficacement. Nombre de projectiles magiques n’atteignirent pas leur cible ou explosèrent simplement prématurément en entrant dans le nuage de poussière.

Alors, Zorian était totalement certain qu’il n’avait pas affaire à un automate sans cervelle, comme l’étaient normalement les morts-vivants. Les décisions prisent par le dragon indiquaient clairement qu’il y avait un esprit intelligent quelque part, qui dirigeait ses actions – soit la construction elle-même était dotée d’un esprit propre, soit Sodumor la contrôlait directement et en personne, un peu comme Zorian l’avait fait avec les golems la dernière fois qu’il avait envahi le manoir.

Si le dragon n’était pas un mort-vivant stupide et sans esprit, alors il était potentiellement vulnérable à la magie mentale. Zorian tenta d’étendre son sens spirituel pour vérifier cette hypothèse, mais le dragon était encore trop loin pour ça.

— Pouvez-vous l’attirer un peu plus près ? demanda-t-il à Alanic. Je sais que c’est dangereux, mais je pourrais être capable de le neutraliser si je peux m’en approcher.

— Nous y travaillons déjà, affirma soudain l’un des mages proches, s’immisçant dans la conversation avant qu’Alanic eût pu y aller de sa propre réponse. Nous lui préparons une surprise de notre crû et une fois qu’il sera suffisamment proche, il va voir. Mais nous ne pouvons pas l’attirer inconsciemment, sinon il va réaliser que quelque chose ne va pas et garder ses distances. À quoi pensez-vous exactement ?

— Je veux attaquer son esprit, avoua Zorian.

— Oh ? Un mage mental, hein ? lui demanda le mage de façon rhétorique en le regardant d’un air intéressé. Ça pourrait fonctionner, je suppose. Dites-moi quand le moment sera idéal et nous tenteront de vous offrir une ouverture.

Zorian ne comprit pas réellement quel genre d’ouverture ce type comptait lui offrir en matière de magie mentale, mais il acquiesça malgré tout.

Tandis que la plupart des mages tentaient de gérer le dragon mort-vivant, le reste des soldats était occupés à affronter les becs de fer. À un certain point, des meutes isolées de loups hivernaux et de trolls de guerre joignirent la mêlée, mais les forces d’Eldemar tinrent bon malgré tout. Après quelques minutes, Zorian remarqua que certains des mages se téléportaient et revenaient avec des renforts, et comprit comment – apparemment, Eldemar avait préparé l’éventualité que les choses se corsassent et avaient préparé des troupes supplémentaires à appeler si besoin. Un flot régulier de nouveaux mages et soldats affluait désormais constamment pour grossir les rangs de l’armée.

— Il arrive ! cria le mage qui avait précédemment parlé à Zorian.

Et effectivement, le dragon mort-vivant avait clairement décidé qu’il avait fini de jouer et venait de s’élancer en ligne droite vers la zone de commandement une fois de plus. Le mage se tourna vers Zorian.

— Nous allons l’accueillir avec une dizaine de rayons paralysants dès qu’il sera à portée. Ça ne lui fera probablement rien, mais ça devrait affaiblir ses défenses mentales. Au moment où je vous donne le signal, faites votre truc ! Vous n’aurez qu’un essai, s’il échoue, nous nous en tiendrons à notre plan.

Zorian se concentra sur l’ennemi en approche, étendit son sens spirituel à son maximum dans sa direction. Le dragon tira rayon sur rayon vers la barrière protégeant la zone de commandement, et les dégâts infligés au mur ectoplasmique devenaient de plus en plus sévères à mesure que la créature approchait. À bout portant, il pourrait probablement annihiler une bonne portion des défenses magiques et infliger de sévères dégâts à la zone… à condition qu’il eût assez de puissance pour passer également à travers les autres défenses mises en place entre temps. Pourtant, même si ces quelques barrières pouvaient tenir bon face à ce rayon étrange, ce ne serait pas éternel. Il était essentiel d’arrêter le monstre au plus tôt.

Ce dernier accéléra en approchant, comptant clairement s’écraser contre le mur magique de tout son poids en faisant confiance à ses capacités physiques. À l’instant exact où il pénétra dans le champ d’action de Zorian, cependant, il s’en rendit compte. Zorian put sentir l’esprit derrière le corps aussi bien qu’en plein jour. Il était protégé, mais Zorian savait que ce n’était pas suffisant pour l’empêcher de percer. Cela dit, il ne bénéficiait pas d’une fenêtre temporelle énorme, le monstre avançant à une vitesse relativement –

Douze projectiles bleus et brillants se concentrèrent sur le dragon en approche, tous lancés par les mages entourant Zorian. D’aussi près, la cible ne put les esquiver, pas même à l’aide de ses excellentes capacités aériennes ; son aegis avait d’ailleurs été épuisé bien plus tôt. Au moment où les boules bleues percutèrent le dragon, leurs puissances combinées démolirent les protections mentales comme un marteau aurait pu fracasser un œuf. Pour une fraction de seconde, la forme squelettique se rigidifia, continuant son avancée grâce à son élan mais se trouvant paralysée par l’effet de ce qui venait de lui arriver dessus. Cela dit, bien que la paralysie elle-même eût été surpassée presque immédiatement, c’était secondaire – ce qui comptait par-dessus tout, c’était la détérioration de son bouclier mental qui laissait le dragon mort-vivant totalement sans défenses.

Zorian lança immédiatement un barrage de lames psychiques, directement dirigées vers l’esprit qui contrôlait l’abomination. Celui-ci se recroquevilla sous l’effet de la surprise et de la douleur, pris au dépourvu face à une attaque aussi brutale qu’imprévue, et Zorian en tira avantage en surpassant l’influence affaiblie sur le dragon pour imposer la sienne.

En un instant, le dragon décharné changea de direction pour descendre vers le sol, sans décélérer toutefois. Des montagnes de poussière et de gravats furent soulevés par l’impact qui creusa un gigantesque sillon dans la terre meuble, déracinant plusieurs arbres au passage, et le dragon s’arrêta graduellement à quelque distance de la zone de commandement.

Pendant un moment, tout le monde se figea et se tourna vers la bête en silence.

— Putain de merde des dieux, s’exclama quelqu’un. Ça a vraiment marché.

— Il est toujours intact, précisa Zorian, l’air un peu déçu. Et le contrôleur se bat pour reprendre ses droits. Tout ce que je peux faire, c’est le forcer à rester immobile, et même ça ne durera pas.

Et effectivement, même si le contrôleur avait été pris par surprise par son attaque, tenter de l’agresser au travers de la marionnette qu’il contrôlait n’était pas une mince affaire, même pour lui. L’ennemi faisait ce qu’il pouvait pour dégrader l’intensité et la vitesse des attaques mentales de Zorian, et les défenses mentales du dragon avaient d’ores et déjà été érigées à nouveau. Le contrôleur faisait tout ce qui était en son pouvoir pour reprendre ses droits. Et ce monstre avait clairement quelque chose, comme un mécanisme de contrôle, quelque part au fond de la machinerie qu’il cachait en son cœur, parce que Zorian perdait peu à peu la main.

— Tu en as fait bien plus qu’assez, lui dit Alanic avant de se tourner vers l’un des dirigeants de l’armée. Balancez les balles de métal vivant.

Derrière, quatre canons dissimulés firent feu, chacun d’eux parvenant avec facilité à toucher sa cible toujours immobile. Au lieu d’exploser, les projectiles éclatèrent en une bouillie inextricable de tentacules argentés qui s’enroulèrent rapidement tout autour du dragon, cherchant à le clouer définitivement sur place.

— À l’origine, nous voulions utiliser ça pour le forcer à s’écraser au sol, expliqua Alanic. Mais c’est encore mieux, grâce à toi. Une fois que le métal vivant s’enracine dans le sol, même une créature de cette envergure ne peut plus rien faire. Combien de temps penses-tu –

Zorian sentit l’esprit derrière le dragon parvenir à lui arracher le contrôle de la bête, en tout état de finalité, et la forme précédemment immobile du dragon commença à lutter et se tortiller, à se battre contre les liens métalliques.

— Je n’ai rien dit, soupira Alanic. Je suppose qu’on va devoir faire ça à la dure.

Bien que le dragon mort-vivant se battit férocement, ses liens paraissaient indestructibles. Ils se resserrèrent de plus en plus, un peu comme des vers filamenteux cherchant à étrangler et étouffer leur victime, cherchant constamment la moindre ouverture entre ces os depuis longtemps morts. Loin de se libérer, le dragon ne faisait que le laisser de plus en plus opprimé à chaque mouvement, les liens profitant de chaque nouvelle occasion pour l’enserrer plus fermement encore. Il tenta de désactiver les liens argentés en expulsant une vague de désenchantement, s’essaya à quatre différents types de barrières magiques, le tout ne faisant visiblement aucun bien. Finalement, il tenta de tirer son rayon jaunâtre étrange en direction de la zone de commandement. Malheureusement pour lui, les lieux qui restreignaient ses mouvements le faisaient déjà trop efficacement et il ne put même pas tourner la tête dans la bonne direction.

Frustré, le dragon hurla, un peu comme lors de son apparition. D’aussi près, son cri était bien plus qu’un moyen d’intimidation classique – le son était suffisamment puissant pour crever des tympans et l’onde de choc cinétique pouvait facilement envoyer voler un individu non protégé. Heureusement, la zone était protégée contre ce genre de dégâts relativement mineurs et Zorian eut simplement à endurer un acouphène un peu douloureux pour tout effet secondaire.

Les forces d’Eldemar se mirent à faire pleuvoir des sorts et des tirs d’artillerie vers le dragon, apparemment peu inquiets par la possibilité d’endommager les liens de métal vivant qui tenaient la bête enchaînée. Pour une bonne raison sans doute, car rien ne semblait pouvoir leur faire grand-mal. Ou peut-être que tout dégât était instantanément guéri – la matière dont ces liens semblaient faits avait l’air très exotique et malléable.

Sudomir ne semblait pas apprécier la situation dans laquelle son toutou mort-vivant de compétition se trouvait, parce que peu après que l’attaque d’Eldemar se fût arrêtée, plusieurs projectiles massifs furent envoyés dans les airs depuis la Maison Iasku. Ils s’élevèrent haut dans les cieux avant de redescendre à nouveau en direction de la terre ferme en dessinant une trajectoire parabolique sur une immense distance – loin au-delà de ce que toute magie classique pouvait assumer.

Zorian se souvint de la toute première invasion dont il pouvait se rappeler, et les feux d’artifice factices qui avaient servi à débuter les hostilités. C’était la même chose. Il put instantanément affirmer qu’il avait affaire à des sorts d’artillerie. Des sorts capables de traverser de longues distances après avoir demandé un temps d’incantation et une quantité de mana considérables, mais une fois lancés, le potentiel destructeur était infaillible.

Zorian ne fut pas le seul à le comprendre sur-le-champ. Presque immédiatement, les dirigeants de l’assaut décidèrent d’abandonner leurs positions – deux des projectiles étaient dirigés vers la zone de commandement, et personne n’était affirmatif quant à la capacité des défenses en place à les absorber. Fondamentalement, les sorts d’artillerie étaient faits pour gérer des cibles statiques, et s’avéraient inefficaces contre tout ce qui pouvait s’écarter de leur chemin. Mais Zorian suspecta Sudomir de n’avoir jamais prévu de les tuer grâce à ça – ils voulait simplement gâcher leur avantage face à son dragon. Un plan qui s’avéra fructueux, les forces d’Eldemar s’agitant pour dégager de sous les sorts d’artillerie.

Seulement, les mages ne se contentèrent pas de simplement s’en aller passivement. Alors même qu’ils changeaient de stratégie pour évacuer la zone d’impact, ils en profitèrent pour lancer leurs propres sorts d’artillerie en guise de contrattaque. Bientôt, plusieurs nouveaux projectiles lents s’élevèrent dans les airs en direction du manoir. Sudomir avait malgré tout frappé le premier et le temps que ces derniers eurent parcouru la moitié de la distance les séparant de la maison, les sorts ennemis avaient atteint leur destination. L’un deux avait, étrangement et miraculeusement, ciblé le dragon squelettique. Il semblait que Sudomir misait sur le fait que son dragon était plus résistant que le métal vivant qui le liait.

Le monde ne fut plus que feu, lumière et cacophonie.

Presque aussitôt après, le monstre sortit du nuage de poussière en volant, là où se trouvait sa prison quelques secondes auparavant. Il lui manquait une patte et certains de ses os étaient fissurés, la formule gravée en leur sein brillant plus faiblement, mais il bougeait toujours. Quelques liens de métal étaient toujours attachés à ses os, refusant obstinément de lâcher prise, mais ils étaient désormais trop peu nombreux et trop épars pour être plus qu’une petite gêne. Il semblait que Sudomir avait gagné son pari.

Le monde explosa une fois de plus quand l’artillerie d’Eldemar atteignit sa cible à son tour. Un dôme de force doré et luisant apparut pour intercepter les projectiles et protéger le manoir, mais ne parvint pas à rester puissant et stable après coup.

Le dragon mort-vivant se retourna et battit en retraite vers la Maison Iasku. Son retour signifiait apparemment une retraite générale, parce que les loups hivernaux survivants et les trolls de guerre firent de même, direction la sécurité de leur base ou le cœur de la forêt.

Quant aux becs de fer, leurs nombres avaient été réduits à moins de la moitié de ce qu’ils étaient au départ, et au moment où ils aperçurent le dragon fuir le champ de bataille, ils se dispersèrent dans toutes les directions, évacuant la zone à tire d’ailes. En balayant rapidement l’esprit de quelques oiseaux frénétiques qui passaient à portée, Zorian comprit qu’ils n’avaient plus aucune intention de jamais revenir dans les environs. Quelque force Sudomir pouvait avoir utilisé pour maintenir leur cohésion et s’assurer leur obéissance, elle était devenue insuffisante pour continuer à le faire avec efficacité, pour les forcer à ignorer les pertes massives que leur camp avait subies.

La première bataille pour la Maison Iasku était terminée, mais personne n’était assez candide pour s’imaginer que le reste du siège était terminé pour autant.

 

___

 

Pendant les quelques heures qui suivirent, Sudomir fit de son mieux pour contenir les forces assaillantes autant que possible. Les défenseurs survivants, quoi qu’il était étrange de dire ça de cadavres réanimés, lancèrent des attaques incessantes contre les forces d’Eldemar, ne faisant que très peu de dégâts vu leur nombre restreint, mais parvinrent à briser l’élan de l’armée. Le dragon, en particulier, représentait toujours une menace – il ne s’essayait plus à des attaques frontales éhontées comme il l’avait fait au départ, mais il s’assurait de profiter de toute faille et toute faiblesse. En plus de ça, la zone entourant la maison était emplie de pièges érigés à la va-vite, à la fois classiques et magiques, ainsi que d’équipes de morts-vivants et de trolls de guerre qui cherchaient à prendre les attaquants en embuscade. Finalement, les protections de la maison tournèrent à plein régime, brûlant les réserves de mana que Sudomir pouvait avoir stockées, sans s’arrêter depuis le moment où le dôme avait dû s’activer pour résister aux sorts d’artillerie.

Au début, Zorian sentit que cette décision, celle de jouer le temps et de tenter une guerre d’attrition, était un choix extrêmement sensé de la part de Sudomir. Il gagnait probablement suffisamment de temps pour permettre à ses complices ibasiens d’évacuer les lieux vers leurs autres bases au travers du portail dimensionnel dans le sous-sol, et s’en servirait probablement lui-même à la fin avant de le refermer derrière lui. Mais comme les heures passaient, il devint évident que Sudomir comptait réellement combattre jusqu’au bout, pour une raison qui échappait à tout le monde. Il aurait déjà pu s’échapper depuis des lustres, et pourtant il était toujours là, à faire face.

Peu important la détermination de Sudomir à défendre sa demeure, la conclusion avait déjà été écrite à la fin de la première bataille. D’autres heures s’écoulèrent, et la corde se resserrait de plus en plus autour du cou du maire de Knyazov Dveri. La forêt entourant la maison fut brûlée pour prévenir toute nouvelle tentative d’embuscade, les réserves de morts-vivants de Sudomir s’amenuisèrent, et la barrière entourant la maison était clairement sur le point de céder.

Et puis, il fit une chose à laquelle Zorian ne se serait jamais attendu de sa part.

Il se rendit.

Et encore plus extraordinairement, sa reddition n’était pas une espèce de piège comme Zorian l’imaginait lorsqu’il en entendit parler. Au bout du compte, Sudomir ouvrit réellement les portes de sa demeure et désactiva les défenses pour se laisser capturer. C’était… juste insensé, pour Zorian. Il aurait pu s’échapper en mille occasion différentes – et les Ibasiens présents à l’intérieur n’y étaient très certainement plus. Les soldats trouvèrent un nombre important de preuves confirmant la présence récente d’un grand nombre de personnes dans la maison, et pourtant, il n’y restait plus que Sudomir. Même si les Ibasiens avaient fermé le portail derrière eux, le maire aurait certainement pu fuir sur le dos de son dragon squelettique, direction le soleil couchant.

Zorian attendit un bon moment afin de donner aux enquêteurs la chance d’explorer la Maison Iasku, après quoi il se tourna vers Alanic pour lui faire part de ses inquiétudes.

— Qu’il y a-t-il qui te rende perplexe ? lui demanda le prêtre. Si Sudomir avait continué à résister, nous aurions fini par détruire sa forteresse sur ses épaules et il en serait mort. Personne ne désire mourir, encore moins un nécromancien.

— Mais le portail que nous avons découvert au sous-sol… commença Zorian.

— Oui, une chose choquante, grimaça Alanic d’un froncement de sourcils bien senti. Il semble étrange qu’il n’ait pas décidé de fuir avec ses alliés inconnus, n’est-ce pas ? Mais il faut que tu te souviennes, simplement parce qu’ils coopèrent ne signifie pas qu’ils sont alliés, amis ou quoi que ce soit de cet acabit. Il pourrait s’attendre à un meilleur traitement de la part d’Eldemar, en tant que prisonnier, que s’il devait être un invité à long terme chez ses soi-disant alliés.

— Et quand bien même, ça n’aurait pas dû être compliqué de fuir le champ de bataille. Il aurait pu, s’il avait été déterminé à le faire, insista Zorian. Il aurait pu s’envoler, par exemple. Les dieux savent que nous n’aurions pas réellement pu l’arrêter s’il avait décidé de chevaucher ce dragon pour s’en aller dans une direction quelconque.

— Non, mais nous aurions pu le traquer, dit Alanic. Mais oui, tu as probablement raison. Il aurait pu fuir. Cela dit, ça aurait signifié que nous aurions rasé cet endroit. Sudomir semble très attaché à cette maison. On dirait le travail d’une vie, et il craint par-dessus tout de la voir détruite.

Alors, il s’en faisait tant pour son piège à âmes ? La maison ne servait qu’à ça, après tout, selon ses dires.

— N’est-elle pas destinée à être démolie de toute façon ? demanda Zorian en fronçant un sourcil. Assurément, Eldemar ne va pas laisser un piège à âmes géant intact ?

Alanic lui offrit un regard lourd avant de soupirer.

— Ils vont définitivement libérer les âmes prisonnières. Trop de gens en savent trop à leur propos désormais, et ce serait un scandale sans nom, si le public apprenait que des âmes innocentes sont destinées à rester coincées dans ce truc. Au minimum, je suis sûr que je peux pousser le Triumvirat à mettre la pression sur Eldemar afin d’obtenir satisfaction. Malheureusement… Je ne peux garantir que l’appareil lui-même va être détruit. Le travail de Sudomir est horriblement répugnant, mais également très impressionnant aux yeux de certaines personnes. Il est tout à fait possible qu’il atteigne une espèce de compromis avec le gouvernement d’Eldemar.

— Un compromis ? s’offusqua Zorian. Comment pourrait-ce seulement fonctionner ? Je sais que le gouvernement emploie secrètement des nécromanciens, mais Sudomir est…

— Je sais, dit Alanic en levant les mains comme pour se défendre. Mais ce serait parfaitement aligné avec le comportement précédent d’Eldemar que de transformer cet endroit en un complexe de recherche avant d’y emprisonner Sudomir. Il serait forcé de travailler pour le gouvernement, et toutes sortes de restrictions lui seraient imposées, quelques-unes plus éthiques que d’autres, mais c’est une punition bien plus légère que ce que mérite un monstre comme lui. Je suis presque absolument certain que c’est ce que Sudomir cherche à obtenir.

— Je vois, répondit Zorian, peu satisfait.

Il savait qu’Eldemar n’était aucunement l’image de la perfection et de la bonté, mais ce qu’il venait d’apprendre le laissait particulièrement dégoûté malgré tout. Que le gouvernement acceptât de travailler avec quelqu’un comme Sudomir… ?

Mais encore, ils ne savaient toujours pas qu’il ne faisait pas que pratiquer une forme de magie illégale, mais jouait un rôle important dans la trahison de son pays. Zorian suspecta Eldemar d’être bien moins désireux d’utiliser Sudomir une fois qu’ils apprendraient ce petit détail…

— Bien sûr, continua Alanic. Si je découvrais quelque chose de particulièrement grave à son propos avant que les divisions noires d’Eldemar n’aient pu avoir la chance de le séquestrer dans l’un de leurs bâtiments pour interrogatoire, un tel compromis pourrait devenir pratiquement inatteignable. On peut balayer des choses sous le tapis et les pardonner, mais sous ce tapis, il n’y a pas une place infinie, après tout. Certaines choses n’y rentrent simplement pas.

Zorian leva un sourcil suspicieux vers Alanic.

— Ce qui veut dire… quoi, exactement ?

— Ta capacité à cible l’esprit de Sudomir à travers son dragon était très impressionnante, nota Alanic.

Huh, alors il s’agissait bien de lui, derrière cette bête ? Zorian s’était posé la question tout du long.

— Même si ce n’était que pour un moment, reprit le prêtre, tu dois être un sacrément bon mage mental pour y être parvenu.

Attends, Alanic lui offrait une chance de vriller dans l’esprit de Sudomir à la recherche d’informations ? Mais oui, cent fois oui, Zorian était des plus intéressés à cette idée.

— N’en dites pas plus, lui dit-il en tentant de masquer quelque peu son enthousiasme. Je serai heureux de vous aider à l’interroger.

— Alors viens avec moi, lui intima aussitôt le prêtre en se tournant et tout en lui faisant signe de le suivre. Que ça soit clair, nous n’avons qu’une petite heure, si nous voulons être seuls avec lui. Ce n’est pas exactement un interrogatoire officiel et je ne peux plier les règles que si peu…

Zorian s’en fichait un peu. Franchement, il avait une forte impression qu’il allait devoir terminer la boucle prématurément très bientôt, alors se foutre dans la merde un peu plus ou un peu moins n’était plus vraiment un souci. Il était déjà bien content d’avoir l’opportunité de faire ce qu’on lui proposait, que cette chance lui tombât si gentiment dans les bras. Il s’était imaginé devoir planifier, arnaquer et mentir afin de se garantir un accès à Sudomir. Il suivit donc Alanic tout en se préparant mentalement une liste de questions qu’il allait devoir poser.

— Comment se fait-il que vous ne lui fassiez pas simplement avaler une cargaison de potions de vérité pour tout lui faire avouer ? demanda Zorian, qui savait qu’Alanic avait tendance à pratiquer ce genre de choses, et qui trouvait étrange qu’il ne le fît pas actuellement.

— Non, ça laisse trop de traces dans le métabolisme d’une victime, expliqua Alanic en secouant la tête. J’ai dit que je pliais les règles, là, non ? J’ai besoin de pouvoir jouer l’idiot quand Sudomir va m’accuser de l’avoir fait parler de force.

— C’est vrai, acquiesça Zorian. Désolé d’être un peu bête, mais je n’ai aucune expérience dans ce genre de pratiques, alors il faut être un peu patient avec moi.

— Un expert en magie mentale qui n’a aucune expérience dans ce genre de pratiques, conclut Alanic en levant les yeux aux ciel. Bien sûr.

Zorian décida de ne pas répondre à ça. Il ne pourrait pas expliquer la façon dont il avait réellement obtenu ses capacités mentales et une telle maîtrise sur celles-ci, alors il était plus prudent de garder le silence et d’apprécier la façon dont Alanic ne lui posait pas de questions à ce sujet. Pour l’instant, en tout cas.

Sudomir avait l’air étonnamment bien en point pour un homme poussé à se défendre aussi intensément avant d’être capturé par l’armée. Il arborait des menottes perturbatrices de mana aux poignets et un collier explosif autour du cou, mais mis à part ces dispositifs, il était en parfaitement bonne santé. Il semblait excité et impatient en voyant le duo entrer, offrant à Alanic une apparence un peu amère mais restant parfaitement muet malgré ça. En lisant ses pensées de surface, Zorian découvrit qu’Alanic était déjà entré une paire de fois pour tenter de l’interroger, et Sudomir en avait déjà assez de le voir. Il refusait de discuter de quoi que ce fût avec le prêtre, apparemment conscient qu’il ne pouvait décemment pas être un envoyé officiel d’Eldemar.

Zorian haussa les épaules et se mit au travail. Il ne tenta pas de se montrer subtil – il pratiqua immédiatement une attaque mentale puissante sur Sudomir, démolissant sans pitié ses défenses mentales et envoyant des sondes profondément dans son esprit. Sudomir attrapa sa tête sous le coup de la douleur, impuissant et incapable de résister. Aussi près de Zorian et sa capacité à lancer des sorts réprimée par les menottes, il ne pouvait entretenir aucun espoir d’expulser l’envahisseur de son esprit. Il ne pouvait même pas hurler ou appeler à l’aide, Zorian l’en empêchant proprement.

La seule difficulté était de faire parler l’homme à voix haute, au bénéfice d’Alanic. Il ne voulait pas que le prêtre sût avec quelle facilité il parvenait à fouiller la mémoire d’une personne, mais le forcer à parler était bien plus compliqué que simplement interpréter pensées et souvenirs… Et puis, Sudomir était contraint de ne pas parler de certains sujets. Il avait été assez malin et sage pour placer sur lui-même des sorts de restriction avant de se rendre et se trouvait désormais incapable de dire certaines choses. Par exemple, parler de sa coopération avec les Ibasiens et leur invasion prévue. C’était, bien sûr, totalement inacceptable. Une grande partie de la raison qui avait poussé Zorian à dénoncer tout cela était mue par le désir de dévoiler cette conspiration publiquement, alors les contraintes allaient définitivement devoir sauter.

Zorian n’était pas réellement un mage de l’âme, et retirer ces sorts restrictifs était hors de question. Heureusement, il n’en avait pas besoin pour les neutraliser. La magie mentale était connue pour être le fléau de ce genre de protections – empêcher de discuter de certains sujets n’empêcherait pas Zorian de se faufiler dans l’esprit de sa victime pour soutirer toutes les informations sans lui faire ouvrir la bouche. De plus, ce genre de sorts ne pouvait pas forcer une personne à se plier à une contrainte qu’elle ne se souvenait pas avoir reçue. L’une des raisons pour lesquelles les sorts restrictifs de ce genre n’étaient pas très populaires, et ce, depuis la nuit des temps, se trouvait dans le fait que si le récipient de la restriction était peu désireux de s’y plier, il pouvait simplement payer un mage mental pour purger les souvenirs de ces restrictions. Une fois inconscient de leur existence, elles ne servaient plus à rien. Elles existaient toujours, mais l’esprit ne cherchait plus à les honorer de force car il n’en avait plus conscience.

Et les restrictions que Sudomir avait placés sur lui-même étaient très récentes, quelques heures tout au plus, et il fallut moins de cinq minutes à Zorian pour lui faire oublier jusqu’à la possibilité de leur existence. Il ne prit même pas la peine de prévenir Alanic de leur présence.

Dans tous les cas, une fois que l’étendue des activités de Sudomir commença à faire surface, Alanic décida qu’il n’avait plus rien à faire de la sécurité, de garder cet interrogatoire secret et sous couvert. Il dura des heures, et uniquement parce que Zorian craignait de paralyser l’esprit de Sudomir pour de bon s’il ne faisait pas des pauses régulières dans ses attaques profondes. Pendant ces quelques heures, Zorian découvrit un puits d’informations à propos des envahisseurs, du Culte du Dragon du Dessous et de Sudomir. La plupart de ces informations impliquaient les identités de collaborateurs et d’endroits où des preuves pouvaient être découvertes pour faire tomber le tout – c’était le genre de données qui intéressait Alanic, et Zorian ne vit pas de bonne raison de ne pas les lui donner. En fait, il prévoyait de rendre visite à certaines de ces personnes au cours d’une future boucle, mais pour l’instant, il allait simplement mettre cette idée de côté et laisser Alanic leur courir après.

Pour Zorian, par contre, certaines des informations les plus intéressantes qu’il obtint de Sudomir concernaient les raisons pour lesquelles il faisait tout ça. Au cœur de tout, il y avait apparemment la mort de sa femme. Pour être honnête, Sudomir avait été un nécromancien peu scrupuleux depuis bien avant ça, mais ce ne fut qu’après la mort de sa bien-aimée suite au Grand Nettoyage qu’il avait vraiment perdu les pédales. Plutôt que de l’accepter et aller de l’avant, il avait extrait son âme pour tenter de la ramener à la vie. Il avait échoué, naturellement. Ce n’était pas une chose facile que de permettre à une âme décédée de penser à nouveau, sans même parler du fait de lui ramener un semblant de vie. Au bout d’un moment, il lia l’âme de sa femme à la Maison Iasku, lui permettant de retrouver une partie de ses facultés mentales. C’était pour cette raison que les barrières de protection réagissaient intelligemment aux attaques, et également la raison pour laquelle Sudomir s’était montré si fermement opposé à la voir détruire. Il s’était laissé capturer pour ne pas abandonner sa femme à une destruction inévitable.

En fait, si Sudomir avait réellement décidé d’aider les Ibasiens était Quatach-Ichl. La liche avait promis de lui fournir le rituel nécessaire pour transformer l’âme de sa femme en liche. Le rituel normal de création d’une liche demandait une personne vivante pour fonctionner correctement, mais Quatach-Ichl prétendait pouvoir le modifier afin qu’il pût fonctionner avec l’âme désincarnée de la femme du maire également. Qu’il mentît ou non à ce sujet était libre d’interprétation.

L’autre raison qui avait poussé Sudomir à aider les nécromanciens à envahir Cyoria était la partie politique dont il avait déjà parlé. Il voulait légaliser la nécromancie. Après tout, sa femme allait bientôt revenir d’entre les morts en tant que liche, et il ne comptait certainement pas mourir de vieillesse s’il pouvait y faire quoi que ce fût. Il était impossible pour lui de cacher ce genre de choses sur le long terme. Spécialement s’il comptait conserver sa position politique, ce qu’il comptait faire, clairement. Aussi voulait-il qu’Eldemar lève certaines restrictions sur la magie de l’âme, ou qu’au moins le gouvernement fît quelques exceptions, pour lui en particulier. Dans ce but, il sentait qu’il devait tout d’abord affaiblir Eldemar afin qu’on lui réclamât son aide, mais qu’il devait également devenir plus puissant lui-même afin de devenir ce sauveur dont Eldemar aurait désespérément besoin.

Les détails du plan de Sudomir échappèrent à Zorian, trop complexe et tordus pour qu’il ne les comprisse en quelques heures. Et franchement, il s’en fichait un peu. Il trouvait la chose folle pour commencer, et sentait qu’il s’agissait de toute façon d’une excuse – Sudomir aidait les Ibasiens parce qu’il désirait le retour de sa femme ; tout le reste n’était que broutilles, un mensonge qu’il s’offrait à lui-même.

Zorian tomba également sur quelques autres faits intéressantes en farfouillant dans l’esprit de sa victime, comme les moyens par lesquels il contrôlait les becs de fer. Apparemment, il s’agissait d’un mélange d’enlèvement des bébés afin de les retenir en otages et de domination des plus puissants meneurs du groupe. Les becs de fer étaient suffisamment intelligents pour comprendre ce qu’était un otage, et se semblaient en même temps pas conscients du fait que leurs dirigeants avaient été subjugués par magie, et le plan avait fonctionné à merveille. Zorian n’était toujours pas sûr de pouvoir faire quoi que ce fût de ces informations-là, mais il valait toujours mieux en savoir un peu trop que trop peu, pour y réfléchir à l’avenir.

Au bout d’un moment, l’interrogatoire dévia vers le problème de la conjuration du Primordial – surtout parce que Zorian l’y avait guidé, mais peu importait – et Zorian décida de voir si Sudomir saurait répondre à une question qui le travaillait depuis un long moment.

— Pourquoi le culte a-t-il besoin d’un enfant métamorphe pour compléter le rituel ? demanda-t-il.

— Des enfants. Pas seulement un, répondit Sudomir, qui avait plus ou moins cessé de lutter contre les agressions mentales de Zorian à ce point, ce qui s’avérait être le choix le moins douloureux.

Pour le moment, sa concentration était accaparée ailleurs. Il tentait de détourner la conversation des sujets sensibles. Malheureusement pour lui, Zorian en savait long sur ce qu’il souhaitait approfondir, lui et ses alliés ayant déjà creusé la chose assez loin au cours des derniers mois.

— Le rituel nécessite en réalité cinq enfants métamorphes, sinon il ne peut fonctionner. Dans l’idéal, même plus que ça.

Zorian fronça les sourcils. Cinq gosses ?

— Qu’arrivera-t-il à ces enfants ? cracha Alanic.

— Ils vont être sacrifiés, bien entendu, rétorqua Sudomir en levant les yeux au ciel – ses pensées révélèrent à Zorian ce qu’il pensait de cette question des plus stupides : posez une question débile, recevez une réponse du même acabit.

— Pourquoi autant ? continua Zorian. Et pourquoi des enfants ? Pourquoi des enfants métamorphes ?

— Il n’est possible d’extraire qu’une quantité limitée d’essence primordiale d’un métamorphe particulier, expliqua Sudomir à contrecœur, Zorian pouvait le sentir. Et cette essence s’étiole en s’intégrant peu à peu dans le corps de l’individu au fur et à mesure de leur vie, ce qui la rend de plus en plus impossible à exploiter. Seuls les très jeunes métamorphes en possèdent encore une quantité libre suffisante.

Quoi ?

— Explique-toi, intima Alanic.

Sudomir soupira.

— Se contenter de faire sienne une âme étrangère à l’intérieure de sa propre âme ne fait pas d’une personne un métamorphe. En tout cas, pas le genre auquel on est habitué.

Un torrent de pensées disjointes et de flashs traversèrent l’esprit de Sudomir et Zorian dut plonger plus profondément dans ses souvenirs afin d’en apprendre davantage. Sudomir en savait long à ce propose parce que… parce qu’il avait effectué des recherches sur les métamorphes depuis des années maintenant. Il en avait capturé des dizaines, effectué des expériences brutales et inhumaines sur la plupart d’entre eux afin de voir ce qui les faisait réagir, et avait même, à plusieurs reprises, tenté d’en créer artificiellement, son plus gros succès finissant par prendre la forme de l’Argenté. Dérangeant, pour le moins : l’Argenté n’était pas un humain à qui l’on avait offert la capacité de se transformer en un loup, mais le contraire – il avait intégré une âme humaine dans l’esprit d’un loup hivernal, lui permettant d’accroitre son intelligence et lui accordant la possibilité de se transformer en humain à volonté. C’était… Pourquoi quelqu’un ferait-il une telle chose ?!

Zorian prit une profonde inspiration et chassa cette question de ses pensées immédiates. Aussi horribles qu’elles furent, elles n’étaient qu’une goutte d’eau dans le fleuve des crimes dont Sudomir était coupable. Lui demander d’en parler ne ferait que gaspiller le peu de temps dont ils disposaient avec lui.

— Afin de rendre la transformation plus flexible, propre et agréable, les ancêtres des métamorphes modernes ont dû employer une méthode supplémentaire, continua Sudomir. Spécifiquement, ils ont utilisé une petite portion de sang primordial récupéré de la créature enfermée loin sous la surface, sous Cyoria. Ce primordial particulier était réputé pour ses compétences de métamorphose et était un catalyseur extrêmement efficace pour leurs rituels. C’est là l’une des raisons pour lesquelles lesdits rituels sont si compliqués à obtenir pour les gens qui ne sont pas des leurs. Même s’ils pouvaient réunir les instructions nécessaires à l’exécution des rituels, il leur manquerait toujours ce sang particulier, le sang d’un métamorphe, afin de les mener à bien. Parce qu’ils sont les seuls, aujourd’hui, à posséder l’essence primordiale en eux.

— Les cultistes veulent utiliser cette essence primordiale comme clé, afin de le libérer de sa prison, comprit Zorian tout bas.

— Oui, évidemment, confirma Sudomir.

Zorian pouvait sentir qu’il adorait parler de ce sujet, car cela menait la conversation loin de ses méfaits, en direction de quelqu’un dont il ne se souciait guère. Bien qu’il était techniquement membre du culte, Sudomir ne semblait posséder aucun attachement envers lui ou ses initiés.

— D’une certaine façon, cette essence fait toujours partie du Primordial, et peut toujours être utilisée comme outil afin de traverser le fossé séparant notre monde et la dimension miniature où il est emprisonné.

— Un dimension miniature, hein ? releva Alanic.

— C’est pourquoi ils appellent ça un rituel d’invocation, acquiesça Sudomir. Techniquement, le Primordial ne se trouve pas sur le même plan d’existence que nous. Les dieux ont créé une prison extra-dimensionnelle afin de l’y enfermer. Mais ce genre de dimensions sont toujours plus ou moins en contact avec la nôtre, quelque part, et le culte a découvert où, depuis belle lurette.

Zorian fut forcé de mettre fin à l’interrogatoire après ça, mais avant de le faire, il s’assura que Sudomir ne se souvienne pas de ce qu’il venait de se passer. Pour autant qu’il pût être concerné, l’interrogatoire ne s’était jamais produit.

Tandis qu’ils s’en allaient, Alanic s’autorisa un commentaire sur la façon dont Zorian n’avait besoin d’aucun geste ou incantation afin de pratiquer sa magie mentale. Sa tolérance pour les particularités marginales de Zorian approchait probablement du point critique, et il allait bientôt demander des explications. Malheureux, mais les gestes et incantations n’étaient pas des choses que Zorian pouvait feindre – il était à peu près certain qu’un expert comme Alanic remarquerait immédaitement s’il tentait de faire quoi que ce fût pour masquer ses capacités naturelles.

Le temps qu’il rentrât finalement à Cyoria, il était déjà tard et Cyrielle était profondément endormie. Imaya avait décidé de rester éveillée et de l’attendre, ce que Zorian trouva un peu étrange – il avait déjà fourni une excuse la veille pour expliquer son absence durant l’intégralité de la journée et lui avait dit de ne pas l’attendre. Elle prenait son rôle de propriétaire et hôte un peu trop à cœur, à son avis.

Comme il se couchait, il ne put s’empêcher de se demander quel genre de chaos allait bientôt suivre la chute de la Maison Iasku. Mais il allait sans aucun doute le découvrir bien vite.

 

___

 

Les jours suivants, Alanic le laissa seul et se retint de le compromettre dans une quelconque séance d’interrogatoire supplémentaire. Cela ne signifiait pas que lui-même et les autorité d’Eldemar se tournaient les pouces, bien entendu – Cyoria fut frappée par une série de scandales tandis qu’une pléthore de figures importantes étaient mises aux arrêts et interrogées à droite ou à gauche. Zorian prêta une attention particulière aux personnes qui se faisaient emmener, et ce, même s’il les connaissait déjà pour la plupart suite à son propre interrogatoire de Sudomir.

Mis à part l’intérêt qu’il portait à ces arrestations et aux réactions qu’elles provoquaient, Zorian planifia et exécuta plusieurs attaques contre plusieurs toiles Aranea, accumulant l’expérience nécessaire à son but final : la lecture des souvenirs de la matriarche. Il était désormais suffisamment doué dans le choix de ses cibles pour n’éprouver que peu de mal à se débarrasser de patrouilles Aranea, mais il continuait à trouver ça des plus drainant, au niveau émotionnel. Il attaquait carrément des campements Aranea sans aucune raison valable, simplement parce qu’il avait besoin de victimes pour pratiquer sa lecture mnémonique, et il avait du mal à ne pas se sentir le méchant de l’histoire. Certaines d’entre elles le suppliaient de cesser ou tentaient encore et encore de discuter avec lui au lieu de répondre à ses attaques. Il abandonnait le combat lorsqu’il rencontrait de tels individus, cherchant à combattre les adversaires qui répondaient à ses provocations gratuites, même si elles étaient infiniment plus dangereuses et que ce ne se trouvait pas du tout être la stratégie la plus efficace.

Quelques jours supplémentaires s’écoulèrent avant qu’Alanic ne le contactât à nouveau par le biais d’une simple lettre, rien que ça. Le message était court, lui expliquant simplement que certaines personnes posaient des questions à son sujet et qu’il parvenait encore à les botter en touche pour l’instant. La lettre avertissait Zorian de ne pas attirer plus d’attention s’il ne voulait pas perdre son anonymat, car des personnes s’intéressaient à lui. C’était de bonne guerre. Il avait déjà décidé qu’il mettrait fin au mois en cours quelques jours plus tard – il voulait simplement attendre encore un peu pour voir si quelque chose d’intéressant allait se produire, les arrestations n’ayant, selon lui, pas encore atteint leur apogée.

À ce moment, Kael avait emménagé et Zorian lui avait déjà parlé de la boucle tout en lui fournissant ses données de recherche, alors il décida qu’il pouvait lui parler un peu de Sudomir et de ses plans grandioses, ainsi que des informations qu’il avait obtenues de ce dernier. Il omit ce qui concernait les amis de Kael, bien entendu, pour faire honneur à la demande même de Kael, qui lui avait dit de garder ça secret. Il lui restait bien suffisamment de choses à dire.

— Oh ? Les métamorphes possèdent l’essence d’un Priomordial en eux ? s’étonna Kael.

— C’est ce qu’il a dit, en tout cas, acquiesça Zorian. Je ne peux m’empêcher de me demander comment fonctionne cette extraction. Les cultistes ont-ils vraiment besoin de tuer ces enfants pour la récupérer ?

— Presque sûr et certain, confirma Kal, pensif. Il est probable que ça fasse partie de leur force de vie. Quelque chose hérité de génération en génération, ça parait logique. Et peu importe la méthode, retirer la force de vie d’une personne n’est jamais un acte bénin. Le sacrifice rituel est simplement la méthode la plus rapide et simple pour avoir recours à la magie du sang, mais même si les cultistes usaient de quelque chose de plus délicat, les résultats diffèreraient au final assez peu.

— La magie du sang ? nota Zorian. Tu connais ça ?

— Ah, c’est vrai, tu ne sais très certainement pas. La guilde des mages a tendance à réprimer ce genre d’informations, tout ce qui concerne la force de vie des gens, utilisée pour alimenter certains sorts. C’est un carburant vraiment efficace, bien plus que le mana classique, et la tentation est présente. Bien sûr, les rituels de ce type de magie sont non seulement incroyablement dangereux, mais utiliser la force vitale ainsi a des effets plutôt graves sur le corps. C’est pour cette raison que la plupart des mages qui se plongent dans ce type de sortilèges préfèrent utiliser la force de vie d’autrui, plutôt que la leur. Tu connais les histoires à propos de toutes ces personnes malfamées qui sacrifient les gens en échange de plus de pouvoir ? Techniquement, ils pratiquent la magie du sang.

— Oh. Alors c’est de la magie du sang. Plutôt décevant, dit Zorian. Je m’attendais à quelque chose d’incroyablement mystique et sinistre, si j’en juge l’obsession de la guilde des mages.

— La magie du sang est très facile à mettre en œuvre, tant que tu possèdes les sacrifices nécessaires, ajouta Kael. Et il n’existe que peu de différence entre la force de vie de différents êtres humains. N’importe quel civil lambda est un bon sacrifice. C’est une route rapide et sanglante vers les sommets de la puissance, et la guilde des mages craint que si les informations à son propos étaient librement accessibles, des mages de sang apparaitraient à tous les coins de rue. J’ai également entendu que ce type de magie pouvait étalement être utilisé afin de dérober les lignées d’autrui, les compétences spéciales, et tu peux imaginer à quel point ces Maisons nobles superpuissantes seraient ravies de devoir se méfier de tout le monde et n’importe qui. La Guilde des Mages s’y intéresse particulièrement, la magie du sang produisant bien trop de victime pour que quiconque puisse se cacher bien longtemps.

Avant que Zorian pût continuer la conversation, une série d’explosions retentirent au travers de la ville, les forçant tous deux à se ruer dehors pour voir de quoi il retournait. Ils trouvèrent le reste des habitants de la maison sains et saufs mais confus et apeurés par les détonations, bien que Zorian eût une idée plutôt précise de ce qu’il se tramait.

Ses soupçons furent confirmés lorsqu’il grimpa sur le toit de la maison pour bénéficier d’une meilleure vue sur la ville : il assista à un déferlement de feu, de Trolls de guerre et de mages hostiles.

Les Ibasiens et le culte du dragon avaient décidé de lancer leur invasion plus tôt que prévu.

 

___

 

Les heures qui suivirent furent un brouillard complet. Même si les envahisseurs n’avaient pas le support des Becs de Fer et des morts-vivants normalement fournis par Sudomir, et bien que les forces de Cyoria étaient bien mieux préparées à ça cette fois-ci, les envahisseurs possédaient toujours une puissance de feu phénoménale et firent de leur mieux pour créer un maximum de dommages. Il désirait réellement explorer les rangs de cette invasion inhabituelle, mais Zorian ne put se résoudre à abandonner le reste de la maisonnée sans réelles défenses. Au lieu de ça, il resta donc à la maison, avec eux, éliminant les petits groupes ennemis ayant décidé de cibler cette partie de la ville, tout en utilisant de temps à autre la magie de divination lors des accalmies pour découvrir ce qui arrivait dans d’autres parties de la ville.

Intéressant : bien qu’ayant éradiqué au moins six groupes de mages de combat, Quatach-Ichl ne se montrait toujours pas pour en finir avec lui. Il était fort probable qu’il fût bien plus occupé qu’à son habitude, cette fois, et ne pouvait se permettre de se déplacer pour un petit désagrément tel que lui.

Honnêtement, il ne comprenait pas ce que les Ibasiens tentaient d’accomplir en lançant cette attaque prématurée. Au moins, leur attaque initiale qui consistait à attaquer la ville lors du festival d’été avait une chance de provoquer des dommages incroyables à la ville, alors que celle-ci était condamnée à mourir dans l’œuf. Mais bon, peut-être n’avaient-ils pas vraiment le choix. Ils savaient probablement que les enquêteurs étaient à leurs trousses et sur le point de les rattraper, alors attendre le festival aurait été stupide… mais avec la Maison Iasku désormais close, peut-être que retourner à Ulquaan Ibasa était simplement devenu impossible, de toutes façons.

Au bout d’un moment, ses tentatives d’espionnage lui permirent de remarquer que le combat était particulièrement rude autour du Gouffre. La majorité des forces de l’envahisseur étaient concentrées dans cette zone et la liche semblait ne jamais s’en éloigner bien longtemps. Les Ibasiens pariaient-ils tout sur le succès de l’invocation du Primordial ? C’était assurément ce qu’il semblait. Une part de lui se demandait si Nochka avait été enlevée et sacrifiée tandis qu’il observait de façon passive, mais il repoussa cette idée inutile. Il ne pouvait rien y faire, et même si elle l’avait été, elle serait en vie lors de la prochaine boucle.

Les heures passèrent et Zorian réalisa soudain que ça y était. Le combat autour du Gouffre avait atteint une intensité fiévreuse, les soldats d’Eldemar tentant désespérément de pousser vers l’avant et d’écraser les envahisseurs sous leur nombre tandis que la liche avait recours à une grande variété de sorts afin de réprimer ses ennemis. À un certain point, l’un des mages cyoriens parvint à lui faire fondre la moitié du crâne à l’aide d’une espèce de feu doré, et c’était la première fois que Zorian assistait à quoi que ce fût capable d’endommager ce monstre d’une quelconque façon. Cela dit, ça ne semblait pas pour autant l’arrêter réellement. De l’autre côté du Gouffre et probablement à l’intérieur également, l’espace craquelait et se tordait, comme lors d’un été vraiment trop chaud. Lentement, des filaments tentaculaires noirs émergèrent de ses profondeurs, zigzaguant dans les airs en se divisant de temps à autre en d’autres branches plus petites, aléatoirement, filins ténébreux collés sur la fabrique de la réalité.

Il s’agissait de craquelures, Zorian le réalisa. La réalité était en train de se briser.

Soudain, un volume énorme d’espace au milieu de ces fêlures se contenta de… s’enfoncer, créant un trou noir et béant juste là, dans les airs. Quelque chose d’énorme et de brun, une espèce de main gargantuesque parsemée d’yeux et de gueules, surgit de cette déchirure dans l’espace, mais Zorian n’eut plus le temps de réfléchir. Sans crier gare, le marqueur de son esprit s’activa et tout devint noir.

Il s’éveilla à Cyoria, Kirielle égale à elle-même.

 

___

 

Dans un soupir, Zorian aida Kirielle à décharger ses bagages du train, son esprit toujours fixé sur les évènements de la fin de boucle précédente. Pourquoi avait-elle pris fin à ce moment, sans aucune intervention de sa part ? Parce que Zach était mort à cet instant précis, ou… plutôt, comme il le suspectait, parce que le Primordial avait été libéré avec succès ?

Quelle relation le Primordial entretenait-il avec la boucle temporelle ? Quel était l’intérêt principal de tout ça ? Empêcher son retour ? Il se demanda si la boucle prenait habituellement fin à la fin du mois parce qu’elle était programmée pour ça… ou parce que le Primordial était libéré à ce moment particulier, parce que chaque mois, le rituel se déroulait avec succès, cette nuit-là ?

— Bienvenu à Cyoria, Kiri, lui dit-elle. Impressionnant, hein ?

Il trichait, bien sûr. Il savait qu’elle trouvait la gare de Cyoria extraordinaire. Cette fois, cependant, quelque chose d’autres semblait attirer son attention.

— Hmm… hésita-t-elle en pointant du doigt devant elle. Je pense que ce type veut te parler.

Zorian se retourna pour apercevoir un Zach hors de lui approcher d’un pas lourd et rapide. Zorian était si choqué de le voir arriver ainsi qu’il ne songea même pas à réagir, même quand Zach avait pratiquement parcouru la distance qui les séparait.

Il ouvrit machinalement la bouche pour lui adresser un bonjour amical et un peu étrange, mais avant de pouvoir dire quoi que ce fût, le poing de Zach termina de clôturer le mètre qui existait encore entre eux, dans un geste rapide et flou.

En plein dans la gueule.

Raka
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12 thoughts on “Mol : Chapitre 52

    1. Merci pour ce superbe chapitre ! J’attendais la suite avec impatience, et je ne suis pas déçu !
      Bon retour, et prends soin de toi 🙂

  1. Merci pour ces chapitres et ce retour surprise 🙂 c’est un vrai plaisir de te revoir et sur une belle avancée sur les chap de moi en plus 😀

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