MoL : Chapitre 82
MoL : Chapitre 84

Chapitre 83 — Scorpion

 

Zach et Zorian étaient assis dans l’une des nombreuses pièces vides de la demeure Noveda. Ce n’est pas quelque chose qui arrivait souvent… Malgré le fait que la maison était sienne, Zach n’aimait pas y passer trop de temps enfermé. Peu de gens vivaient dans cet immense manoir, ce qui donnait aux lieux des airs de château hanté, que Zach trouvaient vraiment inconfortables. Même avant la boucle temporelle, il préférait passer le plus clair de son temps dehors, à rendre visite à des amis ou même perdre du temps à ne rien faire.

Zorian se demandait ce qu’il était desdits amis. Il n’avait jamais vu Zach interagir avec aucun d’eux durant le temps qu’ils avaient passé ensemble. De ce que Zach lui avait dit, en revanche, ils étaient tours dans la catégorie Benisek – amicaux avec le Zach pré-boucle, mais pas proches de lui au point de lui permettre de gérer un mois infini en leur compagnie. Un peu comme Zorian avait plus ou moins cessé de fréquenter Benisek, Zach semblait avoir totalement oublié ses anciens amis. C’était un peu triste, bien que, peut-être, Zach retournerait vers eux une fois la boucle temporelle histoire ancienne…

De toute façon, la raison de leur présence peu habituelle dans la maison Noveda était simple : l’endroit possédait malgré tout un puissant bouclier anti-intrusion, et tous deux ne souhaitaient pas vraiment voyager hors de Cyoria et y créer une base temporaire juste pour pouvoir y discuter en toute intimité. Aussi, ils s’étaient simplement tourné vers l’une des nombreuses pièces vides privées qui ne contenait qu’une table et une chaise, table sur laquelle ils avaient déposé l’objet que Zach et Zorian avait si laborieusement récupéré.

L’anneau. L’une des parties de la Clé, qui leur permettrait de forcer le Gardien du Seuil à rouvrir la sortie de la boucle temporelle. Il était moulé dans un argent solide et sans vraie décoration, sans particularité notable. Quelques lignes presque invisibles couvraient sa surface, uniquement remarquables lorsqu’on étudiait l’objet de très près. Il n’avait en tous les cas pas du tout les airs d’un bijou impérial, contrairement à la couronne du même nom portée par la liche, ou même l’orbe.

S’ils n’avaient pas possédé la fonction de reconnaissance du marqueur, il était fort probable qu’ils n’eussent jamais mis la main dessus. Et un peu comme l’orbe, il semblait inflexible face à tous les sorts de divinations qui le ciblaient.

Ils savaient déjà ce qu’il faisait. Peut-être parce qu’ils avaient déjà leur lot d’expérience avec l’orbe, mais comprendre les fonctions de l’anneau ne leur prit qu’une visite au Gardien du Seuil et une demi-journée de tests. C’était juste que le résultat final n’était pas… tout à fait aussi utile qu’ils l’espéraient.

— Une babiole intéressante, hein ? commenta Zach en ramassant l’anneau avant de le faire tourner sur la table comme il aurait pu le faire avec une pièce de monnaie. Heh. Bien sûr, c’est plus utile pour moi que pour toi… mais c’est peut-être une bonne chose. Au moins, nous n’aurons pas à nous battre pour décider à qui il va revenir, à l’avenir, comme nous l’avons fait avec l’orbe !

Zorian fit claquer sa langue face à cette analyse. L’anneau possédait une fonction principale intéressante : il offrait à son porteur la capacité d’utiliser la perception de l’âme. Pour autant que Zorian le sût, aucun autre objet au monde ne possédait une telle fonction, ce qui rendait celui-ci intéressant et unique… mais également parfaitement inutile pour des personnes comme lui, qui avaient déjà acquis cette compétence par d’autres biais.

Zach, évidemment, c’était une autre histoire. À cause des protections de son marqueur, obtenir la perception de l’âme était tout sauf facile. La plupart des méthodes demandaient à être mené aux portes de la mort, avant de trafiquer profondément avec l’âme de l’utilisateur. La potion de perception de l’âme que la sorcière avait concoctée pour Zorian faisait la même chose, raison pour laquelle ils ne s’étaient pas encombrés de la tester sur Zach. Ils étaient sûrs que ça ne fonctionnerait pas et qu’ils perdraient du temps inutilement. L’anneau de perception de l’âme annulait purement et simplement les besoins de passer par ces situations dangereuses, ce qui offrait à Zach une possibilité de s’entraîner dans ce domaine littéralement gratuitement.

Pour être franc, Zorian était sûr que l’anneau avait été créé avec le but unique de résoudre les problèmes du marqueur au regard de la perception de l’âme. Comme il était très compliqué pour un Contrôleur possédant un marqueur intact d’acquérir cette facette de la magie de l’âme, il était logique que Shutur-Tarana eût préparé une porte de sortie pour son successeur.

— Il est plutôt inconvénient que l’anneau soit si compliqué à récupérer, par contre, fit remarquer Zorian. Il ne t’accorde la perception de l’âme que lorsque tu le portes. Si tu commençais chaque itération avec l’anneau sur toi, comme le Contrôleur est supposé le faire, alors ce serait un problème mineur… Mais là, il nous faut une bonne semaine pour simplement mettre la main dessus, après de lourdes préparations…

— Oui, ça pue, admit Zach. Je compte définitivement trouver un moyen d’obtenir la perception de l’âme par un moyen plus classique et pérenne, pour ne plus avoir besoin de l’anneau. Mais pour l’instant, c’est toujours bien. Je doute que trouver une alternative soit facile, et nous savons grâce à toi que débloquer la perception n’est qu’une première étape et qu’il faut encore pas mal d’entraînement pour l’utiliser convenablement. Avec ce truc, je peux sauter toutes ces étapes et l’utiliser immédiatement.

— C’est sans doute vrai, acquiesça Zorian, de qui une part était ennuyée que Zach eût l’occasion d’être exempté d’une vaste part du travail qu’il avait lui-même dû fournir, tout en sachant aussi qu’il s’agissait uniquement de jalousie, et que c’était objectivement une bonne chose. J’ai malgré tout toujours l’impression que l’anneau est largement minable, comparé aux deux autres exemples que nous avons. Même sa fonction relative à la boucle temporelle n’est pas si folichonne.

Comme les autres parties de la Clé, l’anneau impérial possédait une fonction spécifique uniquement au sein de la boucle temporelle par le Contrôleur actuel. Spécifiquement, l’anneau pouvait placer un marqueur de traque sur n’importe quelle âme, permettant au porteur de l’anneau de pouvoir pister leurs mouvements avec facilité. Selon le Gardien, les marqueurs persistaient d’une itération à l’autre, permettant de connaître la position exacte à laquelle les gens commençaient le mois, ainsi que leur routine habituelle.

Ou en tout cas, c’était ce que l’effet aurait été s’ils avaient commencé avec l’anneau au doigt, comme un Contrôleur normal était censé le faire. Mais comme ce n’était pas le cas, sa valeur diminuait grandement.

Quoi qu’il en fût, Zach et Zorian avaient testé cette capacité sur de nombreux animaux et quelques passants, pour découvrir que le placement du marqueur était vraiment chose aisée, imperceptible et rapide, et que l’anneau pouvait les suivre même au-delà des continents, derrière des barrières anti-divination et autres protections.

Ça avait l’air incroyable – et ça l’était – mais les marqueurs possédaient en soi une faille critique. C’était dire que quiconque doué en magie de l’âme pouvait détecter les marqueurs au moment où ils étaient placés, s’ils prêtaient attention à ce qui se passait au niveau de leur âme. Ce qui signifiait que Quatach-Ichl était assuré d’y être immunisé, ainsi que Sudomir, Lac d’Argent et quelques autres cibles potentielles de choix.

— Ils ne peuvent pas tous être extraordinaires, fit Zach en haussant les épaules. Et honnêtement, je pense que le vrai problème se situe moins dans son utilité que le temps qu’il nous faut pour le récupérer. Si je le possédais au début de chaque mois, ce serait un trésor sans prix. Cette capacité de pistage m’aurait sauvé une tonne de temps, et quelques morts… En fait, nous sommes tous les deux si doués en divination, en télépathie, en sorts silencieux, de pistage, localisation, en téléportation… C’est pour ça que cet anneau n’est pas très impressionnant. Mais c’est juste parce qu’on est absolument incroyables, pas parce qu’il n’est pas à la hauteur.

Zorian soupira. Il y avait une grande part de vérité dans cette affirmation.

— D’ailleurs, continua l’héritier Noveda, ce serait peut-être une bonne idée de placer ces marqueurs sur quelques cultistes de haut rang, ainsi que des Ibasiens, pour découvrir s’ils font des choses que nous ignorons.

— Ça nécessiterait des efforts non-négligeables, nota Zorian. L’anneau ne nous donne qu’une direction et une distance, et seulement une à la fois. Tu devrais constamment prêter attention à l’anneau, cycler entre les différentes cibles et faire coïncider les informations que tu reçois avec une carte pour voir s’ils font quoi que ce soit d’utile. Puis, tu devrais te rendre toi-même sur place pour vérifier en personne si les mouvements effectués veulent réellement dire quelque chose, ou envoyer un simulacre, et –

— Ce n’est pas plus compliqué que certains projets que tu as réalisés par le passé, Zorian, le rabroua Zorian d’un mouvement de la main.

Zorian leva un sourcil.

— Tu… réalises que c’est toi qui ferais tout ça, n’est-ce pas ? demanda-t-il à Zach. Après tout, tu vas porter l’anneau, pas moi… C’est toi qui disais avoir besoin de ces compétences de perception de l’âme et tout ce qui s’en suit…

L’expression sur le visage de Zach à ce moment précis, lorsqu’il réalisa qu’il venait de s’abattre une quantité de travail gigantesque sur les épaules, et qu’il l’avait fait tout seul, était sincèrement unique.

 

___

 

Bien qu’ils eussent récupéré l’anneau impérial avec succès et découvert ce qu’il faisait, il n’y avait pas lieu – et pas le temps – de faire la fête. La visite surprise de Quatach-Ichl avait totalement changé la dynamique du mois en cours, et ils devaient se préparer autrement désormais. L’une des choses qu’ils avaient à faire consistait à rassembler les notes de recherche de tout le monde. Normalement, cela se passait juste avant la toute fin du mois, mais comme il y avait toutes les chances que la situation ne tournât au vinaigre et qu’ils dussent couper court, Zorian avait décider de presser le pas.

À ce moment, cela signifiait rendre visite à Kael dans son sous-sol afin de voir comment ses projets avançaient. C’était une visite normalement banale, mais rien ne semblait en place ce mois-ci. Apparemment, la sorcière avait compris qui était Kael, et lui avait déjà parlé à plusieurs reprises. Malheureusement pour elle, elle avait été reçue plutôt froidement. Leur précédente interaction avait visiblement laissé une mauvaise impression à Kael, ce qui n’étonnait pas Zorian, qui n’avait pas la moindre intention de tenter de recoller les morceaux entre ces deux-là. Le fait qu’elle eût montré un intérêt malsain pour sa fille Kana à cause de ses origines se situant dans la sorcellerie n’avait en rien aidé. Malheureusement pour Kael, en revanche, Lac d’Argent n’avait pas été dissuadée le moins du monde et avait décidé de faire irruption au beau milieu de leur entretien pour leur donner à tous les deux son opinion sur ce que Kael avait fait pendant tout ce temps.

— C’est nul, déclara-t-elle sans préambule.

Zorian s’y était plus ou moins attendu, bien sûr. Kael sans doute également, mais il était trop personnellement investi pour ignorer simplement la provocation.

— Ce n’est pas nul, lui répondit-il sur un ton tranchant, sans même prendre la peine de lui accorder un regard. Là, maintenant, c’est ta parole contre la mienne. Et maintenant ?

— Maintenant je gagne, parce que je suis une sorcière sage et expérimentée, et toi non, lui ricana-t-elle au visage. Vraiment, je ne comprends pas pourquoi tu es en colère contre moi. Es-tu toujours si remonté par la façon dont je t’ai parlé lors de notre première rencontre ? Ne sois pas si immature ! Ce ne sont que des mots. Je suppose que je me suis montrée dure, mais peux-tu me le reprocher ? Fria a totalement brisé les règles en te prenant sous son aile et en t’enseignant toutes ces choses. Un ou deux mots durs ne sont rien comparés à ce que j’aurais pu faire… à ce que j’aurais faire. Bah, les gosses, de nos jours, ne savent pas être reconnaissants. Ils ne savent même pas ce qui est bon pour eux.

— Ce n’est pas nul, répéta simplement Kael, qui ignora totalement ses tentatives vaines de remuer le passé. En fait, les potions et les recherches que j’ai produites au fil des recommencements sont si bons qu’ils ont créé un véritable tumulte à Cyoria. À la fois dans la communauté médicale et chez les alchimistes. Apparemment, j’ai déjà tenté le coup sans prendre garde, et les résultats se sont avérés… trop, bien trop bons pour mon propre bien.

— Eh bien, je n’ai pas dit que c’était inutile, clarifia la sorcière. Mais en considérant la quantité de ressources que tu avais à ta disposition et l’avantage brut que t’accordait la boucle temporelle… C’est vraiment un résultat au rabais. C’est nul. Tant d’opportunités manquées. Tant de potentiel perdu.

Zorian ne tenta pas de s’interposer, mais ce dernier commentaire lui fit froncer les sourcils. Sans aucun doute, les méthodes de Kael auraient pu être meilleures, mais de quoi parlait-elle exactement ? D’après lui, les travaux de Kael étaient incroyables.

Au début, lorsque le Morlock lui avait dit vouloir effectuer des recherches à l’aide de la boucle temporelle, Zorian avait accepté de l’aider, mais n’avait alors pas imaginé que ces travaux le porteraient si loin. Il savait que ç’allait être un bond immense en matière de connaissances personnelles pour l’alchimiste, en lui permettant de tester virtuellement gratuitement un maximum de choses afin de définir les meilleurs procédés pour atteindre les meilleurs résultats. Ce genre de formules que les alchimistes expérimentés ne partageaient avec personne, parfois pas même leurs apprentis. Mais affecter le domaine médical dans son ensemble ? Kael était certes un jeune génie qui avait été recruté par l’Académie parce que les remèdes qu’il avait créés en tant qu’amateur avait soulevé l’intérêt de certaines personnes, mais quand même. L’alchimie était une occupation très rentable, et de nombreuses Maison spécialisées dans le domaine, ainsi que plusieurs organisations au budget immense avaient déjà mené des recherches poussées. Que pouvait découvrir un alchimiste amateur, dans sa cave, et qui échappait à ces puissances financières ?

En effet, au début, Kael s’était principalement concentré sur sa technique alchimique personnelle. Il avait mené des expériences visant à remplacer des ingrédients hors de prix par d’autres, plus abordables, tout en augmentant la puissance finale des potions et autres remèdes standards, en diminuant le temps de production, en sautant certaines étapes inutiles… De petites choses, mais elles s’additionnaient. Et elles le faisaient d’une façon encore inédite pour Zorian. Il s’avérait que ce genre d’optimisation de production n’était jamais effectué dans une mesure personnelle, minimaliste, par les grandes entreprises du domaine… Ils produisaient en grande quantité, et découvrir des façons de faire en tant qu’alchimiste solitaire n’avait que peu d’intérêt à leurs yeux. En plus, si de tels résultats étaient possibles pour un amateur solitaire, il était bien plus pertinent d’envoyer quelqu’un l’embaucher une fois les recherches terminées. Et s’il refusait, tout bonnement le voler. Que pourrait faire un tel artisan contre les moyens mis en œuvre par les géants ? Aussi, ils n’investissaient pour ainsi dire jamais dans ce pan de la recherche.

Bien évidemment, il y avait beaucoup d’alchimiste qui travaillaient de manière locale, en petites quantités, et ils avaient eux aussi effectués leur lot de recherches… mais ils partageaient rarement avec quiconque n’était pas de leur famille ou un disciple très proche, et finissaient souvent par emporter ce savoir dans leur tombe. Le fait que Kael eût abouti des années de recherche, financées par des ressources considérables, quasi-infinies, et avait coopéré avec une quantité extravagante d’alchimistes et de soigneurs que Zach et Zorian l’avait aidé à contacter, et qu’il était totalement disposé à céder le fruit de ses recherches au public… C’était bien plus important et dangereux que ce que Zorian avait imaginé de prime abord.

Ce n’était pas tout, bien sûr. Grâce à l’aide de Zorian, Kael s’était trouvé capable de se montrer plus ambitieux dans ses projets. Bien qu’il poursuivait toujours ces petites améliorations personnelles dans le processus de création, il avait déjà presque tout achevé dans ce domaine. Maintenant, il se penchait sur des facettes plus techniques : il tentait de combiner plusieurs potions en une seule, expérimentait des potions d’autodiagnostic permettant à un individu de comprendre l’état de son corps sans avoir recours à un soigneur, et commençait à esquisser des recherches afin de trouver des remèdes à des maladies qui n’en possédaient pas. Assurément, Zorian comprenait que c’était ce que Kael poursuivait en tant que but ultime depuis le début. La mort de sa femme et mentor pendant le Grand Nettoyage avait clairement laissé une marque profonde dans son être, et semblait être sa motivation principale lorsqu’il poussait l’alchimie vers l’avant, jour après jour, mois après mois. Mais ces projets n’étaient pas les plus faciles, et Kael n’avait qu’un succès limité. Spécialement depuis qu’il était obligé de se familiariser au début de chaque mois avec la tonne de recherches qu’il avait déjà effectuées avant de commencer à construire la suite.

— Des opportunités manquées, hein ? souffla Kael, en jaugeant la sorcière du regard, d’un air froid et calculateur. Et qu’aurais-tu fait à ma place, dis-moi ?

— Pour commencer, je me serais montrée bien plus libérale et inconsciente au regard des expérimentations humaines, lui dit-elle immédiatement.

Kael comme Zorian frémirent à ces mots, peu étonnants.

— Oh, regardez-moi ces deux bébés ! caqueta-t-elle, amusée. Vous vivez dans une boucle temporelle, non ? Quand donc est-ce le bon moment pour découvrir ce qui ne peut l’être que via de telles expériences, sinon maintenant ? Vous êtes entourés par des sujets de test parfaits ! Tout dégâts sera annulé et réparé ! Ou plutôt, n’aura simplement jamais existé, pour commencer ! Et vous avez l’incroyable possibilité de tester un nombre imposant de potions sur le même sujet, sans que vous précédents essais n’affectent celui en cours ! Vraiment, il est presque criminel de laisser passer un tel miracle…

— Tout d’abord, je me moque d’être coincé dans une boucle temporelle, les gens souffrent et meurent malgré tout – je ne prendrai pas ce chemin. Je n’ai pas choisi cette voie pour faire souffrir les gens, lui annonça Kael fermement. Deuxièmement, même si l’on ne parlait pas d’éthique, ça reste une idée de merde. Les autres alchimistes et les soigneurs ne sont pas stupides. Toute potion développée sur une base de tests humains non surveillés sera reconnue comme telle de façon évidente – les gens réaliseront que je ne pouvais pas avoir créé une telle potion sans sacrifier un nombre gargantuesque d’individus, et je me retrouverais rapidement avec les autorités sur le dos. La potion, sa formule, et son commerce, tout partirait aux oubliettes.

— À ce moment, ils ne trouveront absolument rien, parce que tu as tout fait au sein de la boucle temporelle, supprimant de fait toutes les preuves, ne flancha pas la sorcière. Ce ne seront que des accusations. Continue d’insister que tu es un génie et que tu as tout compris en y réfléchissant dans ta petite tête, ou n’importe quoi d’également absurde. Tu es bien trop coincé, jeune homme. Je pense que tu découvrirais que bon nombre de personnes puissantes et influentes se moquent que tu aies fait des choses pas très propres, tant moralement que légalement. Tant que tu ne crées pas trop de vagues, ils te garderont sous contrôle et te permettront de continuer.

Kael resta silencieux, l’espace de quelques secondes.

— Tu as peut-être raison, concéda-t-il enfin. Mais je m’en fous. J’ai déjà exposé mon problème principal. L’éthique. Pas la possibilité de m’en sortir ou non à la fin.

Suite à quoi la sorcière se tourna vers Zorian.

— Pas moyen, fit immédiatement ce dernier en levant les mains – il avait déjà vu à quel point les expériences sur les êtres humains pouvaient être affreux en fouillant les souvenirs de Sudomir, et alors que Lac d’Argent avait sans doute des idées bien plus glauques encore, il préférait juste ne rien en savoir.

Elle l’ignora alors, se tapotant le menton tout en grommelant des mots inaudibles, mais qui donnaient une forte impression de « si tu veux que ce soit bien fait, il faut le faire toi-même ». Ce soi-même étant dans ce cas, naturellement, la sorcière. Zorian ne savait pas si elle considérait sérieusement la chose ou s’il s’agissait juste d’un effet de style.

— Bien, oublions ça, alors, finit-elle par décider en haussant les épaules. Deuxième idée : Avez-vous déjà, vous deux, imaginé recruter des gouvernements ? Ils possèdent déjà logistique et infrastructures, et la quantité de ressources à leur disposition est juste totalement au-delà de ce que vous pouvez imaginer.

— Oui, et nous avons finalement décidé de ne pas donner suite, expliqua Zorian. Les gouvernements font les choses à leur rythme – lentement. Parvenir à les convaincre de coopérer prendrait déjà plus d’un mois, à moins que je ne souhaite utiliser la magie mentale afin d’accélérer les choses. Ce que je ne souhaite pas.

— Ah, mais je ne suggérais pas de tenter de négocier avec eux, ou les supplier de faire vite, ricana Lac d’Argent. Tout ce que vous avez à faire, c’est de perdre quelques formules de potions, notes de recherches et autres secrets et vous assurer que l’un et l’autre aillent en direction du gouvernement voulu et de leurs équipes de recherches. Faites en sortes que ce qu’ils ont entre les mains ait l’air de provenir de leurs rivaux, et vous serez surpris de la vitesse à laquelle on peut allumer un feu sous le cul d’un scientifique fainéant et d’un bureaucrate paresseux. Retournez-y à la fin du mois, et récoltez.

C’était… une idée ridicule.

Une idée parfaitement stupide.

Et qui pouvait parfaitement fonctionner.

— Huh, grogna Zorian. Tu n’as pas que des mauvaises idées…

— Tu n’aurais pas dû dire ça, objecta Kael. Elle va être insupportable, maintenant.

La principale concernée gloussa en grinçant à cette remarque, prise d’une satisfaction évidente.

— Eh bien, dit-elle. Voulez-vous entendre le reste de mes idées, peut-être ?

 

___

 

Une fois toute les préparations terminées, Zach et Zorian s’en allèrent s’adresser à Quatach-Ichl, via l’adresse qu’il leur avait donnée.

Ils avaient déjà discrètement vérifié les lieux, et savaient qu’il ne s’agissait que d’un magasin banal de coin de rue, innocent et aux allures tout à fait normales. L’ancienne liche ne leur avait pas donné de mot de passe, incantation ou autre phrase secrète afin de le contacter, et ils se trouvaient quelque peu mystifiés quant à ce qu’ils étaient supposés faire une fois sur place. Simplement l’appeler par son nom ? Cependant, il s’avéra qu’ils n’avaient pas besoin de s’en faire. L’homme derrière le comptoir eut l’air de comprendre immédiatement à qui il avait affaire au moment où il les vit. Il les dirigea vers une salle de stockage, qui n’en était pas réellement une bien sûr, et où Quatach-Ichl les attendait déjà. Son squelette noir et luisant comme du métal bien lustré était simplement assis là, sur une chaise dans un coin de la pièce, tapotant ses doigts osseux contre sa jambe qui l’était tout autant, les observant tandis qu’ils approchaient.

Bon. C’était plutôt glauque. Comment diable la liche avait-elle su qu’ils allaient venir maintenant ? Il n’avait certainement pas passé la journée entière assis là, juste au cas où ils eussent décidé de se pointer, pour leur faire forte impression… ?

— Ouah, fit Zach sans se retenir, dirigeant directement son attention sur ce fait. Tu nous as attendu là pendant tout ce temps ? Ça doit vraiment beaucoup compter pour toi.

— J’ai laissé un corps de remplacement ici, et je viens simplement de sauter dedans, pour ainsi dire, lorsque j’ai été informé de votre arrivée, répondit calmement la liche en se levant, avant d’effectuer quelques gestes nonchalants dans les airs.

Un nuage ectoplasmique se condensa rapidement et forma autour des os la chair et la peau qu’ils lui connaissaient déjà. Il s’en servit pour leur sourire paisiblement.

— Pourtant, continua-t-il, j’admets que j’attendais cette rencontre avec impatience. Après vous avoir parlé, ce jour, je n’ai pas réussi à m’empêcher de vérifier certains points, et je dois dire que vous êtes encore plus inhabituels que je ne l’imaginais.

— Oh ? s’avança Zach, l’invitant à continuer.

— Par exemple, il n’existe aucune autre évidence que vous soyez quoi que ce soit d’autre que deux adolescents parfaitement normaux, expliqua Quatach-Ichl. Je pensais, avant de vous voir de près, que vous étiez peut-être des changeformes, des métamorphes ou autres entités ayant pu posséder des corps humains. Mais après avoir vu à quel point vos âmes correspondent parfaitement à vos corps, je peux effectivement mettre cette possibilité au rebut. J’ai également pu avoir une meilleure compréhension de ce que vous faites, et je dois dire… que vous êtes encore plus capables que je le pensais. Il est sincèrement étonnant que vous ayez pu amasser tant de richesses, rassembler tant de connaissances magiques, et autant de contacts, à votre âge… et plus important encore, tout en évitant le regard de tous ceux qui gardent un œil ouvert concernant ce genre de choses.

— Eh bien, ces gens-là ne sont clairement pas très doués dans leur travail, si quelqu’un a réussi à organiser une invasion de cette envergure juste sous leur nez, fit remarquer Zach. En comparaison, ne pas faire attention à une paire de gamins un peu trop doués pour leur âge est un problème bien mineur, tu ne penses pas ?

— Ha ! Ce que tu dis est si vrai, se mit à rire Quatach-Ichl. La sécurité est vraiment horrible, ici. Pourtant, la seule raison pour laquelle nous avons réussi à mettre tout ça en place, c’est parce que nous avons de nombreux agents infiltrés dans les autorités locales, et que j’ai secrètement géré…  certains éléments problématiques. Nous ne sommes pas passé totalement sous les radars comme vous deux. De plus, nous opérons d’une manière impossible, à l’aide de magies que personne ne connait, et n’avons escaladé nos activités au niveau actuel que récemment.

— Nous de même, nota Zach. Si tu as fait des recherches sur nos activités aussi précisément que tu le dis, tu as certainement réalisé que nous sommes également dans le même cas : nous avons commencé à vraiment agir après t’avoir vu faire de même.

— C’est une curieuse manière de voir les choses, réfléchit Quatach-Ichl en dodelinant de la tête, l’air pensif et interrogateur. Pour autant que je puisse le dire, vous n’avez pas juste… accéléré. C’est plutôt comme si vous n’aviez pas même existé il y a encore quelques semaines. Et nombre de choses que vous poursuivez n’ont aucune connexion avec le fait de m’arrêter.

Un bref silence suivit cette remarque, tandis que les deux parties s’étudiaient réciproquement.

— Eh bien, finit par dire Zorian. J’espère que tu n’attends pas de réponse de notre part à ce propos.

— Oh non, bien sûr que non, assura aussitôt la liche en secouant la tête. Je pense à voix haute, rien de plus. Mais passons. Je présume que vous avez une offre à me faire, n’est-ce pas ?

— En réalité, oui, acquiesça Zach. Nous voulons que tu nous aides à nous introduire dans le trésor royal d’Eldemar afin de faire main basse sur la dague impériale.

Quatach-Ichl les regarda, un peu stupéfait.

— Bon, très bien, vous m’avez eu, dit-il après deux secondes. Je ne m’attendais honnêtement pas à ça.

Ce qui s’ensuivit furent deux longues heures de questions et de réponses, durant lesquelles Zach et Zorian tentèrent d’expliquer à l’ancienne liche en quoi ils n’étaient pas complètement fous de vouloir tenter une telle opération. Ils montrèrent à Quatach-Ichl les différents plans des bâtiments, et d’autres informations qu’ils avaient rassemblées à propos des lieux par le passé, en mettant l’accent sur le fait qu’ils avaient déjà effectué le plus gros du travail, et qu’ils avaient simplement besoin de son aide pour résoudre quelques problèmes mineurs.

Ils ne mentaient d’ailleurs pas. Ils savaient déjà comment outrepasser la plupart des systèmes de défense sans se faire détecter, et seule la dernière ligne de protection était très bien gardée et pratiquement impossible à briser furtivement. Pour ce qu’ils en savaient, toute entrée dans le trésor royal était automatiquement un problème majeur et envoyait des informations aux personnes qui avaient la charge de le défendre. Et il semblait que ce n’était pas que les effractions, mais même les gardes eux-mêmes déclenchaient l’alarme lorsqu’ils y entraient. Simplement, les entrées officielles étaient annoncées à l’avance, et les gardes savaient quand les ignorer. Aussi, Zach et Zorian avaient besoin de forcer leur passage après un certain point, rester à l’intérieur suffisamment longtemps pour trouver la dague, puis s’échapper sans rester coincés entre quatre murs. C’était un exploit dont ils étaient incapables à ce moment, mais s’ils bénéficiaient de l’aide d’une entité du niveau de Quatach-Ichl, ils pourraient bien y arriver…

Celui-ci pensa initialement que l’idée d’attaquer le trésor royal était parfaitement ridicule et voué à l’échec. Il les accusa même de vouloir s’en servir pour saboter ses plans d’invasion en attirant l’attention sur lui. Cependant, la cupidité étant un carburant des plus puissants, une fois qu’il réalisé que l’attaque avait de grandes chances de réussir, il commença à sérieusement l’envisager.

Il y avait un énorme problème avec les négociations, bien entendu. Tous voulaient la dague. Bien sûr, le trésor royal possédait sans nul doute d’incroyables objets et autres documents, mais très peu étaient précieux de la manière dont l’était l’artefact impérial. Quatach-Ichl avait vécu plus de mille ans, possédait l’argent et la fortune générale pour vivre plusieurs vies. Certains autres artefacts auraient peut-être pu l’intéresser, mais ce n’était pas une chose assurée, et ils n’auraient pas le temps de s’asseoir et de comparer gentiment les butins de guerre. Peu importe ce qu’ils lui offrirent, il ne broncha pas. Pour autant qu’il se sentît concerné, ils pouvaient bien mettre le trésor entier à sac pour leur pomme, tant qu’il finissait avec la dague entre les phalanges, seul objet dont il se souciait vraiment.

Pour dire vrai, tout se passait selon le plan. Zach et Zorian avaient toujours su que Quatach-Ichl n’accepterait rien qui n’implique pas la dague. En fait, Zorian suspectait la liche de déjà prévoir de les attaquer immédiatement, aussitôt à l’extérieur, pour leur voler l’orbe également. Cependant, tant qu’ils parvenaient à s’introduire dans le trésor royal, il s’en fichait un peu. Même s’ils échouaient et ne parvenaient pas à récupérer dague et couronne dans les suites de l’opération, tenter le coup serait malgré tout rentable – pénétrer dans le bâtiment leur donnerait une chance d’analyser la pierre de défense principale, qui protégeait le complexe entier, leur donnant peut-être la possibilité d’apprendre comment la contourner directement à l’avenir.

Aussi, ils finirent par grimacer et accepter à contrecœur de laisser la dague à la liche, après avoir tout tenté, en échange de la possibilité de récupérer pour eux absolument tout ce qui n’était pas la dague et qu’ils voudraient.

Quatach-Ichl les regarda d’un air un peu étonné, et garda le silence. Au bout d’un moment, il finit par soudainement montrer un visage plus joyeux et les féliciter pour leur capacité à se montrer raisonnables. Une demi-heure plus tard, ils finirent par arriver à un accord, et se retrouveraient deux jours plus tard à Eldemar…

 

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Zach et Zorian avançaient calmement dans les couloirs du trésor royal, escortés par quatre gardes au visage impassible. Ils ignoraient tous les autres employés et personnel de sécurité qu’ils rencontraient occasionnellement, agissant comme si leur présence était parfaitement naturelle en ces lieux. À trois reprises, ils croisèrent des champs de détection invisibles qui aurait annoncé leur présence inattendue aux superviseurs de la protection, plus loin dans le complexe, et il ne fallut à chaque fois à Zorian que moins de deux minutes pour soumettre chacun des systèmes à sa volonté. Après un moment, ils arrivèrent à un vrai point de contrôle, régulé par deux mages et quelques porte-flingues. Zach salua simplement le group pendant que Zorian leur fit passer, en un éclair, un badge d’accès sous le nez sans dire un mot. Les gardes les interrogèrent, incertains, mais ne leur barrèrent pas la route. Il n’y avait pas de visite prévue sur le calendrier du jour, mais ils étaient entourés de quatre gardes du complexe et possédaient un symbole d’autorité royale. Aussi ne furent-ils pas plus embêtés que ça.

Quatach-Ichl leur emboîtait le pas, observant avec curiosité tout ce qu’il pouvait. Après avoir mis une certaine distance entre eux et le point de contrôle, il décida d’ouvrir la conversation.

— Le mystère s’épaissit, commenta-t-il, les yeux rivés sur les gardes qui marchaient à leurs côtés. Ces gardes, que tu as dominés, ne montrent vraiment presque pas qu’ils sont contrôlés et qu’ils font ça contre leur gré. Pas de mouvement intempestif, pas d’hésitation… Mis à part le fait qu’ils sont un peu trop sérieux, on ne peut pas remarquer qu’ils agissent contre leur gré. Je n’avais pas la moindre idée du talent que tu pouvais avoir en magie mentale, vraiment. Si tu possèdes de telles capacités, n’aurait-il pas été plus simple de manipuler une personne possédant un vrai droit d’entrée, et lui faire récupérer la dague pour vous ?

— Peu pratique, répondit Zorian, qui ne souhaitait pas expliquer comment fonctionnait ses pouvoirs mentaux, ni que sa capacité à contrôler les gens était relativement limitée – il était certes un puissant mage mental, mais il n’avait jamais investi beaucoup d’effort pour découvrir comment donner à ses cibles des envies à long terme ; sa spécialité était le combat télépathique et la télépathie, pas l’esclavage mental.

— Tu sais, Ulquaan Ibasa possède des lois bien plus souples au regard de la magie mentale que n’importe quel pays du continent, fit remarquer la liche d’une manière légère.

— Tu es sérieusement en train d’essayer de me recruter à un moment pareil ? lui demanda Zorian, sans y croire.

— Je te signale simplement que tu serais bien plus apprécié pour tes compétences si tu migrais, fit Quatach-Ichl en haussant les épaules.

Zorian n’y répondit rien. Ils atteignirent bientôt le point de non-retour : la porte qui ne pouvais être ouverte sans lever une alerte maximale dans tout le complexe.

Même juste l’ouvrir n’avait rien de facile. Elle était incroyablement solide, et il en allait de même pour les murs auxquels elle était attachée. Ils ne pourraient pas l’abattre en faisant usage de la force. Deux clés étaient nécessaires afin de la déverrouiller, et ni l’une ni l’autre ne pouvaient être facilement acquises. Les utiliser nécessitaient de plus la présence du trésorier en chef, qui devait désactiver les barrières locales afin que les clés pussent être introduites dans les serrures. Et avec tout ça, même si la procédure était effectuée à la perfection, l’alarme sonnerait malgré tout, et les défenseurs arriveraient rapidement si la visite n’était pas planifiée.

Il y avait d’autres entrées au trésor royal, y compris une plutôt secrète qu’on pouvait atteindre par la prison, mais elles étaient toutes défendues tout aussi lourdement.

À ce moment, la seule solution qu’ils avaient trouvée était de simplement attaquer les barrières magiques jusqu’à les détruire, avant d’utiliser les copies des clés qu’ils avaient produites un peu plus tôt, afin d’ouvrir la porte. Ce qui pouvait fonctionner, mais les barrières royales n’étaient pas à prendre à la plaisanterie. Les abattre était un processus long et pénible, même pour Zach et Zorian, et qui les laisserait presque à court de mana, pour finalement faire face à tous les défenseurs du bâtiment.

— Nous allons avoir besoin de ton aide, ici, comme prévu, annonça Zorian à la vieille liche.

Quatach-Ichl hocha simplement la tête d’un air absent, étudiant la porte face à lui.

Et puis ils s’y mirent. Tous trois commencèrent à assaillir la formation magique qui protégeait les serrures, l’amenuisant peu à peu. Zach et Zorian étaient tous deux très bons dans l’art de défaire une telle barrière, désormais, mais Quatach-Ichl les coiffa totalement au poteau malgré ça… et pas uniquement à cause de ses monstrueuses réserves de mana, non. Il savait briser des protections magiques avec un talent totalement hors de ce monde. Rétrospectivement, ce n’était probablement pas si extraordinaire : il avait vécu pendant plus de mille ans. Il possédait probablement des connaissances bien plus profondes qu’eux, et ce, dans tous les domaines possibles.

La formation magique ne prit pas l’agression à la légère. Elle était du type à répondre à une attaque par une attaque, et tentait de repousser ses harceleurs sans s’arrêter. Des vagues de pression mentale et d’extrêmes températures les assaillirent, d’étranges lueurs arc-en-ciel tentèrent de les endormir de force, et même quelques carreaux de carrelage essayèrent de les empaler lorsqu’ils ne regardaient pas. Zach et Zorian savaient déjà ce qu’ils devaient affronter, et tous trois furent capables de se défendre d’attaques de ce niveau.

Désormais, le trésor royal entier était en alerte maximale, et les premiers gardes approchaient à grande vitesse. Zach s’apprêtait à diriger une partie de son énergie pour s’occuper d’eux, mais fut pris de court par la liche, qui se contenta de balayer l’air de son bras derrière lui, sans même regarder, et envoya l’un de ces fameux rayons rouges mortels. Il toucha le plafond et toucha probablement un endroit critique parce que toute la partie du couloir s’effondra, faisant pleuvoir pierre et débris au milieu de l’épais nuage de fumée et de shrapnels qui coupèrent net l’avancée des défenseurs.

— Distractions inutiles, marmonna-t-il de façon étonnamment courtoise. Concentrez-vous sur les protections.

Celles-ci ne durèrent pas bien plus longtemps. Une fois désactivées, Zach et Zorian insérèrent les clés dans la porte et l’ouvrirent lentement, dans un lourd grincement. Ils ne pouvaient pas accélérer le mouvement, mais n’avaient pas non plus à attendre qu’elle fût totalement ouverte pour passer. Au moment où un interstice suffisant apparut, Quatach-Ichl utilisa un étrange sort dimensionnel pour transformer ce petit trou en une porte de taille humaine. Zorian décida qu’il allait définitivement devoir apprendre ce sort. Se trouver capable de passer par n’importe quelle petite ouverture ainsi était une bénédiction.

Une fois de l’autre côté, ils firent face à un autre problème. Une paire d’énormes et massifs golems faits dans une matière noire indescriptible leur bloquèrent le chemin. Ils brandissaient tous deux des fusils à pompe capables de tirer des toiles métalliques au lieu de balles, et s’avéraient incroyablement résistants. Ils étaient clairement faits pour tenir tout attaquant occupé le temps que les forces de sécurité n’envahissent la salle. Zorian comprit qu’il ne fallait pas perdre de temps à tenter de les affronter directement.

Il déploya l’orbe, y récupéra deux golems de sa propre facture, et les envoya faire face aux golems du trésor, afin de pouvoir continuer sans s’en soucier.

— L’architecture de ces golems est intéressante, commenta Quatach-Ichl. Je ne reconnais point la manufacture.

Après une seconde, Zorian décida qu’il pouvait se vanter un peu.

— Je les ai fabriqués.

— Oh ? Un homme aux multiples talents, je vois, sourit la liche. Je dois admettre que j’ai toujours pensé que la création de golems était juste une nécromancie du pauvre, mais les avancées récentes dans le domaine sont plutôt impressionnantes, à même de me faire réviser mon opinion. Peut-être que je devrais te commander quelques produits à l’avenir.

Le trésor royal n’était en réalité pas une immense salle unique empli d’or, de coffres pleins de joyaux et autres artefacts magique. Il s’agissait en réalité d’une salle des coffres, comme une immense prison dont chaque cellule était équipée d’une porte renforcée qui devait être abattue avant de pouvoir récupérer ce qui se trouvait derrière. Rien n’était étiqueté, et trouver quelque chose de précis dans ce fatras était mission impossible à moins de savoir exactement où chercher. Comme Zach et Zorian possédaient un marqueur qui laissaient entendre la position de la dague, cela dit, il ne fut pas très long de la traquer. Quatach-Ichl la récupéra immédiatement pour lui-même, en les regardant avec un air de défi. Mais tous deux n’avaient pas l’intention de le combattre pour la dague. En tout cas, pas dans ce bâtiment ennemi.

Quoi qu’il en fût, cette dague n’était pas la seule chose qu’ils voulaient trouver. Ils désiraient également localiser la pierre nourrissant toutes les barrières et les protections, et il ne serait pas de trop d’éclater quelques coffres supplémentaires pour voir ce qu’il s’y trouvait. Ils avaient tous deux créé pas mal de simulacres et les envoyèrent disséminer le chaos alentour… mais furent pris au dépourvu lorsque Quatach-Ichl, qui trouva qu’il s’agissait d’une bonne idée, créa tout autant de simulacres et les envoya les accompagner.

Apparemment, il ne leur faisait pas assez confiance pour laisser les copies hors de vue. Ou peut-être était-il juste curieux quant à ce qu’ils comptaient faire… Dans tous les cas, ils décidèrent de ne pas en faire tout un plat, et continuèrent comme prévu.

Au bout d’un moment, ils parvinrent à trouver la pierre en question. Elle était cachée sous un sol métallique et protégée de la plupart des sorts de divination, mais Zorian la traqua malgré ça. Il n’avait pas le temps de l’étudier en détail, et ne pouvait la déplacer sans la détruire, mais même un bref examen lui donna déjà plein d’idées pour l’avenir. Cette pierre était une vraie œuvre d’art, et Zorian comptait définitivement revenir pour l’observer de plus près.

Quant aux coffres, ils possédaient toutes sortes de richesses, matériaux rares et objets mystérieux… mais il était compliqué de définir ce qui était vraiment rentable ou non, aussi finirent-ils par empiler le tout dans l’orbe, et ne s’en soucièrent pas pour l’heure.

— Cet orbe est bien plus gros que ce que je croyais, ce qui le rend vraiment plus pratique, lâcha légèrement le simulacre de la liche. Je pense que je l’ai peut-être sous-estimé, rien qu’un peu.

Il possédait bien sûr ses propres dimensions miniatures, mais elles étaient apparemment bien moins larges que l’orbe, ce qui signifiait qu’il devait se montrer plus sélectif avec ce qu’il acceptait d’emmener.

Bien sûr, les gardes et les militaires ne restèrent pas inertes. Il leur fallut moins de cinq minutes pour s’introduire dans le trésor royal au travers du couloir effondré, et dépassèrent les quatre golems géants qui se battaient sans attention pour leur environnement.

Puis, le combat commença.

Honnêtement, ils étaient probablement restés trop longtemps sur place. Trop de défenseurs avaient réussi à entrer, rendant l’échappatoire bien plus compliquée. Ils ne pouvaient pas simplement ouvrir un portail grâce aux simulacres, à cause des barrières d’urgence du bâtiment qui étaient apparemment assez puissantes pour tuer cette idée dans l’œuf. La pierre était trop dure pour être détruite en un laps de temps raisonnable, et s’il s’était agi de Zach et Zorian seuls, le mois en cours aurait sonné sa fin.

Cependant, ils avaient une liche millénaire, qui avait déjà préparé des mesures pour ce genre de situations.

À propos de ce qui allai se produire, Zach et Zorian ne reçurent qu’un seul avertissement, par le biais des cris, au loin, des gardes qui combattaient visiblement quelque chose d’autre. Avant qu’ils ne pussent demander à Quatach-Ichl de quoi il retournait, un mur proche s’effondra et une énorme sphère d’os métalliques noirs pénétra le bâtiment.

La sphère se déplia rapidement en un énorme crocodile squelettique noir qui balaya les lieux de sa queue, envoyant leurs ennemis voler au loin comme des mannequins de paille. Juste après s’abattit sur lui une pluie de boules de feu, de lames de force, de rayons de désintégration et autres grenades magiques. Certains provoquèrent même des dégâts.

Mais il était trop tard, et c’était trop peu. Avant que leurs attaques pussent lui infliger plus que des égratignures superficielles, le crocodile remarqua Quatach-Ichl et se dandina immédiatement vers lui.

— Dis-moi que c’est un ami, dit Zach.

— Ha ! se mit à rire la liche, de bon cœur. Tu peux dire qu’il s’agit d’un familier, en quelque sorte. Sautez sur son dos quand il sera assez proche, et assurez-vous de bien vous agripper. Si vous tombez, vous vous débrouillez. Je ne reviendrai pas pour vous, pas moyen, non.

Si quelqu’un avait annoncé à Zorian, quelques années auparavant, qu’il chevaucherait un jour un crocodile géant et squelettique au travers des rues d’Eldemar, après avoir braqué le trésor royal en compagnie d’une liche millénaire… Eh bien, il aurait certainement totalement envoyé balader la personne qui lui aurait inventé des conneries pareilles. Pourtant, c’était exactement ce qu’il se passait. Zach, Zorian et la liche parvinrent à sortir du bâtiment sur le dos du familier, qui se contenta de se ruer vers l’avant, toujours plus loin. Au bout du compte, le pauvre tas d’os tomba en morceaux, s’étant sacrifié pour sauver ses passagers d’un dernier barrage de sorts coordonnés de la part des militaires d’Eldemar, mais ils avaient déjà quitté les murs de la ville, et s’étaient téléportés.

Maintenant allait venir la partie la plus compliquée : Quatach-Ichl…

 

___

 

Zach, Zorian et Quatach-Ichl se cachaient dans une petite grotte, creusée sous une prairie banale. Cela faisait déjà plus d’une demi-journée depuis qu’ils avaient réussi à s’échapper du trésor royal d’Eldemar, et ils avaient le même problème que Zach et Zorian avaient eu la première fois : d’une certaine façon, les forces d’Eldemar les traquaient où qu’ils aillent.

[C’est embêtant,] envoya Zach à Zorian. [Je prêtais spécialement attention à un truc du genre, et je n’ai jamais remarqué la moindre marque de traque sur nous, ou sur nos possessions.]

[Je ne détecte rien sur nos âmes, non plus,] répondit Zorian. [C’est vraiment frustrant. Comment font-ils exactement pour nous retrouver si rapidement ? Ils ne nous connaissent clairement pas, tout comme ils ne nous connaissaient pas la première fois, alors ça doit être dû quelque chose comme un plateau de divination, ou une marque magique. Nous sommes tous deux expérimentés dans le domaine, alors pourquoi ne trouvons-nous rien ?]

Quatach-Ichl, qui était actuellement assis sur le sol dans un silence complet, semblait être engagé dans une séance de méditation intense. Zorian pouvait le dire grâce à sa perception de l’âme, la liche était plongée en elle-même, pour effectuer une recherche interne au sein de son âme. Il pouvait le dire parce que cette âme était parfaitement calme et contrôlée habituellement, alors que là, elle vibrait et pulsait comme si elle était prise dans une tempête électrique. La liche semblait penser que le marqueur de traque avait été placé sur leurs âmes et tentait de le localiser. Zorian avait déjà fait la même chose, en vain, et il ne nourrissait pas de grands espoirs que Quatach-Ichl y parvînt, mais ça valait toujours le coup d’essayer. Au moins, il n’était pas en train de tenter de les tuer en leur mettant ça sur le dos.

Peut-être que s’ils —

— C’est une marque faite d’énergie divine, annonça soudain Quatach-Ichl, en se levant et en se dépoussiérant.

— D’énergie divine ? répéta Zorian, incrédule.

— Comme celle qui forme la structure de stabilisation autour de mon âme, et qui alimente les artefacts divins, précisa-t-il. Il doit y avoir un objet, quelque part dans le bâtiment, qui connecte automatiquement l’âme de quiconque s’en approche à une certaine distance. Comme c’est sournois. Si je n’avais pas une telle expérience lorsqu’il s’agit de ressentir l’énergie divine attachée à mon âme, je n’aurais jamais été capable de la détecter.

Putain, les magies divines étaient si injustes. Pas étonnant qu’ils eussent été incapables de comprendre comment les autorités les retrouvaient à chaque fois…

— Peux-tu trancher le lien ? demanda Zach.

Quatach-Ichl secoua la tête.

— Percevoir l’énergie divine est une chose, dit-il. L’affecter en est une autre. Je n’ai pas la possibilité de retirer cette marque, bien que je puis dire qu’elle n’est pas permanente. Elle va s’affaiblir et disparaître un jour.

— Un jour, dans… ? tenta Zach.

— Quelques semaines, au moins, dit calmement la liche.

— Tu es trop calme, fit remarquer Zorian. Clairement, tu as déjà trouvé une solution.

— Oui, ricana Quatach-Ichl sur un ton évident. La marque est peut-être faite d’énergie divine, mais elle possède finalement les mêmes faiblesses que toutes les marques du genre – une distance maximale que le lien artefact – marque peut supporter avant de se briser. Si nous sortons du périmètre effectif de la magie, nous serons libres de profiter de nos bien si mal acquis.

— Ah, comprit Zach. Ouah, c’est plus facile qu’on le pensait, du coup. Tu parles d’une magie divine.

— Bien sûr, créé par un artefact divin, le lien a sans doute une portée totalement absurde… et les autorités d’Eldemar n’hésiteraient sans doute pas à sortir l’ancre du trésor royal s’ils se rendent compte qu’on tente de sortir du champ de détection. Alors non seulement devons-nous voyager extrêmement rapidement très loin d’ici, mais nous devons le faire plus vite qu’ils ne peuvent se déplacer.

Zach et Zorian se regardèrent avant de se tourner vers la liche, qui était toujours tout sourire. Quatach-Ichl pensait sans doute qu’il les tenait. Qu’ils n’avaient aucun moyen de traverser de vastes distances assez rapidement pour échapper aux autorités, et était probablement certain de pouvoir leur soutirer quelque bénéfice en échange d’une aide précieuse.

Eh bien… Il ne pouvait avoir plus tort.

— Je ne vois pas le problème, fit Zorian en haussant les épaules.

— Non ? s’étonna la liche. Je ne suis pas sûr que vous compreniez… Se téléporter çà et là ne va pas —

— Tu veux nous accompagner ? le coupa Zorian innocemment. Même si tu possèdes sans doute un moyen de te déplacer rapidement de la façon nécessaire, peut-être en faisant voyager ton âme d’un corps à l’autre, mais ce n’est sans doute pas si facile, n’est-ce pas ? Tu ne peux sans doute pas t’éloigner d’Eldemar aisément.

— Ouais, tu nous as beaucoup aidé, ce soir, alors il est normal qu’on te rendre la pareille, continua Zach, en jouant le jeu.

Ils ne s’attendaient en réalité pas à voir Quatach-Ichl accepter si rapidement. Après tout, venir avec eux supposait entrer dans un portail dont il ne connaissait pas la destination réelle. Ce n’était pas une chose qu’on faisait, à moins de faire totalement confiance à la personne qui l’ouvrait. Et il ne leur faisait même pas assez confiance pour laisser leurs simulacres se promener seuls.

Zorian ouvrit un portail vers Xlotic, et Quatach-Ichl les y suivit, étonnamment calme. Il ne fit aucun commentaire sur le fait qu’il savait lancer un sort tel que le portail dimensionnel sur un simple caprice, sans préparation ni avertissement, vers un autre continent, rien de moins. Il observa simplement ce qui se trouvait autour de lui, les yeux glissant sur le désert qui courait jusqu’à l’horizon, l’air nostalgique.

— De la ville à la ruine, du champ à la poussière… murmura-t-il doucement. Quelle vue déprimante.

Hm… Zorian n’y avait pas vraiment songé avant, mais il était probablement la seule personne en vie – si l’on pouvait dire ainsi – à avoir vu Xlotic avant le Cataclysme.

Dans tous les cas, Quatach-Ichl ferma les yeux et se mit à analyser son âme une fois de plus. Il les rouvrit dix minutes plus tard, et acquiesça.

— C’est parti, dit-il, la voix dénuée de toute trace de satisfaction, ce qui ne manqua pas de tirer une sonnette d’alarme dans l’esprit de Zorian. Apparemment, Xlotic est assez éloigné de l’artefact pour que le lien se brise, lorsque nous avons traversé le portail. Ou peut-être lorsque celui-ci s’est refermé. Le lien peut-il être maintenu à travers un portail dimensionnel ? C’est un point intéressant. Malheureusement, trop compliqué à reproduire pour être étudié. Et malheureusement, rien de tout ceci n’est réel, n’est-ce pas ?

Zorian ne put s’empêcher de frémir. Quatach-Ichl ne le manqua pas et plissa les yeux.

— J’ai visé juste, dit-il d’une voix sérieuse.

Il se mit à marcher en cercles autour d’eux, ses yeux ne relâchant jamais leur observation. Comme un prédateur. Zach et Zorian se préparèrent pour le combat, mais n’esquissèrent pas de mouvement offensif.

— J’aurais dû le comprendre bien plus tôt. J’aurais vraiment dû. Le fait que tout, absolument tout, soit coupé des plan spirituels, d’un seul coup, aurait dû être un immense avertissement quant à ce qu’il se passe, mais il semblait si impossible que des humains pussent créer une chose si phénoménale. Lorsque j’ai découvert que les Aranea sous Cyoria avaient un jour rendu l’âme, j’étais juste heureux qu’un obstacle majeur eût disparu, et je n’y ai pas réfléchi comme j’aurais dû. Ce n’est que lorsque je vous ai parlé que les chose ont commencé à devenir claires… Mais encore une fois, dans mon arrogance, j’ai refusé de regarder la vérité en face.

— Nous n’avons aucune idée de ce dont tu parles, sac d’os, grogna Zach.

— Oh, oui, vous avez une très bonne idée de ce dont je parle, continua la liche. Tout s’est mis en place lorsque tu as ouvert de façon nonchalante un portail vers un autre continent. Il y a quelque chose dans votre comportement qui me dérange depuis le début, depuis la taverne, mais ce n’est que maintenant que ça prend du sens. Vous êtes apparus de nulle part, chargés de richesses et de compétences qui ne renvoient aucune logique à votre âge et votre passé… Comme deux mages adultes prétendant de façon très mauvaise être des adolescents. Vous êtes d’accord pour laisser filer des artefacts divins en échange d’informations, et vous engouffrez des montants astronomiques dans des recherches sans aucun lien avec quoi que ce soit… comme si les possessions matérielles ne représentaient rien pour vous, contrairement à la connaissance. Vous n’aimez pas me voir tuer certaines personnes que vous ne connaissez apparemment pas, mais vous n’avez aucun problème à trucider les gardes du trésor royal pour obtenir ce que vous désirez. Comme s’ils n’étaient pas réels, pour commencer.

Quatach-Ichl cessa de tourner en rond. Le silence qui suivit fut le plus lourd de tous les temps, et les quelques secondes qui suivirent eurent l’air si longues… Si longues. Et la tension s’accumulait, peu à peu.

— Tout ça… C’est une espèce d’illusion géante, n’est-ce pas ?! conclut Quatach-Ichl sur un ton agressif, ce à quoi Zach et Zorian ne répondirent pas, ce que la liche prit pour une confirmation. J’aurais vraiment dû le voir plus tôt, mais j’étais trop imbu de moi-même ! Comment moi, le tout-puissant Quatach-Ichl, aurais-je pu être traîné sans le détecter dans une telle illusion ?! J’ai rejeté instinctivement cette vérité, jusqu’à ce qu’elle me regarde droit dans les yeux. Et maintenant que nous en sommes là… Je vais avoir des réponses. De vraies réponses !

Il attaqua. Son déguisement organique fondit comme neige au soleil pour révéler le squelette noir sous-jacent, qui luisait d’un vert lugubre.

Et ils étaient prêts.

Quatach-Ichl choisit directement la magie de l’âme, cette fois, ne se préoccupant même pas d’ouvrir les jeux avec un rayon désintégrateur ou autres énergies physiques. Sans doute parce que, alors qu’il n’était pas totalement certain de la manière dont fonctionnait l’illusion dans laquelle il était piégé, il avait déjà remarqué que Zach et Zorian ne poussaient pas le vice des défenses physiques à leur paroxysme, malgré leur niveau et leur talent. Il était donc évident qu’il ne s’agissait pas de leurs vrais corps ; s’il voulait les abattre, il devait viser leurs âmes.

Eh bien… Il avait raison à ce propos, mais Zach et Zorian étaient venus armés. Leurs âmes étaient fortifiées et ils n’étaient plus ceux qui avaient lamentablement perdu, longtemps auparavant, face à ce monstre.

Des pulsations spectrales les assaillirent, mais ils s’en protégèrent à moindre effort. Ils y répondirent par des sorts plus banals, rayons incinérateurs et autres liquéfactions de sol, lames noires destructrices et champs de force spatiale. Quatach-Ichl se défendit également à l’aide de sorts d’accélération, de champs de force de son propre cru et créatures de sable animé. De son côté, il n’attaqua encore et encore que leur âme.

Après quelques échanges, Zach et Zorian décidèrent de révéler l’étape suivante de leurs préparatifs – les formations magiques qu’ils avaient placées dans la zone au préalable. En vérité, Quatach-Ichl s’était vraiment montré stupide de les suivre au travers d’un portail inconnu, celui-ci ouvrant directement sur l’un des nombreux endroits où Zach et Zorian avaient semé toutes sortes de pièges à son attention. Bien sûr, ils s’étaient imaginés devoir le forcer un peu… mais ça fonctionnait malgré tout.

Néanmoins, Quatach-Ichl s’était évidemment préparé, lui aussi. Avant que les formations ne pussent s’activer totalement, il retira rapidement un bracelet et le brisa.

Quatre constructions cubiques faire d’os noirs se matérialisèrent autour de lui, émergeant d’une quelconque dimension miniature. Chacun d’eux arborait quatre crânes noirs, incrustés sur les faces, les yeux brûlant d’un feu vert d’outre-tombe. Grâce à sa perception de l’âme, Zorian remarqua immédiatement qu’en chaque crâne se trouvait une âme prisonnière – et des puissantes, pour ne rien arranger. Elles avaient probablement été récoltées chez des mages de légende.

Les cubes pulsèrent, se synchronisant les uns avec les autres, et se mirent à créer leur propre formation, écrasant petit à petit celle que Zorian et la sorcière avaient placé là.

Bon… Il était donc temps de sortir le grand jeu, sans retenue. Zorian déploya l’orbe et invoqua Alanic, Lac d’Argent et Xvim, qui s’étaient installés là en attendant le signal, juste pour ce moment.

Le combat s’intensifia rapidement, les sorts volant dans tous les sens. Quatach-Ichl fut forcé d’abandonner l’utilisation exclusive de la magie de l’âme, afin de les attaquer. Ce genre de magie n’était pas pratique pour une utilisation en combat réel, raison pour laquelle il ne l’utilisait jamais au début d’un combat. Maintenant, en face de cinq dangereux ennemis, il ne pouvait plus se permettre de n’employer que des méthodes sous-optimales.

Zorian s’attendait à ce que la liche prît ses jambes squelettiques à son cou. Il ne pouvait assurément pas gagner ce combat, et ces cubes osseux qui flottaient dans les airs annulaient effectivement le champ anti-téléportation installé là au préalable.

Mais Quatach-Ichl n’en fit rien, et continua à se battre comme un possédé, abandonnant de gigantesques quantités de mana dans chacun de ses sorts. Finalement, après un sort d’accélération particulièrement bien exécuté, il parvint à produire un souffle de vent suffisant pour tous les décoller du sol et les séparer. Normalement, ils auraient dû avoir les pieds collés au sol, mais le sable du désert n’était vraiment pas pratique pour ça. Chose qu’ils ne réalisèrent qu’une fois qu’il fut trop tard.

Quatach-Ichl suivit immédiatement avec une pulsation de magie de l’âme, destinée à en finir avec tout le monde. Zorian fortifia son âme juste avant l’impact… et réalisa qu’il ne s’agissait que d’une distraction.

Avant que quiconque pût récupérer, la liche accéléra à nouveau et lança ses mains vers Xvim, le frappant de deux sorts en rapide succession. Le premier était un sort de dispersion magique qui dévêtit de force l’homme de toutes ses protections, y compris son Esprit Vide… Le deuxième était un sort de magie mentale puissant.

Merde…

Zorian n’hésita pas. Il utilisa aussitôt sa télépathie pour plonger dans les souvenirs de son mentor, et s’engagea dans une guerre mentale avec l’esprit de la liche, tentant de l’expulser de force de cet esprit désormais vulnérable.

Le sort que Quatach-Ichl avait lancé était une espèce de sonde mémorielle, réalisa-t-il rapidement. Puissante, mais très brute et brutale, destructrice selon les standards de Zorian. Une sonde qui ne laisserait probablement pas de séquelle à Xvim, mais ce ne serait pas certain quelques secondes plus tard. Heureusement, bien que Quatach-Ichl eût apparu être très doué en magie mentale, il utilisait malgré tout des sorts structurés et n’avait pas vraiment d’expérience en combat télépathique. Bientôt, la liche décida de se retirer de l’esprit de Xvim de son propre chef.

Alanic reprit ses esprits, et tenta de le faire fondre à l’aide d’une boule de feu massive, et le retrait de la liche avait sans doute beaucoup à voir avec ça. Ses expressions étaient vraiment difficiles à lire, à cause de l’absence de muscles et de peau, mais il semblait être quelque peu… secoué.

— Attends ! s’écria-t-il soudain. Stop !

Ils ne s’arrêtèrent pas, bien sûr. Pas avant qu’il ne retirât soudain la couronne de sa tête, et la jetât au sol. Il fit immédiatement de même avec la dague impériale qu’ils avaient récupérée du trésor royal d’Eldemar.

Huh. Zach et Zorian firent signe aux autres de faire une pause, l’espace d’un instant.

— Prenez-les, annonça la liche sans regret.

— Tu vas juste nous les donner, comme ça ? s’étonna Zach.

— Nous savons tous deux que ces objets me sont parfaitement inutiles, répondit courtoisement Quatach-Ichl.

— Qu’as-tu vu dans les souvenirs que tu as volés ? s’enquit Zorian, prudent.

Il jeta un coup d’œil vers Xvim, mais son mentor ne donna aucun signe montrant que l’expérience l’eût secouée à un niveau remarquable.

— Suffisamment pour comprendre à quel point ces objets ne me sont d’aucune aide. En tout cas, pour les individus comme moi, cracha la liche, semblant abattue, avant de d’éclater d’un rire vide. Ha ha ha ! Vous m’avez vraiment bien eu ! Je dois dire, si vous aviez juste —

Il ne lui fallut que ces quelques secondes pour les prendre par surprise. Ils s’étaient inconsciemment détendus, rien qu’un peu, lorsque la liche avait apparemment abandonné le combat, et Quatach-Ichl en profita. Instantanément, il se retrouva encore une fois sous l’effet d’une puissante magie d’accélération et se rua droit sur eux, littéralement droit dans leur direction… avant d’exploser.

Plus tard, Zorian se demanderait ce qui l’avait perturbé et poussé à activer son marqueur, au moment où il avait réalisé que Quatach-Ichl courait vers eux. Parce qu’il avait inconsciemment senti quelque chose de plus grave qu’une simple attaque, via sa perception de l’âme ? À cause d’un instinct inexplicable ? Tout ce qu’il en savait, c’était que lorsque la liche avait entamé le processus de détonation de sa propre âme dans une dernière attaque suicide, Zorian avait déjà initié la fin de l’itération.

Ils furent malgré ça pris dans une partie de l’explosion, juste avant la fin… L’âme de Zorian fut engouffrée dans une douleur corrosive, extrêmement violente, des vagues d’énergie spirituelle qui précédèrent le néant.

Sa dernière pensée alla dans un sens particulier. Il ne savait pas qu’une âme pouvait détoner de la sorte…

Raka
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