MoL : Chapitre 91
MoL : Chapitre 93

Chapitre 92 — Brouillon

 

Durant les mois qui avaient mené à cette sortie désastreuse de la boucle temporelle, Zorian les les autres membres du groupe avaient imaginé de nombreuses issues possibles, et la façon dont chacune d’entre elle affecterai ce qu’ils allaient devoir faire une fois dehors. Ces possibilités incluaient le scénario possible qui leur demanderait de traverser le tunnel sous la forme d’une âme, un peu comme Zorian avait fini par le faire. Théoriquement, cela signifiait qu’il savait déjà quoi faire et comment définir ses priorités.

En pratique, les choses n’étaient pas si simples. Tandis qu’il avait réussi à quitter le système contrôlé par le Gardien du Seuil et à posséder son ancien corps, le processus révélait naturellement une faille critique.

Leurs meilleures théories supposaient que, si Zorian finissait par posséder son propre corps, il se réveillerait en excellente forme. Après tout, il prendrait le contrôle d’un corps qui correspondait déjà à la perfection à son âme, et il ne devait pas se faire rejeter. Les rejets étaient le fléau qui hantait généralement les tentatives de possession. Ayant traversé en tant qu’âme signifiait que ses possessions physiques étaient perdues, mais au moins, sa magie était intacte.

En réalité, il ne possédait même pas tant.

Le problème se situait dans la capacité dimensionnelle qu’il avait obtenue du Crapaud et ancrée à lui-même au sein de la boucle. Son corps était peut-être totalement fait pour son âme, mais ce n’était pas le corps qu’il avait ancré à la capacité. Sans la portion force vitale de l’ancre, celle située dans sa réserve de mana ne pouvait durer longtemps. Il s’était déjà considéré heureux d’avoir réussi à prévenir son effondrement total avant de posséder son ancien corps, ou il serait déjà mort et oublié, et tous les sacrifices de ses compagnons se seraient avérés vains. Cependant, une fois établi le contrôle total de ce corps, la partie de l’ancre située dans sa réserve de mana put enfin se démêler et disparaître complètement.

Et faire disparaître une amélioration comme celle-là n’était pas une petite affaire. Ce n’était pas douloureux, pas plus qu’handicapant définitivement, mais les réserves de mana de Zorian étaient totalement chaotiques, et le resterait pour quatre à cinq jours.

Une éternité, considérant que le temps était primordial, désormais.

Debout au milieu de sa chambre sombre et silencieuse, Zorian ferma les yeux et ressenti son mana, d’un œil plus critique. C’était embêtant… mais pas insurmontable. Un mage normal se serait vu totalement alité et incapacité par un mana dans cette condition, mais Zorian avait peaufiné ses capacités de mise en forme jusqu’à une perfection virtuelle. De plus, il avait expérimenté quelque chose de similaire suite à l’attaque de la liche, et il savait désormais comment appréhender ce problème.

Lentement, prudemment, il fit bouger ses mains face à lui, en chantonnant tout doucement un chant magique. Après quelques temps, un simulacre parfait se matérialisa sous ses yeux.

Celui-ci ne lui parla pas, et n’attendit pas d’ordres. Il savait ce qui était attendu de lui. Il s’avança vers le lit, s’allongea, ferma les yeux, et se concentra totalement afin de calmer cet ouragan de mana qu’ils partageaient tous les deux.

Zorian soupira de soulagement en sentant que son mana commençait à se stabiliser en une forme plus adoucie. Bien. Tant que l’un de ses simulacres se concentrait ainsi, ses réserves de mana resteraient utilisables. Pas comme s’il était dans le meilleur des états, mais ça allait le faire pour l’instant.

Ses capacités de lancements de sorts revenues à un niveau acceptable, il entama immédiatement ce qui se profilait ensuite : confirmer que Zach avait également quitté la boucle temporelle et s’était éveillé avant que Robe Rouge n’eût une chance de l’assassiner pendant son sommeil. Une tâche cruciale qui lui demanderait normalement de tout abandonner et se ruer vers Cyoria, mais qu’il était capable d’atteindre par des méthodes plus rapides et moins coûteuses.

Il fouilla rapidement dans ses vieilles affaires scolaires pour y trouver des ingrédients alchimiques avant de détruire quelques objets l’entourant pour en utiliser les matériaux de base, Zorian créa un cercle rituel sur le sol de sa chambre. Il passa ensuite une minute complète à lancer un sort de très longue portée… celui qui puisait dans son marqueur. Celui-là même qu’il partageait avec Zach.

Il n’y avait aucune garantie que Zach eût conservé son marqueur une fois hors de la boucle. Contrairement à Zorian, il était censé la quitter par un moyen légal pour un Contrôleur. Si bien sûr le Gardien acceptait toujours de le transférer. Pour ce que Zorian en savait, le processus pouvait tout aussi bien lui être refusé après leur dernière tentative, ou son marqueur effacé lors de sa sortie.

Cependant, Zorian suspectait lourdement le marqueur de rester incrusté dans l’âme de Zach à vie. Une suspicion qui s’avéra correcte une fois le rituel terminé, et l’information envoyée dans l’esprit de Zorian. Il pouvait sentir l’existence du second marqueur en direction de Cyoria, brillant comme une étoile dans la nuit.

Il soupira. Il l’avait fait. Il ne voyait plus vraiment de raison pour laquelle il n’aurait pas pu le faire, d’ailleurs, mais tant de choses avaient tourné au vinaigre que Zorian ne prenait plus rien pour acquis.

Il chercha ensuite à toucher l’âme de Zach par cette faible connexion, fournie par le rituel et leur marqueur. Son mana diminua comme un thermomètre en hiver. Franchir la distance qui les séparait était difficile et coûteux, même pour une chose si simple qu’un simple contact. Sans leurs marqueurs identiques les connectant, ç’aurait été chose totalement impossible.

Juste avant d’arriver à court de mana, il parvint à toucher cette âme, dans le lointain. Il l’effleura simplement et légèrement, mais ce fut suffisant pour lui envoyer un éclair de conscience afin de l’éveiller.

Après avoir observé les choses pendant une seconde de plus afin de s’assurer qu’il avait réussi, Zorian mit un terme à la connexion et se leva. Il ne pouvait pas parler avec Zach par l’intermédiaire de ce rituel, et il n’y avait aucun intérêt à continuer à brûler son mana déjà faible afin de maintenir le lien. Ils parleraient à nouveau une fois réunis.

Il attendit que son mana fût à nouveau à un niveau acceptable et invoqua trois simulacres de plus. Comme le premier, ceux-ci ne s’embêtèrent pas à parler. Il n’y avait pas d’intérêt à le faire. Zorian possédait une très forte connexion avec ses simulacres, les entremêlant à la fois à un niveau mental et spirituel. Bien qu’ils possédassent toujours chacun leur esprit individuel, ils échangeaient de façon permanente leurs pensées avec l’original et les autres simulacres, à un niveau inconscient et naturel.

Quatre simulacres. C’était le maximum qu’il pouvait se permettre pour le moment tout en restant efficace. Il allait lancer de nombreux sorts dans un futur très proche, et il devait conserver sa régénération de mana à un niveau suffisant.

Il réfléchit à la suite des évènements, envoyant les idées se battre sur un ring mental dans sa tête et celle de ses simulacres. Pendant qu’ils parlaient en silence, ils fouillèrent également la maison à la recherche de ses possessions afin de rassembler du matériel. Ils n’avaient pas des masses de temps pour créer de l’équipement, mais quelques aides de base et des déguisements étaient une nécessité.

Les chances que Robe Rouge et Lac d’Argent ciblassent sa famille immédiatement après être sortis de la boucle temporelle étaient faibles, selon lui. Ces deux-là avaient un problème bien plus pressant à régler, et Cirin était très éloigné de Cyoria.

Quoi qu’il en fût, Zorian savait qu’il ne pouvait pas simplement laisser sa famille sans défenses. Il devait soit les déplacer vers un endroit sécurisé ou laisser un simulacre afin de les protéger.

Les rassembler et les déplacer vers un endroit éloigné était l’option la plus sûre. La plus responsable. Cependant, ce serait une tâche longue et qui demanderait beaucoup de mana, et d’autres plus critiques devraient alors être reportées jusqu’à la complétion de celle-ci. Il ne pouvait pas faire ce choix. Xvim… Alanic… tous les marqués qui étaient morts afin de maintenir la sortie ouverte au lieu de sauver leur propre peau… Ils avaient fait ce choix parce qu’ils faisaient confiance à Zorian, il allait veiller aux intérêts de tout le monde une fois dehors. Il ne pouvait pas simplement tout laisser tomber afin de s’assurer que sa famille fût parfaitement protégée.

Et puis, il était un peu égoïste. Évacuer la maison lui demanderait d’informer ses parents à propos de ce qui allait se passer, ou d’utiliser une compulsion mentale sur eux. Il ne désirait ni l’un, ni l’autre. Il voulait vivre un semblant de normalité, il voulait que les choses entre lui et sa famille fussent normales, le plus longtemps possible. Si possible, il aurait bien attendu leur départ pour Koth. Juste quelques jours, et ses parents se trouveraient sur un bateau et techniquement intouchables. Le problème de leur sécurité serait résolu.

Ce n’était certes pas raisonnable, mais il entretenait toujours l’espoir ténu de pouvoir tout résoudre sans informer le monde entier.

Il secoua la tête, bannissant ces idées de force. Il n’était pas temps d’avoir peur pour le futur. Tout comme il n’était pas temps de se laisser perturber par la mort de tous ceux avec qui il avait travaillé sur le projet pendant plus d’un an. Il s’en inquiéterait plus tard.

Un peu plus tard d’ailleurs, tous les préparatifs furent finalisés et il était de retour dans sa chambre. Il observa le simulacre à sa gauche, et sa copie hocha silencieusement la tête avant de se mettre à errer dans la maison pour la sécuriser. Cirin n’était pas une zone où la magie était dense, mais ce serait suffisant. Afin de palier en matériaux, il allait devoir s’approprier une large portion de l’argenterie de la famille, cela dit…

L’espace d’une seconde, Zorian fixa les deux simulacres encore là. Il avait créé quatre simulacres, et ne pouvait plus en utiliser que deux. Si inefficace… Pourtant, il devait travailler avec ce qu’il avait, pas avec ce qu’il désirait. Il leur ordonna silencieusement de se préparer, et tous trois lancèrent un puissant sort de téléportation. Quelques instants plus tard, ils furent enveloppés par une ondulation spatiale et disparurent.

Couché sur le lit, numéro un ne les regarda même pas partir. Il était totalement plongé dans sa tâche, sachant que si son attention se relâchait pour une seule seconde pendant les quelques prochaines heures, ils pourraient tous faire face à un désastre. Voir ses réserves de mana soudainement s’affoler à un moment critique pouvait tuer l’original et faire disparaître les autres simulacres avant qu’ils pussent accomplir ce pourquoi ils existaient. Heureusement, les recherches en améliorations mentales de Zorian lui avaient appris à garder quelques états d’esprit très pratiques, sans quoi il n’aurait jamais été capable de rester concentré sur la même tâche si longtemps.

L’itération finale de ce mois, dans le monde réel, n’avait pas démarré sous les meilleurs auspices, mais Zoiran et ses simulacres étaient déterminés à y arriver malgré tout.

 

___

 

 

Cyoria était lointaine mais s’y téléporter était plutôt facile, puisqu’il y avait au milieu de la ville un flambeau de téléportation brûlant de mille feux. La mise en place de cette structure magique avait été pensée afin de rediriger toutes les téléportations vers une zone spécifique afin d’être plus facilement monitorées et policées, mais elle agissait accessoirement comme un immense phare illuminant le néant. Ce qui signifiait que si Robe Rouge et la sorcière trouveraient plus coûteux de voyager vers de petits endroits ruraux comme Cirin, Zorian n’avait pas ce problème pour se rendre à Cyoria.

Au moment où, accompagné de ses deux simulacres, il arriva dans la ville, ils se sépara de ces derniers, chacun d’eux ayant une tâche spécifique à accomplir. Pour numéro trois, il fallait découvrir ce qu’il en était de Veyers. Après tout, il y avait une forte chance qu’il fût Robe Rouge, auquel cas il chercherait à trouver son original pour s’en débarrasser aussi vite que possible. Probablement. Quoi qu’il en fût, se rendre chez Jornak pour voir ce qui s’y passait était d’une importance capitale pour Zorian.

Le simulacre se déplaça rapidement dans les rues de la ville, à l’aide de ses deux jambes plutôt qu’en se téléportant. Il portait un masque blanc simple et son corps était dissimulé sous de lourdes couches de vêtements ainsi que d’autres sorts de protection. L’original et l’autre simulacre se cachèrent de la sorte, eux aussi, afin de ne point révéler leur identité. Il était probable qu’ils fussent forcés de rencontrer Robe Rouge face à face dans un futur proche, et lui permettre de le reconnaître était un risque inutile. La sorcière savait qui était Zorian, bien entendu, mais elle était une vielle mégère indigne de confiance, et il leur faudrait, à elle et à Robe Rouge, un long moment pour finir par passer outre leurs différences et se mettre d’accord pour travailler ensemble. Si Zorian pouvait rester anonyme quelques heures de plus, il ne considèrerait pas ça luxueux.

Comme il approchait la demeure de Jornak, le simulacre prêta plus attention. Il ralentit, fit le tour de la maison d’un pas prudent. Il savait comment ignorer les protections magiques de la maison, bien sûr. Il l’avait fait tant de fois, maintenant. Cependant, si Robe Rouge était vraiment présent, il les avait peut-être améliorées, juste au cas où. C’est ce qu’aurait fait Zorian lui-même et il n’y avait aucune raison de s’imaginer que Robe Rouge se serait montré plus téméraire.

Sa paranoïa s’avéra bientôt de bon ton. Comme il étudiait la barrière entourant la maison, il remarqua qu’elle avait subtilement changé. Il était chanceux – ou peut-être pas du tout – parce que c’était une preuve plutôt solide de l’activité de Robe Rouge.

Cinq minutes plus tard, il parvint à passer les défenses et entrer. Ce qui l’accueillit fut un silence de mort. La maison était sombre et abandonnée, et il ne lui fallut que quelques instant pour réaliser que Veyers et Jornak étaient partis. Fouillant les lieux, le simulacre put noter plusieurs signes d’une activité frénétique : armoires ouvertes, contenu éparpillé, tiroirs sortis de leurs encoches, objet et vêtements çà et là au sol, meubles retournés…

Ce n’était pas simplement qu’ils étaient partis. Ils avaient rassemblé tout ce qui pouvait être de valeur avant de filer. Ce n’était pas qu’ils avaient évacué les lieux. Il s’était probablement fait enlever.

Le simulacre lança plusieurs sorts de divination, tentant de pêcher le moindre indice quant à leur destination, et échoua. C’était prévisible, naturellement – Robe Rouge aurait été incompétent au possible s’il avait laissé derrière lui une quelconque piste à suivre.

Simulacre se tenait là, debout au milieu du salon de la maison abandonnée, jouant avec une petite statuette représentant un dragon, qu’il avait trouvée au sol, perdu dans ses pensées. Cela prouvait-il que Veyers était définitivement Robe Rouge ? Pas exactement, mais… il y avait une connexion sûre et certaine. Jornak n’était plus là, ce qui pouvait signifier beaucoup de choses. Peut-être l’avocat était-il le vrai Robe Rouge ? Bon, Zorian avait rencontré les deux personnages par le passé, et ils n’avaient ni la même taille, ni la même carrure, mais c’était un point facilement explicable à l’aide de la magie. Peu importait la réponse, ils étaient partis, et il n’avait plus rien à gagner à rester là alors que tant d’autres choses restaient à faire.

Il songea à mettre le feu à la demeure, par pur dépit, mais il était plus sage de ne pas faire de vagues pour l’instant. Robe Rouge tenait visiblement beaucoup à ces deux-là, et brûler la maison de Jornak pourrait bien l’enrager plus que nécessaire. Bien sûr, ils étaient déjà des ennemis irréconciliables, mais c’était une guerre de buts. S’en prendre à cette maison aurait rendu leur grief personnel. Il pourrait bien alors vouloir s’en prendre à la famille de Zorian bien plus rapidement que prévu.

Avant de partir, le simulacre contacta rapidement l’original et l’autre copie afin de faire le point sur la progression de chacun. Ils combattaient tous deux et ne pouvaient pas vraiment discuter pour l’heure. Devait-il aller les aider ? Non… L’intérêt principal de la création de ces simulacres existait dans la course la plus rapide possible vers plusieurs buts simultanément. Il allait simplement devoir faire confiance aux autres, et les laisser remplir leurs propres tâches.

Au lieu de ça, il partit vers le nord, direction Knyazov Dveri.

Il était temps de voir ce que préparait cette vieille bique qui les avait trahis.

 

___

 

 

Tandis que numéro trois visitait la maison de Jornak, numéro quatre s’était précipité dans les tunnels sous Cyoria pour contacter les Aranea qui vivaient là.

Un jour, la Toile de Cyoria avait été ses alliées les plus proches. Elles lui avaient appris à contrôler ses capacités mentales, l’avaient aidé à lui faire réaliser la réalité de l’invasion et apporté un semblant de compagnonnage dans un monde où tout n’était que réalité éphémère. Lance de Résolution, la matriarche Aranea, avait prévu de le trahir, à la fin… mais il s’était malgré ça trouvé dévasté en étant témoin de leur disparition.

Une part de son désir de les revoir était purement émotionnel. Tout ce qu’il savait à propos de la boucle temporelle lui disait qu’elles étaient là, en vie, dans le monde réel, mais il devait le voir de ses propres yeux pour y croire comme à une réalité. Dans son esprit, il ne pouvait s’empêcher de faire le parallèle entre les Aranea et les marqués qui s’étaient sacrifiés afin de lui permettre de traverser le tunnel vers le monde réel. Il avait besoin de bonnes nouvelles, maintenant.

Cependant, il y avait également un côté pratique à sa visite. Zach et Zorian furent capables d’anéantir les préparatifs de l’invasion en quelques jours à peine, la stoppant purement et simplement… mais c’était sans l’interférence de Robe Rouge. En plus, qui pouvait oublie que la sorcière travaillait également contre eux, maintenant ? Aussi, l’idée de simplement stopper l’invasion facilement était intenable. Ça ne signifiait pas qu’ils allaient rester assis à ne rien faire. S’ils voulaient vraiment endommager les plans de leurs ennemis, le meilleur moment était là, tout de suite, au tout début du mois, avant que Robe Rouge et Lac d’Argent ne pussent avoir une chance de prévenir leurs nouveaux alliés du danger qui rôdait.

Ils devaient agir vite, et ça signifiait recruter des aides… La Toile de Cyoria était l’un des groupes les plus puissants groupes que Zorian eût l’occasion de gagner à leur cause rapidement.

Apparemment, Robe Rouge était d’accord avec lui, parce qu’au moment où numéro quatre arriva aux abords du campement Aranea, il trouva ces dernières engagées dans une bataille désespérée avec le seul et unique Robe Rouge.

Le combat faisait clairement rage depuis quelque temps déjà. Des corps mutilés et des viscères d’Aranea jonchaient le sol, et plusieurs des grottes et tunnels s’étaient effondrés tandis qu’un et l’autre camp tentaient de se débarrasser de leur ennemi. Un épais nuage de poussière emplissait l’air, réduisant drastiquement la visibilité.

Robe Rouge était exactement tel que Zorian s’en souvenait. Une robe de couleur vive le couvrait entièrement, et des ténèbres magiques obscurcissaient son visage. Ses mouvements étaient calculés et méthodiques, bien qu’au lieu de détruire l’âme des Aranea comme il l’avait fait jadis si facilement, il se reposait désormais sur divers sorts de force et de feu pour les anéantir. Cette vision, de son ennemi avançant sans peur tel un Jaggernaut invincible en tuant les Aranea sur son passage d’une manière brutale et sanglante, était probablement très intimidante pour elles. Zorian était certain que Robe Rouge tentait d’anéantir leurs espoirs et leur désir de combattre avant d’arriver à court de mana.

Numéro quatre réalisa rapidement que ce Robe Rouge était également un simulacre, tout comme lui. C’était logique, vraiment. Un peu comme Zorian avait créé quelques copies afin de courir plusieurs lièvres à la fois, Robe rouge avait certainement fait de même.

Il se rua immédiatement dans la mêlée, balançant un puissant rayon dans le dos de Robe Rouge. L’autre simulacre ne se montra pas surpris, comme s’il s’était totalement attendu à l’interruption. Il se tourna simplement sur le côté dans un mouvement habile afin de bloquer le sort de Zorian et celui d’une Aranea.

Simulacre numéro quatre ne parla pas, pas plus que son adversaire. Ils tournèrent en rond sans se quitter du regard tout en lançant des sorts afin de tester la puissance l’un de l’autre, leur jugement en choix de sorts et leur talent. Le simulacre fut un peu déçu par le silence de Robe Rouge. En se basant sur ses interactions précédentes avec le troisième voyageur, il s’était attendu à l’entendre tenter de démarrer une conversation ou se mettre à monologuer, ce qui aurait pu permettre à Zorian de comprendre son adversaire et ses buts.

Sans doute la raison pour laquelle il ne disait rien. Oh, bah.

Les Aranea n’interférèrent pas vraiment dans leur combat. Quelques énervées, qui avaient perdu amies et famille lors de l’assaut, tentèrent de lancer plusieurs attaques surprises aussitôt qu’elles entrevoyaient une ouverture. La plupart finirent raides mortes, leurs attaques les exposant à la contrattaque de Robe Rouge. Zorian tenta de conserver son attention au maximum afin de permettre aux Aranea d’agir et de survivre, mais il ne pouvait pas faire de miracles non plus. Heureusement, la plupart des araignées avaient eu le bon sens de se retirer plus loin dans leur campement afin de se regrouper et récupérer.

Après un moment de cet échange silencieux, Robe Rouge s’arrêta soudain. Il resta indécis pendant quelques secondes, comme s’il était sur le point de dire quelque chose, et finit par secouer la tête en attrapant une baguette magique accrochée à sa ceinture. Zorian se tendit et se prépara à une escalade du combat, mais il avait mal jugé la situation. La baguette permettait simplement de lancer un sort de Retour. Au moment où Robe Rouge la toucha, son corps se brouilla et disparut.

Le simulacre de Zorian ne tenta pas de le poursuivre. Il était là pour sauver les Aranea et les recruter, pas pour éliminer un pion sacrificiel que Robe Rouge pouvait recréer en quelques minutes. C’était déjà une victoire.

Il se détendit et attendit l’arrivée des Aranea, se disant que les approcher lui-même serait trop proactif, pour l’instant. Il les avait peut-être sauvées, mais elles étaient assurément toujours tendues et pourraient exploser si elles se sentaient sous pression.

Heureusement, il n’eut pas à attendre bien longtemps. Il fallut moins de deux minutes aux Aranea pour assembler un groupe de bienvenue et venir à sa rencontre. Elles furent visiblement très surprises lorsqu’il répondit à leur salutation par télépathie et furent totalement perdues lorsqu’il demanda à parler à Lance de Résolution. La matriarche était digne de son nom, cela dit, et interrompit immédiatement la discussion en approchant pour lui parler personnellement, balayant toutes les protestations outragées de ses sœurs.

Bientôt, elle se tenait là, devant lui, les deux gardes habituels se tenant derrière elle et offrant leur apparence la plus menaçante. Pour la plupart des gens, elle aurait sans doute l’air égale à n’importe quelle autre Aranea – une araignée sauteuse géante et noire. Pour le simulacre, en revanche, cette vue fit ressurgir un torrent de souvenirs.

Il voulut tout d’abord lui en coller une pile au travers de cette grande gueule de manipulatrice pleine d’yeux… mais également la prendre dans ses bras et lui dire comme il était bon de la revoir. Zorian comprenait maintenant le sentiment de Zach, ce jour-là, à la gare. Bien que Zach eût vite choisi laquelle des deux options était sa favorite.

Et Zorian savait bien mieux contrôler ses émotions. Il ne la frapperait pas.

Et ne la prendrait pas non plus dans ses bras, pour ce ça comptait.

[Salutations, ami,] dit poliment Lance de Résolution. [Je suis reconnaissante pour l’aide que tu nous as apportée lorsque nous étions à une heure de grand besoin. Nous ne sommes pas ingrates, et trouverons certainement quelque chose avec quoi te récompenser, mais… je sens qu’il y a plus que cela dans cette visite.]

[Vrai,] renvoya le simulacre. [Il faut que nous parlions. De beaucoup de choses.]

La matriarche tapota ses pattes avant contre le sol, curieuse.

[Étrange. Il y a cette curieuse note de nostalgie, qui saigne de tes mots,] nota-t-elle.

[Ah. Désolé pour ça,] répondit numéro quatre en grimaçant légèrement. [Je ne peux pas le retenir. Tu ne t’en souviens pas, mais nous nous connaissons.]

[Oh ? Je trouve cela très difficile à croire,] lança la matriarche.

[Et pourtant vrai,] insista la copie de Zorian. [Nous avons travaillé de façon très proche, par le passé.]

Elle lui laissa parvenir une note d’amusement, comme un client curieux attendant la suite d’un bon spectacle, mais conscient qu’il assistait à une fiction.

[J’ai une très bonne mémoire lorsqu’il s’agit des gens, et tu sembles être quelqu’un de difficile à oublier. Je me souviendrais certainement si j’avais été assez fortunée pour rencontrer un mage de ton calibre,] clarifia-t-elle. [En particulier, le niveau de contrôle que tu possèdes sur ton Don te ferait immédiatement sortir du lot, dans la mer d’individus que j’ai croisés au fil des ans.]

Un argument parfaitement raisonnable. Malheureusement, le simulacre n’avait pas le temps de faire les choses en douceur et de prendre son temps, et guida directement la matriarche vers la conclusion. Il fallait prendre un risque et se montrer direct.

[Je viens du futur,] lui lâcha-t-il.

La matriarche resta silencieuse pendant un moment. Quelques autres Aranea dans le voisinage gigotèrent, amusées ou incrédules. Elles écoutaient clairement leur conversation au travers du lien qu’il avait avec la matriarche. Rien d’inattendu, en soi.

[C’est… une sacré prétention, ami,] renvoya la matriarche, plus intriguée qu’incrédule, ce qui surprit légèrement Zorian, qui supposa que, bien qu’elle ne le prît pas au sérieux, elle voulait voir jusqu’où il allait aller dans cette histoire.

Et c’était parfait.

[Zorian Kazinski,] dit le simulacre en retirant son masque en signe de bonne foi – si cela fonctionnait, il allait travailler avec les Aranea de toute façon. [Tu peux m’appeler Zorian.]

[Zorian, dans ce cas. Bien,] accepta la matriarche. [Zorian, tu réalises certainement qu’une telle prétention demande une preuve tout aussi grande pour être prise au sérieux ?]

Zorian ne possédait plus le paquet mémoriel de la matriarche, ce qui signifiait que la méthode qu’il employait pour obtenir sa coopération par le passé ne pouvait plus fonctionner. Cependant, c’était un souci mineur. Il possédait d’autres moyens.

[Bien entendu que je le réalise,] confirma le simulacre. [Je peux même te montrer mes souvenirs, ceux de l’époque de laquelle je viens.]

[Allons, Zorian,] le réprimanda la matriarche. [Tout souvenir que tu me montreras pourrait fort être fabriqué de toutes pièces. Cela ne prouve rien.]

[Pas tout à fait,] corrigea numéro quatre, souriant légèrement. [Si je te montre une scène aléatoire sans rapport avec toi, alors oui, elle pourrait n’être que mensonge. Mais si je te montrais un plan détaillé te ton campement interne, en incluant la salle de recherches secrètes et celle du trésor ? Et si je te montrais les résultats de ces recherches secrètes, et te parlais de ton réseau d’échange ? Les choses que seuls les plus respectées Anciennes peuvent connaître ? Et si je te donnais le nom de chacune des Aranea composant ta colonie, avant de te décrire ce à quoi ressemble l’intérieur de tes quartiers privés, pour finir par te démontrer que je peux imiter la façon de parler et la personnalité de la plupart de tes subordonnées ? De telles choses ne prouvent pas forcément que je viens du futur, mais elles prouvent bien assurément quelque chose, n’est-ce pas ?]

Les pattes de la matriarche se mirent à convulser légèrement et de façon incontrôlable.

Un chaos léger naquit parmi les Aranea qui l’entouraient. Le simulacre pouvait clairement voir qu’elles discutaient de façon très vive en arrière-plan.

— Assez, prononça soudain Lance de Résolution à voix haute, s’adressant verbalement pour la première fois depuis le début de leur conversation, évidemment pour qu’il pût entendre ce qu’elle avait à leur dire.

— Mais, honorée Matriarche ! protesta l’une des gardes.

— J’ai décidé, dit-elle fermement en pivotant sur place pour la regarder droit dans tous ses yeux, la faisant reculer légèrement.

Puis, elle se tourna à nouveau vers le simulacre.

[Je vais ouvrir mon esprit,] dit-elle. [Montre-moi ces souvenirs.]

La copie de Zorian fit exactement ce qu’il avait proposé et qu’elle avait accepté. Il alla puiser dans les souvenirs, loin en arrière, les reproduisit au mieux de ses capacités, et pendant plusieurs heures, l’Aranea observa tout ce qu’il lui faisait parvenir dans un silence inconfortable. Des secrets les mieux gardés aux noms et caractères de toutes ses sœurs, en passant par les conversations qu’il avait eues avec Lance de Résolution, Nouveauté et les divers gardes et ambassadeurs avec qui il avait interagi dans le passé.

Le temps qu’il eussent fini, la matriarche finit clairement perturbée par la quantité d’informations qu’elle venait de recevoir, et qu’il possédait. C’était comme il l’avait dit : ce n’était pas une preuve sans faille de son histoire du futur, mais ça signifiait qu’il avait bel et bien, à un certain point, eu accès à absolument tout ce qui concernait la colonie. C’était parfaitement dérangeant et capable de plonger la matriarche dans une confusion sans nom.

[C’est… Comment peux-tu possiblement connaître tout ça ?] finit-elle pas hésiter, elle qui avait pour habitude de projeter un air de détermination et de contrôle en interagissant avec lui, même lorsqu’elle était secrètement inquiète derrière sa façade immuable. [Même si tu viens du futur, même si nous avons travaillé ensemble dans ce futur, je n’aurais jamais —]

[Tu es morte,] lui lança franchement la copie de Zorian.

— Vous êtes toutes mortes, continua-t-il à voix haute pour donner plus d’emphase à ses mots.

[Ce type encapuchonné,] continua-t-il télépathiquement. [Dans le futur que je connais… Je n’étais pas suffisamment fort.]

[Oh,] comprit la matriarche.

[Tu étais censé être notre allié,] intervint l’une des Anciennes qui avait suivi la conversation de bout en bout et vu les souvenirs en question. [Mais tu as fouillé notre colonie aussitôt que nous sommes mortes.]

[Et vous auriez fait la même chose à ma place,] dit-il, l’air tout sauf coupable.

Ce à quoi l’Aranea ne répondit pas.

[Je suis curieuse,] finit par annoncer la matriarche en choisissant ses mots avec précaution. [Si je te disais de partir et refusais d’avoir quoi que ce soit affaire avec toi… Que ferais-tu, Ô puissant voyageur temporel ?]

[Je respecterais ta décision,] renvoya immédiatement le simulacre en haussant les épaules mentalement.

[Réellement ?] insista-t-elle, sceptique.

[Pourquoi pas ? Je respecte ce genre de choix. Je vous laisserais tranquille, vous toutes. J’irais proposer la même chose à une autre Toile des environs. Ce n’est pas comme si vous étiez les seules avec qui j’ai travaillé.]

Toutes les araignées de la caverne se figèrent et gardèrent le silence.

Et numéro quatre ne put s’empêcher de sourire d’un air narquois. Il savait qu’il les avait dans la poche.

 

___

 

 

Pendant que les deux simulacres poursuivaient leurs propres buts quelque part dans la ville, Zorian avait sur les épaules ce qui était probablement la plus importante de toutes. Il devait vérifier l’état de Zach et l’aider s’il était en danger. Il ne mettait pas de côté la possibilité que Robe Rouge et la sorcière fussent en train d’essayer de l’exterminer en tant que priorité principale.

C’était ce qu’aurait fait Zorian, à leur place.

Ses peurs s’avérèrent seulement à moitié fondées. Lorsqu’il arriva à la demeure Noveda, il trouva les lieux en feu et sous un barrage soutenu de rayons de destruction qui explosaient dans tous les sens. Les murs se faisaient pilonner, les barrières et divers systèmes d’alarme étaient actifs au niveau maximum. Clairement, il s’agissait d’une attaque sur Zach. Il était certainement de bon ton qu’il l’eût réveillé plus tôt grâce à son rituel, ou Zach aurait probablement rencontré un destin bien ignoble aux mains de ses attaquants.

Enfin, attaquants… Au singulier, dans ce cas. Lorsqu’il arriva à portée de vue de la scène, il aperçut Robe Rouge bombardant la maison, seul. La sorcière n’était nulle part.

Très curieux. Même si elle se méfiait de Robe Rouge, elle aurait au moins dû tenter de coopérer avec lui, sachant qu’ils avaient le même but final, afin de vivre.

Dans tous les cas, ce Robe Rouge était un simulacre, lui aussi. Une fois que Zorian joignît le combat, ce simulacre sembla réaliser que son attaque avait échoué et que persister ne serait qu’une perte de mana, aussi se contenta-t-il de… disparaître.

Quelle conclusion très inattendue. Mais que faisais Robe Rouge, s’il envoyait des simulacres effectuer des tâches si critiques, et abandonnait si facilement ces dernières ? Que faisait le vrai Robe Rouge ? Zorian n’aimait pas ça. Vraiment pas.

Il se tourna vers Zach et grimaça. Il ne l’avait pas remarqué avant, mais son compagnon arborait une large blessure sanglante en travers du torse.

— H… Hé… haleta Zach. Merci pour le réveil. Si tu avais été juste un peu plus lent, je ne me serais probablement jamais réveillé. Je, a-ah…

Ses genoux lâchèrent soudain, le faisant s’écrouler. Zorian se jeta en avant pour le rattraper juste avant qu’il ne s’écrase face contre terre.

— Merde, jura Zorian en inspectant la blessure – ses compétences médicales étaient à la ramasse, mais il pouvait au moins juger la sévérité d’une plaie comme celle-ci. Tu as perdu tellement de sang. Comment as-tu fait pour te battre dans cet état, et même tenir debout ?

— C’est pas la première f… fois, balbutia Zach, tâtant la blessure de ses doigts tremblants, qui cessa quelque peu de saigner. Je vais vivre, ne t… t’en fais pas.

Zorian soupira. Il vivrait oui… mais il n’allait pas faire grand-chose pendant les quelques heures à venir, peut-être même une journée complète, même avec les meilleurs traitements. C’était une terrible nouvelle.

— Je suis content que tu t’en sois sorti, lui sourit Zach d’une voix tremblante.

[Arrête de parler,] lui envoya Zorian en le ramassant comme un bébé.

Enfin, il tenta, au moins. Soulever une autre personne à bout de bras était un peu trop pour lui, et il dut d’abord lancer quelques sorts pour alléger la charge. Puis, il se mit en route vers l’hôpital le plus proche.

[Ne parle pas, ne bouge pas. Tu vas aggraver ta blessure. Ah, merde, ce que t’es lourd.]

[Je te fais une faveur,] plaisanta Zach. [N’as-tu pas dit que tu voulais faire plus d’exercice physique en sortant de la boucle ?]

[Pas comme ça, trou de balle,] grommela Zorian.

[Attends…] grimaça soudain Zach. [Tu… Tu es blessé aussi !]

Zorian lui lança un regard parfaitement incrédule. Que… Oh.

[Ah, non,] lui dit-il. [Mon mana est chaotique parce que la capacité du Crapaud s’est délié et le mana qui y était affecté s’est déversé dans mes réserves à nouveau, quand j’ai abandonné mon corps.]

Il était effrayant de constater à quel point Zach pouvait être perceptif, parfois. Zorian n’imaginait pas donner le moindre signe de faiblesse ou d’instabilité à l’extérieur. Il avait clairement tort.

[Oh, ouais,] compris Zach avant de se calmer. [Pourquoi, est-ce que ça veut dire que —]

[Je vais être un peu limité pour quelques jours, oui,] confirma Zorian.

[Putain de bordel de grands dieux !] jura Zach. [Rien ne peut jamais aller comme il faut ?!]

[Je ne dirais pas vraiment ça de cette façon,] corrigea Zorian.

Il chercha la boutique de potions la plus proche et se téléporta immédiatement, Zach dans les bras, dans sa direction. Elle était fermée à cette heure de la journée, mais y pénétrer était un jeu d’enfant. Il se demanda si une urgence médicale comme celle-ci était une raison valable pour commettre un cambriolage, mais décida qu’il s’en fichait. Il paierait le commerçant pour les dégâts qu’il provoquerait.

[Je suis sûr que Robe Rouge se sent plutôt acculé, maintenant. Il t’avait presque, et il a échoué. En plus, mon simulacre l’a également empêché de se débarrasser des Aranea sous Cyoria.]

Il repéra rapidement la plus puissante potion de soin, ainsi qu’une autre servant à régénérer le sang d’une victime, et les fourra dans le gosier de Zach, qui montra immédiatement une réaction positive. Sa peau reprit de sa couleur et sa plaie se referma presque, bien que Zorian sût qu’elle était encore là, sous la surface, et pas totalement guérie.

Zach tenta aussitôt de se remettre sur ses pieds, l’idiot. Il s’effondra, ayant aggravé sa blessure à nouveau.

— Allons… juste à l’hôpital le plus proche, ok ? lui proposa Zorian, la main sur les yeux et le front.

— Zorian, écoute, répondit Zach. Quand tu as bondi vers la sortie de la boucle, je suis resté un peu derrière. Juste pour voir ce qui arriverait à ton corps et celui de la sorcière lors des futures itérations, tu sais ?

Zorian leva un sourcil.

— Et ?

— Vous étiez là. Tous les deux, expliqua-t-il. Vous ne vous souveniez de rien à propos de la boucle temporelle, mais vous étiez deux humains, marchant et parlant et vivant normalement. Comme toute autre personne de la boucle temporelle, en soi, inconscients du passage des itérations. Mec, parler à ton ancien toi était si… lugubre, je te le dis. J’avais complètement oublié à quel point tu étais un pauvre con inamical et tellement sensible à propos de tant de sujets. Je t’ai déjà dit à quel point je suis heureux que tu aies réussi à sortir de là sain et sauf ?

— Oui, tu l’as fait, confirma Zorian.

— Oh, ouais, je l’ai fait… Qu’as-tu fait de — commença Zach.

— Je l’ai tué, le coupa Zorian. Je l’ai tué sans qu’il s’en rende compte, sans le faire souffrir. Je l’ai simplement envoyé dans l’au-delà.

— Je… hmm… merde, bredouilla Zach. C’est un peu… décisif ? Brutal ?

— Et j’étais censé faire quoi ? demanda Zorian, mal à l’aise à propos de ce sujet. Je ne savais pas comment lui créer un nouveau corps. Peut-être que je ne l’aurais même pas fait. J’aurais dû le garder en stase pendant des années et des années avant de le libérer dans un monde futuriste qui lui serait étranger, après avoir volé sa vie… qui, en passant, se trouve être ma vie également. Est-ce vraiment un vol ? Ou alors, j’aurais dû le conserver sous une forme ectoplasmique, perché sur mon épaule, à devenir de plus en plus aigri à mesure qu’il verrait à quel point je suis infiniment meilleur que lui. N’est-ce pas cruel que d’infliger ça à quelqu’un ?

— Je… ne sais pas, admit Zach.

— Je sais que je ne suis plus la même personne que lui, c’est clair, murmura Zorian. Mais j’aurais détesté, avec chaque fibre de mon corps, devoir lui faire subit une éternité de souffrances. Je… ne pense pas que je m’en serais remis. Peut-être suis-je un monstre d’égoïsme, que je tente de me justifier pour mes crimes, mais je pense que je lui ai fait une faveur. Alanic dit que l’au-delà existe, même après le départ des dieux. Malgré tous ses défauts, je ne pense pas que l’ancien Zorian ait fait quoi que ce soit de si haineux dans sa vie… Il doit y avoir une bonne conclusion pour lui, là-bas. Quelque chose qu’il n’aurait pas eu, ici, avec nous.

Un silence malsain occupa les lieux pendant quelques secondes. Zorian fit ensuite craquer ses phalanges et ramassa Zach. Il remercia les dieux pour l’existence des sorts d’allègement.

— Je ne veux pas en parler, avoua Zorian. Contentons-nous de t’emmener à l’hôpital et puis voilà. Nous allons laisser le reste à nos simulacres. Maintenant que j’y pense, peut-être que Robe Rouge est en train de préparer quelque chose, à n’envoyer que des simulacres partout, au lieu d’apparaître en personne. Bien sûr, ça le rend moins sûr de réussir ces petites tâches, mais ça veut dire qu’elles sont sans doute de moindre importance…

Ils discutèrent de ci et de ça en marchant dans la ville. Zorian était presque à court de mana à ce point, tous ses simulacres ayant puisé dans ses réserves sans se gêner, et il ne pouvait pas simplement s’y téléporter. Mais c’était inconséquent : Zach avait cessé de saigner et il n’allait pas mourir de sa blessure. Il allait devoir profiter de ce moment de relâche pour créer des golems pour ses simulacres, afin de remplacer les corps ectoplasmiques qu’ils possédaient encore. Bien sûr, ils étaient coûteux et il allait devoir attaquer quelques caches ibasiennes à la recherche d’argent et de matériel. Et il allait avoir besoin d’un atelier et —

Il s’arrêta soudain et soupira intérieurement. Tant de choses à faire. Si peu de temps et de mana pour y arriver. La seule chose qui le rassurait un peu était le fait que Robe Rouge et la sorcière fussent en face de choix tout aussi difficiles.

Il fallait espérer que ces deux-là avaient un mauvais sens des priorités.

 

___

 

 

Lorsque numéro trois arriva au repaire de la sorcière, il ne trouva aucune trace de combat ou d’entrée forcée. Mais ça ne lui en disait pas plus. Pour ce qu’il en savait, Lac d’Argent possédait une espèce d’entrée secrète, une espèce de porte de derrière à sa dimension miniature, et pouvait simplement y entrer et en sortir à sa guise, au diable les barrières et autres protections. Merde, peut-être que l’originale l’avait même laissée entrer. Il n’était pas vraiment assuré que les deux allaient combattre à mort une fois qu’elles se croiseraient.

Tout dépendait de ce que désirait la marquée. Si elle voulait tuer l’originale et prendre sa place ou l’intégrer à son plan, quel qu’il fût.

Ou peut-être comptait-elle totalement ignorer celle qui n’était au courant de rien et ne sortait jamais de chez elle. Après tout, venir ici était déjà très dangereux, puisque Zach et Zorian savait pour cet endroit et qu’il s’agissait d’un lieu idéal pour lui tendre une embuscade.

Quoi qu’il en fût, la première chose qu’avait à faire numéro trois était de vérifier si la sorcière non-marquée était toujours vivante, à l’intérieur. Et si elle l’était, alors il lui fallait découvrir si la marquée lui avait déjà rendu visite et tentait de la recruter.

Pour l’apprendre, il pouvait se fier à des sorts de divination exotiques, lancés sur la dimension de Lac d’Argent avec le plus grand soin pour éviter d’être découvert… mais ça aurait pris un temps fou, autant de mana et il ne voulait perdre ni l’un ni l’autre. Alors il se met à simplement hurler hors de la dimension de la sorcière, balançant des obscénités à la vieille jusqu’à ce qu’elle daignât finalement sortir pour lui faire face.

Et elle le fit, très rapidement. Après tout, il racontait qu’elle vivait là, en la traitant de tous les noms, dans une dimension cachée, en décrivant cette dernière et en la qualifiant de travail d’amateur, en de plus sales termes.

Elle sortit de sa dimension en piétinant le sol, fumant et rageant, pour lui envoyer un regard qui aurait pu le tuer.

Le simulacre décida immédiatement qu’elle n’avait pas été visitée par sa version de la boucle temporelle. Elle l’approchait trop imprudemment, comme si elle n’avait aucune idée de ce qu’il était capable de faire. Elle se serait montrer bien plus précautionneuse si elle était l’autre.

Pourtant, il devait s’en assurer.

— Gamin, qu’est-ce que tu fous là à hurler ?! cria-t-elle en réponse à son capharnaüm, s’arrêtant à quelque distance de lui. Venir ici au beau milieu de la nuit, à trois heures du matin, et profaner une pauvre vieille femme comme moi… Mais qu’est-ce qu’il se passe, en cette époque d’ahuris ?! Tes parents ne t’ont-ils pas appris à respecter tes aînés ?! Agenouille-toi et excuse-toi, ou ne me blâme pas si je me montre malpolie et que j’empoisonne toute ta famille ! Tu m’entends ?!

— J’avais juste besoin de ton attention, lui répondit simplement le simulacre.

Ce qui ne fit que la rendre encore plus folle.

— Écoute, vieille femme, je suis plutôt pressé… As-tu peut-être reçu la visite d’une vieille bique, moche et acerbe, qui te ressemble comme deux gouttes d’eau, caractère compris ?

Il n’arrivait décidément pas à ne pas se montrer dédaigneux avec elle, pour tout ce qu’elle leur avait fait subir. Ce n’était pas elle, bien sûr, mais… Celle-ci aurait fait exactement la même chose.

Elle leva la main et il en sortit un éclair plutôt faible. Bon, relativement bien sûr, puisque le sort pouvait malgré tout rôtir une personne normale.

Mais le simulacre de Zorian ? Il copia simplement son mentor Xvim, et envoya l’éclair voler sur le côté d’un revers de la main. Plutôt que de consumer sa main, le sort y rebondit simplement comme sur un miroir et s’abattit au sol, impuissant, créant un cratère miniature au milieu de la forêt.

La posture de la vielle changea instantanément. Elle devint plus alerte et consciente de ce gamin en face d’elle.

— Non, sérieusement… demanda-t-il encore. Est-ce que quelqu’un qui te ressemblerait trait pour trait est venu te voir récemment et tenté de te tuer ou te recruter ? Quelqu’un qui sait tout de toi ?

— Qui es-tu ? demanda-t-elle en retour, les yeux plissés et les mains gesticulant des sorts à moitié formés.

Le simulacre fit claquer sa langue. Elle était ignorante de tout, il en était sûr. L’autre n’avait pas mis les pieds ici.

Mais pourquoi ? Ne se préoccupait-elle réellement pas de son ancienne version ? Était-elle paranoïaque ? Il n’était pas arrivé là particulièrement rapidement. Si elle avait voulu voyager de Cyoria jusqu’à son ancienne bicoque, elle serait arrivée bien avant lui. Selon toute probabilité, elle en aurait eu fini avec son originale avant même qu’il n’eût une chance de l’intercepter.

— Hé ! Tu es sourd, ou quoi ? lui cria-t-elle en donnant un coup de pied dans une pierre, pour l’envoyer dans sa direction, de façon étonnamment précise, que numéro trois esquiva malgré tout avec facilité.

Il réalisa qu’il pouvait la tuer. Même si la marquée la voulait morte, il n’y avait aucune garantie que l’originale leur fût reconnaissante s’ils la sauvaient. Elle était incroyablement cynique et verrait simplement là deux jeunes qu’elle pourrait exploiter à son avantage. Elle pourrait travailler avec eux pour un temps, oui, par instinct d’auto-préservation, mais elle serait en permanence en train de chercher un angle d’attaque afin de les dépasser, et ne ferait rien qui la placerait dans en grand danger.

Quel était l’intérêt d’avoir un tel allié ?

— Là. Attrape, lui dit-il en lui envoyant un petit disque de pierre. Elle ne l’attrapa pas, reculant simplement d’un pas pour le laisser toucher le sol. Elle utilisa ensuite une branche proche pour taper dessus d’un air suspicieux.

Le simulacre leva les yeux au ciel.

— C’est quoi, cette merde ? s’enquit-elle.

— C’est une pierre d’illusion, répondit numéro trois. J’ai enregistré une scène plutôt intéressante dessus. Tu peux l’étudier, plus tard, dans l’intimité de ta petite baraque. Oh, et d’ailleurs, tu devrais probablement changer toutes les mesures de sécurité de tes barrières, aussi vite que possible. Tu devrais également fermer définitivement toute entrée secrète permettant d’y entrer, même si tu penses être la seule à les connaître.

Il se tourna pour s’en aller.

— Maintenant, tu t’arrêtes, attends, juste un moment, gamin ! Tu pars, comme ça, sans même m’expliquer toute la misère que tu viens de vomir sur mes genoux ?

— Oui, acquiesça la copie de Zorian sans hésiter. Je vais faire exactement ça. J’ai décidé de ne pas te tuer. Ne me le fais pas regretter, ok ?

Avant qu’elle ne pût répondre, il avait disparu.

Il ne voulait pas trop traîner autour de cet endroit. Alors que préparer une embuscade autour de sa planque aurait été une bonne façon de choper la marquée, Zorian sentait que quelque chose clochait.

Il devait s’assurer qu’Alanic, Lukav et Kael allaient bien. La sorcière pouvait attendre.

 

___

 

 

Pendant que Zorian et les autres simulacres se baladaient et se cassaient la tête à comprendre ce que préparait l’ennemi, numéro deux s’ennuyait. Son boulot était de sécuriser la maison et prévenir toute attaque de Robe Rouge ou Lac d’Argent sur sa famille. Cependant, il avait déjà fait tout ce qu’il pouvait pour isoler la maison de toute agression possible.

Les heures passèrent, et il finit par se trouver face à la chambre de Kirielle. Hmm… Le matin poignait déjà, hein ? N’était-il pas temps pour elle de venir lui sauter dessus ?

Il se frotta sinistrement les mains, un sourire démoniaque se dessinant d’une oreille à l’autre. Il s’était passé tant de temps depuis qu’il n’avait pas eu l’occasion de réveiller sa sœur. Il aimait faire la grasse matinée, et la boucle temporelle n’avait jamais vraiment changé ça, alors…

Il entra dans la chambre et s’accroupit à côté du lit. Elle était couverte jusqu’au menton, ne révélant que son visage hors des couvertures. Elle était parfaitement inconsciente de la présence de ce prédateur fraternel, un léger sourire sur les lèvres pendant son sommeil.

Numéro deux réfléchit à la façon dont il devait faire les choses. Lui sauter dessus, comme elle prévoyait de le faire, chantait en lui une poésie de justice. Mais ça n’avait pas l’air correct. Il était trop grand et trop lourd, et lui infliger ça serait un peu trop, pour une simple blague, aussi douce fût-ce la vengeance.

Lui balancer un seau d’eau, comme elle l’avait fait quand elle l’avait pris pour un changeforme ?

Non, sa mère allait péter un plomb.

Hmm…

Oh, il allait simplement faire au plus classique, au diable les fioritures.

— Bonjour, ma sœur ! lui cria-t-il soudain à proximité de l’oreille. Bonjour, bonjour, BONJOUR !

Elle bondit en criant, et tomba du lit.

Il se mit à rire comme un déchaîné. Grand dieux, ce que ça faisait du bien. Oh, qu’il avait eu besoin de ça…

— Zorian, espèce d’ordure ! explosa-t-elle en agitant ses petits bras vers lui comme deux micro-moulins, comme un petit chaton colérique, ce qui le fit rire encore plus.

Elle finit par le chasser de sa chambre pour passer de son pyjama à ses vêtements. Une fois hors de sa chambre, elle le regarda d’un air curieux.

— Pourquoi es-tu déjà debout ?

— Je n’arrivais plus à dormir, expliqua-t-il.

— Oh, souffla-t-elle en le regardant avec une lueur d’espoir. Tu peux me montrer de la magie ? S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît ?

Il passa une bonne demi-heure à l’amuser en lançant une variété de sorts afin de lui faire briller les yeux, jusqu’à ce que l’original le contactât et lui dît de cesser de gaspiller du mana pour des frivolités pareilles. Quelle enflure. Le drain de mana pour créer ces illusions était négligeable !

Il observa Kirielle déprimer lorsqu’il lui annonça qu’il devait emballer ses affaires et qu’il ne pouvait plus jouer avec elle. Elle avait l’air de vouloir lui demander quelque chose, et finit par ne pas oser, observant le sol comme un chiot battu.

Il soupira intérieurement. Il savait ce qu’elle voulait, évidemment. Elle voulait aller avec lui à Cyoria. Mais l’emmener cette fois-ci serait… irresponsable.

Ne pas voir plus loin que le bout de son nez.

Stupide.

Téméraire.

Il la regarda pendant quelques secondes supplémentaires, se souvenant toutes les promesses qu’il lui avait faites durant toutes ces itérations qu’il avait partagées avec elle. Il avait promis qu’il ne l’oublierait pas. Il avait promis de lui enseigner la magie.

Il lui avait promis de l’emmener à Cyoria.

Comme elle était sur le point de faire demi-tour, il plaça ses mains sur ses petites épaules, portant toutes ces promesses sur les siennes. Elle s’arrêta et le regarda, surprise. Ses lèves frémirent légèrement.

— Hé, Kirielle… lui dit-il, un sourire espiègle sur le visage. Tu veux venir avec moi à Cyoria ?

Numéro deux pouvait pratiquement imaginer Zorian lui hurler dessus dans un futur très proche, en lui expliquant dans le détail l’idiot intergalactique qu’il était.

Et qu’importait ?

Le sourire qui illumina le visage de sa petite sœur valait toutes les réprimandes du monde.

Raka
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5 thoughts on “MoL : Chapitre 92

  1. C’est sur que par rapport à avant zorian est devenue un mec bien
    Merci pour ce magnifique et long chapitre raka

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