MoL : Chapitre 92
MoL : Chapitre 94

Chapitre 93 — Un abri dans la tempête

 

Zorian se lamenta. Parfois, il pouvait se montrer si stupide. Il savait que les simulacres tendaient à se montrer plus impulsifs et spontanés que lui. Cela semblait être un trait intrinsèque à chacune de ses copies, peu importe les précautions qu’il prenait en les créant ou à quel point elles étaient liées à lui. Elles pouvaient bien être presque lui, mais elles n’étaient pas lui. Au moment où ils réalisaient qu’ils étaient des simulacres et ne vivraient pas plus de quelques heures – ou jours – leur perspective sur le long terme changeait, et déviait invariablement de la sienne. Après tout, ce n’était pas un simulacre qui allait devoir gérer les conséquences de certains choix.

Il savait également que donner à ses simulacres des tâches ennuyantes ou déplaisantes avait de bonnes chances de revenir lui exploser au cul quand il avait le dos tourné. Ses simulacres ne voyaient pas d’inconvénient à mourir pour lui, mais ils ne voyaient pas non plus de souci dans le fait de l’embêter et de lui créer des embrouilles pour l’avenir. En fait, ils semblaient même souvent se complaire dans cette idée.

Zorian se demanda ce que ce comportement de la part des simulacres signifiait à son propos, mais c’était une réflexion pour une autre fois. Le truc, c’était que bien qu’il le sût, il avait toujours laissé à un simulacre le soin de briser les rêves de Kirielle de se rendre à Cyoria. Il aurait dû savoir que ça n’allait pas se passer comme prévu, mais il pensait qu’il ne se serait agi que d’une simple discussion entre un simulacre et sa mère, suivi d’un refus bête et méchant. C’était, après tout, ce qui arrivait lorsque Zorian ne proposait pas à Kirielle de venir avec lui. Tout ce que cette satanée copie avait à faire, c’était de marcher dans ses traces, et répéter encore cette situation déjà vécue plus que de raison. Au lieu de quoi, le simulacre s’était mis à s’ennuyer et à activement chercher à foutre tout le plan en l’air en allant directement interagir avec Kirielle, gaspiller leur précieux mana, et se trouver tout émotionnel quand il était temps de se dire au revoir…

Ugh. Juste comme l’avait prévu le simulacre effronté, Zorian était furieux. C’était une décision stupide et totalement aveugle ! Oui, l’envoyer à Koth avec les parents aurait représenté une déception massive aux yeux de la petite sœur, mais elle aurait été hors de danger ! C’était bien plus important que lui offrir ce plaisir !

Le simulacre ne se sentait cependant pas du tout coupable pour ça.

— Ce qui est fait est fait, lui dit-il par télépathie. J’ai déjà donné ma parole que je l’emmènerais avec moi. Si tu as un problème avec ça, tu peux venir ici et l’informer personnellement que tu as changé d’avis…

— Enfoiré ! explosa Zorian. Je devrais t’annihiler pour ça !

— Ce qui laisserait Kirielle et le reste de la famille sans défense, à moins d’envoyer un remplacement, fit remarquer le simulacre. D’ailleurs, penses-tu vraiment que j’en ai quelque chose à faire ? Depuis le moment où je me suis rendu compte que je n’étais plus l’original, mon temps est compté.

Malheureusement vrai. Comme ses simulacres acceptaient de mourir, de se sacrifier pour lui, l’idée même de cesser d’exister ne les dérangeait pas vraiment. Aussi, les menacer de les annuler était largement inutile.

— Je ne comprends pas pourquoi tu as fait ça, se plaignit Zorian. Nous aurions juste pu l’emmener à Cyoria dans un ou deux mois, une fois la situation calmée, lorsqu’elle serait revenue de Koth. Il n’y a pas besoin de la prendre avec nous maintenant, quand les choses sont les plus dangereuses !

— Quand, sinon tout de suite ? désapprouva le simulacre. Même si nous pouvons tout résoudre et sauver la ville, les conséquences seront immenses. Même une invasion échouée feront voir la ville comme un lieu de danger extrême à tes parents. Tu penses qu’ils la laisseront vivre là, après ça ? Même pour juste quelques jours ? Allez, tu es plus intelligent que ça. C’est probablement la dernière fois qu’on peut raisonnablement lui faire visiter Cyoria sans la kidnapper, et tu le sais.

Zorian fronça les sourcils. Il n’y avait pas vraiment pensé, en réalité. C’était vrai, pourtant, peu importait la façon dont les choses allaient évoluer et se conclure, tout allait être compliqué. En plus, maintenant qu’il y réfléchissait un peu, Kirielle allait devoir retourner à l’école à un moment donné, et dans peu de temps. Ce n’était pas comme si elle pouvait visiter une ville pendant plusieurs semaines quand bon lui semblait. À bien y songer, c’était probablement la raison pour laquelle elle était si excitée de faire ce voyage. Elle savait qu’il s’agissait là d’une de ses dernières chances de le faire dans un futur proche…

Il soupira. Pour toutes ses qualités, il était parfois inquiet que la boucle temporelle eût endommagé sa logique. Pendant plus de dix ans, tout ce qui ne se résolvait pas en l’espace d’un mois était largement oubliable.  Il avait considéré le futur un bon paquet de fois, mais de façon très théorique et souvent dirigée vers un futur lointain, sans vraies implications comme celles de Kirielle.

Pourtant, même avec tout ça à l’esprit, l’emmener à l’épicentre du clash entre lui, Robe Rouge et Lac d’Argent était une idée… des plus insensées.

— D’ailleurs, continua la copie, en emmenant Kirielle, nous avons une excuse légitime pour louer une chambre chez Imaya. Kael nous fait bien plus confiance si nous sommes accompagnés de Kirielle. Et ce n’est pas comme si nous n’avons pas un plan d’évacuation —

— Ce ne sont que des excuses auxquelles tu as réfléchi après avoir pris ta décision, lui lança Zorian.

— Eh bien… oui, répondit le simulacre. Oui, je l’admets. C’est pourtant vrai, et je ne reviendrai pas sur ma parole. Notre parole. Nous lui avons promis de ne pas l’oublier une fois de retour dans le monde réel. Maintenant, tu veux juste la coller sur un bateau direction Koth et l’oublier pendant que tu t’occupes de tes affaires ?

— Ces affaires, c’est un problème de vie ou de mort, et la mettre hors de danger ne signifie pas que je vais l’oublier après ! claqua Zorian, qui commençait à en avoir assez. Je veux juste qu’elle soit en sécurité. Elle est une cible de choix et je suis un peu occupé, là. Ce n’est pas du tout le moment !

— Oublie ça, soupira la copie. Je… Je ne le ferai pas, ok ? Je l’ai déjà dit. Ce qui est fait est fait. Je ne vais pas tourner les talons et lui dire que finalement, c’était une erreur et que j’ai changé d’avis. Ça la tuerait. Si tu penses que c’est une si grosse erreur, alors tu vas venir ici et lui dire ça en face. Va lui dire que son voyage de rêve est annulé, sans raison valable. Je te défie de le faire.

Le simulacre coupa la connexion, lui signalant qu’il la considérant terminée.

Après avoir pris plusieurs profondes inspirations et s’être quelque peu calmé, Zorian décida que le simulacre avait raison à propos d’une chose : il devait clairement gérer ce problème personnellement. Comme il l’avait noté dans sa lamentation précédente, il avait été stupide de sa part d’avoir assigné une tâche pareille à une de ses copies, pour commencer, et il ne pouvait vraiment corriger cette erreur qu’en personne. Ou en tout cas, l’empêcher d’empirer.

D’ailleurs, il n’avait pas besoin de rester à Cyoria pour l’instant. Précédemment, il s’était inquiété de la possibilité que l’un de ses simulacres se fît désenchanter pendant un combat crucial, et ressentir sans arrêt le besoin de les remplacer… mais c’était bien moins critique, désormais. Les premiers simulacres avaient été liés à des golems. Il avait remplacé les premiers simulacres par ces golems bien moins coûteux en mana, et plus résistants. Les golems étaient bien plus difficiles à neutraliser – même leur transpercer le torse ou leur arracher un membre ne serait pas suffisant pour les arrêter définitivement. Cette résistance extrême, en elle-même, devaient permettre à ses copies d’affronter les envahisseurs et simulacres de Robe Rouge sans peur.

De plus, il ne pouvait pas vraiment se permettre de commencer quoi que ce fût d’énorme avec Zach dans cet état, incapacité et vulnérable. Prendre un peu de temps pour comprendre que faire avec sa famille et ses amis était… faisable.

Aussi, peu après sa dispute avec sa copie de Cirin, Zorian s’y retrouva. À Cirin. Il lui ordonna simplement de se faire tout petit pendant un temps et prit sa place sans faille.

Bon. Presque sans faille.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ? lui demanda Kirielle avec un œil suspicieux en plissant les paupières. Tu n’imagines pas revenir sur ta promesse, n’est-ce pas ?

Elle n’avait pas l’air paniquée, mais un peu outragée par cette idée. Elle plaça ses mains sur ses hanches et se mit à bouder dans sa direction, d’un air qui était probablement censé montrer de la colère mais qui lui donnait plus l’air d’une gamine avec un sacré mal de ventre.

— Pas. De. Retour. Possible, déclara-t-elle en pointant son doigt dans sa direction. Maman a dit que c’était interdit ! Tu as dit que tu m’emmenais, alors je pars !

Zorian fit claquer sa langue, contrarié. Tout ce qu’il avait fait, c’était la regarder un peu trop fixement, et elle avait immédiatement bondi sur cette conclusion sans en attendre confirmation… Quelle fille emplie de jugement. Sans parler du fait qu’elle avait totalement raison sur ce coup-là, le Zorian original était-il si con que ça, pour que cette conclusion soit la première qui lui semblât évidente ?

…ok, ouais, il pouvait la comprendre, là. Pas la peine de se mentir.

— Je n’ai rien dit à propos d’aucune possibilité de ne pas t’emmener, lui dit-il lentement.

— Alors quoi ? s’étonna-t-elle.

— Il me manque certains de mes livres, pour l’Académie, lui dit-il. J’apprécierais si qui que ce soit qui me les a empruntés me les rende avant que nous quittions la maison.

— Euh, ouais, je vais – je veux dire, je suis sûre qu’ils seront dans ta chambre quand j’aurais fini de faire mes affaires, bégaya Kirielle, ponctuant sa certitude d’un rire nerveux.

Elle lui envoya un dernier regard plein de sens, avant de monter les escalier quatre à quatre pour finir de préparer sa valise.

Le simulacre qu’il avait déplacé avait observé l’échange grâce à leur sens spirituel. Sa copie ne commenta pas ses actions, mais Zorian pouvait sentir dans ses tripes l’amusement silencieux de cet enfoiré.

— La ferme, idiot, marmonna Zorian. C’est complètement ta faute, de toute façon.

Il n’avait pas besoin de le dire à voix haute, naturellement, mais ça lui procurait un sentiment de satisfaction. Pourquoi n’avait-il pas renvoyé sa copie stupide, encore ?

Oh, oui. Il ne voulait pas perdre de mana et avait encore une tâche pour lui, plus tard.

Dans tous les cas, rien de vraiment notable n’arriva jusqu’à l’arrivée d’Ilsa, comme elle le faisait toujours au début du mois, et Zorian se porta volontaire pour aller l’accueillir.

Bien sûr, il la trouva à la porte. Après un regard scrutateur, elle ajusta ses lunettes et devina son identité.

— Zorian Kazinski ? demanda-t-elle.

— C’est moi, confirma-t-il. Entrez, miss Zileti.

— Oh, vous me connaissez ? s’étonna-t-elle franchement en posant le pied dans la maison.

— Euh… Plus ou moins, répondit Zorian. Quelqu’un m’a parlé de vous. Vous êtes professeur à l’Académie, n’est-ce pas ?

— C’est correct, lui dit-elle. Je ne savais pas que j’étais si célèbre. Il faut espérer que vous ayez entendu de bonne choses à mon sujet.

Et elle termina sa phrase par un petit rire amusé, auquel Zorian répondit par un sourire.

Elle ne se souvenait de rien. Bien sûr, évidemment qu’elle ne se souvenait pas. Zach et lui avaient déjà vérifié ce qu’il en était des divers marqués, pour voir si l’un d’eux avait par chance pu réussir à fuir derrière Zorian. Les résultats étaient prévisibles, et décevants. Ils étaient à nouveau seuls dans leur combat. Personne n’avait réussi à s’en sortir.

Il était étrange et plus qu’un peu douloureux pour Zorian de voir Ilsa ainsi. Il avait travaillé avec elle pendant presque un an, et elle avait été l’une des personnes de qui il avait été relativement proche. Maintenant que cette Ilsa était morte, l’originale n’avait aucune idée de qui il était.

La même chose était vrai pour Alanic, Taiven, Xvim, et tant d’autres. Ils vivaient, mais n’étaient pas ceux avec qui il avait passé tous ces mois. Il pourrait reconstruire ces relations, mais sans ce but commun qui voulait les voir courir après une échappatoire à la boucle temporelle et la capacité limitée d’interagir avec les gens en-dehors du groupe, la nature de ces relations diffèrerait totalement. Pendant ce temps, il allait devoir les côtoyer en marchant sur des œufs en permanence, parce qu’il les voyait inconsciemment comme des amis et alliés, et devrait lutter contre un an d’instinct et habitudes… tandis qu’ils ne le voyaient que comme un adolescent stupide agissant bizarrement autour d’eux.

Il allait gérer. Il allait totalement gérer.

Mais merde, ce que c’était déprimant…

— Monsieur Kazinski ? Allez-vous bien ? demanda-t-elle, le sortant de sa rêverie.

— Tout va bien, merci, la rassura-t-il. C’est juste… que je pensais à certaines choses. Rien d’important.

Il tourna le parchemin qu’elle lui avait donné. Il dirigea nonchalamment son mana vers le sceau qui le maintenait fermé, le faisant sauter dans un bruit doux et sans résistance. Puis, il jeta un œil au certificat qu’il contenait, pour donner le change, et le poussa sur le côté.

— C’est plutôt impressionnant, nota Ilsa. Bien que vous ayez eu ce parchemin entre les mains pendant un bout de temps, je peux voir que vous étiez distrait par autre chose pendant la majeure partie. Une fois concentré sur l’objet, vous avez retiré le sceau presque sans y penser. Facilement et rapidement. Instinctivement ? C’est impressionnant. Je vois là quelqu’un qui marche sur les traces de Daimen.

Un jour, dans le passé, cette comparaison l’aurait mis hors de lui. Désormais, ça l’irritait un peu par habitude, mais rien de plus. Il ne serait probablement jamais totalement à l’aise lorsque ça arrivait, mais il ne réagissait plus du tout de la même façon que dix ans auparavant.

— Uniquement de façon très générale, lui répondit-il. Mon frère et moi-même sommes deux personnes et mages totalement différents.

— Bien entendu, confirma doucement Ilsa. Chaque personne est unique. Je voulais simplement dire que vous étiez au moins aussi talentueux que lui… sinon plus.

Leur discussion se déroula d’une manière très prévisible. Une fois qu’elle apprit qu’il emmenait Kirielle, elle lui proposa de louer une chambre chez Imaya, et Zorian accepta. Elle lui informa également de l’impossibilité de choisir son mentor comme il était supposé le faire, et qu’on lui avait simplement assigné Xvim Chao. Zorian prétendit ne rien connaître de l’homme qui avait fini par devenir l’un de ses meilleurs amis, et Ilsa prétendit qu’il était un professeur tout à fait normal, juste un peu plus demandant que la moyenne. Il dut choisir ses options également, qui s’avérèrent être les mêmes qu’il avait sélectionnées la toute première fois qu’il était passé par cette journée. Sauf que cette fois, cela ne lui prit que moins d’une minute, puisqu’il annonça tout simplement ses choix à Ilsa dès qu’elle aborda le sujet.

C’était routinier, familier. Il tombait dans un rôle qu’il avait l’habitude de jouer au début de chaque mois. C’était réconfortant et effrayant à la fois. Réconfortant, parce que c’était peut-être la première fois depuis qu’il avait quitté la boucle temporelle qu’il sentait soudainement qu’il faisait les bons choix. Effrayant parce qu’il y avait cette sensation rôdant au fond de lui, et il ne pouvait s’empêcher d’être certain qu’elle ne disparaîtrait qu’une fois le mois passé, et qu’il passerait au mois suivant. Au vrai mois suivant. Et puis, quelque part, si cette sensation profonde n’était que paranoïa et qu’il était bien hors de la boucle temporelle comme tout la logique du monde le lui indiquait, alors chaque choix qu’il faisait désormais était le dernier. Définitif. Il n’aurait plus le droit à l’erreur. Le droit de recommencer et de faire mieux. Quelque chose qu’il avait oublié pendant des années, et qui resurgissait péniblement en lui.

Il s’imagina vivre ce mois, vaincre ses ennemis, se lier d’amitié avec les gens qu’il avait connus, changer les choses pour le mieux et s’investir émotionnellement dans tout ça… pour se rendre compte à la dernière seconde que tout partait en fumée parce qu’il se trouvait toujours dans la boucle temporelle. Et c’était…

…Horrifiant.

C’était aussi stupide. Il était clairement hors du système, maintenant. Les Aranea et les mercenaires qui en avaient été bannis étaient de retour, et Robe Rouge lui-même était à nouveau actif. Le monde spirituel qu’ils avaient connu bloqué pendant des années était lui aussi accessible. Zach et lui l’avait déjà vérifié. Tout montrait qu’ils étaient de retour dans le monde réel.

Mais la peur restait tapie là, malgré tout. Ilsa termina ses explications et quitta la maison, mais l’esprit de Zorian resta bloqué dans ce scénario malsain pendant encore un moment.

Zorian se lamenta. Parfois, il pouvait se montrer si stupide.

 

___

 

 

Le long voyage en train de Cirin vers Cyoria fut encore plus ennuyant qu’il l’était habituellement. Principalement parce que Zorian ne faisait rien de particulièrement prenant ou d’une importance critique, puisqu’il devait se retenir de puiser dans ses réserves de mana au maximum. Ce mana était réservé à ses simulacres, qui étaient quelque part dehors, à acquérir des fonds, à fabriquer des objets magiques, à se téléporter et à combattre leurs ennemis. Un usage puéril de la magie comme il le faisait habituellement avec Kirielle dans le train était simplement inexcusable, cette fois. Il avait enguirlandé le simulacre qui l’avait fait, et maintenant qu’il était dans leur position, il était important pour lui de montrer comment il fallait faire les choses.

De plus, ce n’était plus la boucle temporelle, et il devrait gérer les conséquences qui allaient prendre place bien après la fin du mois. Il était plus sage de prétendre être un étudiant normal, surtout devant cette pipelette de Kirielle. Pas de sort pour l’instant, puisque les étudiants ne pouvaient pas outrepasser les barrières du train.

Après une bonne heure, il commença à comprendre pourquoi les simulacres étaient si enclins à briser la règle Pas de magie inutile.

Pourtant, il trouva des moyens de s’amuser, et d’amuser Kirielle, sans magie. Il lui raconta des histoires, histoires qu’il avait vécues dans la boucle temporelle, racontant ce qu’il s’était vraiment passé mais en y collant des noms fictifs et quelques modifications çà et là. Kirielle se plaignit que ces histoires étaient trop fantastiques et ridicules, et ils changèrent d’occupation pour se mettre à dessiner.  Zorian avait appris à dessiner correctement au fil des années, mais n’était toujours pas près du niveau de sa sœur dans le domaine, et elle gagna chaque duel de dessin qu’ils commencèrent.

Sa sœur s’en fichait, cela dit. Bien qu’il s’agît d’une compétition injuste, elle voulait toujours se battre un round de plus. La petite diablotine n’en avait jamais assez de gagner.

— Nous arrivons à Korsa, clama une voix électronique sans émotion, qui répéta son annonce après un craquement et un grincement métallique de plus. Nous arrivons à Korsa.

Plusieurs choses se produisirent en rapide succession à ce moment. D’abord, Ibery arriva et jeta un œil dans le compartiment pour voir s’il était libre. Zorian, quelque peu blasé du comportement de sa sœur, l’invita à entrer. Ibery sembla un peu prise au dépourvu par cette gentillesse, mais voir Kirielle la mit à l’aise, et elle fit sien un siège à leurs côtés, après un moment d’hésitation. Puis Byrn, un type qu’ils avaient rencontrés il y avait fort longtemps, arriva et demanda également si un siège était libre. Zorian l’invita également sans arrière-pensée.

Soudain, le compartiment devint bien plus vivant qu’il l’avait jamais été. Ibery se montrait timide et discrète, et avait immédiatement choisi d’enfoncer son nez dans un livre en arrivant, mais Byrn était si bavard et amical qu’il tenta aussitôt de lancer une conversation avec eux tous. Kirielle se mit bien évidemment à piailler la première à propos de tout et de rien, et surtout à propos de la magie et de l’Académie.

— Je m’appelle Kirielle Kazinski, se présenta-t-elle à un moment. Et voilà mon frère Zorian. Peux-tu lancer des sorts ? En quelle année es-tu ? Est-ce vrai qu’il faut combattre une araignée géante pour être admis en tant qu’étudiant ? Zorian dit que c’est nécessaire, mais je suis sûre qu’il ment…

— Ha, ha… Hm… Je ne pense pas que j’aurais été admis si c’était le cas, se mit à rire Bryn. Je ne crois pas pouvoir gagner un combat contre n’importe lequel des étudiants, ne parlons même pas d’une araignée géante.

— Il existe de nombreux types d’araignées géantes, nota Zorian. Il y en a beaucoup que tu pourrais simplement fracasser avec une arme classique, tant que tu gardes ton sang-froid, sans paniquer…

— Oh ? Tu sembles avoir des connaissances sur le sujet. Tu en as déjà combattu une pour de vrai ? demanda Bryn, curieux.

— Oui, bien que ce ne fut pas pour un test d’admission, avoua Zorian. J’ai dit ça à Kirielle juste pour me moquer un peu d’elle.

— Je le savais, bouda-t-elle aussitôt, bras croisés, enfoncée dans son siège.

— Ah, d’ailleurs, je n’aime pas changer de sujet si radicalement, mais ton nom… tenta Bryn.

— Oui, Daimen Kazinski est notre frère, fit Zorian en haussant les épaules. Nous avons très peu de contacts l’un avec l’autre, cela dit. Il vit sa vie, et moi la mienne.

Et puis je suis bien meilleur que lui.

Oh, c’était vrai… Il ne pouvait pas le dire à voix haute.

La conversation continua pendant un long moment, allant d’un sujet à l’autre. Même Ibery s’y joignit après avoir compris qu’il était le frère de Fortov. Elle ne parla pas de lui, bien sûr, et c’était sans doute pour le mieux. Zorian se serait montré diplomatique, mais Kirielle le détestait tant qu’elle n’aurait sans doute rien dit de bien gentil à son sujet. Dans tous les cas, leur discussion finit par arriver sur un évènement particulièrement choquant arrivé récemment à Cyoria. Nommément, le manoir Noveda avait été grandement malmené pendant son combat contre Robe Rouge, et Zach, l’héritier, avait disparu de la circulation depuis plusieurs heures, les gens le cherchant à travers la ville, frénétiquement.

— Quoi ? Quelqu’un a réellement attaqué la maison Noveda comme ça ? Je ne savais pas, s’exclama Ibery.

— Oui, c’est arrivé la nuit dernière. L’attaque s’est produite il y a à peine quelques heures, vous rendez-vous compte ? leur expliqua Byrn en acquiesçant pour lui-même, clairement satisfait d’avoir reçu cette nouvelle alors qu’elle avait été encore très fraiche. J’ai entendu que le combat était vraiment intense. Certains des piliers de soutien ont été endommagés, et plusieurs murs éventrés. Les réparations prendraient apparemment des semaines ! La force qui a attaqué le manoir devait être très puissante. Les journaux disent que seul un régiment de mages lourdement équipés pourrait avoir fait autant de dégâts.

— Mais cet endroit est juste là, dans l’une des meilleures parties de la ville… et les Noveda ne sont-ils pas une ancienne Maison possédant une grande influence ? demanda Ibery. Comment une puissance de cette taille pourrait aller et venir comme il lui plait ? Que faisaient les gardes pendant ce temps ? Ça n’a pas de sens.

— Eh bien, quelqu’un a clairement affronté les attaquants, et les a combattus jusqu’à leur fuite. Les gardes n’étaient sans doute pas inutiles, tenta Bryn. D’ailleurs, j’ai entendu que les Noveda ne sont plus ce qu’ils étaient Mon père dit qu’ils ne sont plus qu’une ombre de ce qu’ils étaient jadis. C’est malgré tout complètement fou qu’un truc pareil puisse arriver.

— Tu sais, Zach Noveda est l’un de mes camarades de classe, dit soudain Zorian.

— Vraiment ? s’étonna Bryn. Je suppose que tu n’en as pas entendu plus que ce que nous en savons, cela dit ?

— Je sais juste que Zach va bien, continua Zorian en secouant la tête. Il n’était pas présent lors de l’attaque. Il était de sortie, à boire et à danser depuis le début de la nuit.

En tout cas, c’était l’excuse que Zach avait lui-même trouvée. Ils avaient modifié les souvenirs du soigneur qui s’était occupé de sa blessure, après lui avoir laissé un pourboire plus que correct pour ses services, afin que personne ne pût contredire son histoire. Zorian avait suggéré à Zach de trouver une autre excuse, parce que raconter qu’il s’était bourré la gueule toute la nuit était quelque peu embarrassant, mais Zach avait insisté, tout allait bien.

Bien entendu, Ibery répondit par une petite grimace dédaigneuse, tandis que Byrn se mit à rire.

— J’ai entendu des rumeurs au sujet de l’héritier Noveda, raconta Ibery. Il ne serait pas un étudiant modèle, si tu vois ce que je veux dire.

— Il n’y a rien de défectueux dans sa maîtrise magique, renchérit rapidement Zorian, se sentant obligé de défendre son ami. Il est juste un peu… insouciant.

— Vous êtes amis ? lui demanda soudain Kirielle. Pourquoi n’en ai-je jamais entendu parler ?

— Pour quelle raison devrais-je raconter quelque chose comme ça à une pipelette comme toi ? lui renvoya-t-il rhétorique ment. Tu irais tout balancer à notre mère aussitôt que j’aurais le dos tourné.

— Je ne ferais pas ça ! s’offusqua-t-elle en balançant la jambe pour tenter de lui frapper le genou, avant d’abandonner en voyant que Zorian ne se laisserait pas atteindre.

Lorsque le train arriva à Cyoria, le groupe était si absorbé par leur conversation qu’ils restèrent ensemble et continuèrent à discuter alors qu’il allait être temps de débarquer. Lorsque le train entra en gare, ils quittèrent le compartiment et se placèrent près de la porte de sortie… comme beaucoup d’autres. Habituellement, Zorian conduisait Kirielle vers la porte suffisamment tôt pour avoir une place directement à côté de celle-ci, mais ils avaient perdu la notion du temps cette fois, et finirent au milieu d’une file longue comme une jambe de dieu. Les gens poussaient et bousculaient, et Zorian s’appuya contre la fenêtre proche pour les observer.

Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas été coincé dans une foule pareille. Grâce à ses compétences magiques et sa capacité à simplement se téléporter d’un endroit à l’autre, il n’avait en général pas besoin de se servir des moyens de transport classiques. Une masse confuse et erratique d’émotions et de signaux mentaux balayèrent ses sens spirituels, mais il était bien trop doué dans l’art de contrôler ses pouvoirs psychiques pour en être encore dérangé le moins du monde. Son esprit était tel un roc au milieu de l’océan, frappé par vents et marées, par ouragans et tourbillons, solide et immuable.

— Hé, toi ! Tu es l’un de nos aînés, non ?

Zorian se tourna pour voir la fille qui venait de lui adresser la parole, curieux de la raison pour laquelle elle l’avait hélé. Elle faisait partie du groupe de première année près de lui, et l’avait complètement ignoré jusqu’alors. Son groupe à elle était amusé, parlait avec excitation à propos de la façon dont ils allaient commencer à apprendre la magie, devenir des mages célèbres, et d’autres choses du même acabit. Il souhaitait un peu pouvoir voir leurs faces lorsqu’ils réaliseraient que la première année n’était que répétition et routine d’exercice théoriques.

— Je le suis, dit-il. Et ?

— Peux-tu nous montrer un peu de magie ? demanda-t-elle avec enthousiasme.

Attends… Ça avait l’air familier…

— Il ne peut pas ! s’exclama Kirielle, qui avait apparemment écouté leur conversation. Le train possède une barrière anti-magie qui empêche les gens de lancer des sorts.

— C’est parce que certains élèves mettraient le feu au siège ou graveraient leurs noms dans les murs du train, confirma Zorian.

— Oh, soupira la fille, clairement déçue.

— Je sais, maugréa Kirielle. C’est nul. Quelques imbéciles doivent toujours ruiner le plaisir de tout le monde.

Ouais, cette situation était vraiment très familière.

Oh, bah. Ce n’était probablement pas très important.

 

___

 

Zorian commença à s’inquiéter un peu après le débarquement du groupe à la gare de Cyoria. Bryn avait pour habitude de les suivre, et Zorian avait des plans qui s’en trouveraient vraiment perturbés. Il était en train de débattre mentalement quant à la justification de l’usage de la magie mentale pour orienter les pensées de Bryn dans la bonne direction, mais celui-ci les informa avec regret qu’il devait rester à la gare. Apparemment, ses parents étaient suffisamment touchés par la situation récente à Cyoria, et avaient demandé à une connaissance vivant à Cyoria de bien vouloir l’escorter jusqu’à son dortoir. Aussi, Bryn devait rester sur place et attendre cette personne.

Zorian trouva curieux que l’attaque de Robe Rouge sur la maison de Zach pût avoir des conséquences si lointaines. Bryn n’était même pas de Cyoria, et cette agression avait changé la façon dont il arrivait en ville, dont il démarrait le mois. Rapidement et irrémédiablement. Zach et Zorian savaient que Tesen et les autorités de la ville allaient forcément réagir de façon exagérée, mais il ne s’était pas attendu à de tels changements dans la vie de personnes plus… étrangères à la situation.

Dans tous les cas, Zorian fit simplement ses adieux à Bryn et Ibery et se mit en route avec une Kirielle des plus joyeuses. Il échangea une méthode de contact avec ses deux nouvelles connaissances au cas où l’un d’eux désirerait le revoir par la suite, mais n’était pas certain qui quoi que ce fût allait suivre. Aucun d’eux n’avait jamais été particulièrement incliné à les fréquenter au sein de la boucle temporelle. Mais le monde durant plus d’un mois désormais… Peut-être que les choses changeraient. Seul le temps le dirait.

Zorian n’accompagna pas immédiatement Kirielle chez Imaya. Au lieu de ça, il la mena jusqu’à un pont familier, dans l’un des parcs de la ville. Là, une petite fille aux cheveux noirs pleurait toutes ses larmes parce que son vélo était tombé dans le ruisseau, en-dessous.

Kirielle observa silencieusement Zorian calmer Nochka, et la pousser à lui expliquer la raison de son malheur. Ceci fait, il plaça ses mains par-dessus la rambarde du pont et souleva le vélo à distance. Il le nettoya également un tout petit peu au passage, ignorant les complaintes lointaines de ses simulacres qui lui rappelaient à quel point il était essentiel de se garder de faire des choses frivoles de son mana. Ces enfoirés étaient vraiment sur le qui-vive pour l’attraper à la moindre infraction.

— Ce n’est pas inutile, leur dit-il par télépathie. Vous vous attendiez à quoi, exactement ?

— Tu aurais pu descendre dans cette eau boueuse à pied, lui expliqua l’un d’eux, comme s’il se rendait utile en lui apprenant quelque chose de nouveau.

— C’est juste un peu humide, il n’y a pas de mal à ça, ajouta un autre.

— Ça ne prendrait qu’un peu plus de temps. Grands dieux, pourquoi es-tu aussi impatient ? renchérit un troisième.

— Vous la fermez, tous, oui ? Mêlez-vous de vos affaires ! leur grogna Zorian.

Il avait vraiment les pires simulacres.

— Là, dit-il gentiment à Nochka. Ton vélo est propre, intact, et hors de la boue. Tu peux arrêter de pleurer, ok ?

— Ok, renifla-t-elle en se frottant les yeux. Hmm… Merci.

— Bien, si c’est tout, je suppose que nous devrions y aller, maintenant. Bien que… Je crois qu’il va pleuvoir bientôt. As-tu un parapluie ?

— N… Non, bégaya-t-elle. Mais… Ça ira…

— Nous devrions l’accompagner chez elle, proposa soudain Kirielle, qui s’approcha rapidement de Nochka pour se présenter. Salut, je suis Kirielle. Kirielle Kazinski, et le grand dadais, là, c’est mon frère Zorian. Quel est ton nom ?

Grand da… Quoi ? C’était nouveau, ça. Zorian se demanda quel papillon il avait fait voleter cette fois-ci pour pousser l’ouragan Kirielle à le présenter ainsi. Mais peu importait. Après quelques négociations, Nochka accepta de les laisser l’accompagner. La route fut courte, mais Zorian prêta une attention particulière à tout ce qui les entourait. Il ne trouva aucun signe de rats-crânes ou d’autres agents ennemis le long du chemin. Même l’essaim de rats qu’il rencontrait habituellement en traversant cette partie de la ville n’y était pas, cette fois – il avait choisi cette route délibérément, pas parce qu’il tentait de les esquiver. Mais les Aranea menaient une guerre intense contre les rars, et leur absence n’était sans doute pas très surprenante. Ils étaient trop occupés à espionner trop de gens, et ne pouvaient plus se déplacer comme ils le souhaitaient aux quatre coins de la ville.

Pourtant, alors que Rea et sa famille semblaient hors de danger pour l’instant, il savait que ça ne durerait pas. Si Robe Rouge ne trouvait pas de méthode alternative pour libérer Panaxeth, sacrifier des enfants métamorphes restait une option viable, un composant critique, même. Aussi, les faire évacuer la ville de gré ou de force était sans doute l’une des options les plus pertinentes s’il voulait saboter le rituel. Les métamorphes n’étaient pas légion et il n’y en avait qu’un nombre limité dans les environs.

Bien que, s’il devait rester honnête avec lui-même, vouloir se lier d’amitié avec Rea et sa famille n’était pas uniquement une question de pragmatisme. Rea n’avait pas une influence spécialement élevée sur ses camarades métamorphes, et elle s’avèrerait d’une aide limitée s’il voulait bénéficier de son aide pour l’évacuation. Il avait simplement une affection particulière pour la fillette qui s’était liée d’amitié avec sa sœur et la vision horrible de son corps nu et mutilé, enchaîné à une cage, était toujours vivement gravé dans sa mémoire. Il s’était promis qu’il s’assurerait que Nochka survive, dans le monde réel, et il y tenait toujours autant. Il comptait les sauver tous, bien sûr, ces gamins métamorphes, mais s’assurer que Nochka fût en sécurité avait une importance toute particulière.

Comme il avait déjà abandonné tout bon sens et prit Kirielle avec lui dans ce piège mortel qu’était Cyoria, il pouvait tout aussi bien la présenter à son ancienne et future meilleure amie. Au moins, si elles commençaient à se fréquenter, il pourrait plus facilement les protéger toutes les deux sans avoir à se couper en deux.

La conversation avec Rea fut des plus banales. La mère de Nochka était amicale, et Zorian ne la força pas à parler d’aucun sujet lourd ou critique. Ils discutèrent simplement de leur vie, de la façon dont ils avaient rencontré Nochka, et où ils logeaient. Kirielle faillit tout balancer sur Nochka qui avait perdu son vélo dans le ruisseau boueux, ce qui fit paniquer la coupable, qui la força à se taire… en sortant les griffes, qui finirent plantées dans le bras de Kirielle. Rea s’affola à cause du geste de sa fille qui faillit briser leur secret et blesser un invité par-dessus tout ça, mais la situation fut rapidement résolue, et Zorian prétendit ne rien avoir remarqué d’étrange.

Il fut intéressant de relever que Rea parla de l’attaque sur la maison de Zach, tout comme l’avait fait Bryn. Elle n’avait pas de grosse information à donner à Zorian, mais ça appuyait l’importance qu’avait eu l’évènement dans les journaux. Zorian se demanda si Robe Rouge avait seulement réalisé à quel point son geste avait attiré tous les regards.

— Vous êtes un camarade de classe de l’héritier Noveda ? s’étonna Rea. He bien, on dirait qu’on reçoit une personne importante, aujourd’hui.

— Pas… vraiment ? tenta Zorian.

— Allons, monsieur Kazinski. Votre frère est une célébrité, l’académie magique que vous fréquentez est une célébrité, l’un de vos camarades de classe est une célébrité, scion d’une Maison Noble, fit remarquer Rea. Qu’est-ce que cela fait de vous, si ce n’est quelqu’un d’important ?

— Deux, en réalité, corrigea Zorian – il y avait également Tinami. Je ne pense pas, en revanche, que cela fait de moi quelqu’un de spécialement notable.

Rea soupira, chantonna presque, dans sa direction, lui faisant clairement comprendre qu’il ne voyait pas les choses comme elle.

— Comme vous voudrez, fit-elle en haussant les épaules, avant de se lever pour jeter un œil au temps par la fenêtre.

Les choses n’étaient pas terribles, bien sûr. La pluie tombait à grosses gouttes et le vent soufflait furieusement dans toutes les directions. Zorian savait que cette tempête ne s’arrêterait pas de sitôt.

C’était la raison principale pour laquelle Zorian fut moins impatient de quitter les lieux, cette fois. Il ne pouvait pas simplement se téléporter chez Imaya ou créer un bouclier anti-pluie autour de Kirielle et lui. Non, il allait devoir utiliser un parapluie comme une personne normale, et ils allaient terminer mouillés et misérables une fois à destination. Il n’avait pas hâte de vivre ça.

— Quel temps horrible, soupira Rea. Je pense que vous devriez rester là pour la nuit.

— Nous ne pouvons nous imposer de la sorte, se dépêcha de répondre Zorian, en secouant la tête. Nous allons bien sûr affronter le temps. Une petite tempête comme celle-là ne va pas nous tuer.

— Vous n’êtes pas sérieux, le réprimanda-t-elle, l’œil agacé. Je sais que les adolescents peuvent se montrer téméraires, et je n’aurais rien dit si vous étiez le seul à souffrir de votre stupidité… mais on parle également de Kirielle. Songez-vous sincèrement à la faire sortir sous ces trombes, avec rien qu’un parapluie ?

Zorian l’observa pendant quelques secondes avant de tourner les yeux vers Kirielle, assise par terre avec Nochka. Toutes deux chuchotaient des choses secrètes de gamines, et prétendaient ne pas écouter ce que disaient les adultes.

— Kirielle, lui dit lentement Zorian. Que dirais-tu d’y aller ?

— Hmmm… hésita-t-elle, se frottant les mains, gênée. Il pleut sacrément fort.

Zorian soupira, retira ses lunettes et entreprit de masser l’arête de son nez. Après quelques secondes, il fixa Rea d’un air embarrassé. Sur le point de parler, il fut arrêté par une main posée sur son épaule. Rea acquiesça en silence.

— Je vais chercher des couvertures, dit-elle ensuite en se retournant.

Du coin de l’œil, Zorian put voir Nochka et Kirielle se murmurer des choses, toutes excitées. Au moins, il y avait bien deux personnes ravies de cette conclusion.

Zorian décida de juste faire avec la situation. C’était gênant, mais il n’allait pas vraiment en souffrir.

Il regarda par la fenêtre, observant silencieusement la tempête. Au bout d’un moment, Rea revint et posa une tasse de thé fumante sur le banc de fenêtre où il était accoudé.

— Une tasse de thé est nécessaire, si l’on veut observer la pluie avec professionnalisme, lui dit-elle.

— Ah. Merci, lui renvoya-t-il avec un léger sourire. Désolé de m’imposer. Je savais qu’il allait pleuvoir, mais —

— Ai-je l’air égoïste et revancharde ? le coupa Rea, un sourcil levé. L’hospitalité a toujours été importante pour mon peuple.

— Votre peuple ? s’étonna Zorian, feignant l’ignorance.

— Votre jeu d’acteur est vraiment bon, mais je sais que vous avez vu les griffes de Nochka. Vous savez sans doute ce que nous sommes, dit-elle en sirotant lentement son propre thé, derrière lui.

— Ah, ça. Ouais, avoua aussitôt Zorian en haussant les épaules. Ça ne me dérange pas du tout.

— Bien, répondit simplement Rea, avant de parler d’autre chose. Je ne sais pas si c’est réellement le problème, ou s’il y a autre chose de plus profond, mais il est inutile d’en vouloir à une tempête. C’est une force de la nature ; on ne peut rien y faire et personne n’est responsable. Il faut juste trouver un abri, et patienter, le temps que ça passe.

— Ce sont de sages paroles, admit Zorian après quelques secondes, acceptant la tasse de thé qu’elle lui avait concoctée.

Il en avait la possibilité cette fois, mais malheureusement, on ne pouvait pas s’abriter de tous les genres de tempêtes…

 

__

 

Pendant que Zorian escortait Kirielle, ses simulacres furent très occupés. Accompagnés de ceux de Zach, ils attaquèrent sans relâche les dirigeants du culte et les avant-postes des envahisseurs, pillaient leurs caches à la recherche de fonds et tentèrent de décapiter leur organisation. Malheureusement, ça n’avait pas été aussi efficace qu’ils l’avaient espéré. Robe Rouge s’étaient apparemment dit qu’ils allaient prévenir la plupart de leurs cibles potentielles avant leur arrivée. Les structures des barrières de protection avaient été changées, les gardes étaient sur le qui-vive, et quelques personnes avaient carrément été évacuées par mesure de sécurité. Ils parvinrent à acquérir une grosse quantité d’argent et de ressources, la plupart des caches protégées uniquement par le fait que personne ne les connaissait et qu’il n’était pas facile de vider tout ça rapidement… Mais Zorian doutait qu’ils eussent frappé un coup décisif.

Sous la ville, le combat était également intense. Principalement les Aranea affrontant les rats, aidé occasionnellement par un simulacre de Zorian… et puisque sa présence signifiait une victoire indiscutable, le simulacre de Robe Rouge était toujours présent pour empêcher les rats de se faire exterminer. Aucune des deux copies ne combattait sérieusement, réservés et ne désirant pas montrer trop de leurs capacités à l’ennemi, mais le corps de golem de celle de Zorian lui faisait peu à peu prendre le dessus lors de ces embuscades à répétition. Il fallait encore voir ce que Robe Rouge allait inventer pour pallier à ça. Zorian doutait qu’il allait laisser les rats disparaître, car ils représentaient un atout critique et essentiel dans leurs plans d’invasion.

Les simulacres négociaient également avec de nombreuses colonies Aranea de la région, tentant d’apporter un support additionnel à leur camp. Les discussions avec les Adeptes de la Porte Silencieuse furent particulièrement importantes, car ils avaient besoin de leur aide pour ouvrir un passage vers Koth. Zorian ne doutait pas une seule seconde des résultats. Ils possédaient plus de choses qu’il ne le fallait pour tenter les araignées. Particulièrement les adresses des Portails Bakora, qui allaient s’avérer irrésistibles. Cependant, ces négociations allaient prendre un certain temps, et ils devaient assurer la protection de ces Toiles contre les machinations ennemies. Lac d’Argent savait exactement à quel point cette colonie particulière était importante, et une attaque était plausible, de façon plus qu’inquiétante.

Certains points allèrent de l’avant assez rapidement. Kael et sa fille furent contactés par un simulacre déguisé en personnel de l’Académie, et téléporté directement chez Imaya, principalement parce que Zach et Zorian craignaient que la sorcière, dont les mouvements restaient un mystère à leurs yeux, ne le ciblât pour d’anciennes rancunes et afin de les frapper en tant que groupe. Ils étaient trop faciles à abattre, laissés seuls à découvert. Heureusement, le Morlock ne suspecta rien et félicita même l’Académie pour leur initiative. Zorian prévoyait de l’exiler vers Koth aussitôt le portail ouvert, mais pour l’instant, il était en sécurité chez Imaya, vivant sous le même toit que Zorian et Kirielle.

Pendant ce temps, le simulacre qui avait créé toute la situation avec Kirielle reçut pour mission d’escorter leurs parents loin de chez eux aussi rapidement que possible. Aussi, moins d’une heure après le départ de Zorian et Kirielle pour Cyoria, il les téléporta directement au port de Luja, modifia leur mémoire pour leur faire croire que le voyage s’était déroulé de façon normale, et s’arrêta là. Cela créerait quelques incohérences temporelles, qui pourraient s’avérer légèrement problématiques plus tard. Mais pour l’heure, Zorian était simplement heureux qu’ils fissent bientôt partis pour le milieu de l’océan, hors de danger. Il gèrerait les conséquences de sa décision plus tard.

Le simulacre couché dans son lit et qui devait se concentrer sur la stabilisation du mana fut également évacué, laissant la maison totalement vide. Même si Robe rouge décidait de lui rendre une petite visite de courtoisie, le pire qui pourrait arriver ne serait qu’un incendie, qu’il provoquerait sous le coup de la frustration pour réduire la maison en cendres.

Ce qui serait dévastateur pour les parents, mais Zorian était certain qu’ils ne voudraient pas mourir pour la protéger – et échouer, de toute façon.

L’un dans, l’autre, les choses avançaient… de façon décente. Il n’y avait toujours aucun signe de la sorcière, et Robe Rouge répondait passivement à leurs mouvements tout en concentrant la majeure partie de son énergie dans un projet qu’ils ne pouvaient voir.

Pour Zorian, ça n’avait aucun sens. Comme il le voyait, Zach et lui avaient un avantage absolu dans ce conflit. Même si tout le reste échouait, ils pouvaient toujours informer le gouvernement que l’invasion se préparait et ce serait une défaite instantanée pour leurs ennemis. Toute chance d’envahir la ville et de libérer Panaxeth serait définitivement perdue. Leur puissance personnelle ou la profondeur de leurs plans n’importeraient plus du tout – ils ne pourraient pas affronter le gouvernement central de front. Aussi, Robe Rouge et Lac d’Argent auraient dû se montrer bien plus agressifs…

Mais il ne pouvait rien y faire. Tout ce que Zach et lui pouvaient faire, c’était attendre. Il fallait espérer que, le temps qu’ils fussent à nouveau au top de leur forme, ils auraient découvert ce que planifiaient leurs ennemis…

Raka
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