MoL : Chapitre 55

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Chapitre 55 – Seuil

 

Pendant près d’une minute, le vide infini dans lequel ils flottaient resta silencieux. Ni Zach, ni Zorian ne savaient que dire, et le Gardien du Seuil semblait enchanté de simplement attendre là en silence. Zorian aurait aimé dire qu’il réfléchissait aux implications de toutes les nouvelles connaissances qu’il avait obtenues, mais en vérité, il était simplement surpris, béat et incapable de penser. Le pire de tout était la façon dont Zach avait pris la chose : il s’attendait plus ou moins à ce que son ami pète les plombs et se mette à hurler et proférer des insultes, mais non, Zach était simplement calme, de manière surprenante. La seule preuve de ses sentiments se trouvait là, sur son visage, sous forme de légère grimace.

— Alors, finit par dire Zach, la voix coupant le silence énervant qui gisait autour d’eux. Et maintenant ?

— Je ne sais pas, honnêtement, admit Zorian. Je ne pensais vraiment pas que Robe Rouge avait déjà quitté la boucle. C’est logique, remarque, maintenant que je regarde en arrière…

— Ouais, il nous a vraiment niqués, hein ? soupira Zach.

— Eh bien, je ne le dirais pas exactement comme ça, sourit Zorian. Je suis presque sûr que ce n’est pas ce qu’il avait prévu. Nous devions disparaître. La boucle temporelle était supposée s’effondrer sur elle-même au moment où le Contrôleur en est sorti, nous éliminant définitivement. Mais nous sommes toujours là, et la boucle aussi. Alors… C’est déjà la première disparité. Si elle se met à fonctionner de travers, il pourrait fortement être possible de trouver un moyen d’en sortir.

— Heh, ricana Zach. Maintenant que tu le dis, ouais. Et puis, ça veut dire que je peux arrêter de me retenir. Toi aussi, d’ailleurs. Nous avons fait de notre mieux pour garder un profil bas afin d’empêcher Robe Rouge de nous retrouver, et maintenant que nous savons qu’il n’est plus là…

— Oui, confirma Zorian. Comme je le vois, nous avons maintenant trois priorités. Numéro une, nous devons découvrir combien de temps nous avons devant nous avant l’effondrement de la boucle. Numéro deux, il faut trouver un moyen d’en sortir. Numéro trois, nous devons démasquer Robe Rouge, savoir qui il est vraiment, afin de pouvoir s’occuper de lui rapidement, si… quand nous sortions d’ici.

Zorian se retourna pour observer le Gardien, qui flottait tranquillement non loin d’eux. Il ne semblait pas perturbé du tout par les deux garçons et le fait qu’ils l’ignoraient totalement.

— On devrait demander au Gardien, tout ce à quoi on peut penser, nota Zorian. Qui sait quel genre de secrets critiques il a en sa possession ? Et il semble qu’il ne nous révèlera rien de sa propre initiative. Bien que ça pourrait prendre un moment – nous devrions peut-être retourner dans nos corps afin de s’assurer que personne ne nous interrompe.

— Avons-nous seulement à nous soucier de ça ? demanda Zach en tirant sur sa veste pour bien montrer qu’elle faisait intégralement partie de son corps. Le cube semble avoir extrait nos âmes de nos corps. Est-ce que c’est grave, si nos corps se font tuer pendant qu’on se trouve ici ?

— Nous pourrions être simplement projetés ici, fit Zorian en secouant la tête. C’est la façon la plus simple de réaliser ce truc, pour être honnête. Mais encore une fois, ça laisserait le Contrôleur de la boucle affreusement vulnérable pendant qu’il s’affaire aux contrôles. Hmm… Gardien ?

— Le Contrôleur est projeté dans cet endroit, mais son séjour ne sera pas écourté par les évènements du monde extérieur, expliqua le Gardien, apparemment assez malin pour interpréter ce qu’allait être la question posée – intéressant. Si le Contrôleur voit son corps physique souffrir des dégâts critiques ou si je repère une quelconque forme de manipulation de l’âme, je conserverai l’âme du Contrôleur dans la Porte. Le temps ici s’écoulera, bien que vous soyez alors obligés d’attendre une nouvelle itération de la boucle afin de regagner votre corps, Contrôleur. Je ne peux pas renvoyer votre âme dans un corps qui n’est pas suffisamment intact pour cela.

— Eh bien. C’est bon à savoir, je suppose, grommela Zorian avant de se tourner vers Zach, qui le fixait déjà. Quelque chose à demander au Gardien, ou… ?

— Toi d’abord, lui répondit Zach en secouant la tête.

— Très bien. Tout d’abord, y a-t-il une limite de temps à notre séjour ici ? demanda Zorian.

— Lorsque l’itération de la boucle prendra fin, ainsi fera également votre visite dans la salle de contrôle. Sinon, non.

Ainsi, lorsque la boucle repartirait de zéro, ils se verraient renvoyés dans leurs corps au début du mois, et pouvaient rester dans la salle aussi longtemps qu’ils le désiraient mis à part ça.

Ils avaient tout le temps nécessaire, dans ce cas.

— Quel est le critère pour la fin de chaque itération ? interrogea Zorian. Est-ce le passage tu temps, ou y a-t-il plus ?

— Le passage du temps est suffisant, confirma le Gardien. Aucune itération n’est autorisée à continuer plus d’un mois. Mis à part ça, une multitude de contingences peuvent mettre un terme à l’itération prématurément.

— Peux-tu les lister ? demanda Zorian.

— Non, répondit froidement le Gardien. Vous n’êtes pas autorisé à détenir cette information.

Zorian cligna des yeux, surpris. Bien qu’il eût suspecté que le Gardien ne répondrait pas à toutes ses questions, il s’imaginait que ça aurait plus à voir avec le fait qu’il était un sort animé possédant des limites, pas parce qu’il allait refuser catégoriquement de répondre.

— Quoi ? Mais je pensais que nous étions le Contrôleur, s’étonna Zach. Comment pouvons-nous ne pas être autorisés à savoir ?

— Le Contrôleur ne possède pas un pouvoir sans limites, expliqua le Gardien. Seul le Créateur et ses agents ont accès aux informations sur le fonctionnement de la Porte.

— Le Créateur ? répéta Zach, incrédule. Le Créateur de quoi ?

— De la Porte, bien entendu, répliqua le Gardien. De cette salle. De moi.

Zorian pouvait presque imaginer le Gardien lever les yeux aux ciel, même si ses yeux ne fonctionnaient pas ainsi et que le ton de sa voix restait imperturbable.

— Alors, le Contrôleur n’est pas l’autorité ultime lorsqu’il s’agit de la Porte ou de la boucle temporelle ? demanda Zorian, question immédiatement confirmée par son interlocuteur. Que peux-tu nous dire du Créateur, dans ce cas ?

— Vous n’êtes pas autorisé à connaître l’identité du Créateur, les informa le Gardien.

Bien entendu, c’était certain…

— Ugh. Ça commence vraiment à devenir chiant, là ! se plaignit Zach.

Dix inutiles minutes de plus s’écoulèrent ainsi, à tenter de questionner le Gardien à propos du Créateur, ses agents, s’il s’agissait d’un dieu comme Zorian l’avait suspecté ou non, combien de temps celui-là avait-il interagi avec la Porte pour la dernière fois, et ainsi de suite. La réponse fut la même quelle que fût la question : ils n’étaient pas autorisés à savoir.

Zorian souhaitait juste pouvoir envahir l’esprit de la chose et en finir, mais leur incapacité à lancer toute forme de magie dans ces lieux pesait également sur ses capacités mentales. Ils n’avaient aucun moyen de forcer le Gardien à coopérer, et finirent par décider de changer de sujet.

— Tu as dit qu’aucune itération n’est autorisée à durer plus d’un mois, rappela Zorian au Gardien. Peux-tu nous dire pourquoi ?

— Lorsqu’une itération se termine, tout ce qui s’y trouve est détruit, commença le Gardien – eh bien, au moins, c’était clair et confirmé. Sous certains points philosophiques, ce pourrait être considéré comme un génocide de masse…

— Mais pas sous tous les points, n’est-ce pas ? grommela Zorian sur un ton désastreux.

— Certains points de vue ne voient pas la destruction de copies comme un problème, tant qu’elles ne divergent pas de l’original de façon excessive, continua le Gardien en ignorant l’interjection de Zorian. La boucle temporelle a été définie sous cette présomption. Aussi, il est impératif que les entités copiées par la boucle temporelle ne bénéficient pas de suffisamment de temps pour diverger de façon importante des originaux, leur destruction devenant alors contraire à l’éthique. Un mois a été calculé comme un bon compromis.

— Et si une copie parvient à acquérir la conscience de ce qu’elle est, avant de trouver un moyen de se projeter au-delà de la boucle, vers les itérations suivantes ? Simple hypothèse.

— Cela serait vraiment très malheureux pour la copie, nota le Gardien. Seul le Contrôleur peut quitter la boucle temporelle, après tout.

— Je ne comprends pas cette partie, interrompit soudain Zach. Pourquoi une telle règle a-t-elle été instaurée ? Je veux dire, il n’y a qu’un seul Contrôleur, pour commencer, alors pourquoi ces limites ?

— Afin d’empêcher le Contrôleur de tenter de sortir certaines des copies de la boucle, répondit naturellement le Gardien, comme s’il s’agissait d’une évidence.

Après une courte pause nécessaire à Zach et Zorian pour digérer l’information, ce dernier reprit.

— Pourquoi… Pourquoi est-ce si important ? demanda-t-il en tremblant.

— Parce que seul le Contrôleur a son âme réelle attirée à l’intérieur de la boucle, dit le Gardien. Tout le monde, à part lui, est une copie. Pour permettre au Contrôleur de quitter la boucle, je dois ancrer son âme à son corps d’origine. Pour qu’une copie entre dans le monde réel, il faudrait que j’échange son âme avec celle de la copie. Ce qui tuerait l’original.

Une autre pause suivit cette longue explication.

Zorian n’était pas terriblement surpris par ce qu’il venait d’entendre. C’était l’une des toutes premières idées qui lui avaient traversé l’esprit. Ce qu’il le surprenait était que Zach n’était apparemment pas une copie. Qu’il fût le Contrôleur signifiait plus que simplement avoir une marque imprimée dans son âme, après tout.

— Alors le Contrôleur voit son âme originale tirée au sein de la boucle temporelle lorsque celle-ci est créée, résuma Zorian. Il n’est pas une copie, alors il n’y a pas de souci lorsqu’il doit partir. Mais n’importe qui d’autre devra tuer son original afin de prendre sa place s’il veut se tirer d’ici, et c’est inacceptable. Est-ce correct ?

— Correct, confirma le Gardien.

— Mais tu pourrais le faire ? s’exclama soudain Zach. Si l’une des copies désirait quitter les lieux, tu pourrais échanger son âme avec celle de l’original ?

— En théorie, oui, admit le Gardien. Mais cela va à l’encontre de ce pour quoi j’ai été créé. Je suis le Gardien du Seuil. L’une des tâches principales donnée au Gardien par le Créateur est de garantir que la boucle temporelle ne menacera pas l’intégrité de la source. So une copie divergente tentait de tuer l’original en échangeant son âme avec ce dernier, je ferais de mon mieux pour l’arrêter.

— Mais si l’on parle d’une copie normale, non-divergente ? insista Zorian. Il n’y a sûrement aucun mal à remplacer l’original par la copie, puisqu’il s’agit de la même entité ! C’est, après tout, ce qui rend la destruction de millions et de millions d’âme chaque mois acceptable, n’est-ce pas ?!

Le Gardien hésita. Un silence court et tendu s’abattit sur la scène tandis qu’il considérait le scénario.

— Tant que la copie ne diverge pas de l’original, une telle manœuvre pourrait être théoriquement acceptable, finit par admettre le Gardien. Mais il est de mon devoir d’empêcher le contenu de la boucle temporelle de filtrer à l’extérieur autant que possible, aussi refuserais-je de performer une telle action. Seul le Contrôleur, avec les connaissances et les secrets accumulés au sein des itérations successives de la boucle, est autorisé à quitter à laisser sa marque sur le monde extérieur, puisqu’il est techniquement issu de ce monde à l’origine.

— Très bien, acquiesça Zorian en faisant signe à Zach de laisser tomber.

Bien que toujours placide, le Gardien semblait presque agité par leur série de questions. Zorian craignait qu’en poussant trop loin, il pût réaliser que l’un d’eux était une copie et ferait de son mieux pour corriger l’erreur. Il valait mieux laisser filer pour l’instant.

— Essayons autre chose. Gardien, tu as dit que la Porte est fermée parce que le Contrôleur a déjà quitté la boucle temporelle.

— Oui, confirma l’entité.

— Peux-tu me dire combien d’itérations se sont écoulées depuis son départ ?

— Le Contrôleur est toujours au sein de la boucle, répliqua le Gardien sur un ton monotone.

Quelques variations de la question convainquirent Zorian que le Gardien n’avait aucune idée de la date à laquelle Robe Rouge était parti. Le Contrôleur était parti, mais n’était pas parti, en réalité, parce qu’il était toujours là, et le Gardien était totalement confus.

Demander au Gardien la description de Robe Rouge, ou d’autres de ses caractéristiques, ne fonctionna pas non plus. Il ne semblait pas percevoir le monde de la même façon qu’eux, bien qu’il fût d’apparence humanoïde tout comme eux. Il semblait juste tout ignorer en terme de caractéristiques visuelles et physiques dès lors qu’il s’agissait du Contrôleur. Autre que son marqueur, bien entendu.

— Alors, le Contrôleur qui est parti possède le marqueur ? interrogea Zorian.

— Bien entendu, confirma le Gardien. Comment pourrait-il être parti, sinon ?

— Comment le Contrôleur reçoit-il le marqueur, en premier lieu ? demanda encore Zorian. Est-ce héréditaire, assigné par la Porte elle-même selon certains critères ?

— Le Contrôleur est marqué par la Clé, par le Créateur ou par ses agents, expliqua le Gardien. Je ne connais pas les critères qui entrent en considération lorsqu’un Contrôleur particulier est choisi. Il est inutile que je sache de telles choses.

— Mais la Clé est perdue, nota Zach en faisant la moue. Éparpillée au travers de vastes distances. Et si le Créateur est un dieu comme tu le penses, eh bien… les dieux sont silencieux depuis des siècles. Ce qui ne laisse que ses agents. Qui sont-ils ?

— Impossible à dire pour l’instant, se désola Zorian en haussant les épaules. Mais apparemment, tu as été choisi, et pas par hasard.

— Ou peut-être que Robe Rouge l’a été, contra Zach d’un air morose. Je sais que tu penses que je suis le voyageur original, mais le fait que Robe Rouge a été capable de partir aussi facilement… Peut-être qu’il est le vrai, au bout du compte. Tu as vu comme le Gardien a réagi face à la possibilité d’échanger une copie et l’original. Si Robe Rouge avait été une simple copie, comment aurait-il pu le convaincre ?

— Je ne sais pas, répondit Zorian en secouant la tête. Il est fort regrettable que le Gardien devienne aussi stupide dès qu’on parle de Robe Rouge.

— S’il ne l’était pas, nous aurions probablement été effacés au moment où il a quitté la boucle, lui rappela Zach. Alors c’est peut-être une bénédiction, au final. Mais peu importe. Gardien ? Ce marqueur que je possède est unique, n’est-ce pas ? Il n’y a aucun moyen qu’il existe plusieurs Contrôleurs ?

— Aucun, confirma le Gardien. Avant l’activation d’une boucle temporelle, marquer une nouvelle personne supprime automatiquement tout ancien marqueur. Au sein de la boucle temporelle, le marqueur du Contrôleur ne peut être invoqué, et seuls des marqueurs mineurs peuvent être placés.

— Des marqueurs mineurs ? Qu’est-ce que c’est que ça, encore ? protesta Zach.

— Le Contrôleur peut temporairement ajouter des âmes à la boucle temporelle en plaçant un marqueur mineur en leur sein.

— Quoi ? caqueta Zach. Il y a un moyen d’ajouter quelqu’un à la boucle et tu n’en parles que maintenant ?! Et que veux-tu dire par temporairement ?

— Bien que je sois ravi de répondre à toute question que vous puissiez avoir au mieux de mes capacités, je ne suis ultimement pas créé pour apprendre au Contrôleur comment se servir de son marqueur, et comment agir au sein de la boucle temporelle, trancha le Gardien sur un ton calme. Il s’agit de la tâche de quiconque a placé ce marqueur sur vous. Et par temporairement, je veux dire que la cible peut conserver souvenirs et capacités pendant six itérations avant que le marqueur ne se dissolve.

— Pourquoi créer un marqueur temporaire comme celui-ci ? Y a-t-il un moyen pour le rendre permanent ?

— Il est temporaire afin de garder les divergences de l’original à un niveau acceptable et afin de décourager le Contrôleur, qui pourrait s’attacher émotionnellement à une copie marquée. Il n’existe aucun moyen de le rendre permanent, car ce serait inutilement cruel. Après tout, seul le Contrôleur peut quitter la boucle.

— Mais si les copies qui conservent leur conscience pour plus d’un mois comptent comme des personnes et que les tuer est mal, est-ce que ça ne signifie pas qu’utiliser un tel marqueur est un meurtre ?

— Oui, accepta facilement le Gardien. Mais ce n’est pas la Porte qui tue, alors c’est acceptable. Il est de la responsabilité du Contrôleur de décider quand et qui ils se sentent à l’aise de tuer.

— Alors… reprit Zorian après une courte pause.

— Je n’aurais jamais utilisé un tel sort, coupa immédiatement Zach, devinant correctement ce que Zorian était sur le point de demander. Jamais. Pourquoi me torturerais-je en faisant entrer des gens dans la boucle, sachant qu’ils disparaîtraient pour redevenir la version de base à peine six mois plus tard ?

— C’est vrai, admit Zorian en comprenant qu’il venait de toucher un point sensible. Gardien, qu’en est-il de la capacité d’éjecter des êtres de la boucle temporelle ? Afin de leur faire commencer chaque itération, morts et sans âme ? Une telle capacité existe-t-elle ?

— Le Contrôleur possède une telle compétence, en effet.

Maintenant, Zorian savait qu’il était inutile de demander si une telle compétence avait été usitée par le passé. Le Gardien possédait une conscience très limitée de ce qu’il se passait autour de lui dans l’espace et le temps, ne se préoccupant que du Contrôleur en personne.

— Et la capacité de restaurer ces êtres, afin de les faire revenir dans les prochaines itérations ? demanda-t-il au lieu de ça, toujours en colère contre la matriarche qui avait prévu de le trahir, mais désirant son retour malgré ça.

— Non, lâcha le Gardien. La capacité permet au Gardien de réaliser un changement au schéma de base servant à construire chaque itération. Il n’existe aucun moyen de retrouver ce qui a été effacé, sauf suite à une intervention du Créateur lui-même. Le Contrôleur a pour avertissement d’utiliser cette capacité avec sagesse et restriction.

Pendant les vingt minutes qui suivirent, Zach et Zorian tentèrent d’interroger le Gardien à propos de la manière dont une telle compétence devait être utilisée par le Contrôleur et d’en apprendre davantage sur les autres capacités spéciales qu’il pourrait posséder. Malheureusement, les résultats furent mauvais : le Gardian ne savait rien des autres capacités que le Contrôleur pouvait avoir en sa possession et refusa de les lister, de toutes façon. Ils n’étaient pas autorisés à connaître cette information.

— Ça n’a aucun sens, se plaignit Zach. Il est heureux de nous parler de compétences en particulier si on lui demande, mais nous en faire la liste complète est interdit ?

— Eh bien, ça peut être logique, si le Créateur ne veut pas que le Contôleur soit conscient de tout ce qu’il peut accomplir avant de le découvrir par lui-même, supposa Zorian. Si certains des Contrôleurs se voient donner des informations limitées, le Gardien ne peut pas tout leur dire non plus.

Une nouvelle séance de questions et de réponses infructueuses démarra, et Zorian tenta de demander au Gardien de lui parler de l’histoire de la boucle temporelle et de son but. Celui-ci ne savait rien des boucles précédentes, cela dit, mis à part qu’elles avaient existé. Apparemment, il ne conservait pas ses souvenirs entre différentes boucles temporelles autonomes. Quant à son but…

— La boucle temporelle existe car un pacte a été passé entre le Créateur et le Contrôleur, conclut le Gardien. Ou peut-être est-il plus juste de dire que son but est tout ce que désire le Contrôleur. Il n’existe que peu de moyens de l’empêcher de faire ce que bon lui semble une fois au sein de la boucle, après tout.

— Très bien, question suivante, dans ce cas, soupira Zorian. Peux-tu me dire combien de temps il reste à la boucle temporelle avant qu’elle ne se dégrade ? C’est-à-dire, combien de temps avons-nous à disposition pour quitter les lieux ?

— Oui, bien entendu. Il reste suffisamment de puissance pour cinquante-deux itérations supplémentaires avant qu’elle ne s’éteigne totalement, dit le Gardien. Si l’on suppose une utilisation maximale de chaque itération, cela représente un peu plus de quatre ans.

Quatre ans… Peut-être était-il juste cupide, mais ça lui semblait vraiment court. Il avait posé la question juste pour savoir ce que le Gardien allait répondre. Il s’était attendu à la réponse classique invoquant leur manque de droits, mais le Gardien avait en réalité une réponse complète à leur fournir.

— La boucle temporelle est normalement supposée démarrer au pic de l’alignement planétaire, expliqua-t-il froidement. Malheureusement, quelque chose semble s’être mal passé et elle a été activée un mois en avance. Cela rend le tout plus gourmand en énergie, et la boucle se dégrade plus rapidement que prévu.

— Sais-tu depuis combien de temps cette boucle temporelle est active ? tenta Zorian.

— Neuf cent soixante-sept itérations, répondit le Gardien. Approximativement trente ans.

Huh ? Attends, ces nombres étaient plutôt étranges. Comment mille itérations pouvaient durer à peine trente ans ?

— Eh, grimaça Zorian. Alors la boucle dépense de l’énergie pour chaque itération, et non pas pour le temps qui passe ?

— En effet, confirma le Gardien. L’énergie est utilisée lors de la création de la copie. Peu importe le temps qui s’écoule au sein de chaque itération.

— Mais j’ai coupé court à un paquet d’itérations en crevant comme un idiot lors des premiers jours, protesta Zach. Tu es en train de me dire que j’ai cramé le temps à notre disposition, à chaque fois ?

— Oui, répliqua nonchalamment le Gardien. Il est du droit du Contrôleur de faire une telle chose, cependant. Sans doute avez-vous jugé que les gains valaient le sacrifice.

— Putain, non, je n’ai rien jugé ! Je n’en savais rien ! Si j’avais su tout ça, j’aurais été bien plus prudent à propos de cette connerie !

— Malheureux, rétorqua le Gardien, qui ne semblait ni désolé, ni compatissant, comme à son habitude. Il semble que vous ayez été mal préparé à tout ça. Vous devriez vous plaindre à quiconque a placé ce marqueur en vous, une fois que vous serez sorti.

— Ouais, c’est exactement ce que je vais faire. Et dès que j’aurai trouvé cet enfoiré, maugréa Zach. Mais quoi qu’il en soit, trouvons un moyen de sortir, d’abord. Gardien, comment pouvons-nous rouvrir la Porte ?

— Vous devrez me présenter la Clé, dit simplement le Gardien. Si vous venez me trouver en possession des cinq artefacts, vous possèderez un niveau d’autorisation suffisant pour rouvrir la Porte.

— Et je suppose que tu ne peux pas nous dire où les trouver ? tenta Zach.

— En effet, je ne le peux. Mais les trouver ne devrait pas être extrêmement complexe, puisque votre marqueur peut ressentir leur présence.

Une fois de plus, Zorian souhaita que ce bordel de marqueur eût été livré avec un manuel d’instruction, ou n’importe quoi lui expliquant comment l’utiliser.

Ils continuèrent à questionner le Gardien pendant plus de deux heures, mais aucune nouvelle information ne filtra. Lorsqu’ils décidèrent de finalement quitter les lieux, le Gardien les informa qu’ils allaient devoir patienter le temps qu’une nouvelle itération ne démarre, car leurs corps avaient été excessivement endommagés tandis qu’ils parlaient. Et cet imbécile heureux n’avait pas jugé utile de les prévenir avant qu’il ne furent prêts à partir.

Après cinq minutes qui servirent essentiellement de défouloir à Zach et après avoir réalisé que ce dernier n’allait jamais cesser de jurer et d’insulter le Gardien et quiconque l’avait programmé ainsi, il soupira et se contenta d’activer le levier de son marqueur.

Tout devint immédiatement paisiblement noir et silencieux.

 

___

 

Comme d’habitude, le réveil de Zorian fut exécuté par Kirielle qui lui bondissait dessus. Les évènements qui suivirent furent également plutôt typiques, la discussion avec Ilsa, l’esquive des tentatives de conversation de sa mère pendant le petit-déjeuner. Il finit même par inviter Kirielle à venir avec lui à Cyoria, malgré son désir initial de la laisser derrière lui, cette fois-ci. Partiellement parce qu’il avait réalisé que son plan consistant à se hâter de rassembler la Clé pour la présenter au Gardien était plutôt prématuré et qu’il devait d’abord se poser et digérer les choses. Mais également parce qu’il avait senti qu’il avait vraiment besoin d’une pause. Le mois précédent avait été éreintant, avec la chasse incessante des Aranea suivit par toutes les révélations qu’il devait maintenant classer, et il ne se sentait pas de se lancer comme ça dans une nouvelle mission à long terme exténuante. Prendre un mois ou deux de repos afin de réfléchir à tout ce qu’il savait n’allait pas les tuer. La limite de temps était inconfortablement courte à son goût, mais pas si courte.

Il se demandait simplement comment annoncer ça à Zach la prochaine fois qu’ils se croiseraient lorsqu’il fut interrompu par le son caractéristique de quelqu’un qui frappait à la porte.

Quoi ? C’est… Ça n’arrivait jamais à ce moment…

Il s’empressa d’aller ouvrir, étendant son sens spirituel de l’autre côté de cette dernière, pour se rendre compte que Zach se trouvait sur le pas de la porte. Apparemment, son camarade voyageur temporel n’était pas assez patient pour l’attendre à la gare de Cyoria.

Zorian était plutôt choqué, et pas uniquement parce que Zach avait décidé de venir le voir chez lui.

Il pouvait sentir l’esprit de Zach, désormais. Il était toujours protégé, mais n’était plus sous l’effet d’un sort de l’esprit vide. Zorian était touché par l’attention et la confiance qu’il lui accordait.

— Salut, Zach, dit-il. Inattendu de te voir ici.

— Ouais, bon, notre dernière rencontre s’est terminée de façon un peu abrupte, répondit Zach en lui lançant un regard étrange. Alors je pensais que je pourrai passer pour qu’on finisse notre conversation.

— Désolé, fit Zorian en clignant de l’œil. Je sais que terminer la boucle de façon si soudaine était un peu sournois, mais ce que le Gardien racontait était déjà assez déprimant et tu commençais à partir dans un monologue injurieux…

— C’est bon, le coupa Zach en levant la main. J’ai perdu mon sang-froid, moi aussi. Tu as probablement bien fait de me faire taire avant que je ne fasse quelque chose de stupide. Ce truc semblait plutôt impassible, mais si quelqu’un peut parvenir à énerver une espèce artificielle et non-intelligente, c’est moi.

— Zorian, qui est-ce ? demanda soudain sa mère qui s’approchait.

Zorian se tourna et put voir Kirielle espionner depuis derrière la porte de la cuisine, qui regardait la situation se dérouler.

— C’est juste Zach, répondit nonchalamment Zorian. C’est un de mes camarades de classe, à Cyoria.

— Oh, non de… Zorian a finalement des amis qui lui rendent visite à la maison, piailla sa mère à grands renforts de gestes exagérés. Je n’aurais jamais pensé que ce jour arriverait. Ai-je le droit à des présentations ?

— Bien sûr, accepta Zorian par politesse. Mère, voici Zach Noveda, ami et camarade de classe. Zach, voici Cikan Kazinski, ma mère. La fillette qui nous observe depuis l’autre côté de la porte, c’est ma petite sœur, Kirielle.

Leur mère envoya un regard ennuyé à Kirielle et lui fit signe d’approcher pour se présenter correctement. Reniflant légèrement, Kirielle s’avança et serra la main de Zach d’une manière exemplaire.

— Attends, pas de Fortov ? demanda Zach dans un soupir.

La Mère de Zorian, équipée d’une ouïe plus que correcte, entendit.

— Il se trouve chez un ami. Il vous retrouvera à la gare, alors vous pourrez l’y voir. Je suppose que vous prévoyez de prendre le train vers Cyoria en compagnie de Zorian, n’est-ce pas ?

— Oui. Le train. Bien sûr, bafouilla Zach en regardant Zorian d’un air curieux – il s’était probablement attendu à ce qu’ils se téléportent simplement à Cyoria après s’être excusés.

— J’ai décidé d’emmener Kirielle à Cyoria, cette fois, commenta Zorian. J’espère que ça ne te dérange pas qu’elle voyage avec nous.

Kirelle lança un coup d’œil sévère à Zach, le défiant de refuser.

— Euh… Oui. Bien sûr, je suis ok, dit Zach.

Ce qui suivit furent vingt minutes de tentatives de la part de la mère de Zorian afin de pousser Zach à accepter quelque chose à boire, ainsi qu’une pêche aux informations. Zach décida de ne pas mentionner qu’il était le dernier héritier vivant de la Maison Noveda, peut-être parce qu’il se souvenait encore que Zorian lui avait parlé de sa mère et se décrivit simplement comme un pauvre orphelin de Cyoria. Selon le regard que lui lança sa mère, cela dit, Zorian était certain qu’elle avait compris qui il était vraiment. Elle était plutôt réceptive à ce genre de sujet.

Au bout d’un moment, tous les quatre finirent par emballer leurs affaires avant de partir pour la gare de Cirin.

— Comment cela se fait-il que Zach ne possède pas de bagages ? protesta Kirielle en jetant un coup d’œil navré à sa propre valise, que sa mère lui avait forcée à remplir de tout un tas de choses qu’elle jugeait inutiles.

— Eh bien, je suis de Cyoria, pour commencer, expliqua Zach en souriant. Mes affaires s’y trouvent déjà.

— Injuste… marmonna la petite sœur vexée.

— Oh, tu vas voir ce que veut dire injuste quand nous arriverons à Cyoria, rétorqua Zorian. Il y a une heure de marche de la gare jusqu’à l’endroit où nous allons vivre, et j’ai entendu qu’il allait pleuvoir averse…

Lorsqu’ils atteignirent finalement la gare, ils y trouvèrent Fortov déjà présent et discutant avec ses amis. Leur mère insista pour lui présenter Zach, ce qui ennuya Zorian plus que cela n’aurait dû.

— Je ne veux pas t’offenser, Zorian, mais ta famille semble plutôt sympa jusqu’à présent, lui chuchota Zach un peu plus tard, après avoir enfin trouvé une excuse pour s’éloigner du groupe de Fortov. Peut-être que je ne suis pas tout à fait objectif puisque ma famille est morte et que je souhaiterais déjà avoir une famille… mais honnêtement, je ne comprends pas d’où te vient ton animosité à leur égard.

— C’est personnel, lui répondit Zorian sur un ton sec. Il y a beaucoup de choses que tu ignores. Laisse tomber.

— Ok, ok, peu importe, soupira Zach. Je ne veux pas me battre. Je voudrais plutôt te présenter mes excuses.

Zorian lui offrir un regard étrange.

— Des excuses ? Pour quelle raison ?

— Eh bien, la dernière fois, tu as mentionné la façon dont je gardais ce sort de l’esprit vide lorsque j’étais avec toi, et que ça signifiait que je ne te faisais pas confiance…

— Tu n’as pas à t’excuser pour ça, lui assura Zorian en secouant la tête. Je t’ai également dit que j’aurais sans doute fait la même chose à ta place, tu te souviens ?

— Je ne veux pas t’offenser, mais je ne veux pas être comme toi, Zorian, l’imita Zach – eh bien, va te faire foutre, Zach, le sentiment est partagé ! Le truc, c’est que tu avais raison. Nous ne nous faisons pas confiance, et nous n’irons nulle part de façon pertinente si cette épée de Damoclès est constamment suspendue au-dessus de nos têtes. Nous devons travailler ensemble si nous voulons avoir la moindre chance de sortir de là.

Eh bien, ce n’était pas exactement ce qu’il avait dit, mais Zorian était plus ou moins sur la même longueur d’onde, et il ne l’interrompit pas.

— Alors quoi qu’il en soit, je pense que tu as déjà remarqué que je n’étais plus sous l’influence de ce sort.

— Bien entendu, acquiesça Zorian. Je constate que ton esprit est toujours protégé, par contre.

— Eh bien, évidemment, lui répondit Zach en levant les yeux au ciel. Fais confiance à tes voisins, mais ferme la porte à clé, tu sais ?

— Ce n’était pas une critique, le rassura Zorian. Je m’apprêtais juste à remarquer que ton bouclier ne fonctionnait pas comme un sort. C’est une défense mentale non-structurée, n’est-ce pas ?

— Évidemment, tu l’as déjà testée, soupira Zach. Saloperies de télépathes. Mais oui, c’est non-structuré. J’ai appris ça il y a longtemps dans les dix premières années de la boucle.

— C’est… plutôt brut pour quelque chose que tu pratiques depuis des dizaines d’années, admit Zorian. Je veux dire, je sais qu’il est difficile de s’entraîner à la magie mentale non-structurée quand tu n’es pas psychique, mais j’ai vu d’autre mages classiques possédant des défenses similaires et elles étaient foutrement meilleures que ça.

— Je ne l’ai jamais vraiment raffinée plus que ça, cette technique… Bon, ok, je n’en ai jamais eu besoin pour autre chose que repousser des sorts mentaux basiques, avoua Zach. Ce n’est pas que je sois paresseux, tu vois. C’est quelque chose de plutôt répandu comme tel parmi les mages, au sujet de la défense mentale. En tout cas, c’est ce que les instructeurs de qui j’ai appris m’ont enseigné. Affine ta compétence juste suffisamment pour dévier les attaques banales et gère les attaques plus sévères avec des boucliers et autres protections du genre. Si tu n’as pas le temps de les invoquer, localise la source de la magie mentale et passe à l’offensive. Ou barre-toi. La plupart des mages sont d’accord : les défenses mentales non-structurées sont plus chiantes à apprendre que ce qu’elles valent.

— Eh bien, je suis plutôt de parti pris, mais c’est faux, répondit Zorian.

— Oui. Je me sens un peu stupide maintenant, d’avoir accepté des connaissances conventionnelles telles que celles-ci, admit Zach. Je suis coincé dans la boucle depuis des décennies, ce n’est pas comme si je n’avais pas eu le temps d’affiner mes capacités. J’en ai maîtrisé tellement de plus inutiles juste pour la frime, alors j’aurais vraiment dû éviter de faire l’impasse sur celles-ci. Mais on s’en fout. J’ai une faveur à te demander.

— Vas-y, l’incita Zorian en lui faisant signe de la tête.

— Ne triture pas mon esprit sans ma permission expresse, demanda Zach. Même si tu m’attrapes sans aucune protection mentale.

— Eh bien, c’est d’accord, promit Zorian. Je peux respecter ça. Mais alors, que dois-je faire si je te suspecte d’être sous l’influence d’un autre esprit ?

— Je… vais devoir y penser, bafouilla Zach. Pour l’instant, non. Ne fais rien, même dans ce cas. Assomme-moi et attends que l’effet s’estompe.

Zorian voulut noter le fait que certains effets mentaux ne s’estompaient pas, mais il pouvait voir que Zach était vraiment mal à l’aise avec l’idée même qu’il pût fouiller dans son esprit. Aussi décida-t-il de reporter ce commentaire.

— Très bien. Je laisserai ton esprit en paix. J’utiliserai uniquement mon sens spirituel et mon empathie sur toi, puisqu’ils ne demandent aucune invasion mentale et il est presque impossible pour moi de ne pas les utiliser sur quiconque. Autre chose ?

— Ouais, ajouta Zach. Le fait que tu puisses ressentir et manipuler le marqueur placé sur ton âme me fait vraiment chier, tu le sais ? Je peux accepter que tu sois un meilleur mage mental que je ne le serai jamais grâce à tes compétences spéciales, mais ce ressenti personnel de ton âme que tu possèdes est vraiment une chose que j’aurais aisément pu acquérir moi-même si j’en avais entendu parler. Tu penses pouvoir m’enseigner à faire ça ?

— Je pense que je vais devoir te présenter à l’un de mes professeurs pour ça, grimaça Zorian. Alanic a accès à des potions que je n’ai jamais rencontrées et des connaissances sur la façon de t’aider si quelque chose se passe horriblement mal. Je ne pense pas que ce soit vraiment un problème, cela dit – il est plutôt disposé à aider, malgré les apparences initiales.

Le train finit par arriver et ils furent forcés de couper court à leur conversation. Comme ils allaient partager un compartiment avec Kirielle pour le reste du trajet, tout sujet sensible allait devoir attendre.

Même s’ils avaient voulu parler de quelque chose plus orienté arcane, Kirielle ne les aurait pas laissé faire. Toute appréhension qu’elle avait pu ressentir envers Zach fondit comme neige au soleil pendant les vingt premières minutes du voyage et l’ennui qui s’ensuivait. Elle se mit à demander à son nouveau camarade des choses au sujet de Cyoria et de l’Académie. Plus tard, Zach réaliserait à quel point il s’était surpris de la façon dont Kirielle le traitait, sachant qu’elle lui avait toujours fait montre d’une animosité envers lui lors de la boucle précédente. Mais, comme Zorian le lui expliquerait alors, cette Kirielle était une copie qui avait eu une première impression bien plus négative de Zach… et ce sentiment ne l’avait jamais vraiment quittée, jusqu’à la fin du mois. La façon dont Kirielle agissait avec lui désormais était bien plus proche de sa vraie personnalité que ce qu’il avait expérimenté auparavant.

— Il est plutôt étrange que tu détestes la majorité de ta famille, mais que tu sois si proche de ta petite sœur, remarqua Zach. Est-ce que ça a toujours été comme ça, ou… ?

— J’ai toujours considéré qu’elle était la moins pire d’entre tous, expliqua Zorian. Mais non, je n’entretenais pas de relations si parfaites avec elle avant la boucle. Il y a une raison pour laquelle je ne l’ai jamais amenée avec moi avant de… faire partie de la boucle.

— Ah. Je me disais qu’il y avait quelque chose comme ça, nota Zach. Bon. On a un plan pour ce mois ?

— J’espérais qu’on aurait pu se reposer pour un mois ou deux, soupira Zorian. Il faut que je réfléchisse à tout un tas de choses pour en tirer des conclusions. Ce qu’on a appris, c’est beaucoup à la fois.

— Hmm… Bien, accepta Zach au bout d’un instant. Je suppose qu’on devrait passer un peu de temps pour apprendre à se connaître, de toutes façons. Tu peux toujours me présenter à ce monsieur Alanic qui enseigne l’art du ressenti de l’esprit, n’est-ce pas ?

— Absolument, confirma Zorian. Tu peux travailler sur ça pendant que nous décidons que faire. Ce n’est pas comme si je prévoyais de ne vraiment rien faire du tout, tu sais.

— Oh ? Qu’as-tu en tête ?

— Je continue les cours avec mon mentor, Xvim, mais je n’ai pas pu me concentrer sur ces dernières depuis. Maintenant que le paquet mémoriel n’est plus ma priorité absolue, je me dis que je pourrais lui accorder du temps et toute mon attention, afin de voir ce qu’il pourrait en résulter. Je ne suis toujours pas certain de ce que je peux lui dire sur la boucle et la façon dont elle fonctionne, cela dit. Je veux dire, JE suis paniqué par la façon dont elle fonctionne, et je suis conscient des retours… Je ne suis pas sûr qu’il soit une bonne idée de lui expliquer ce qu’il se passe réellement.

— Je ne peux rien faire pour toi de ce côté-là, fit Zach en secouant la tête. Je n’ai jamais eu beaucoup de chance lorsqu’il s’agissait de convaincre les gens à propos de la boucle, et c’était avant de connaître sa nature exacte et complètement démente. Je n’ai aucune idée de la façon dont tu pourrais le convaincre de prendre le voyage temporel au sérieux, sachant qu’il ne m’a jamais cru, et j’ai tenté.

— Tu as allé voir Xvim et tu lui as parlé de la boucle ? s’étonna Zach. Je suppose que quand tu dis que tu en as parlé à tout le monde, c’est vraiment littéral.

— Ouais… confirma Zach. Tu penses que ça pourrait le convaincre que tu lui dis la vérité si je t’accompagne ? Je peux faire montre de sorts plutôt farfelus, maintenant…

— Je ne sais pas, hésita Zorian. Je n’ai pas parlé de toi lorsque je lui ai parlé précédemment, mais c’était principalement pour minimiser les liens qui pouvaient nous unir au cas où Robe Rouge venait à entendre parler de l’enquête de Xvim. Maintenant que nous savons qu’il n’est plus là, ce serait peut-être une bonne idée, en effet.

Zorian réfléchit encore un instant à l’implication de ce choix.

— J’irai seul, lundi, finit-il par décider. Mais je vais lui dire que tu fais également partie de la boucle et je verrai s’il veut te rencontrer.

 

___

 

Bien entendu que Xvim voulait le rencontrer. Franchement, si Zorian avait été à la place de Xvim et qu’un étudiant venait frapper à sa porte pour lui proposer une histoire de voyage dans le temps en annonçant qu’un autre étudiant en était aussi un, il aurait réagi de manière similaire. Aussi, le lendemain, il retourna frapper à la porte de son bureau, Zach sur ses talons.

— Ainsi, monsieur Noveda, commença Xvim. Monsieur Kazinski ici présent prétend que vous deux êtes piégés dans une… boucle temporelle, et que vous avez vécu ce mois de nombreuses fois auparavant. Vous y avez passé plus de temps que lui, apparemment. J’ai déjà entendu l’histoire de monsieur Kazinski et j’ai vu les preuves qu’il avait à me montrer, et je suis maintenant curieux d’entendre votre version de l’histoire. Mais avant que nous n’y arrivions, j’admets que je suis curieux. Quel est votre niveau de compétence ? Voudriez-vous prendre une heure ou deux afin de tester vos capacités magiques ?

— Bien sûr, répondit Zach en haussant les épaules. Je suppose que nous allons quitter le bureau, dans ce c…

— Ce ne sera pas nécessaire, monsieur Noveda, répondit Zach. Le test consiste en quelques exercices de mise en forme du mana.

— Des exercice de façonnage ? se surprit Zach. Err… Vous me sous-estimez, mais ok. Je suis prêt quand vous l’êtes.

Oh, le pauvre. Zorian devait-il le prévenir ?

Non. Non, c’était plus amusant ainsi.

— Faites léviter ce crayon, s’il vous plaît, intima Xvim à Zach en lui tendant l’un des nombreux crayons se trouvant dans un pot. Et faites-le tourner.

Zach sourit, effectua la tâche avec une facilité déconcertante…

…lorsqu’une bille de marbre arriva droit vers son front, le percuta, lui fit perdre sa concentration, tomber le crayon, sans même parler du tournoiement.

— …Quoi ? bégaya Zach, incrédule.

— Vous avez échoué, l’informa Xvim, tapant impatiemment du doigt sur la table.

— Mais… Vous m’avez balancé une bille ! protesta Zach.

— Et vous avez immédiatement perdu votre concentration, soupira longuement Xvim. Honteux. Et vous êtes supposé vous être entraîné pendant des décennies ? Mais qu’avez-vous donc fait pendant tout ce temps ? Zorian n’aurait jamais laissé une telle perturbation minime mettre à bas sa concentration pour quelque chose d’aussi minime, et il n’est dans votre boucle que depuis quelques années.

Zach le regarda sans croire ce qu’il entendait, pendant plusieurs secondes. Zorian, puis Xvim, et Zorian à nouveau, incapable de mettre un sens sur ces mots.

Zorian luttait pour ne pas rire. Il pouvait comprendre pourquoi Xvim avait fait ça – c’était un coup d’enfoiré, et totalement inapproprié pour un professeur, mais putain, c’était excellent.

— Eh bien, je suppose qu’il fallait s’y attendre, dit Xvim. Des décennies d’instruction miteuse. Un étudiant prometteur de plus qui a été pourri par le ridicule système éducatif. Essayons encore une fois, et correctement, cette fois. Recommence…

 

___

 

— Je déteste ce mec, lui annonça Zach une fois hors du bureau de Xvim. Je ne crois pas avoir jamais voulu étrangler quiconque aussi intensément que lui.

— Ouais, Xvim a ce genre d’effets sur les gens, confirma Zorian.

— Je veux dire, je savais que c’était un connard, mais je n’avais jamais réalisé que c’était si… intensément un connard. Tu sais ?

Oui, il savait. Oh oui, à quel point il savait…

— Je voulais lui prouver qu’il avait tort, tenta Zorian en haussant les épaules. C’était un con, mais il demandait l’excellence dans un domaine dans lequel je m’étais toujours considéré bon, alors je ne pouvais simplement pas laisser passer. D’ailleurs, ce n’est pas si terrible, une fois que tu le connais un peu mieux.

— Pas si terrible, répéta Zach en levant les yeux au ciel. J’espère vraiment qu’on en a fini et qu’on ne va plus jamais lui reparler.

— Tu sais, Xvim est plutôt bon en magie mentale non structurée, expliqua innocemment Zorian.

— Non, objecta immédiatement Zach. Non.

— Quoi ? se mit à sourire Zorian de toutes ses dents. J’allais juste te suggérer de lui demander de l’aide afin de maîtriser tes propres défenses. Je suis sûr qu’il serait ravi de t’épauler.

— Non. Pas moyen. Pas. Moyen, fit Zach en secouant la tête. Et je pense pas que je n’ai pas remarqué à quel point tu prenais du plaisir à me voir ainsi. Je trouverai un moyen de de rendre la pareille, promis.

Plutôt que de se sentir intimidé par la menace, Zorian éclata de rire.

Raka
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