MoL : Chapitre 81

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Chapitre 81 — Une conversation éduquée

 

La taverne était un endroit vivant et éclairé. Pas très peuplé, ce pourquoi Zach et Zorian l’avait choisie pour commencer, mais il y avait là suffisamment de gens qui discutaient, buvaient et vaquaient à droite et à gauche. Certains reluquaient même vers leur table de temps à autre, mais il s’agissait là de curiosité passive, et ils retournaient rapidement à leurs propres affaires. Personne ne prêtait réellement attention à eux, pas plus qu’au nouvel arrivant qui venait de s’installer à leur table.

Ils ne réalisaient pas le moins du monde qu’ils étaient en présence d’une liche multiséculaire, qui prévoyait actuellement de détruire la ville.

Mais bon, le contraire eût été étonnant. Quatach-Ichl avait un déguisement quasiment sans faille. Même Zach et Zorian n’y avaient vu que du feu avant qu’il ne se révélât, alors comment auraient-ils pu imaginer le déceler, en tant que bande de mortels ou mages amateurs ? Même maintenant, alors que la liche était à une table d’écart de Zorian, il luttait pour noter le moindre défaut, la moindre évidence laissant supposer que l’homme assis en face de lui était un mort-vivant cruel et millénaire.

Les secondes s’égrenaient dans un silence stressant, les deux partis s’observant mutuellement. Zorian aurait aimé prétendre qu’il réfléchissait aux implications de cette visite soudaine et qu’il échafaudait le plan parfait pour gérer la situation, mais en vérité, il était simplement trop choqué pour penser de façon cohérente. Il avait du mal à croire que Quatach-Ichl en personne avait pénétré en ville et était entré en terrasse d’une taverne, comme s’il s’était agi là de son quotidien le plus banal. Comme si rien ne clochait dans tout ça. Mais à quoi est-ce qu’il pensait, merde ?! C’était un comportement extrêmement impulsif pour un être supposé être si vieux – et sans doute posséder un brin de sagesse grâce à ça.

Heureusement, Zach était plus apte à garder sa présence d’esprit, et cette situation ne le défroissait pas tant. Le bénéfice de l’expérience que lui accordaient des dizaines d’années au sein de la boucle temporelle et sans doute autant de combats contre la liche, supposa Zorian.

— Tu as l’air en meilleure forme que je l’aurais imaginé, commenta Zach nonchalamment.

— Comment cela ? demanda la liche, prise de curiosité, tout en levant la main vers un serveur de passage afin de se commander une boisson ; Zorian n’était pas très sûr, mais le serveur sembla le comprendre en silence et hocha la tête avant de repartir.

Pourquoi un monstre comme lui commandait-il une boisson, alors qu’il n’avait pas besoin de boire ? Probablement pour les apparences, mais quand même. Pouvait-il seulement boire ? Son déguisement était-il assez poussé pour ça ?

— Tu as l’air étonnamment… pulpeux. Que de chair sur ces vieux os, clarifia Zach en sirotant sa bière.

— Ah, ceci, comprit Quatach-Ichl. Pour dire vrai, c’est ainsi que je parais habituellement. Le squelette est une apparence que je réserve aux combats, ou à des fins d’intimidation, voyez-vous. Je suis un être cultivé et je puis me targuer d’être propre sur moi.

Ayant épié la liche à plusieurs reprises lors des itérations précédentes, Zorian savait que ce n’était pas tout à fait vrai. Quatach-Ichl apparaissait habituellement comme le squelette qu’il était, lorsqu’il interagissait avec les Ibasiens et d’autres personnes mêlées à l’invasion de la ville. Mais peut-être comptait-il ces situations comme de l’intimidation, après tout.

— Il est plutôt téméraire, voire arrogant, d’approcher tes ennemis de la sorte, ajouta Zach.

— Allez-vous m’attaquer au milieu de cette taverne ? contra la liche, amusée.

— Je suis sérieusement en train de le considérer, répondit Zach, son visage se tordant en un léger rictus malaisé.

— Non, tu ne le considères pas, le corrigea Quatach-Ichl avec un sourire entendu. En mettant de côté le massacre de la morale que serait l’implication de tous ces innocents dans notre affrontement, entamer un combat ici serait aussi néfaste pour vous que pour moi. Les puissances à la tête de ce pays seraient tout aussi intéressées par vos activités qu’elles le seraient par les miennes – probablement même plus, vous deux étant bien plus faciles à menacer et faire chanter que je ne le suis.

Il avait raison, bien sûr. Tous deux étaient là, présentaient leurs vrais visages à qui voulait les voir. S’ils affrontaient réellement la liche au milieu de la ville, les autorités les retrouveraient en l’espace de quelques heures, et le niveau de compétence qu’ils seraient forcés d’employer ferait sonner l’alarme dans tous les esprits présents. Une fois que les forces publiques commenceraient à enquêter sur Zach et Zorian, ils découvriraient des choses intéressantes, tout un tas de choses intéressantes. Même si le combat débouchait sur une victoire et qu’ils parvenaient à éviter des morts inutiles, le mois serait définitivement fini. À ce point, ils pourraient aussi bien recommencer directement.

Bon, en réalité, la chose la plus intelligente à faire serait probablement de tout redémarrer immédiatement, sans attendre. Avoir cette conversation revenait à jouer avec le feu. Pas même la capacité de mettre un terme à l’itération ne pouvait totalement garantir leur sécurité. Sudomir avait pu détecter le moment où Zorian avait commencé à manipuler le marqueur de son âme, la liche pourrait sans nul doute le faire aussi. Et étant si proche d’eux, venu là préparé à plus qu’ils ne l’étaient, il était tout à fait plausible que Zorian ne pût pas activer son marqueur du tout, le temps lui faisant défaut au moment crucial. De plus, un ancien mage si peu scrupuleux possédait sans aucun doute un tas de recours dans son arsenal, et ils ne réaliseraient peut-être même pas son attaque avant qu’il ne fût trop tard.

Malgré ça, Zorian devait admettre qu’il était curieux. Il voulait prendre le risque et entendre ce que la liche avait à dire. C’était un désastre potentiel, mais une opportunité tout aussi grande. C’était la première fois qu’ils avait l’occasion d’engager une joute verbale avec Quatach-Ichl, et il avait le sentiment que ça n’était pas chose aisée à reproduire. Il y avait sans doute bien trop d’engrenages à tourner pour en arriver là.

— Tu dis vrai, mais il semble que tu vas tout de même perdre bien plus que nous dans ce combat, fit remarquer Zorian. Si tes actions s’avèrent arriver aux oreilles de —

— Tu aurais pu le faire à de multiples reprises déjà, le coupa calmement Quatach-Ichl. Je ne sais pas quelle est l’étendue de tes connaissances sur mes activités et ce que j’essaye de faire, mais je suppose, et je ne pense pas me tromper de très loin. Tu aurais pu rendre tes découvertes publiques, mais tu ne l’as pas fait. Au lieu de ça, vous vous êtes limités à attaquer nos dépôts de ressources et à frapper les membres les plus insouciants de notre petite conspiration.

Zorian fronça les sourcils. Il supposa qu’il s’agissait de ce que Quatach-Ichl impliquait lorsqu’il parlait d’interférer avec ses activités. Cependant, le fait était que Zach et Zorian répétait ces attaques chaque mois, plus afin d’obtenir des fonds supplémentaires que pour quoi que ce fût d’autre, et la liche n’avait jamais jugé pertinent de venir les affronter ainsi. Des complications mineures telles que celles-ci n’étaient pas assez importantes pour attirer son attention, alors la vraie raison pour laquelle la liche était là ce jour devait se trouver ailleurs, et Zorian ne pensait qu’à deux possibilités. Une, c’était la première fois qu’ils avaient porté leur attention sur Quatach-Ichl directement, et peut-être avaient-ils été détectés d’une manière ou d’une autre. Deux, Lac d’Argent avait surestimé ses compétences encore une fois, et avait tenté de glaner des informations directement sur la liche, avec des résultats prévisibles.

Il penchait vers la seconde possibilité.

— Alors, tu as remarqué que nous agissions contre ton groupe, et tu as noté que nous aurions sans doute pu infliger bien plus de dégâts. Et tu t’es dit Mec, il faut vraiment que j’aille m’entretenir amicalement avec ces gamins. C’est ça ? ironisa Zach.

— Pourquoi pas ? le défia Quatach-Ichl avec un sourire qui avait l’air sincère. Nous sommes peut-être ennemis, mais quoi ? Les ennemis se parlent sans arrêt. La moitié des diplomates du monde seraient au chômage autrement. Tous, même, si l’on est un vieil enfoiré cynique tel que moi et que l’on voit l’intégralité des relations internationales comme hostiles, mais vous voyez ce que je veux dire. Le point, c’est que vous auriez pu reporter vos découvertes aux autorités, et avez décidé de ne rien en faire. J’aurais moi-même pu m’en prendre à des personnes proches de vous afin de vous faire payer vos attaques sur mes possessions, mais j’ai choisi de venir discuter avec vous au lieu de cela.

Zach et Zorian l’observèrent avec légèreté suite à ces mots malgré tout porteurs de sens. La liche n’était pas un monstre barbare et qui tuait pour un oui ou pour un non, était-ce vrai ? Ou une impression qu’elle tentait de leur incruster dans le crâne ? Quoi qu’il en fût, Quatach-Ichl fit mine de ne pas avoir remarqué leur regard interrogateur.

— Bien, ce que je veux dire, c’est que nous sommes peut-être ennemis, mais nous ne sommes en aucun cas des ennemis irréconciliables, conclut-il. Il y a sûrement un moyen d’arriver à un arrangement, n’est-ce pas ? Qui pourrait nous profiter à tous ?

— J’ai peur de devoir ne pas être d’accord sur ce point, souffla Zach. Tu veux détruire Cyoria, rassembler les âmes de tous ceux qui auront le malheur de mourir, et en nourrir les spectres afin de libérer un Primordial, qui sera supposé ravager la région pour déclencher une nouvelle vague de guerres. À moins que tu ne veuilles abandonner cette idée et retourner sur ton île, nous nommes plus ou moins irréconciliables. Ne méprends pas notre passivité actuelle pour une acceptation passive d’observer la ville se faire raser lorsque tu exécuteras tes plans fous.

— Aha, alors j’avais raison. Vous en savez long… lança lentement Quatach-Ichl, ni alarmé, ni colérique. Cela dit, si vous me permettez de me montrer quelque peu brut… Pourquoi vous en souciez-vous ?

Zach se permit de lever un sourcil.

— J’ai fait mon travail sur vous avant de venir, voyez-vous, continua la liche. Aucun de vous n’est particulièrement connecté à la ville elle-même. Tu es l’hériter déchu d’une Maison qui est tombé à cause d’une conspiration interne, et Zorian est un simple étranger au talent extraordinaire qui étudie ici. Je ne suis pas vraiment sûr… Pourquoi des gens de votre calibre perdraient du temps à suivre des cours tels que ceux-là ? Cela dit, il existe tout un tas de caractères, et je ne juge point. Personnellement, je serais devenu fou en quelques semaines, si j’avais dû me faire passer pour un débutant total en magie pendant tout ce temps, mais… eh, je m’égare. Je veux dire, chacun de vous n’a qu’une poignée d’humains dans cette ville auxquels il tient. Nous pourrions facilement arranger leur extradition le jour de l’invasion. Vous souciez-vous réellement, en votre cœur, de tous ces inconnus ?

Si Quatach-Ichl avait posé la question à Zorian au début de la boucle temporelle, avant qu’il n’eût l’occasion de faire la paix avec sa place dans le monde, avant qu’il n’eût pu connaître toutes ces personnes, avant qu’il n’eût pu être témoin de l’invasion dans le moindre et sordide détail… Peut-être aurait-il répondu non, comme Quatach-Ichl s’attendait clairement à l’entendre.

Mais désormais…

Il se souvint de Nochka et des autres enfants, nus dans des cages, tendant leurs petites mains vers lui et hurlant à l’aide. Ce souvenir fut suivi de près par toutes ces personnes qu’il avait aidées pendant tout ce temps, et qui mourraient probablement lors de l’invasion s’il ne faisait rien pour l’en empêcher, et ces souvenirs-là laissèrent la place à différentes scènes de massacres. Il décida que oui, il s’en souciait bel et bien. Et il était certain que Zach partageait son sentiment.

— Et toi, non ? défia alors Zorian.

— Pas vraiment, non, objecta sérieusement la liche. Je viens d’une époque à laquelle il était plutôt normal d’aligner tous les mages capables, ainsi que tous les hommes sachant le battre, lors de la capture d’une ville, avant d’empaler leurs têtes tranchées sur les murailles, afin de décourager tout envahisseur potentiel. Je trouve le sentiment moderne concernant les dégâts collatéraux des guerres plutôt insincère, hypocrite et un peu dégoûtant.

— Ah, lâcha Zorian, qui ne s’était pas attendu à ça – mais il supposa que c’était logique, après tout : Quatach-Ichl était vieux, et venait réellement d’une époque porteuse d’autres mœurs, des temps plus sanglants. Pour ça, il était considéré dur mais juste par ses propres soldats, l’armée qu’il avait un jour menée contre l’Ancienne Alliance et qui était célèbres pour sa brutalité envers les populations conquises.

C’était supposément l’une des raisons principales de leur défaite contre Eldemar.

— Quel est donc cet air sur ton visage ? demanda Quatach-Ichl en levant les yeux au ciel. Sois honnête, allons… Si tu étais un citoyen modèle et à la morale sans faille, pourquoi t’embêterais-tu tant à cacher ta vraie puissance, ainsi que tous les projets que tu sembles financer ? Pourquoi agir contre moi par toi-même, plutôt que de me léguer aux militaires et autres autorités ? À qui que tu sois connecté, il ne s’agit pas du gouvernement d’Eldemar, c’est plutôt clair. Alors je te le redemande : pourquoi ce qu’il advient de Cyoria te préoccupe-t-il tant ?

Huh. C’était… intéressant. Il était évident que Quatach-Ichl était venu les voir principalement à la recherche d’informations, et non parce qu’il pensait réellement pouvoir arriver à une entente cordiale, mais Zorian ne savait toujours pas ce après quoi il en avait. Il commençait à suspecter la liche d’être surtout intéressée par l’identité de personnes supposément derrière Zorian.

En réalité, Zach et Zorian étaient des agents libres, supportés par… personne. Mais il n’y avait pas moyen que Quatach-Ichl gobât cette vérité toute crue. Il était virtuellement impossible pour deux adolescents comme eux d’avoir atteint les sommets sur lesquels ils trônaient, peu importait leur talent. Comme Quatach-Ichl n’avait pas réussi à découvrir qui se trouvait derrière eux, il ne pouvait qu’en conclure que cette entité existait, et se dissimulait extrêmement bien.

L’existence d’une faction secrète dont il ignorait l’existence et qui était capable d’en apprendre tant sur lui était clairement inquiétante pour la liche, et le faisait hésiter à agir contre eux tant qu’il n’en savait pas plus.

Zorian envoya rapidement un message télépathique à Zach, le prévenant de ne rien laisser entendre sur leurs mécènes. Il employa volontairement cette tournure de phrase, au cas extrême où Quatach-Ichl fût capable d’intercepter cette communication mentale. La liche ne les croirait de toute façon pas s’ils admettaient agir seuls, mais il était trop risqué de pousser leur chance jusqu’à tenter le coup.

— Nous te l’avons déjà dit, mais tu ne veux pas entendre : à cause des nombreuses, des trop nombreuses morts qui résulteraient de cette attaque, lui répéta Zach. Et ce n’est que le début des souffrances. Les guerres qui s’ensuivraient seraient sans aucun doute —

— Oh, allez, tu ne peux pas m’en vouloir pour ça, trancha Quatach-Ichl sur un ton plaintif. Je veux dire, je peux comprendre que vous me reprochiez la destruction de la ville, mais un autre round de Guerres de Fractionnement est inévitable. Vous comprenez certainement ? La paix de laquelle nous bénéficions actuellement ? Il s’agit d’un simple souffle, permettant aux pays impliqués de se remettre des dégâts du Grand Nettoyage. Bon, je pense personnellement que toute paix est une préparation à la guerre, mais celle-ci en particulier. Les guerres vont éclater bientôt, c’est ainsi, que Cyoria soit attaquée ou non. J’essaye uniquement de faire bouger les choses dans la direction qui bénéficie le plus à mon peuple. De la même façon que votre pays, et tous ceux qui ont leur mot à dire dans toute cette histoire, en réalité.

— Je ne suis pas totalement convaincu par de nouvelles guerres irrémédiables, fit remarquer Zorian.

Bien qu’il y avait une grosse part de vérité dans ce qu’il venait d’entendre, sentiment appuyé par les nombreuses interactions qu’il avait eues avec les gens au cours des nombreuses itérations, il y avait malgré tout quelque chose de… décalé, dans cette réflexion.

— Mais même si c’était vrai, continua-t-il. Même si c’était vrai, il y a une différence entre toi et la plupart de ces pays. Leurs plans aboutissent sur quelque chose de stable. Tu veux simplement faire en sorte que tout le monde se batte sans relâche, et pour toujours, afin de ne pas pouvoir menacer ton île.

— Quoi ? protesta la liche, visiblement incrédule. Non, ce n’est pas le cas. Qui t’a raconté ces idioties ?

— Ce n’est… pas le cas ? répéta Zorian, quant à lui plus curieux qu’incrédule – pour dire vrai, il s’était montré délibérément provocateur, n’ayant aucune idée du but réel de son ennemi et ne désirant qu’énoncer l’une des nombreuses théories afin de remuer la soupe et le faire réagir.

— C’est une idée parfaitement stupide, enfonça Quatach-Ichl en secouant la tête, exaspéré d’être vu ainsi. Les dirigeants de vos nations peuvent se montrer vraiment idiots parfois, mais pas à ce point. Si nous continuons à créer des problèmes encore et encore, il est certain qu’un jour, ils vont décider de mettre leurs différents de côté et vont se retourner contre nous avant de retourner se taper dessus joyeusement.

— Hmm… huma Zorian. Alors ton but, c’est… ?

— Heh. Je suppose que ce n’est pas un gros secret, de toute façon, lui sourit Quatach-Ichl de ses fausses dents bien blanches. Je cherche à embrouiller Eldemar et Sulamnon, afin que Falkrinea gagne la guerre.

Quoi ?

— Quoi ?

— Quoi ?

…s’exclamèrent les deux adolescents en même temps, tant cela ne faisait pas sens à leurs yeux.

— Pourquoi Falkrinea ? enchaîna Zach.

— Et qui d’autre ? demanda la liche en haussant les épaules, son ton clairement rhétorique. Eldemar et Sulamnon n’accepteraient jamais de faire la paix avec nous. Quiconque pense autrement est soit un imbécile, soit un traître. Falkrinea, en revanche… Ils sont les plus faibles des trois en terme de puissance militaire, et leur territoire est très, très loin d’Ulquaan Ibasa. S’ils gagnent et asservissent Eldemar et Sulamnon, ils se désintéresseraient très certainement d’une campagne insensée visant à nous faire la guerre. Garder leurs anciens ennemis soumis leur demanderait déjà toute leur énergie, et ils n’auraient que très peu à donner à une guerre contre une île de l’autre bout du monde.

Zorian fut sur le point de demander pourquoi il pensait que Sulamnon échouerait à tirer profit de la faiblesse d’Eldemar une fois Cyoria détruite, mais il se souvint tout à coup de Sudomir. Ce dernier avait prévu de faire exploser des bombes à spectres afin de faire de Sulamnon un example afin de prouver qu’il était sérieux, non ? Qu’il utiliserait sans flancher ses armes contre des villes sans défense ? Quatach-Ichl lui avait-il donné cette idée ? D’après les souvenirs du maire, il savait que Sudomir ne le pensait pas, mais Zorian ne rejetait pas l’idée que la liche pût avoir subtilement mené l’homme à penser de la sorte par lui-même.

La conversation mourut temporairement lorsque le serveur amena les boissons que Quatach-Ichl avait commandées. À la grande surprise de Zorian, il avait commandé trois pintes de bières au lieu d’une seule, une pour chacun. Zorian poussa simplement la sienne sur le côté et l’ignora, mais Zach transvasa calmement le contenu ce celle qui lui était adressée dans sa chope géante, qui s’était vidée à mesure qu’ils avaient conversé. Il n’était pas temps de sombrer dans l’ivresse, Zach…

Quant à la liche, il ne toucha tout bonnement pas à son dû. Il n’y prêta aucune attention, et n’en but pas la moindre rasade. Zorian fut convaincu que malgré ses apparences humaines, il ne pouvait pas réellement boire ou manger quoi que ce fût. Il s’agissait probablement d’un corps ectoplasmique, ou quelque chose du genre, un peu comme ceux des simulacres.

Comme personne ne souhaitait discuter l’invasion de Cyoria plus avant devant le serveur, un silence bref s’était donc installé sur le groupe. Zorian en profita pour réfléchir à leurs interactions avec la liche jusqu’alors. Malheureusement, la seule conclusion à laquelle il arriva n’était pas très utile : tout ceci était vraiment étrange. Il ne pouvait clairement pas voir les vrais buts du monstre.

Zorian avait observé celui-ci tel un faucon, mais Quatach-Ichl n’avait pas tenté le moindre coup bas, ni fourni la moindre indication qu’il souhaitait droguer ou empoisonner ses hôtes, ni lancer le moindre sort de l’âme, rien. Il ne s’était pas mis en colère, bien que la conversation ne progressait sans doute pas dans le sens qu’il escomptait, et même après que Zorian eût subtilement analysé la bière, il n’y trouva rien de particulier.

Non, leur rencontre avec Quatach-Ichl s’était révélée entièrement paisible. Mis à part quelques tentatives d’hameçonnage à la recherche d’informations ainsi qu’une menace très légère lancée entre deux explications, il semblait n’être réellement venu que pour parler.

Hmm…

— Bien, je peux vois que nous n’allons nulle part, alors laissons tout ceci de côté pour l’heure, finit-il par dire une fois le serveur parti. Laissez-moi plutôt soulever un autre point – vous avez enquêté sur moi les quelques derniers jours.

— Quel problème, pouffa Zach. Clairement, tu as fait de même.

— En réponse à vos propres actions, oui, sourit Quatach-Ichl. Mais tu te méprends. Je ne suis pas outragé par le fait de vouloir connaître son ennemi – je me demande simplement s’il y a plus que ça, de manière sous-jacente. Bien sûr, il est possible que vous eussiez simplement voulu en savoir plus sur un adversaire, afin de mettre en place une tactique vous permettant de me combattre efficacement, mais peut-être… que vous désirez quelque chose de ma part ?

— Tu penses que nous avons cherché à entrer en contact avec toi ? lui demanda Zorian, les yeux écarquillés.

— Ça arrive tout le temps, fit la liche en haussant les épaules. Les gens viennent me voir sans arrêt afin de quémander mon aide.

— Ils vont voir un vieux sac d’os sinistre tel que toi, suppliant à l’aide ? se moqua Zach.

— Évidemment, confirma Quatach-Ichl d’un grand sourire, pas le moins insulté par le choix de mots de son interlocuteur. Je suis un archimage millénaire. J’ai survécu à plusieurs changements drastiques ayant affecté le monde entier, et même participé à certains d’entre eux. Les gens viennent me trouver pour de multiples raisons. Certains désirent des magies perdues ou limitées par les lois, qu’ils ne peuvent pas obtenir autrement. Certains cherchent à louer ma puissance et mon expérience, et quelques historiens curieux veulent des récits de première main d’époques révolues. J’aide en général ces derniers gratuitement, étant une personne cultivée, mais les autres se doivent de rendre le temps utilisé pour eux profitable. Ne vous laissez pas intimider par ce fait, cela dit – je ne demande pas d’âmes ou de premiers-nés ou quoi que vous puissiez lire sur les vilaines liches dans les livres insensés dont votre gouvernement ne cesse de vous gaver. Je suis une liche honorable, ne me montrant sans pitié que face à mes ennemis, et je suis fier de mes contacts justes et honnêtes avec toute autre personne.

— Je vois, murmura Zach en tapotant ses doigts sur la table, perdu dans ses pensées, avant de se pencher en avant, sourire aux lèvres. En fait, il y a bien une chose que nous désirons de ta part.

— Oh ? réagit Quatach-Ichl, soudain ravi d’avoir mené la conversation où il le désirait. Dis-moi.

Zach ouvrit la bouche et fit une pause, l’espace d’une seconde, sans aucun doute par pur mélodrame.

— Nous voulons la couronne que tu portes, susurra-t-il.

Pour la toute première fois depuis le début de leur conversation, Quatach-Ichl semblait honnêtement surpris. Zorian ne lui en voulait pas pour ça. Il était naturellement choqué par la demande de Zach, lui aussi. Il n’en dit rien, cela dit, et se contenta de placer une confiance aveugle en son compagnon, confiance qu’il espérait justement donnée. Zach ne pouvait pas ne pas penser aux conséquences de sa demande, n’est-ce pas ?

Dans tous les cas, l’expression sur le visage de la liche ne dura pas. Il se mit à rire ouvertement, reculant dans sa chaise et se penchant même en arrière, en secouant la tête.

— Oh, vous deux… Je savais que c’était une excellente idée de venir vous voir, finit-il par dire, après avoir réussi à regagner sa posture. Vous ne plaisantez même pas, hein ? Je dis, parfois, je souhaite pouvoir redevenir aussi jeune et insouciant que vous… Savez-vous seulement ce qu’est cette couronne ?

— Bien entendu, répliqua Zach. Il s’agit de l’un des artefacts du premier empereur.

— Ton œil est acéré, admit Quatach-Ichl, en l’observant profondément. Cela fait longtemps que quiconque l’eût reconnue pour ce qu’elle est. La plupart des gens me catégorisent simplement mégalomane, à me voir porter une couronne si voyante, et s’arrêtent là. Comment le savez-vous ? Je pensais que nous ne nous étions jamais vus auparavant, mais je suppose que votre enquête s’est avérée bien plus assidue que je l’avais imaginé…

— En vérité, nous le savions déjà avant même d’avoir enquêté sur toi, nota Zach.

— Oh ? s’étonna Quatach-Ichl, montrant un intérêt évident.

— C’est grâce à ça, expliqua encore Zach, en sortant l’orbe de sa poche, qu’il tendit en direction de la liche, afin de laisser cet ancien mort-vivant l’inspecter à sa guise.

Ce qu’il fit, naturellement. Il l’observa pendant une vingtaine de secondes dans le silence le plus total, le visage des plus sérieux.

— L’orbe impérial, acquiesça Quatach-Ichl. Cependant, je ne comprends pas comment il peut être lié à la couronne que je porte. À moins que vous me disiez que l’orbe permet de détecter les autres artefacts impériaux ?

— C’est précisément ce que je dis, rétorqua Zach en hochant la tête. Bon, pour être précis, le propriétaire de n’importe quel artefact impérial peut détecter les autres. Si l’on accède à ses fonctions cachées, bien entendu.

Quel magnifique paquet de mensonges. Non que Zorian se souciât beaucoup des bobards de Zach à la liche, mais il était impressionnant de le voir garder son calme et penser à quelque chose d’aussi téméraire, déroutant, mais pourtant techniquement vrai. Après tout, les morceaux de la Clé possédaient bien des fonctions cachées, et si l’on savait les activer, l’on possédait clairement un marqueur…

— Vraiment impressionnant, le félicita Quatach-Ichl. J’ai toujours su qu’il y avait plus dans cette couronne que ce que j’avais découvert, mais les fonctions cachées m’ont toujours échappées. Je suppose que l’orbe n’est pas à vendre ?

— Ta couronne l’est-elle ? répliqua Zach, contrant une question par une autre.

— Pas pour tout l’or du monde, répondit naturellement la liche.

— Eh bien, tu as ta réponse, dans ce cas, n’est-ce pas ?

— Et pourtant… Si tu m’as montré cet orbe, ce n’est pas sans raison, spécula Quatach-Ichl.

— Que dirais-tu d’un échange ? tenta Zach. Tu nous dis ce que la couronne fait, et en retour, nous t’informons sur l’orbe. Très simple et innocent, et nous venons tous trois à satisfaire notre curiosité sans avoir à nous séparer de nos précieuses possessions. Qu’en dis-tu ?

— Très simple et innocent, en effet, murmura Quatach-Ichl. Mais voilà, je sais déjà ce que fait l’orbe. Il s’agit simplement d’une dimension miniature particulièrement vaste, n’est-ce pas ?

— Non, non, affirma Zach, sûr de lui. C’est plus que ça.

— Plus que ça ? Je vois… fit la liche, perdue dans ses pensées. Je pense que je vais malgré tout refuser cette offre, cela dit. J’ai le sentiment que quoi que j’entende, je finirai par être perdant dans cet échange. Donnez-moi quelque chose de plus… concret. Disons, où se trouve l’un des autres artefacts que vous avez découverts ?

— Hmm… Bien sûr, accepta Zach après avoir fait mine de réfléchir, l’espace de trois secondes – au bout du compte, la notion même de boucle temporelle les avantageait, quoi qu’ils fissent : tout ce que Quatach-Ichl apprendrait, il l’oublierait. Allons-nous nous lancer les premier, ou désires-tu cet honneur ?

— Cela pourrait aussi bien être moi, répondit Quatach-Ichl en haussant les épaules ; il ne semblait pas très inquiet à propos de cette informations personnelle révélée à deux gamins inconnus. Ce n’est pas vraiment un secret de toute façon. Je l’utilise même comme forme d’intimidation, parfois, alors les gens savent. Voyez-vous… La couronne est une batterie de mana massive.

Il y eut une seconde de latence, le temps que les deux adolescents revinssent à eux.

— Quoi ? reprit Zorian, incrédule. C’est tout ? Juste une batterie de mana ?

— Ha ! ricana la liche. Je savais que vous réagiriez ainsi. Cette blague ne vieillit jamais. Cependant, lorsque je dis que c’est une batterie de mana, j’entends qu’elle engrange le mana de son utilisateur, son mana personnel, et non le mana ambiant comme le font les batteries modernes… Et le mana contenu dans la couronne ne flétrit jamais. Cela m’offre des réserves de mana dix fois supérieures à ce qu’elles devraient naturellement être.

— D… Dix fois ?! s’écria Zorian, choqué.

Par tous les dieux. Et il s’imaginait que Zach était un monstre de mana…

Bien que Zach eût plus de mana de base, on pouvait voir à son visage qu’il était lui aussi en train de s’effondrer face à l’idée du montant parfaitement ridicule dont on parlait. Le montant que Quatach-Ichl avait à sa disposition.

L’ancienne liche semblait vraiment éprouver un plaisir immense face à leur réaction.

— Bien sûr, c’est sans considérer la bénédiction divine que j’ai reçue par le passé, et qui double déjà mes réserves de mana, impressionnantes pour commencer, continua Quatach-Ichl. Mesurer les réserves de mana d’un individu était une chose primitive lorsque j’ai débuté ma carrière de mage, alors je ne sais pas exactement quelle magnitude je pourrais avoir selon les critères modernes, mais je dirais, aux alentours de… 25 ? Quelque chose comme ça, je pense. La bénédiction divine a alors doublé ces réserves sans impact sur mes capacités de mise en forme, alors… mes réserves étaient déjà vastes avant même de découvrir cette charmante couronne. Quand je dis que mes réserves de mana sont dix fois plus importantes qu’elles ne devraient l’être ? En réalité, c’est encore plus impressionnant que ça en a l’air.

C’était… intéressant. Zorian échangea un long regard avec Zach. Cette explication à propos de la bénédiction divine qui doublait des réserves de mana… N’était-ce pas… familier ?

— Alors… finit par reprendre la liche, en souriant. Pensez-vous toujours que faire de moi votre ennemi est une si bonne idée ?

— Cette bénédiction dont tu as parlé… tenta Zorian.

— Aha, non, le coupa Quatach-Ichl, levant le doigt pour l’arrêter. J’ai honoré ma part du marché. Il est temps pour vous deux de faire de même, je crois.

— Bien, bien, soupira Zach. Outre le fait d’être une dimension miniature gigantesque, l’orbe impérial est également une banque de données quasi-infinie, capable de sauvegarder un montant gargantuesque de souvenirs et de schémas mentaux.

Quatach-Ichl réfléchit quelques secondes.

— En considérant la rareté des éléments d’écriture de l’époque… Oui, je peux comprendre en quoi ce genre de fonctions peut s’avérer sans prix. Plus très impressionnant de nos jours, bien que ce qui pouvait toujours s’y trouver depuis l’époque de sa création serait incroyable, ne serait-ce que pour les historiens. Avez-vous trouvé beaucoup, à l’intérieur ?

— Sans commentaire, répondit immédiatement Zach – la banque mémorielle était totalement vide, bien sûr, puisqu’elle ne pouvait qu’être utilisée au sein d’une même itération, mais la liche n’avait pas besoin de le savoir.

— C’est de bonne guerre, concéda cette dernière.

— Quant à l’endroit où trouver les autres artefacts impériaux… continua Zach. Eh bien, la dague se trouver dans le trésor royal d’Eldemar. Tu attaques déjà le pays en question, alors tu ne devrais pas avoir de remords à fracasser les lieux également.

— Ils possèdent un artefact impérial, et ils le laissent prendre la poussière dans un coffre, réalisa Quatach-Ichl, en secouant la tête d’un air las. Tristement typique.

Un court silence s’abattit à nouveau sur la table, à la fois Zach et Zorian attendant une réaction de la part de la liche, qui n’arriva pas. Au lieu de ça, il les observa simplement en silence.

— Donc, cette bénédiction dont tu as parlé… finit par essayer Zorian, une fois de plus.

— Cela va vous coûter, le prévint immédiatement Quatach-Ichl.

— Dis-nous ce que tu veux ?

— Puisque vous posez des questions au sujet des dieux, je pense qu’il serait correct d’offrir une chose en relation, de votre côté.

Zorian y songea, et sortit avant de sortir la dague mystérieuse qu’ils avaient trouvée dans l’orbe impérial, et la tendit à Quatach-Ichl. Lui donner un ancien artefact, aux pouvoirs inconnus et en échange de ce genre d’informations était monumentalement idiot, ou le serait dans d’autres circonstances dans tous les cas, mais il voulait sincèrement une vraie réponse, et la dague serait à nouveau entre ses mains à la fin du mois.

Quatach-Ichl accepta de se saisir de la dague, quelque peu sur ses gardes cela dit, et lança immédiatement des sorts sur celle-ci, effrayant Zorian l’espace d’une seconde. C’était la première fois qu’il avait lancé le moindre sort après les avoir approchés, et Zorian le scrutait tel un aigle observant sa proie, afin de s’assurer qu’il ne fît rien de dangereux, subtilement glissé entre les sorts de divination.

— C’est un artefact divin, finit par annoncer Quatach-Ichl.

— Oui, confirma Zorian. Divin pour divin, c’est ça ?

— Que fait-elle ? s’enquit la liche.

Zorian fut ravi que même une liche millénaire ne pût pas le découvrir si facilement que ça.

— Je ne sais pas, avoua-t-il. C’est une arme que nous avons récupérée dans une ancienne ruine. Probablement liée au premier empereur, mais qui sait ? On ne peut être certains.

— Alors cet objet pourrait être incroyablement puissant ou totalement inutile, conclut Quatach-Ichl en tournant et retournant la dague entre ses doigts, étudiant les lignes et les glyphes qui la recouvraient – inutile, Zorian le savait, tout ça n’était qu’esthétique.

— Un artefact divin ne peut être inutile, répliqua Zorian.

— Tu as tort, le corrigea Quatach-Ichl. Les dieux étaient très impulsifs, des créatures très… capricieuses. Ils ont fabriqué toutes sortes d’objets parfaitement inutiles, comme autant de blagues, à leur époque de gloire. C’est juste que la plupart n’ont pas résisté au temps.

— Les artefact divins peuvent être détruits ? s’étonna Zach.

— Évidemment, acquiesça sérieusement la liche. La plupart des artefacts divins ayant survécu jusqu’à ce jour ne sont pas indestructibles parce qu’ils sont divins, mais parce que tous ceux qui ne l’étaient pas n’existent plus.

— Pourtant, si l’on se base sur cette affirmation, le fait que cette dague soit toujours en parfait état prouve qu’elle ne peut être inutile, nota Zorian.

— Il y a une part de vérité dans cette supposition, concéda la liche, avant de regarder Zorian droit dans les yeux. Es-tu sûr de vouloir échanger cet objet, cela dit ? Tu pourrais fort bien perdre un vrai trésor, tu sais ?

— J’en suis sûr, confirma Zorian fermement. Assure-toi simplement de me donner une explication la plus détaillée possible, si tu as si peur de nous extorquer.

— Ha ! Décisif ! J’aime ça, sourit Quatach-Ichl. Bien, puisque tu n’es pas effrayé de prendre un tel risque, il serait couard de ma part de me débiner.

D’un geste grandiose et exubérant, Quatach-Ichl fit tournoyer la dague dans ses mains tel un expert, avant de… la pousser directement dans son torse.

La dague fondit en lui comme elle aurait pu passer à travers la surface d’un lac, directement à travers les vêtements, et puis elle disparut comme si elle n’avait jamais existé. Lui, il était parfaitement serein et pas blessé le moins du monde.

Alors, il replia ses mains et les croisa devant lui, pour leur sourire.

— Que désirez-vous savoir, exactement ? demanda-t-il.

— Tu as dit que cette bénédiction divine doublait tes réserves de mana, reprit Zorian. Est-ce une quantité typique pour ce genre de bénédictions ?

— Hm ? réagit la liche, les yeux notant une surprise évidente. Eh bien… C’est une question intéressante, mais j’ai peur de ne pas pouvoir y répondre. Les personnes possédant des bénédictions divines étaient rares, même à l’époque où les dieux couraient de par le monde, et ils avaient tendance à ne pas faire leur publicité à qui voulait bien l’entendre. Si tu imagines que la manière dont les mages actuels nourrissent secrets et paranoïa, tu ne veux même pas savoir de quoi les anciens archimages avaient l’air. Tant d’héritages ont été perdus juste parce que de vieux fous stupides ont refusé de laisser quiconque voir leur travail… mais je digresse. Je suspecte que ce genre de bénédiction est relativement typique. Doubler les réserves de mana d’une personne surpasse toute croissance normale, faisant d’un dieu un dieu. Mais ce n’est pas totalement extravagant non plus. Finalement, doubler un montant est une chose simple et facile à comprendre et interpréter. Il n’aurait pas été si grandiose de dire mes réserves de mana ont été bénies et sont maintenant deux fois et un tiers et dix pourcent plus élevées qu’avant, n’est-ce pas ?

— Sais-tu comment cela fonctionne ? continua Zorian.

— Pour rester général, c’est une sorte de structure de stabilisation créée à partir d’énergie divine, qui encercle l’âme. D’une certaine façon, cela permet au mage de stocker et régénérer plus de mana sans faire de mal à ses compétences. Presque indétectable via des méthodes classiques, comme toute magie divine, mais le fait qu’elle interagit avec l’âme d’une personne signifie qu’un nécromancien doué peut finir par apprendre à percevoir la chose.

Une structure stabilisatrice ? Était-ce peut-être… en forme d’icosaèdre ? Est-ce que la liche avait utilisé cette forme comme base pour créer son portail de téléportation ? Zorian s’imagina lui poser la question subtilement, pour observer la réaction de son invité. Finalement, il décida que ce serait trop.

— Y a-t-il un moyen de recevoir cette bénédiction, autrement que par un dieu ? s’intéressa Zach.

— Techniquement, oui. Les Anges sont supposés être capables d’offrir ce genre de choses. Cependant, ils sont vraiment radins, et ne les octroient qu’à leurs plus fidèles et pieux serviteurs. Je doute qu’ils seraient impressionnés par n’importe lequel de vous deux au point de revoir leur jugement. Alors en réalité, non, il n’y a pas moyen de recevoir cette bénédiction. C’est un privilège que seuls les anciens monstres tels que moi et quelques chiens fanatiques religieux peuvent se targuer de posséder.

Ils posèrent quelques questions de plus au sujet de la stabilisation en question, la façon dont elle pouvait être détectée et étudiée, levant quelque nouvel intérêt de la part de Quatach-Ichl au passage, mais ce dernier finit par décider qu’il en avait eu assez et se tourna pour s’en aller.

— Bien, dit-il en se levant de son siège. J’ai apprécié cette conversation, et vous m’avez donné beaucoup à réfléchir, mais je pense que c’est un bon moment pour se séparer.

— Oui, confirma Zorian.

Il commençait à être fatigué de devoir rester sur ses gardes auprès de l’ancienne liche, à s’assurer qu’elle ne tentât pas de coup bas, et à toujours écouter quelque plan sinistre qui pourrait défiler dans le décor de leur conversation.

— Si vous voulez discuter encore, vous êtes libres de me contacter par ce biais, leur dit-il enfin, tout en leur tendant une simple carte de visite blanche, sur laquelle une adresse était imprimée en caractères gras noirs.

Une adresse à Cyoria.

Zorian empocha la carte en silence.

— J’ai le sentiment que nous allons nous revoir très bientôt, envoya encore la liche en ricanant tout bas, avant de quitter calmement les lieux.

Un long silence suivit son départ. Ni Zach ni Zorian ne purent dire quoi que ce fût pour une longue minute, se contentant d’écouter le bruit de fond de la taverne, se limitant à rejouer cette rencontre encore et encore dans leurs esprits.

— Je suppose que la question la plus important maintenant, c’est : que faisons-nous ? finit par demander Zorian. Sommes-nous sages, et terminons-nous cette itération, véritable bombe à retardement, immédiatement ? Ou… jouons-nous avec le feu et tentons-nous de tirer avantage de la situation ?

— Je ne sais pas, soupira Zach en poussant la chope géante sur le côté – au bout du compte, il n’avait pas réussi à la terminer, sans doute à cause des circonstances plus qu’à cause de la taille du machin. Il est difficile de réfléchir convenablement après ce qu’il vient de se passer. J’ai eu tant de mauvaises expériences avec ce sac d’os… Je me suis fait défoncer tant de fois, j’ai vu tant de mes plans ruinés à cause de lui quand il se pointait simplement pour foutre le bordel… Mais si tu me forçais à te répondre immédiatement ?

Zorian soupira à son tour. Bien entendu qu’il connaissait déjà la réponse.

— J’ai toujours adoré jouer avec le feu, termina Zach, le sourire déchiré d’une oreille à l’autre.

Raka
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9 thoughts on “MoL : Chapitre 81

  1. C’est un des meilleurs chapitres de MOL cette pression et cette connaissance acquise.. c’est parfait !

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