Chapitre 7 – Non-dits et jeux de semblants
Au départ, Zorian ne l’avait même pas remarqué. C’était déjà un fait notable en soi, Zach n’étant pas une personne facile à manquer. Il adorait attirer l’attention et semblait avoir du mal à rester calme et silencieux, un trait de caractère resté fidèle au garçon même après sa transformation en voyageur du temps. Ce jour-là, cependant, le normalement exubérant et bruyant adolescent restait aussi silencieux qu’une tombe. Il avait également laissé tomber sa tactique typique consistant à rester assis au fond de la salle afin de s’octroyer une place tout devant. Si ce changement de principes n’avait pas provoqué le regard des élèves de façon un peu trop insistante, Zorian ne l’aurait même pas remarqué.
Il fut si choqué de le voir finalement présent en classe qu’il s’arrêta momentanément d’avancer et resta debout là comme un idiot, au milieu de la salle. Après un moment de réflexion, il se dirigea finalement vers la cause probable de sa situation.
D’un premier instinct, il faillit marcher directement vers Zach pour le traîner dans un coin reculé afin de clarifier les choses mais l’apparence maladive de Zach le laissa perplexe. Sa peau était pâle et semblait drainée de son sang, il respirait un peu trop bruyamment et avec insistance pour une personne en bonne santé. Il avait l’air vraiment mal en point. En y repensant un peu, l’approcher si imprudemment serait bête et sans doute téméraire. Sa défaite contre la liche mis à part, Zach était largement plus puissant que Zorian et ce dernier n’avait pas la moindre idée de la façon dont il aurait pu réagir en apprenant qu’il y avait une autre personne arpentant le temps en sa compagnie. Il devrait bien entendu lui faire face tôt ou tard aussi prévoyait-il au moins une approche préalable avec son camarade. Il scanna l’avant de la salle à la recherche d’une place à proximité de Zach de laquelle il pourrait le surveiller pendant les cours.
Il n’eut pas à chercher longtemps – Zach était assis très près de Briam et chaque siège alentour était libre. La cause en était facile à deviner : les gens étaient réticents à s’approcher de ce drake colérique qu’il tenait dans ses bras. Et en tant que visiteur du futur, Zorian savait que leurs peurs étaient fondées. Tandis que le jeune drake n’enflammait personne (et parfois, Zoran se demandait à quel point cela était dû à sa jeunesse et son manque de compétence plutôt qu’à un contrôle de soi avancé), il n’hésitait pas à mordre et griffer à tout va et il était compliqué de deviner ce qu’il fallait faire pour l’en empêcher. Heureusement, il semblait tolérer Zorian bien mieux que tous les autres élèves aussi ce dernier se contenta-t-il de se poser nonchalamment à côté de Briam, faisant taire d’emblée le lézard d’un regard ennuyé. Il fixa la bête droit dans ses yeux jaunes fendus jusqu’à ce qu’elle tourna la tête pour lui foutre la paix.
— Ouah, tu l’as calmé en un instant, remarque Briam. J’aimerais le contrôler aussi facilement, moi.
Le drake de feu fit claquer ses mâchoires devant le visage de son maître, ce qui le fit reculer par réflexe. Briam soupira et laissa tomber l’affaire. Ce n’était pas la première fois que Zorian se demandait à quel point l’animal pouvait être intelligent.
Puis, en faisant de son mieux pour paraître naturel, Zorian se tourna vers Zach, assis un peu plus loin.
— Tu as l’air d’un déterré, lança-t-il.
Zach grogna et enfouit son visage dans ses mains.
— Je me sens comme un déterré, gémit-il. Qu’est-ce que ce tas d’os m’a fait ?
Le cœur de Zorian s’accéléra. Zach s’attendait sans doute à ce que ce commentaire soit ignoré et traité comme une métaphore quelconque mais pour lui, c’était une confirmation définitive que Zach était également un voyageur temporel. Il n’y avait aucun doute quant à l’identité du mystérieux « sac d’os. »
Maintenant… Comment pouvait-il pousser Zach à e dire plus sans révéler lui-même plus qu’il ne devait ?
— Sac d’os ? demanda Zorian d’une voix curieuse.
Zach ouvrit la bouche et s’apprêtait sans doute à répondre. Ce fut le moment que choisit Ilsa pour entrer dans la salle et Zach laissa tomber ce qu’il allait dire.
Zorian dut réprimer l’envie de fixer Ilsa tandis qu’elle lui souriait. N’aurait-elle pas pu attendre quelques minutes de plus ?
Ignorant et peu soucieuse des états d’âme de Zorian, Ilsa accepta la liste tendue par Akoja et entreprit de se présenter à la classe. Ce n’était pas une chose que Zorian n’avait pas déjà entendue huit fois et il l’ignora grandement au profit de la surveillance de Zach, cherchant un moyen de lui faire parler du voyage dans le temps et de lui extorquer toutes les informations qu’il voulait.
Soudain, il réalisa qu’Ilsa avait cessé de parler et regardait dans sa direction. Après quelques secondes, il réalisa qu’elle en avait en réalité après Zach.
— Monsieur Noveda, vous n’avez pas l’air en forme. Ne me dites pas que vous êtes venu en classe avec une gueule de bois ?
La classe entière éclata de rire et Zach grimaça, soit à cause de la réaction trop bruyante pour son état, soit peut-être parce qu’il avait noté le soupçon d’inquiétude dans la voix d’Ilsa. Quoi qu’il en fut, il se reprit bien vite.
— Ce n’est pas une gueule de bois, protesta-t-il. Je me suis simplement éveillé ainsi, promis.
— Et vous pensiez que venir en classe dans cet état était l’idée la plus pertinente… Pourquoi ? questionna Ilsa.
— Euh… Je ne pensais honnêtement pas que ça durerait si longtemps. Je m’attendais à ce que ça passe en une heure ou deux, avoua Zach faiblement.
Zorian fronça les sourcils. Si son état était une conséquence du sort de la liche de ce soir-là – et Zach semblait le penser avec une relative certitude si son commentaire précédent était digne de confiance – ça signifiait que Zach avait souffert ainsi pendant huit mois puisqu’il avait été absent aussi longtemps. Pourquoi Zach s’attendrait-il à un mieux en une heure ou deux ?
Pourquoi ne pouvait-il pas exister une seule réponse simple dans tout ça ?
— Eh bien, ce n’est pas passé. Même si j’apprécie votre dévouement pour vos études, conclut Ilsa tandis que Zorian jura avoir entendu Akoja renifle dédaigneusement quelque part derrière lui, je me dois d’insister pour que vous rentriez à la maison ou mieux, que vous alliez voir un guérisseur avant. Vous avez l’air de pouvoir vous écrouler à tout moment.
Avant que Zach ne puisse dire quoi que ce fut, Zorian se leva.
— Je vais le raccompagner chez lui, professeure, annonça-t-il face à un regard surpris de Zach et un hochement de tête d’Ilsa, qui les libéra aussitôt.
Zorian ramassa ses affaires et quitta la salle, Zach dans son sillage et très content de lui. Il s’était trouvé une excuse légitime pour discuter avec son camarade en privé et une permission officielle de quitter la session de révisions qu’il avait déjà subie huit fois. Une victoire pouvait-elle plus complète ?
— Tu n’avais pas à faire ça, tu sais, fit remarquer Zach, toujours derrière lui. Je peux rentrer seul. Je ne me sens pas si mal.
— Mais si je n’avais pas fait ça, j’aurais été obligé de rester assis deux heures à écouter ces révisions assommantes, contra Zorian.
Zach se mit à rire mais son rire se transforma rapidement en un gémissement de douleur pitoyable.
— Putain, jura-t-il. Il m’a vraiment fait un sale truc.
— Qui est cette personne dont tu n’arrêtes pas de parler ? s’infiltra Zorian.
— Ce n’est pas important, grommela Zach. Il prit une profonde inspiration et regarda Zorian droit dans les yeux. Eh, tu veux aller à la cafet’ et bouffer un truc ?
— Tu penses que ton estomac peut le supporter ? demanda Zorian.
— Et comment, acquiesça Zach. Je crève de faim !
Zorian haussa les épaules et fit signe à Zach d’ouvrir la marche.
Ce fut ainsi que Zorian se retrouva à partager une table avec la cause présumée de tous les problèmes de voyage dans le temps qu’il connaissait, tentant de trouver une opportunité de lancer une conversation à ce sujet, une discussion qu’il voulait clairement avoir avec lui. Peut-être devait-il mieux attendre quelques jours afin d’habituer Zach à sa présence ? Hmm…
— Tu sais, je trouve cette situation très amusante, cracha Zach entre deux bouchées pleines tout en se fourrant des nouilles au fond du gosier et en essayant de parler en même temps.
Maintenant, ça, c’était amusant. La mère de Zorian lui avait toujours matraqué qu’il devait agir comme un noble. Elle aurait sans doute une attaque cardiaque si elle pouvait voir à quel point les manières de Zach étaient « nobles ».
— Un étudiant modèle comme toi qui saute un cours pour aller prendre un repas avec un délinquant comme moi ? Mais où va le monde ? Que dirait ta mère si elle te voyait ?
— Premièrement, je ne saute pas une classe, je t’escorte chez toi, pointa Zorian en ignorant le reniflement de Zach. Nous nous sommes simplement arrêtés afin que tu ne tombes pas à cause d’un manque d’énergie. Et ma mère serait totalement joie et petites étoiles si elle voyait la personne avec qui je déjeune en ce moment, elle en oublierait bien vite que je suis supposé me trouver sur une putain de chaise à écouter des révisions assommantes.
— Ah. Une alpiniste sociale, lâcha Zach, une expression amère sur le visage. N’en dis pas plus. Au moins, t’es un mec, elle n’essayera pas de nous caser.
— Eh bien, j’ai une sœur de neuf ans…
— Ne tente même pas d’aller par là, l’avertit Zach.
— Bien, accepta Zorian en souriant car après tout, il n’avait pas spécialement envie de continuer ce genre de conversation, lui non plus. Alors tu vas me dire qui t’a mis dans ce sale état, ou pas ?
— Tu es bien plus curieux que dans mes souvenirs, pouffa Zach. Qu’est-ce qui te fait penser que quelqu’un m’a mis dans cet état ?
— Tes commentaires « en passant » ne sont pas si obliques que tu l’imagines, lui avoua Zorian.
— Peu importe, murmura Zach. J’ai simplement aspiré les vapeurs toxiques d’une expérience d’alchimie, hier soir. C’est tout.
Ah, le fidèle accident alchimique. Si cliché et si efficace pourtant. Zorian y avait lui aussi eu recours à plusieurs reprises lui-même. Dans tous les cas, il n’allait pas laisser tomber si facilement. Il décida de risquer le tout pour le tout afin de tenter de provoquer une réaction.
— Ces vapeurs devaient être vraiment étranges. Les effets secondaires donnent l’impression que tu as été exposé à la magie de l’âme, osa Zorian.
Il s’attendait à une réaction quelconque de la part de Zach mais ce qu’il reçut en retour fut largement plus costaud que ça. Zach se redressa immédiatement sur son siège, les yeux grands ouvert alors qu’il venait de réaliser enfin.
— Mais c’est bien sûr ! C’est pour ça que j’en subis encore les effets, même après le retour ! Ce putain de fils de cadavre a ciblé la seule chose qui se fait renvoyer – mon âme !
Un silence malsain suivit son éclat et tout le monde se tourna pour le regarder comme le gamin taré qu’il semblait être à ce moment précis. Zach baissa les mains après avoir gesticulé comme un Italien pendant qu’il réalisait ce qui se passait et grommela quelques excuses trop silencieuses pour que quiconque les entende. Quelques rires moqueurs de la part d’autres étudiants se firent entendre çà et là et moururent aussi rapidement.
— Euh… commença Zach. Peut-être que nous devrions continuer cette conversation à la fontaine, non ?
— Je ne sais pas, répondit Zorian avec attention. Si tu comptes continuer sur ce ton, je ne pense pas que ça changera grand-chose.
— Oh ha ha, bafouilla Zach. Je me suis un peu excité, là. Tout le monde n’est pas un bloc de glace comme toi, Zorian.
— Un bloc de glace ? répéta Zorian, la voix portant un avertissement implicite.
Zach était déjà en train d’emballer ses affaires cela dit. Zorian n’eut d’autre choix que de soupirer et lui emboîter le pas. Pourtant, l’explosion de Zach répondait déjà à quelques-unes de ses questions. Ainsi, ce n’étaient pas ses souvenirs ou son esprit mais bel et bien son âme. Ce simple était de fait expliquait bien pourquoi son talent fraîchement acquis ne disparaissaient pas quand il recommençait ; il était de notoriété commune que la magie était liée de près à l’âme et même si personne ne savait exactement comment, c’était ainsi.
Quand ils atteignirent finalement la fontaine, Zach semblait d’humeur absente et Zorian prit un moment pour étudier les poissons colorés qui barbotaient dans le bassin. Il avait pitié pour les pauvres animaux, en réalité, destinés à ne pas faire long feu. Pendant des années, la fontaine n’avait été entretenue ni réparée et le festival d’été était la cause de la présence de ces poissons dans un bassin rénové. Et quelles étaient les chances que l’académie continue à s’en occuper une fois le festival passé ? Sans même parler de la condition de la fontaine une fois l’invasion commencée. Leurs jours étaient clairement comptés.
— Zorian… sortit Zach d’un coup.
— Hm ?
— Dis-moi… Que penses-tu des voyages dans le temps ?
Zorian cligna des yeux. Eh bien, c’était direct.
—Des voyages dans le temps ? demanda-t-il avec autant de confusion qu’il pouvait feindre. Pas grand-chose, j’en ai peur. Pourquoi me poser cette question, d’un seul coup ?
— Hum, eh bien… bafouilla Zach en se grattant le menton avec nervosité. Tu vas probablement penser que je suis fou mais je suis un voyageur temporel… en quelques sortes.
Ouah, Zach n’avait vraiment pas la fibre subtile, hein ?
— Tu n’as pas l’air très âgé, fit remarquer Zorian. Si tu viens du futur, ça ne doit pas en être un très éloigné, ha ha…
— Non, non… C’est plus… Comme si le monde entier se réinitialise la nuit du festival d’été et je suis le seul qui se souvient de ce qui s’est passé.
C’était une façon intéressante d’expliquer les choses même si l’idée d’un sort affectant le monde entier était encore plus ridicule que l’idée de voyager dans le temps.
— J’ai vécu ce mois… Mon dieu, au moins deux cent fois, continua Zach. Honnêtement, j’ai perdu le compte.
— Attends, tu en parles comme si tu ne pouvais pas le stopper, nota Zorian, incapable de masquer ce soupçon d’alerte dans sa voix.
Fort heureusement, Zach était trop agité pour en prendre note.
— C’est exactement ça. Je ne sais pas si je suis capable de l’arrêter ! cria Zach avant de réaliser ce qu’il faisait et se calmer afin de ne pas attirer trop l’attention. J’ai été frappé par ce sort lors de la « session » précédente et ses effets n’ont pas totalement disparu quand je suis revenu dans le passé.
Zorian fronça les sourcils. La session « précédente » ? Et les sept juste avant ? Est-ce que Zach avait d’une quelconque façon loupé ces sept mois, ou ne s’en souvenait-il simplement pas ? Une chose frappa Zorian : les effets du sort de la liche pouvaient être encore plus sévères que ce qu’il s’imaginait – et si Zach avait passé sept mois dans le coma ? Même si ça soulevait une autre question : pourquoi ses tuteurs avaient déclaré Zach disparu plutôt que malade ?
— Je suppose que c’était vraiment une magie de l’âme comme tu l’as insinué, continua Zach. Il faut que je me méfie de ces sorts à l’avenir. Quoi qu’il en soit, au début, je pensais qu’il s’agissait juste d’un malaise passager qui aller vite passer et d’un côté, j’avais raison. Je me sens déjà bien mieux que ce matin. C’est juste que… Ce n’est pas uniquement mon corps qui a été affecté – j’ai l’esprit un peu embrumé depuis que je me suis levé.
Oh, merde… Non…
— Je ne me souviens pas comment j’ai commencé cette session temporelle, conclut Zach en confirmant les craintes de Zorian. Ou même si c’est moi qui l’ai commencée, déjà. Ma mémoire est parsemée de trous comme ça. J’espère que ça va me revenir mais…
Zorian le fixait, l’air livide. Techniquement, ils étaient tous deux dans une belle merde.
Zach interpréta l’expression de Zorian différemment, par contre.
— Tu ne me crois pas, lâcha-t-il.
— C’est plutôt tiré par les cheveux, affirma Zorian qui ne l’aurait pas cru une seconde s’il ne l’avait vécu lui-même, en effet. Mais je suis plutôt ouvert d’esprit. Faisons comme si je te croyais pour l’instant. Qu’ai-je à voir dans cette histoire pour que tu m’en parles ainsi ?
Zach leva un sourcil à cette remarque, semblant incrédule.
— Huh, souffla-t-il. Tu es vraiment différent des autres versions de toi.
— Les autres versions ? reprit Zorian, curieux.
— Ouais, confirma Zach. Mes souvenirs sont peut-être des pointillés à l’heure actuelle mais je me souviens clairement de toi. Particulièrement parce que tu meurs sans arrêt au début de l’attaque…
Zach marmonna la dernière phrase d’une voix si faible qu’elle n’était sans doute pas supposée être entendue. Elle le fut malgré ça et Zorian joua le jeu du sourd.
— Tu es différent de ce que tu étais, répéta Zach. Tu étais irritable et toujours occupé à une chose ou une autre. Tu ne m’as jamais cru quand j’ai tenté de te raconter cette histoire de voyage temporel – tu as toujours pensé que j’essayais de me moquer de toi.
Eh bien… Ce genre d’histoire avait exactement le goût de celles que ses frères auraient pu lui inventer pour se foutre de lui, en effet. Et Zach possédait un bon nombre de choses en commun avec ces deux-là.
— Tu as changé, remarqua enfin Zach. Tu es bien plus calme, plus posé, j’ai l’impression.
Zorian fronça les sourcils. Il n’imaginait pas avoir changé à ce point mais il supposa qu’il était effectivement compliqué de ne pas changer après huit mois d’une telle situation.
— Alors, attends… Pourquoi ai-je changé ? demanda Zorian. N’as-tu pas dit que le monde entier se réinitialisait ?
— ‘sais pas, fit Zach en haussant les épaules avant de lui offrir un regard interrogateur. Tu te sens quelque peu différent, peut-être ?
— Maintenant que tu le dis… Oui, confirma Zorian. J’ai choisi des options que je ne comptais pas prendre. Pour aucune bonne raison, hein. Et j’ai aussi fait un paquet de trucs étranges depuis que je suis arrivé à Cyoria.
Zorian avait sauté sur l’occasion, trop belle. En racontant ça, il faisait d’une pierre deux coups. Tout d’abord, il voulait voir comment allait réagir Zach à l’idée qu’une autre personne puisse lui tenir la jambe durant son voyage temporel. Ensuite, il se permettait ainsi de poser la fondation des explications de tout ce qu’il pourrait faire de différent à l’avenir, lors des « sessions » futures et au cas où il décide de ne pas parler de lui à Zach.
Il fut surpris que Zach soit si enclin à le croire sur parole, en réalité. Apparemment, même après tout ce temps – 17 ans si on en croyait le compte de Zach – il n’avait toujours pas développé de talent lorsqu’il s’agissait de comprendre les gens. C’était ça ou Zorian était un acteur hors pair.
— Étrange, répondit simplement Zach.
— Ouais, confirma Zorian. Alors… Un conseil qu’un puissant voyageur du temps pourrait donner à un simple mortel tel que moi ? Un sort secret de génialité, peut-être ?
— Pour être honnête, la plupart des sorts que je connais sont de type combat, admit Zach. Je suis sincèrement doué en magie de combat, ce qui est une bonne chose parce qu’il faut que je sois bon en magie de combat… Il y a… quelque chose que je dois arrêter.
— Quelque chose qui implique l’adversaire mystérieux qui t’as mis dans cet état ? tenta Zorian, qui voulait réellement amener l’invasion dans la conversation mais ne savait pas comment justifier en savoir quoi que ce fut. Tu te souviens comment c’est arrivé, au moins ?
— Uhh… grogna Zach. Grosso modo, oui. Je me souviens clairement que tu étais là mais tu es probablement mort dès le début du combat – sans vouloir t’offenser, hein, tu n’es pas vraiment un combattant – et puis j’ai chargé comme un idiot, me pensant invulnérable.
— Pourquoi pensais-tu ça ? fit Zorian d’un air choqué et confus. L’invulnérabilité, je veux dire. Est-ce que ça ne fait pas de toi quelqu’un de dangereusement arrogant de te penser invincible ?
— Sais-tu combien de fois je suis mort dans ces sessions ? protesta Zach. Mes souvenirs me font à nouveau défaut mais énormément. Tu as tendance à ne plus trop prendre ça au sérieux au bout d’un moment. Et ce n’est pas comme si j’avais totalement tort – il faut simplement que je me méfie de la nécromancie, n’est-ce pas ?
— Pas uniquement la nécromancie, soupira longuement Zorian. Il y a aussi la magie de l’esprit. Mis à part les possibilités de finir en thrall spirituel, tu pourrais aussi voir ta mémoire trouée définitivement. Ou totalement effacée, qui sait ? Puis, il existe la possibilité de se voir implanter un sort qui pourrait se fixer à ton âme et te suivre quand tu reviens en arrière. Quelques créatures, comme les revenants, se nourrissent d’âmes. Il y a aussi quelques méthodes capables de sceller la capacité d’un mage à pratiquer la magie et qui pourraient très bien t’affecter malgré la réinitialisation…
Zach restait silencieux mais Zorian pouvait jurer le voir devenir de plus en plus pale à mesure que la liste s’allongeait.
— Et il ne s’agit que de quelques trucs qui me passent par la tête, termina Zorian. Je ne suis qu’un étudiant de l’académie et je ne sais pas tout. C’est évident, nou – eurm, tu n’es pas invulnérable. Ok ?
Zorian déglutit douloureusement. Il s’en était fallu de peu. Heureusement que Zach était si tête en l’air parce que si la situation avait été inversée, Zorian l’aurait grillé depuis belle lurette.
— Ouah, on dirait presque que tu en as quelque chose à faire, lâcha finalement Zach dans un ricanement. Tu me crois, quand je te dis que je voyage dans le temps. Tu me crois réellement, n’est-ce pas ?
Zorian haussa les épaules.
— Je n’en suis pas totalement convaincu mais ce n’est pas quelque chose que je vais chercher à discuter, ça n’en vaut pas la peine. Si tu dis que tu es un voyageur du temps, alors disons que tu es un voyageur du temps et voilà.
Oui.
Jusqu’à ce qu’il parvienne à mieux cerner le caractère de Zach et quel était le souci avec la boucle temporelle, il jouerait à ce jeu-là.
___
Lorsque Zorian retourna finalement en classe en ayant manqué à la fois les révisions sur les invocations magiques et la leçon sur les lois de la magie, il fut accueilli par des camarades curieux… et pas Ako. Elle, c’était facile à gérer puisqu’elle ne voulait que le sermonner pour avoir mis trop de temps et le prévenir qu’elle avait noté son absence sur ce fameux cahier des absents, dont tout le monde à part elle – professeurs inclus – se foutait royalement. Quant à ceux qui voulaient savoir ce qui se passait avec Zach furent tout aussi simple à berner : c’était un simple accident alchimique.
Ben quoi ? C’était l’excuse de Zach lui-même !
Malheureusement, nombre d’entre eux voulurent également savoir pourquoi Zorian s’était d’un coup porté volontaire pour l’escorter chez lui. Ils étaient curieux, si curieux… Et persistants en plus de ça, refusant de le laisser tranquille pour le reste de la journée. Quand Zorian atteint finalement sa chambre, il en verrouilla immédiatement la porte et soupira de soulagement. Finalement, il avait un peu de temps pour réfléchir à ce qu’il avait découvert.
Zach était confiant, il irait mieux d’ici le lendemain et ses souvenirs seraient revenus. Zorian n’en était pas si sûr ; que Zach eut expérimenté un trou de mémoire – et peut-être même d’existence – de sept mois suggérait que quelque chose de sérieux lui avait été infligé. Pourquoi Zorian n’avait-il rien subi de tel ? Encore que… peut-être avait-ce été le cas. Il s’était senti incroyablement fatigué lors de son premier retour et l’avait décrit comme une conséquence du stress, un simple état mental. Peut-être avait-il simplement été pris dans la périphérie du sort et en avait souffert des dégâts mineurs ou peut-être que son « premier retour » n’était que le premier dont il se souvenait.
C’était une possibilité dérangeante mais il n’y avait pas d’intérêt à se poser ce genre de question.
Ce n’était pas vraiment surprenant, en y repensant bien. L’étrange effet temporel que Zach et lui devaient vivre les avait transformés en entités spirituelles. Une liche était, par définition, également une entité spirituelle. Il existait des mages qui s’ôtaient la vie rituellement et liaient leur âme à un objet, leur phylactère, avant qu’elle ne puisse faire le voyage vers l’au-delà. Si la forme qu’ils occupaient – souvent les restes de leur corps d’origine – venait à être détruite, leur âme retournait alors dans le phylactère et ils pouvaient posséder un autre corps. Il était logique de se dire qu’une liche savait comment combattre une autre liche. Et une méthode qui fonctionnait contre une liche pouvait parfaitement fonctionner tout aussi bien contre Zach.
Et Zach avait stupidement raconté tout ça à la fin de leur combat ! Ce n’est pas comme si j’allais mourir pour de bon, mon cul ! La liche ne savait peut-être pas ce qu’était Zach exactement mais une affirmation comme celle-là insinuait fortement qu’il était lui-même une liche ou une quelconque autre entité possessive, et de ce point de vue, ce n’était pas si loin de la vérité.
Et c’était tout, en soi. La vraie question était : qu’allait-il faire maintenant ? Même si Zach retrouvait la mémoire – ce qui semblait improbable – il voudrait sans aucun doute maintenir la boucle temporelle jusqu’à ce qu’il ait trouvé un moyen de détruire la liche. Si son altercation précédente était d’une quelconque indication, ça allait prendre un bon moment. Et ce, en assumant que Zach était lui-même le lanceur du sort. Si c’était arrivé une fois, ça avait pu arriver deux fois ; il commençait à douter. Zach pourrait-il être un passager clandestin tout autant que Zorian ? Une troisième personne courait-elle dans cette boucle afin de revivre ce mois encore et encore ?
Soudain, il ne se sentit plus si désespéré d’en sortir qu’il ne l’avait été. En sortir ? Cela ne signifiait pas revenir à une vie normale pour autant ; l’invasion était bien plus qu’une simple attaque terroriste et Zorian doutait que l’arrêter allait signifier la fin des problèmes les concernant. Quelque chose de gigantesque se préparait dans l’ombre et Zorian était un tout petit poisson dans un grand océan empli de requins. Un cafard, comme l’aurait dit Taiven de façon si charmante. Au sein de la boucle temporelle, il avait une chance d’assurer son futur. En dehors, il ne serait qu’une victime anonyme.
D’ailleurs, si Zach devait avoir raison, le déroulement normal des choses signerait la mort de Zorian au début de l’attaque. En fait, plus il y pensait, plus il lui semblait que tout ce truc représentait une énorme opportunité plutôt qu’un problème majeur. Jadis, quand Zorian était gamin, il avait rêvé de devenir un grand mage. Le genre qui construisait les légendes, qui révolutionnait la magie elle-même. En ce temps, ce rêve avait disparu aussi vite qu’il était né face au manque clair de talent, d’éthique et de connections sociales de Zorian. Il n’était qu’un étudiant à peine meilleur que la moyenne dont le nom ne procurait aucun avantage. Et maintenant ? Il avait tout le temps dont il avait besoin pour accumuler tous les avantages nécessaires sur ses pairs et devenir vraiment impressionnant.
Encore plus que Daimen.
Il secoua la tête et abandonna le fil de ses pensées. Il se montait la tête. Il avait besoin de quelque chose de plus concret qu’une notion floue de génialité comme fil rouge – un but clair à atteindre et des actions précises à mener. Pour l’heure, la seule chose à laquelle il pouvait songer était la possibilité de harasser Zach pour quelques astuces, attaquer la bibliothèque à la recherche de plus de sorts et se servir de sa situation financière curieusement infinie pour améliorer ses compétences en alchimie.
Il était réticent à l’idée de demander conseil à Zach. Même si celui-ci se montrait coopératif, il ne pouvait qu’en apprendre tant de sa part sans lui révéler qu’il avait lui aussi conservé les souvenirs d’avant le retour.
La bibliothèque était emplie de sorts, bien entendu, mais rien de sérieux. Rien qui ne pouvait être utilisé en combat, pour des activités criminelles ou d’espionnage. Tout était restreint et il savait après en avoir parlé aux autres étudiants que les professeurs étaient vraiment pointilleux au sujet des permissions. Pas même Fortov n’avait réussi à s’octroyer le droit d’y accéder alors qu’il était assurément capable de pousser un troll à s’essayer au véganisme.
Peaufiner son alchimie était clairement une option. La seule raison pour laquelle il s’était concentré sur les invocations principalement parce qu’il devait acheter lui-même les ingrédients dont il avait besoin en alchimie et il tentait d’économiser. Des études approfondies dans ce domaine nécessitaient des fonds importants ; après tout, les ingrédients n’étaient pas bon marché. Et avec un compte qui se réinitialisait lui aussi à chaque redémarrage temporel, les inquiétudes de ce genre n’avaient plus lieu d’être.
Ce n’était pas énorme, pour être honnête. Il avait besoin d’un meilleur plan à côté. Sur un autre soupir, Zorian sortit son fidèle calepin et se mit à y griffonner et à planifier.
___
— Je peux faire quelque chose pour toi, fiston ? demanda Kyron. Le cours est terminé, au cas où tu n’aurais pas remarqué.
— Euh, j’ai remarqué. Je voulais juste m’entretenir avec vous au sujet de quelque chose, répondit Zorian, s’arrêtant le temps que Kyron lui fasse signe de continuer. J’espère que vous ne vous sentirez pas insulté mais votre programme est un peu… facile. S’entraîner au missile magie pour un mois entier semble plutôt inutile dans mon cas ; je possède déjà une sacrée bonne base avec ce sort.
Le professeur le fixa pendant un moment. Zorian réprima le désir immédiat de gigoter nerveusement sur place et se contenta de soutenir son regard. L’homme en face de lui semblait être le genre de personne impressionnable par ce genre de comportement.
— J’espère que tu ne me trouveras pas insultant, fiston, mais tu n’as simplement pas assez de réserve pour devenir un mage de combat réel, finit par lâcher Kyron. Tes compétences de mise en forme sont vraiment impressionnantes pour ton âge mais tu t’épuises après dix tirs avec la baguette. Et ça ne le fera pas dans un combat sérieux.
— Eh bien… J’en suis certainement conscient, admit Zorian, de qui les réserves avaient grossi légèrement par rapport à ce qu’elles étaient – dix tirs représentaient une amélioration notable. Et à ce sujet, y a-t-il quelque chose que je peux faire ?
— Rien que je recommande, répondit Kyron en secouant la tête. Tes réserves de mana vont croitre à mesure que ta maîtrise de la magie augmente, comme pour tout le monde. Tu seras toujours désavantagé face à un adversaire plus puissant, ce qui se trouvera être la plupart des mages de combat professionnels. Bien sûr, je ne peux t’empêcher de poursuivre une telle carrière mais je te recommande définitivement de ne pas le faire. Il y a énormément de disciplines magiques où une bonne maîtrise de la mise en forme est un avantage mais la magie de combat ne demande principalement que de la puissance.
— Je vois, lâcha Zorian, qui n’avait pas l’intention de se lancer dans une telle carrière mais qui avait besoin de sorts de combat malgré tout, qu’il le veuille ou non – il voulait au minimum être capable de gérer quelques loups hivernaux pendant l’invasion. Ma demande vaut toujours malgré tout : puisque je maîtrise bien le missile magique et qu’il s’agit de la seule chose que vous allez enseigner dans un futur proche, je ne vois pas d’intérêt à venir en classe… dans un futur proche.
— Hmpf, renifla Kyron. On tente le chantage, hein ?
— Euh…
— C’est bon, je m’en fous. Et je comprends ton point de vue, hein… admit Kyron en se frottant le menton pendant quelques secondes, le cerveau fumant. Attends-moi ici.
Quinze minutes plus tard, il revint avec une autre baguette magique, un petit grimoire et quatre plats en céramique. Il balança les plats sans prévenir en direction de Zorian, qui les attrapa avant qu’ils ne tombent.
— Bons réflexes, complimenta Kyron. Ils sont renforcés alors ne t’en fais pas si tu les laisses tomber.
Il sortit l’une des baguettes qu’ils avaient utilisées en classe et la tint fermement dans sa main. Laisse-moi te montrer quelque chose. Lance-moi un de ces plats. Sur ma gauche.
Zorian s’exécuta aussitôt et Kyrion pointa la baguette dans la direction générale du plat en silence. Il était largement à côté mais le missile magique se réorienta tout seul vers sa cible afin de l’intercepter. Le plat éclata en une multitude de fragments et un nuage de poussière.
— Encore, claque Kyron.
Zorian lança un autre plat et une autre boule fulgurante traça dans sa direction. Celle-ci était différente – plus longue et fine, comme une aiguille un peu trop épaisse qui percuta sa cible et au lieu de l’éclater comme précédemment, se contenta de la traverser en y laissant un trou au centre avant de disparaître.
— Lance les deux derniers en même temps.
Deux plats volèrent dans les airs et le professeur pointa la baguette une fois de plus dans une direction approximative. Zorian attendit les missiles magiques mais ils n’apparurent pas. Au lieu de ça, les plats se firent trancher net par une force invisible.
Kyron baissa sa baguette et se mit à parler.
— La raison pour laquelle je passe autant de temps sur un missile magique, c’est parce que c’est un sort très versatile. Sous sa forme la plus simple, il prend l’aspect d’une boule lumineuse qui voyage en ligne droite tout en impactant tout ce qui se trouve sur son chemin. Cette variante est communément appelée « l’écraseur » et constitue un sort simple et efficace. Pourtant, un mage doué peut faire tant et plus avec ce sort. Utiliser un sort d’animation pour lui permettre de trouver une cible. L’aiguiser jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une pointe qui percera les choses qu’il touche, ou une lame pour les trancher – le « perceur » et le « trancheur », respectivement. Tu peux lancer plusieurs missiles à la fois, une nuée, même, si tu possèdes les réserves et les compétences pour ça. Et bien sûr, tu peux rendre les projectiles invisibles.
— Invisibles ? demanda Zorian.
— Oui, confirma Kyron. Un sort de force parfaitement lancé est complètement transparent. Toutes ces explosions lumineuses qu’on voit habituellement ne sont que le résultat de sorts lancés imparfaitement. La vitesse à laquelle se déroule un combat magique garantit que les sorts ne peuvent la plupart du temps pas être mis en forme à la perfection et même si aucune erreur n’est commise, la grande quantité de mana qu’il faut injecter dans ce sort peut facilement distordre et faire craqueler sa structure.
— Alors je lance mal le sort ? résuma Zorian en revoyant les projectiles lumineux et colorés qu’il obtenait toujours en lançant le missile magique. Attendez, vos missiles brillent aussi, habituellement. Est-ce…
— Comme je l’ai dit au début, gloussa Kyron, il existe de nombreuses disciplines où une bonne mise en forme est un avantage mais la magie de combat n’en est pas une. La puissance, mon garçon. La plupart des mages de combat ne savent même pas rendre un simple missile magique transparent, alors ne parlons pas des sorts de plus haut niveau. Pourtant, ça ne les retient pas. Même moi, je m’en moque en temps normal, les bénéfices étant largement marginaux. Toi, d’un autre côté, tu as besoin de tous les avantages que tu peux avoir.
Kyron poussa de force la baguette et le grimoire dans les mains de Zorian.
— Tu as raison. Tu n’apprendras pas grand-chose en classe durant le mois qui vient. L’écraseur est peut-être simple mais plus de la moitié de tes camarades ont des soucis quant à son apprentissage et tu es vraiment le seul qui parvient à le lancer avec tant d’aisance. Alors lis ce grimoire, trouve des cibles pour t’entraîner et assure-toi qu’il y ait toujours quelqu’un à proximité pour t’aider si tu te loupes dangereusement. Oh, et ne blesse personne avec la baguette que je te prête ou je vais me mettre très en colère. Reviens me voir dans deux semaines et je jugerai ta progression.
— Parfait, acquiesça Zorian avec enthousiasme, content que tout se soit passé bien mieux que ce qu’il s’était imaginé.
— Maintenant, file, gesticula Kyron en direction de la porte. Tu as déjà gâché toute ma pause café.
___
Zorian laissa tomber la pile de livres sur une table et observa les étagères. Il avait décidé de tenter sa chance à la bibliothèque en tant qu’employé une fois de plus en espérant qu’il allait trouver un moyen d’outrepasser les restrictions de la sorte. Zach était absent depuis plusieurs jours, probablement toujours souffrant à cause des effets secondaires du sort aussi Zorian ne pouvait-il pas simplement lui tirer les vers du nez. D’ailleurs, il voulait apprendre ces livres de divination qui lui avaient été promis avant son meurtre brutal.
Il n’était pas pressé que Kirithishli les lui apprenne – les variations du missile magique que Kyron lui avait demandé de travailler lui donnaient suffisamment de mal en soi. Comme Kyron l’avait dit au début du cours, le problème résidait dans le fait que la mise en forme devait être faite de manière instantanée et demandait une grande quantité de ses réserves de mana rien que pour construire un sort à la hâte. C’était quelque chose de simple lorsque vous vouliez lancer un missile en ligne droite et supposé écraser les choses qu’il touchait mais tenter de lui appliquer, disons, une tête chercheuse était une corvée à réaliser en une fraction de seconde. Sans même parler des tentatives pour éliminer toutes les petites imperfections afin de rendre le missile transparent.
Ce qui ne voulait pas dire qu’il ne progressait pas ! Il était capable de forcer une déviation de la trajectoire même si celle-ci était légèrement décalée et il était parvenu à créer un excellent perceur la veille. Il progressait !
— Tu es plutôt bon dans ce domaine, fit remarquer Ibery derrière lui en rangeant un livre sur l’étagère. Je suis surprise. D’habitude, les gens ne comprennent pas le système que nous utilisons ici avant longtemps. Tu as travaillé dans une bibliothèque avant, hein ?
— Euh, ouais, confirma Zorian et c’était techniquement vrai. Elle était… étrangement similaire à celle-ci, d’ailleurs.
— Ce n’est pas si surprenant, coupa Kirithishli dans son dos en le faisant sursauter. Toutes les bibliothèques de l’état utilisent le même système d’organisation. C’est un standard forcé par la Société des Bibliothécaires. Merde, quoi. Même les systèmes des autres Nations Fragmentées sont identiques.
— Parce qu’ils faisaient tous partie du même pays, à l’origine ? supposa Zorian.
— Que l’Ancienne Alliance puisse être considérée comme un seul et même pays est sujet à débat, y répondit Kirithishli. Le nom dit tout, vraiment. C’était une alliance plus qu’autre chose. Et ce fut d’ailleurs la tentative de la changer en un seul grand état qui a mené aux Guerres de Fractionnement. Mais oui, pour avoir toutes fait partie de la même Ancienne Alliance, ces nations ont toutes hérité de la majeure partie de son système administratif, y compris l’organisation des bibliothèques.
Zorian commençait à comprendre pourquoi elle entretenait de telles relations avec le principal actuel de l’académie. Il en savait très peu à propos de l’homme mais tout suggérait qu’il était impliqué politiquement et… eh bien, patriotique. De plus, le pays dans lequel ils vivaient avait clarifié sa position – il n’y avait pas d’Ancienne Alliance, parce qu’à ses yeux, l’Alliance d’Eldemar n’avait jamais cessé d’exister. Elle s’était simplement rétractée. Le ridicule de cette position était évident en soi pour les citoyens et les nations étrangères mais tous trouvaient plus simple de jouer le jeu des politiciens. Kirithishli était apparemment allé encore plus loin et avait dénié l’existence d’un état précédent de qui la nation était l’héritière. La femme au tempérament de feu et opiniâtre qu’elle était avait probablement dit la même chose à l’oreille du principal. La conversation avait sans doute dû être très amusante.
— Eh ! appela une voix familière. Zorian est-il là ? J’ai entendu –
— Ne crie pas dans la bibliothèque, Zach, soupira Zorian. Vu que ton exubérance habituelle est de retour, je suppose que tu vas mieux ?
— Ouais ! annonça joyeusement Zach en se frappant le torse à plusieurs reprises. Fort comme un bœuf ! T’as une heure de libre pour venir manger quelque chose ?
— Au cas où tu ne l’as pas remarqué, je travaille, protesta Zorian.
— Ce n’est pas un problème, Zorian, nous en avons presque terminé pour aujourd’hui, fit remarquer sa patronne, qui se pencha ensuite vers lui pour murmurer à son oreille. À moins que tu ne veuilles te débarrasser de lui et que je viens de ruiner tes plans ?
Zorian balaya ses inquiétudes d’un revers de la main et suivit Zach à l’extérieur. Aussi amusant que ç’aurait pu être de voir ce que Kirithishli aurait pu dire à Zach pour le faire partir, il voulait lui parler.
— Alors, comment se fait-il que tu sois venu me chercher ? demanda Zorian en pensant qu’il allait devoir pister Zach pour avoir plus d’informations – au contraire, il semblait que Zach lui-même avait décidé de se rapprocher de Zorian, qui ne savait pas s’il devait s’en sentir flatté ou gêné. C’était pratique mais ça augmentait grandement les chances de se faire griller.
— Tu es la personne la plus intéressante que je connais en ce moment, et accessoirement, tu es le seul à me croire quand je dis que je voyage dans le temps à l’exception de Neolu, affirma Zach.
— Neolu ? demanda Zorian, incrédule.
— Elle est une lectrice avide de fiction spéculative et se trouve être très ouverte d’esprit, confirma Zach. Une rêveuse naïve dirait son père. Il a été étonnamment facile de la convaincre que je suis réellement un voyageur temporel. Je suppose qu’elle veut y croire.
— Ah, comprit Zorian, qui réalisa pourquoi Zach avait tant impliqué Neolu la première fois qu’il avait vécu ce fameux mois ; il ne savait pourtant toujours pas qui était l’autre fille et ne savait pas s’il pouvait l’amener facilement dans la conversation. Combien de personnes as-tu tenté de convaincre, sérieusement ?
— Tous nos camarades et professeurs, le principal et les chefs de chaque département de police de la ville. Quelques nobles et autres personnes influentes également.
C’était… de l’acharnement.
— Pas très utile, j’imagine, supposa Zorian.
— Et tu es loin du compte, soupira Zach.
Zorian fronça les sourcils en réalisant soudain quelque chose. Pourquoi Zach avait-il tenté de convaincre toutes ces personnes ? Ce n’était pas ce qu’un type venu spécifiquement pour arrêter une invasion ferait. C’était plus proche de ce qu’avait fait Zorian quand il s’était rendu compte de la merde dans laquelle il était fourré, avant qu’il ne décide d’arrêter en se rendant compte qu’il obtenait les mêmes résultats que Zach.
— Zach, commença Zorian prudemment. Tes trous de mémoire… Sont-ils…
— Ils sont toujours là, grimaça Zach. Je suis presque certain qu’ils ne progressent plus, par contre, dieu merci.
— Hmm… Alors tu ne sais toujours pas comment tu as fait pour lancer ce sort de voyage dans le temps ? J’ai un peu regardé et c’est quelque chose supposé impossible, tu le sais ? Aussi impossible que dessiner un triangle carré, en fait.
— Eh bien, ce n’est pas clairement si impossible, n’est-ce pas ? contra Zach. Mais non, je ne sais toujours pas comment j’ai fait ça. Si je l’ai fait.
— Si tu l’as fait, répéta Zorian. D’après tes commentaires, je commence à avoir l’impression que tu as démarré ces retours en tant que simple étudiant à l’académie. Et sans vouloir t’offenser, mais le Zach dont je me souviens n’était pas vraiment le genre de personne capable d’inventer un sort, encore moins du genre à briser le concept du temps.
— Eh heh… gloussa nerveusement Zach. Tu as sûrement raison. J’étais vraiment mauvais dans toute cette histoire de magie à cette époque, hein ? Mais assez avec ces sujets déprimants, j’ai une excellent nouvelle pour toi !
— Oh ? s’étonna Zach.
— Oui, oui. J’ai entendu que tu tentais d’apprendre la magie de combat.
— Eh ?! Où as-tu entendu ça ? protesta Zorian.
— Kyron l’a dit au reste des professeurs, les professeurs l’ont dit au personnel administratif, qui à leur tour l’ont fait savoir au personnel de nettoyage et aux étudiants, et pour finir, à moi, termina Zach. Mais en quoi est-ce important ? Ce qui importe, c’est que je suis très bon dans ce domaine, grâce aux retours dans le passé. Considère ça comme une récompense pour m’avoir cru sur parole.
Zorian offrit à Zach un regard incrédule. Il s’apprêtait à l’aider de son propre chef ? Juste comme ça ? Pas besoin de plan ou de manœuvre subtile pour l’y pousser ?
Presque décevant.
— Quoi ? protesta Zach. C’est vrai, je suis vraiment super bon en magie de combat ! En fait, c’est le domaine dans lequel j’excelle le plus !
Oh, et en plus, il lui offrait une ouverture magnifique.
— Ce n’est pas que je ne te crois pas mais comment exactement es-tu devenu si bon en magie de combat ? demanda Zorian. Je veux dire, les mages sont vraiment pingres quand il s’agit de partager leurs secrets de combat. Même avec ces… retours… pourquoi voudraient-ils t’apprendre la magie de combat à un tel niveau ? À un étudiant comme toi, connu pour être… euh…
— …irresponsable, termina Zach de lui-même. Pour être honnête, je n’ai pas obtenu les sorts en ma possession d’une manière tout à fait légale. Je ne recommande pas mes méthodes à quiconque n’est pas un voyageur temporel. Elles ont tendance à te faire crever… et souvent.
— Oh.
— Ouais. Mais tu m’as, moi. Et ça change tout.
Se demandant silencieusement dans quoi il était en train de s’empêtrer, Zorian emboîta le pas à Zach.
- EER : Chapitre 225 - 26 décembre 2023
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