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Chapitre 48

Dans le nid

 

Shi Kun plissa les yeux et remarqua que ce qui fondait sur lui en direction de la montagne n’était pas une théière spirituelle mais un monstre spirituel. Ses formes devinrent de plus en plus claires jusqu’à ce qu’il discerne clairement qu’il s’agissait d’un oiseau de proie qui avait visiblement décidé que Shi Kun serait au menu du jour.

« Il se moque de moi ? Je ne veux pas finir dévoré par un monstre. Je n’en ai rencontré aucun jusqu’à maintenant, ce n’est pas le moment ! » Shi Kun paniqua légèrement et regarda autour de lui afin de trouver un endroit où se cacher.

Il bondit en direction d’une vieille souche d’arbre creuse et gigantesque – suffisamment pour qu’une chambre toute entière eusse pu y tenir – et en se glissant par un petit trou à peine assez large pour qu’il puisse ne pas déchirer sa toge en passant, se retrouva rapidement en sécurité, isolé du monde extérieur.

« Maintenant, il va passer et m’oublier, n’est-ce pas ? » Shi Kun s’imagina que cet oiseau, ce prédateur des airs, allait rapidement trouver une autre proie à pourchasser et qu’il oublierait ce petit cultivateur anonyme qu’il avait sans doute repéré par le plus grand des hasards.

« Allez, mon grand. Cherche et chasse n’importe quoi sauf moi. » Ce que Shi Kun ignorait, c’est que l’oiseau de proie Aru Emi était un monstre spirituel qui régnait en maître sur cette chaîne de montagnes. C’était pour cette raison que Shi Kun n’avait pas croisé âme qui vive depuis fort longtemps : toute la zone entourant ces montagnes était déserte, les autres monstres spirituels n’osant pas s’en approcher de peur de se faire chasser et dévorer.

Shi Kun attendit quelques instants et constata que tout était silencieux. Arrivé à ce point, il se permit de souffler, dans l’obscurité de sa souche creuse géante, avant d’esquisser un sourire dans le noir.

« Je dormirais volontiers ici. »

Juste avant de se souvenir du patriarche, qui était très probablement déjà à sa recherche grâce à la formation de localisation.

« Peut-être que je devrais remettre ça à plus tard, finalement. »

Shi Kun sortit la tête par l’ouverture afin d’observer les environs. Pas un bruit, même le vent avait cessé de faire frémir les feuilles des arbres alentour. Rien à droite, rien à gauche, rien au-dess…

« Eh ? »

Dans le ciel tournoyait toujours le monstre spirituel.

« Satané oiseau ! Laisse-moi tranquille ! » Shi Kun afficha une grimace claire et rentra la tête dans sa cachette. « Incarnation de la Paresse… Où es-tu ? »

Dans le noir, Shi Kun sentit la réalité se déchirer et la Paresse sortit elle aussi sa tête pour se rendre compte qu’elle n’y voyait rien.

« Shi Kun ? Que se passe-t-il ? » Curieux, le démon pencha la tête de côté, comme si le poids du monde y pesait depuis trop longtemps.

Shi Kun laissa tomber les épaules.

« Il y a un monstre dehors, je ne peux pas sortir. Non seulement je n’ai absolument pas envie de me battre mais quelque chose me dit que si j’essayais… Je ne sais pas, mon instinct peut-être… » Shi Kun ne termina pas sa phrase et fit une grimace invisible dans le noir.

La Paresse se contenta de tourner la tête en direction de la sortie en plissant les yeux.

« Je vois. Tu es entré sur le territoire d’un Aru Emi ? Quelle idée… À ton niveau, tu comptais faire quoi ? »

Shi Kun ne compris pas immédiatement ce que la Paresse voulait dire par là et croisa les bras tout en penchant la tête sur le côté.

« Un Aru Emi ? Je ne sais même pas ce que c’est. C’est cet oiseau géant ? »

La Paresse hocha lentement la tête.

« En effet. Un monstre spirituel de haut niveau qui prend plaisir à vivre seul sur son territoire et chasse tout être vivant qui ose s’y aventurer. Il s’en nourrit et peut ainsi tenir sans manger pendant plusieurs années. »

« Personne ne s’en occupe ? Il n’a jamais été chassé ? » Shi Kun s’étonna qu’un monstre dangereux n’ait pas été éliminé par de puissants cultivateurs pour garantir la sécurité des cultivateurs et des voyageurs les plus faibles.

« Ha ha ha, je ne pense pas, non. Après tout, il vit sur une petite chaîne de montagnes, et son territoire ne comprend que quelques jours de vol à peine. Si on le laisse tranquille, il peut passer plusieurs centaines d’années sans jamais inquiéter personne. Il ne change jamais de territoire et se contente de se nourrir des monstres spirituels plus faibles qui osent se perdre près de chez lui, de temps en temps. »

« Hmm… Je crois que je vais attendre qu’il s’en aille. » Shi Kun se décida alors à faire une petite sieste, tout compte fait. Après tout, le monstre se lasserait bien avant lui. Mais la Paresse n’était pas de cet avis.

« Tu es peut-être le premier repas qu’il va prendre depuis plusieurs mois, des années peut-être. Penses-tu qu’il va laisser tomber si facilement ? Il est puissant, tu sais. D’ici, je peux le sentir. Ses fondations sont établies et s’il t’attrape, tu n’as pas la moindre chance d’en réchapper. »

Shi Kun faillit en tomber à la renverse. Un monstre spirituel du stade des Fondations ? Dans quelle misère s’était-il encore fourré ? Ne pouvait-il pas s’échapper en douce ? La Paresse semblait persuadée que non. Alors, comment allait-il pouvoir sortir de sa cachette ?

La réponse ne tarda cependant pas à venir et sans qu’il eut besoin d’aller la chercher. Un cri strident retentit à l’extérieur, loin dans le ciel. Le genre de vibration capable de vous percer les tympans si vous vous en trouvez un peu trop proche et qui fit frémir tous les muscles de Shi Kun, même certains dont il ignorait l’existence.

« C… C’était quoi, ça ?! » Shi Kun se mit à paniquer et à raison. L’air autour de lui sembla continuer à vibrer et tout à coup, un impact déchira la souche géante dans laquelle il se cachait. Shi Kun fut sonné et roula sur le sol pour ne s’arrêter que plusieurs dizaines de mètres plus loin lorsque son dos rencontra un rocher qui traînait là, non sans une grimace de douleur affligeante.

Shi Kun parvint à garder le silence malgré la douleur et de ses yeux plissés, dans un nuage de poussière et d’échardes, il devina que la souche avait totalement explosé, sans doute suite à une attaque de l’oiseau un peu trop impatient de dénicher son futur déjeuner.

Pour lui répondre et lui donner raison, ce dernier poussa un cri de plus, invisible au milieu du chaos qu’il avait lui-même créé et peut-être à cause du manque de visibilité dans le nuage de terre et de poussière que son attaque en piqué venait de soulever, s’envola à nouveau sans crier gare.

« Oh… Oh, non ! Mais bien sûr ! Les Fondations ! »

Shi Kun se rendit compte trop tard que l’oiseau n’avait pas décidé de reprendre son envol parce qu’il n’y voyait rien. Un être du stade de l’Établissement des Fondations pouvait ressentir la présence des formes de vies inférieures l’entourant aussi facilement qu’il pouvait sentir l’odeur d’un bon fruit spirituel mûr pendu sous son nez.

À peine à une centaine de mètres du sol, l’Aru Emi fit volte-face pour retomber en piqué dans la direction de Shi Kun, ne lui laissant pas même le temps de respirer trois fois avant de l’attraper entre des serres aussi puissantes que les cieux.

« Ahhh ! Aaaaah, nooon ! » Shi Kun chercha à se débattre mais il pouvait aussi bien chercher à déplacer une montagne : la différence de niveau était insurmontable et l’impassibilité de son ravisseur en était une preuve éloquente.

Le monstre emmena Shi Kun loin dans les cieux, à tel point que ce dernier eut l’impression de pouvoir apercevoir des villes et des villages dans le lointain, dans plus d’une direction. Mais quelle importance ? Il cessa bien vite d’essayer de lutter. S’il chutait maintenant, il mourrait probablement, ou se briserait les os dans le meilleur des cas. Et le monstre était bien trop puissant pour n’était-ce qu’espérer s’en sortir en vie.

« Alors c’est tout ? » Shi Kun, le vent dans les cheveux et les larmes aux yeux, vit sa dernière heure arriver. « Je vais me faire dévorer par ce monstre ? Telle sera la fin de mon histoire ? Digne d’un mendiant, n’est-ce pas ? »

Shi Kun ne voulait pas abandonner. Mais quelle autre option avait-il ? Se battre ? Il aurait obtenu de meilleurs résultats s’il avait tenté de combattre tous les génies de sa génération en une seule fois ! Tout ce qui lui restait, c’était… c’était attendre un miracle.

« Patriarche ! Sauvez-moi ! » Les larmes lui coulant le long des joues, Shi Kun ne put s’empêcher d’en appeler à la seule puissance qu’il connaissait et qui pouvait, pour ce qu’il en savait, terrasser un monstre spirituel du stade de l’Établissement des Fondations. « Paaaatriiiiiaaaaarche ! »

Du fond de ses poumons, Shi Kun s’égosilla encore et encore, jusqu’à ce que la gorge lui fasse mal et que sa voix s’enraye.

« Il… Il est trop loin ? Il n’arrivera jamais à temps ! Je sais ! Incarnation de la Paresse ! »

Alors que l’oiseau et sa proie volaient à toute vitesse en direction de la montagne la plus haute, l’air se déchira et l’ouverture surnaturelle sembla suivre Shi Kun à la trace. « Hmm ? »

La tête de tortue démoniaque sortit de son trou et comprit immédiatement quelle était la situation. « Je t’abandonne quelques instants et tu te mets dans un pétrin fou ? »

« La ferme ! Aide-moi ! » Shi Kun intima à son invocation, qui lui devait théoriquement allégeance et obéissance, de lui porter secours d’une manière ou d’une autre.

« Et comment veux-tu que je fasse ? As-tu oublié que ma puissance en ce monde est liée à ta base de cultivation ? Je ne suis pas réellement plus fort que toi… » Mais la Paresse écrasa l’espoir de Shi Kun dans l’œuf. Bien entendu, il s’y attendait, mais il avait tenté le coup : il valait mieux ça que se faire dévorer sans avoir rien essayé !

« Tu n’as qu’à attendre ton patriarche, ha ha… » La Paresse, qui semblait prendre la situation un peu trop à la légère, rentra la tête dans son trou et disparut vers son plan démoniaque. Shi Kun, laissé là, dans les nuages, seul avec son ravisseur, pleura une fois de plus.

« Patriarche… »

Soudain, les yeux de Shi Kun furent traversés d’une lumière de génie.

« Patriarche ? Mais oui ! »

Shi Kun se tortilla afin de parvenir à tapoter tant bien que mal sa sacoche spirituelle pour y envoyer ses sens spirituels. Si le patriarche avait laissé une boussole Feng Shui de jade à Shi Kun pour un cas désespéré où ce dernier pourrait avoir besoin d’argent, alors il avait parfaitement pu lui laisser également de quoi se défendre en cas de coup dur !

« Un… Un objet magique, voilà ce qu’il me faut ! Le patriarche m’en a sans doute laissé, et s’il s’agit de ceux du patriarche, alors ils seront sans doute capables de donner une bonne leçon à cet oiseau de malheur ! » Pendant quelques instants, Shi Kun balaya l’intérieur de la sacoche spirituel à la recherche d’un quelconque objet laissé là par le patriarche. Mais c’était comme chercher une plante du regard au milieu d’une forêt. Ou plus précisément, comme essayer de découvrir l’entrée d’une grotte de montagne en volant très loin au-dessus : il fallait de la chance, il fallait tombe dessus par hasard, et Shi Kun avait besoin pour ça d’une fortune considérable. Peut-être suffisamment pour en priver toutes ses vies futures !

« Peu importe ! Il faut que je trouve quelque chose ! » Shi Kun fit de son mieux pour chercher le plus rapidement possible. « Accélère… Accélère !!! »

Peu habitué à faire les choses rapidement, peu enclin à prendre le destin de vitesse, il était malgré tout quelqu’un de paresseux et qui aimait faire les choses lentement et avec délicatesse. Devoir apprendre à aller de plus en plus vite afin d’augmenter ses chances était une souffrance, une véritable torture. Mais il en allait de sa vie et Shi Kun ne regarda pas à la dépense d’énergie.

Inconsciemment et par sa seule volonté, Shi Kun avança d’une étape supplémentaire dans la maîtrise du qi. Parvenant à contrôler sa conscience et son qi afin de balayer de ses sens spirituels l’intérieur d’une sacoche spirituelle plus vaste que l’océan et les cieux réunis, il comprit sans même le remarquer comment canaliser son qi afin de lui donner un ordre unique, une directive que toute son âme devait suivre envers et contre tout.

Et tout ça porta ultimement ses fruits. Au bout de plus de temps qu’il ne parvint à calculer, l’oiseau finit par se poser au pic de la plus haute montagne pour lâcher son étau sur Shi Kun, qui tomba directement dans un nid de plus de dix mètres de diamètre.

« D… Dans son nid ? » Au moment où Shi Kun aperçut les oisillons de la taille d’un bœuf, le bec grand ouvert et les yeux emplis d’une famine intense, sa conscience toucha quelque chose dans la sacoche spirituelle. Shi Kun ne savait pas de quoi il s’agissait mais l’urgence de la situation lui imposa de ne plus rien en avoir à faire.

« O… Objet magique ! Aide-moi ! » Au moment où les trois énormes rejetons du roi des environs se jetaient avidement sur lui et tout en voyant du coin de l’œil l’Aru Emi adulte s’envoler vers d’autres cieux après l’avoir balancé là, Shi Kun activa l’objet magique qu’il avait trouvé en y injectant d’un seul coup le plus de qi qu’il put.

Raka
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