MoL : Chapitre 45
MoL : Chapitre 47 Bonus

Chapitre 46 – L’autre côté.

 

— Je suis prêt, dit Zorian. Tu peux commencer à lancer le sort quand tu veux.

Estin, son partenaire actuel d’apprentissage, lui offrit un hochement de tête solennel avant de lancer des missiles magiques en succession rapide. Zorian les intercepta tous calmement avec son bouclier, divisant son attention entre l’observation de la façon dont Estin lançait ses sorts afin de pouvoir le conseiller après coup et la limitation de la puissance de son bouclier, pour qu’il soit juste assez solide pour encaisser les attaques. Une mauvaise idée en général – si ç’avait été un vrai combat, comme avec Taiven, être aussi pingre que possible dans un contre était la recette du désastre. Mais bon, son groupe avait plus ou moins abandonné tout espoir lorsqu’il était impliqué : il était trop bon et ne savait pas comment se retenir correctement, donc sa participation ne s’était vite résumée qu’à devenir une cible vivante et un conseiller ambulant.

Non que ça le rendait inutile au groupe, loin de là, mais ça signifiait que lui-même devait se montrait créatif afin d’en tirer un quelconque bénéfice.

Après quatorze missiles magiques, Estin cessa d’en lancer et changea de position pour se défendre tandis que Zorian attaquait. L’ancien Ibasien était la seule personne du groupe à pouvoir réellement encaisser l’un des missiles magiques de Zorian lancé à pleine puissance, et ce dernier n’avait donc pas à retenir ses coups. Les sphères de terre flottantes qu’Estin utilisait comme boucliers étaient bien plus résistantes que ce qu’il l’avait initialement pensé, et essuyaiebt les missiles magiques avec aisance. Peu importait ce qu’il tentait, il ne parvint pas à en ébrécher le moindre, encore moins en détruire. C’était un défi des plus intéressants.

Il avait déjà largement atteint un plateau en matière de puissance de ses missiles magiques. Comme tous les sorts, celui-ci ne pouvait être surchargé qu’avec un montant limité de mana avant de se déstructurer, et Zorian en était au point où il ne pouvait simplement plus y ajouter la moindre once de mana sans déstabiliser le tout. C’était vraiment dommage, le missile magique étant son sort le plus économe en sa possession grâce au temps fou qu’il avait passé à le lancer. En fait, le sort était si économique qu’il ne lui permettait même plus de juger à quel point ses réserves de mana avaient augmenté. Il pouvait en lancer 35 à la chaîne, soit plus de quatre fois ses capacités initiales – ce n’aurait pas dû être possible, spécialement parce qu’il était certain que ses réserves n’avaient pas encore atteint leur maximum, et la conclusion logique qu’il en avait tirée était tout simplement que ses missiles magiques étaient devenus bien moins coûteux que par le passé. Le système de magnitude n’était d’ailleurs sans doute pas pensé pour des gens comme lui – il doutait fortement que beaucoup de mages s’entraînaient aussi assidument que lui à lancer des missiles magiques.

Et encore, pour toutes les additions que ses missiles possédaient désormais, il savait de Kyron qu’il n’avait pas encore atteint le pinacle du sort. Un missile magique proprement exécuté était parfaitement invisible, ce que n’étaient pas les siens.

Il avait une idée pour ça, cela dit.

Dans son groupe, nul autre qu’Estin ne pouvait les encaisser de façon fiable sans voir leurs boucliers abandonner le combat. Même ses missiles normaux s’avéraient trop puissants, alors qu’il ne les surchargeait en rien. En conséquence de quoi il s’était vu forcé d’apprendre à ajuster ses attaques, à les revoir à la baisse jusqu’à quelque chose qu’ils pouvaient affronter. Il découvrit rapidement qu’affaiblir ses missiles volontairement était plutôt ardu : saboter la structure d’un sort afin de le rendre plus amateur était inélégant et faisait honte à sa profession, mais tenter de rendre des missiles déjà parfaits plus faibles sans en altérer la structure était loin d’être si simple que de le dire. Ses réflexes, acquis et travaillés au fil des années passées dans la boucle temporelle, et même la construction même du sort tendaient automatiquement vers un effet optimal. Aller contre ça était une lutte de tous les instants.

Pourtant, il attrapa le truc en quelques jours et découvrit qu’en diminuant suffisamment leur puissance, il pouvait forcer la brillance et l’opacité à chuter comme une pierre dans un lac. Au point le plus bas, il pouvait produire des missiles qui n’étaient rien de plus qu’un simple flou dans les airs – et malheureusement, à peu près aussi efficace que de l’air en touchant leur cible. Pourtant, s’entraîner à lancer des sorts de faible puissance lui permit de plus facilement repérer les fautes et les imperfections dans la structure de ses sorts, et les corriger immédiatement conduisait à une faible mais notable augmentation de la rentabilité du sort.

Il avait le sentiment qu’il s’agissait là du secret d’un développement de sorts de force invisibles – il ne fallait pas commencer par créer des versions normales qui l’étaient, mais travailler sur des versions bien plus faibles, techniquement parfaites et plus économiques, avant de progresser de façon stable vers la version à pleine puissante parfaitement exécutée.

Aucun des livres qu’il avait trouvés n’avait souligné cette méthode comme un moyen potentiel de le faire et suggéraient au lieu de ça l’entraînement par la répétition du sort à pleine puissance, mais Zorian sentait bien que l’idée avait du mérite. Il n’avait pas grand-chose à perdre à essayer puisque les méthodes suggérées officiellement consistaient en une pratique sans réflexion de la version normale pendant des années, parfois des dizaines d’années. Oui, il était coincé dans une boucle temporelle, mais il devait y avoir un moyen plus rapide que ça.

Après avoir échoué à pénétrer les défenses de terre d’Estin, il réclama une petite pause pour laisser tout le monde récupérer son mana. Il n’avait personnellement pas besoin de ça – il utilisait volontairement une moindre portion de ses réserves durant ces sessions d’entraînement, et il avait déjà maîtrisé la technique d’assimilation du mana ambiant autant qu’il le pouvait : il lui fallait en général quelques minutes à peine pour se trouver la forme. Les autres devaient reprendre leur souffle, et il devait toujours en rester conscient.

Au moins, il apprenait les limitations des gens de son âge. Il avait honnêtement oublié ce que signifiait se trouver à leur niveau et avait des soucis à juger ce qu’ils pouvaient trouver digne de présenter un défi, voire impossible. Avec un peu de chance, cette expérience allait l’équiper de ce qu’il fallait pour prétendre être un étudiant normal à l’avenir, ou au moins… un étudiant ayant conscience de ce qui pouvait attirer l’attention.

La pause fut interrompue lorsqu’Edwin les rejoignit, suivi par le dernier golem en date.

— Eh, Edwin, le salua Naim. Qu’est-ce qui t’amène ? Tu as finalement décidé de nous rejoindre ?

— Ha, non. Non, je suis ici pour ça, dit-il en poussant fièrement le petit golem par les épaules afin que le groupe puisse bien le voir.

La construction était plutôt impressionnante, même si le jugement de Zorian était un peu biaisé. Mesurant un peu moins d’un mètre, le golem n’avait pas l’air particulièrement intimidant, mais il doutait que quiconque pût le prendre pour un jouet inoffensif. Sa carrure fine et humanoïde était façonnée dans un acier alchimique et alimenté par une batterie de cristaux de mana plutôt massive qui lui fournissait une quantité impressionnante de mana. Ses mouvements étaient souples et naturels, et malgré la poussée plutôt brutale d’Edwin, il ne perdit pas l’équilibre comme tous ses prédécesseurs auraient pu le faire. Le golem avait l’air d’un vrai petit aide de camp et un défenseur de la dernière chance.

Ils avaient fait un travail vraiment splendide, Zorian le sentait. S’être octroyé l’aide d’Edwin avait définitivement été le bon choix.

— Propre, commenta Naim. C’est sur lui que toi et Zorian avez travaillé pendant tout ce temps, n’est-ce pas ? Alors ?

— Oui, confirma Zorian.

La dernière fois qu’ils s’étaient vus, il avait laissé le golem entre les mains d’Edwin afin qu’il pût effectuer toute un panel de tests pour vérifier son bon fonctionnement. Edwin avait-il trouvé une faille dans la construction ou était-il juste venu se pavaner avec leur nouvelle merveille ?

— Quelque chose ne va pas avec ce truc, Edwin ? demanda Zorian.

— Ce truc ? répéta Edwin, feignant l’outrage. Son nom est Chelik et il est absolument parfait ! Je veux dire, regarde-le ! Tout le monde, voici Chelik. Chelik, dis bonjour à ces gentilles gens rassemblés ici.

Le golem fit un signe discret de la main avant de la laisser retomber sans cérémonie.

Ouais, apparemment, Edwin était là pour se pavaner. Zorian aperçut Estin et Kopriva lever les yeux au ciel tandis que Briam et Raynie semblaient honnêtement impressionnés. Naim se contentait de sourire sereinement, et Zorian ne put dit s’il était content pour son ami ou s’il se moquait simplement de lui, quoique gentiment.

— Malheureusement, il a une chose que je n’ai pas pu tester comme il se doit, continua Edwin. Nous avons équipé ce petit gars de toutes les barrières défensives qu’on a trouvées. Enfin, Zorian l’a fait, j’ai juste regardé et pris des notes. Mais peu importe, le truc, c’est que Chelik devrait être capable d’encaisser une quantité énorme de dégâts et…

— Tu veux qu’on tente de l’endommager, résuma Estin.

— Oui, confirma Estin en souriant jusqu’aux oreilles. Je vais me décaler et vous pourrez tous l’attaquer de concert.

— Nous tous ? s’étonna Raynie.

— Ouais. Il est vraiment costaud, alors ne vous inquiétez pas de trop en faire. Je ne pense pas qu’aucun de vous soit capable de lui faire de mal individuellement.

Eston fronça les sourcils, clairement mis au défi, avant de poser une main au sol. Pendant une seconde, rien ne se produisit, mais soudain et sans avertissement, le sol sous le golem s’éventra en une mâchoire semblant pouvoir – et vouloir – avaler la pauvre créature. Elle se referma sur Chelik, qui se retrouva à moitié enfoncé dans le sol, seule sa tête dépassant.

Edwin observa le golem enterré pendant une seconde avant de tourner le regard vers Estin d’un air peu certain. Estin, quant à lui, pencha légèrement la tête sur le côté en souriant, clairement satisfait de son attaque.

— Ok, je n’ai rien dit, gloussa Edwin. Peux-tu s’il te plaît le déterrer pour qu’on puisse passer au vrai test ?

Ils finirent par tenter d’abattre le petit golem à l’aide d’un barrage de missiles magiques collectif, et comme prévu, échouèrent. Même les missiles de Zorian n’endommagèrent pas Chelik le moins du monde, bien que frapper la tête et membre pût le déséquilibrer et le faire tomber. Estin tenta de le réduire en feraille grâce à l’une de ses sphères terrestres, mais ne parvint lui aussi qu’à le faire tomber et l’immobiliser tant que la sphère ne bougeait pas. Kopriva lui lança une fiole emplie d’un acide alchimique, ce qui ne fonctionna pas plus. Finalement, Briam se laissa aller et invoqua son familier pour lui faire cracher du feu, noyant le golem dans un rideau incandescent pendant quelques instants. Au moins, cette attaque eût un quelconque effet dans le sens où le golem termina avec quelques degrés de plus… Les barrière anti-feu n’étaient pas capable de gérer les feux magiques, semblait-il. Edwin mit fin à la séance de tests à ce moment, peu désireux de voir sa création détruite pour de vrai.

Un résultat satisfaisant, toutes choses considérées. Cela dit, la vulnérabilité aux attaques capables de l’enterrer était évidente et représentait une vraie faiblesse, et Zorian réfléchissait déjà ce qu’il pouvait faire pour la surmonter à l’avenir.

La fin du test d’Ewin sonna également celle de la session d’entraînement, et la plupart s’excusèrent pour aller vaquer à leurs autres occupations. Le festival n’était plus qu’à quelques jours, et c’était techniquement la dernière session qu’il allait partager avec ce groupe. Ce fait le rendit étrangement triste – il avait, à l’origine, ressenti cette perte de temps comme inutile, mais les camarades de classe qu’il avait côtoyés avaient tous finis par laisser leur marque sur lui. C’était bon de voir quelqu’un finalement respecter ses compétences et ses résultats, pour changer, au lieu de de constamment entendre un type lui dire à quel point il était incapable et de recommencer, recommencer, recommencer, bordel.

Il se tourna vers Raynie, la dernière personne à être restée dans la salle d’entraînement. Elle n’avait pas l’air de vouloir partir bientôt, aussi jugea-t-il qu’elle désirait lui parler.

— Oui ? demanda-t-il.

— Tu as trouvé quelque chose à propos de ce morceau d’âme bonus ?

Elle essayait de gagner du temps mais peu importait. Aucune raison de ne pas répondre à cette question.

— En quelque sorte, dit-il. J’ai trouvé plusieurs moyens d’interagir avec elle, mais je ne sais que ce que l’un d’eux fait réellement. En tout cas, je pense savoir. Je vais tester très bientôt pour en être sûr.

Oui, c’était plutôt surprenant, mais apparemment, le marqueur était supposé pouvoir être manipulé par son porteur. Il existait plusieurs… leviers, par manque d’un meilleur terme, qui étaient clairement là pour faire quelque chose une fois activés. Un bon nombre d’entre eux étaient inactifs et ne réagissaient pas du tout à ses sondes, soit parce qu’il ne savait pas exactement comment les faire fonctionner soit parce qu’ils avaient été cassés pendant le transfert depuis l’âme de Zach. Certains d’entre eux étaient parfaitement fonctionnels par contre, et répondaient avec joie, avides de donner satisfaction aux demandes qui leur étaient faites comme de bons petits toutous.  Il se retint fermement de les tester, pour une raison plus qu’évidente.

Tous, sauf un. Il y avait un levier qui lui avait immédiatement renvoyé la vague impression de ce qu’il était supposé faire lorsqu’il avait tenté de s’en approcher. Il prévoyait de le tester à la conclusion de sa tentative d’infiltration du portail.

— Assure-toi que quelqu’un veille sur toi quand tu le feras, l’avertit Raynie. Au minimum, pour appeler de l’aide si tu tombes sans raison.

— C’est prévu, mentit Zorian. Maintenant, dis-moi. Qu’est-ce qui te dérange vraiment ?

— Rien que tu puisses arranger, soupira-t-elle. J’avais juste envie de me plaindre à quelqu’un, je suppose. Je n’ai personne à qui me confier à l’exception de Kiana. C’est ma faute, vraiment. Je n’ai jamais essayé de me faire des amis. Je ne veux pas ennuyer Kiana avec ça et…

— Eh bien, plains-toi, lui répondit Zorian en se tapotant l’épaule avec un sourire – il commençait à avoir l’habitude que les filles vinssent pleurer dans ses bras, même si ça n’allait être que métaphoriquement, cette fois. C’est à propos de ta famille ?

— Oui, confirma-t-elle. Je leur ai envoyé une lettre, la semaine passée. Je leur ai demandé si je pouvais rentrer à la maison pour le festival d’été. Et apparemment, je ne suis pas la bienvenue. Bon, ils ne me l’ont pas vraiment dit de la sorte, mais je sais lire entre les lignes.

Dur.  Qu’avait-elle fait pour mériter ce genre de réponse ? Eh bien, Raynie avait bien dit qu’elle voulait se plaindre, alors il allait sans doute le découvrir très bientôt. Il choisit donc de garder le silence pour la laisser s’exprimer.

Après un moment de mutisme pendant lequel elle rassembla ses pensées, elle entama son histoire.

— La gouvernance de ma tribu est héréditaire, commença-t-elle. Le premier fils du chef hérite de son manteau, aussi simple que ça. Mais le problème, c’est que mon père n’a pas eu de fils. Ma mère a eu des complications lorsqu’elle était enceinte de moi, et la tribu a refusé d’appeler des guérisseurs étrangers à l’aide. Après ma naissance, elle s’est vue incapable de concevoir un autre enfant… Au moins, c’est ce que nous avons tous pensé, pendant tout ce temps. Quoi qu’il en fût, il a été décidé qu’en l’absence de fils, même une fille pouvait faire l’affaire. Personne ne désirait vivre une crise successorale. Tu sais, ça peut mener à la perte d’une tribu, ce genre de choses.

Hmm, alors la tribu acceptait de mettre une fille aux commandes, mais n’était pas très heureuse de le faire. En considérant le scénario hypothétique dont elle lui avait parlé plus tôt dans le mois, il voyait déjà où tout ça allait finir…

— J’ai grandi, et on me répétait sans cesse que je devais être forte pour la tribu, continua-t-elle. Qu’il fallait que je travaille dur et que j’incarne les idéaux que nous représentions, qu’il ne pouvait être question du fait que je mérite ma position ou pas. Je ne leur en ai jamais voulu pour ça. J’étais fière de ma tribu et de mes parents parce qu’ils avaient mis tant de foi en moi… J’ai fait de mon mieux, et je le faisais bien. Si bien qu’à cette époque, même ceux qui avaient toujours critiqué le choix de la tribu ne pouvaient plus que se taire. Et ma mère est tombée enceinte à nouveau.

Zorian grimaça intérieurement. C’était un fils, assurément.

— Neuf mois plus tard, elle a donné naissance au petit garçon que mes parents avaient toujours voulu, dit-elle avec amertume, ce qui confirma ce dont Zorian était déjà certain. Je n’ai pas été immédiatement boutée en touche, bien entendu. Ils devaient s’assurer que mon frère n’était pas un incapable avant de faire quelque chose de si radical. J’ai nourri des espoirs, pendant un temps, que je pourrais conserver le manteau héréditaire en faisant montre d’un talent supérieur et d’efforts sans bornes, mais évidemment… mon frère était un prodige. Il était clair qu’il allait m’éclipser un jour. Je… je l’ai pas très bien pris. Je ne suis pas descendue de ma position avec calme, et certains membres de la tribu étaient derrière moi. Principalement parce qu’ils jugeaient que j’avais largement fait mes preuves alors que mon frère, talent ou pas, n’était encore qu’un inconnu à leurs yeux ; de plus, un héritier désigné n’avait jamais été déchu de ses droits de la sorte, et ce comportement était vraiment douteux. Mais ultimement, mon pire ennemi fut mon propre père – alors que je pensais qu’il était fier de moi, de tout ce que j’avais accompli… au bout du compte, c’est lui qui a argumenté avec le plus de véhémence en faveur de mon frère. Comment aurais-je possiblement pu gagner une bataille dans laquelle mon propre père, chef de la tribu, se levait ouvertement contre moi ?

— Alors ils ne veulent pas que tu reviennes pare qu’ils pensent que tu pourrais être une menace à la légitimité de ton frère ? supposa Zorian.

— Je suis une menace, Zorian ! s’exclama Raynie. J’étais. Je ne sais pas. Je ne suis plus sûre de rien. Je sens que rien de tout ça n’a d’importance, au final. Qu’ai-je à quoi me raccrocher, maintenant ? Toute ma vie, on m’a appris à vivre pour la tribu et je ne suis même pas sûre de vouloir y retourner une fois qu’ils auront finalement daigné m’accepter. Qu’est-ce qui m’attend, là-bas ? Je suis sûre que je ne serai même plus heureuse d’y vivre.

Zorian l’étudia quelques instants, se demandant s’il devait tenter de la réconforter. Elle semblait plus en colère que triste, cela dit, et il sentait qu’elle n’apprécierait pas un tel geste. Mieux valait ne pas s’y risquer.

— Alors ta présence ici, c’est un exil ? demanda-t-il.

— Plus ou moins, répondit-elle. Ma présence ici permet de cimenter la position de mon frère sans que j’interfère. En plus, être instruite par des étrangers et apprendre une magie étrangère détruit les derniers lambeaux de légitimité que je pourrais avoir.

— Je ne comprends pas pourquoi ils ne te laissent pas rentrer pour le festival, dans ce cas, dit Zorian. Non que je comprenne pourquoi tu voudrais retourner auprès d’un père et d’un frère que tu ne peux pas supporter, mais ce n’est pas la question. Si tu as été vaincue si platement, ils n’ont sûrement rien à craindre à te laisser pendant quelques jours. C’est vraiment mesquin de leur part.

— Je me suis un peu comportée comme une salope avec mon frère, la dernière fois que je suis rentrée, admit-elle. Je suppose que ce petit déchet est allé chialer dans les jupes de maman, parce que depuis, ils me tiennent éloignée. Ils semblent s’imaginer que je risque de le tuer. Si insultant.

Ils continuèrent à discuter quelques temps – Raynie parlait, Zorian écoutait – et elle finit par arriver à court de vapeur, resta silencieuse pendant un long moment et lui annonça qu’il était tard et qu’elle devait rentrer. Avant de partie, par contre, elle lui dit qu’elle avait adoré leurs rendez-vous réguliers et que s’il le désirait, elle était partante pour continuer, bien que leur but premier avait été rempli depuis belle lurette.

Zorian accepta. Bien sûr qu’il accepta. Et malgré son comportement stoïque, il pouvait sentir qu’elle en était très heureuse. Mais le festival était juste à deux pas et elle allait bientôt oublier tout ce qui s’était passé entre eux. La prochaine fois qu’ils se verraient, ils ne seraient plus que deux étrangers l’un pour l’autre.

Il décida de ne pas l’approcher à l’avenir. Pas pendant que la boucle serait toujours active, quoi qu’il arrivât. S’il parvenait un jour à en sortir, alors oui, il se promit d’essayer d’en faire une vraie amie, pour de bon. Elle lui rappelait trop ce qu’il était jadis, bien trop pour pouvoir l’ignorer. Comme elle l’avait dit, il ne pouvait pas résoudre son problème mais… peut-être que posséder un ami de plus serait déjà suffisant.

Il resta dans la salle d’entraînement pendant quelque temps après ça, perdu dans ses pensées, avant de se décider à rentrer chez Imaya.

 

___

 

La veille du festival, tout était prêt. Il avait empêché l’enlèvement de Nochka une fois de plus, fabriqué tout l’équipement qu’il allait utiliser lors de sa tentative d’infiltration et ramené les Sages Filigranes chez elles. Maintenant, tout ce qui restait à faire, c’était rassembler les affaires de Kael et de Taiven pour les stocker dans son esprit pour la boucle suivante.

Et il était justement en leur compagnie à tous dans le sous-sol de la maison d’Imaya, pour cette raison précise.

— Voilà, dit Taiven en lui tendant un petit calepin. Je ne peux pas croire être en train de dire ça, mais je suis heureuse que ce mois touche à sa fin. Tu n’as pas idée à quel point c’est ennuyant de pratiquer des exercices à longueur de journée, jour après jour.

— Taiven, Xvim est mon mentor depuis quatre ans, lui fit-il remarquer.

— Ouais, ouais, répondit-elle en secouant la main.

— Montre-moi ce que tu as appris, lui intima-t-il.

— Quoi ? Mais tout est écrit là, protesta-t-elle en désignant le calepin qu’il tenait dans les mains.

— Ce n’est pas grave, je veux voir personnellement, insista-t-il. Certaines choses ne peuvent pas être écrites.

Elle avait progressé plutôt agréablement, décida-t-il quinze minutes plus tard. Certaines choses qu’il considéraient triviales n’avaient pas fonctionné, ce qui signifiait que soit il ne les lui enseignait pas correctement, soit elles ne lui convenaient pas, mais d’autres exercices lui étaient venus beaucoup plus naturellement. C’était un très bon début, dans tous les cas.

— C’était bien trop lent, dit-il. Et tu as un peu bâclé la fin. Reco –

— Si tu me dis de recommencer une seule fois de plus, Zorian…

— Bon, bon, je vais réprimer mon Xvim intérieur, pouffa-t-il. On va arrêter là. J’ai vu ce que je voulais voir, je pense. Kael, et toi ? Mes yeux me jouent-ils des tours, ou ce que tu me donnes là est bien plus petit que ce à quoi je m’attendais ?

— Tu as dit que tu mémorisais la structure du livre entier, et pas uniquement le texte, alors je me suis dit que j’allais écrire le plus petit possible afin d’économiser de la place. Un livre prend la place d’un livre dans ton esprit, peu importe ce qu’il contient, si j’ai bien compris.

— C’est vrai, mais le schéma d’altération n’est jamais sans faille et quelques imperfections sont obligatoirement produites. J’espère que tu n’as pas écrit trop petit…

Quelques tests rapides prouvèrent que l’écriture condensée de Kael survivait à la reproduction, aussi Zorian mémorisa-t-il le tout.

— Bon. Je suppose qu’on y est, Taiven lâcha-t-elle d’un ait étrange. Je suppose qu’on se reverra dans la prochaine boucle. Même si je ne m’en souviendrai pas…

— En fait, je ne reviendrai pas à Cyoria pour deux ou trois mois, admit Zorian. J’ai besoin de trouver un moyen d’empêcher ou de ralentir la dégradation du paquet mémoriel de la matriarche Aranea. Et de faire progresser mes compétences mentales sous certains aspects. Je ne peux pas perdre de temps en classe avant de résoudre ce problème.

— Je comprends, dit Kael. Je vais noter que j’ai épuisé à peu près tous les fruits bas de gamme en ce qui concerne ma recherche. Je vais avoir besoin de contacter d’autres experts et peut-être acquérir du matériel pas tout à fait légal par des voies qui le sont tout autant, la prochaine fois que nous ferons ça. Je sais que tu crains – et avec justesse – de faire trop de vagues, alors tu devras en discuter avec… moi.

Il était de bon ton qu’il mit de côté sa routine cyorienne, en ce cas. Il n’avait vraiment pas besoin de ce genre de distraction pour l’instant.

Le groupe finit par se séparer, Zorian remontant trouver Kirielle. Il y avait une dernière chose qu’il voulait lui demander avant la fin.

— Kiri, pourrais-tu me montrer tes dessins ? lui demanda-t-il.

Elle n’avait pas besoin d’être convaincue. Elle courut hors de la chambre et en revint avec une épaisse pile de feuilles en papier représentant son travail artistique du mois. Elle dessinait vraiment tout ce qui lui passait par la tête, vraiment – les moineaux qui se rassemblaient dans la rue devant la maison, la maison et ses habitants, les arbres dans le parc proche où elle jouait avec Nochka, etc. Il fut spécialement impressionné par toutes les images dépeignant la gare de Cyoria ; non seulement s’était-elle souvenu de l’emplacement de toutes les boutiques qu’ils avaient visitées, mais elle avait même mémorisé les de nombreux articles qui y étaient vendus. Zorian avait oublié la plupart de ces choses cinq minutes après les avoir vues, mais Kirielle avait réussi à en dessiner une représentation fidèle plus d’un jour après.

S’il trouvait vraiment du temps à tuer, il demanderait à Kirielle de lui apprendre à dessiner. Il doutait être bon, mais l’image mentale de sa petite sœur tentant de le lui apprendre était plutôt amusante.

— …et celle-là, c’est Nochka sous sa forme de ch – euh… bégaya Kirielle, se rattrapant au dernier moment avant de lui lancer un regard paniqué et de tenter de fourrer le dessin de ce petit chat noir sous une pile de dessins déjà inspectés.

Heh.

— Sa forme de chaton, peut-être ? demanda innocemment Zorian.

— Tu savais ? baya Kirielle.

— Je savais, lui sourit-il. Alors, pouvais-tu voir qu’elle était une métamorphe avant, ou est-elle simplement aussi bonne que toi pour garder un secret ?

— J… Je ne suis pas mauvaise quand il s’agit de garder un secret ! s’écria Kirielle. Et, euh, elle a plus ou moins laissé échapper qu’elle pouvait pratiquer un peu de magie et je l’ai harcelée jusqu’à ce qu’elle me montre ce qu’elle savait faire.

Ah, oui, la tendance éternelle qu’ont les gens à se vanter de ce qu’ils savent faire. Bon, ça et l’incroyable capacité qu’avait Kirielle à aborder n’importe quel sujet jusqu’à avoir obtenu de la cible qu’elle décidât qu’il était plus simple de tout lui dire. Il ne reprochait pas à Nochka d’avoir cédé, en considérant le nombre de fois où il l’avait fait lui-même.

L’indiscrétion de Nochka mis à part, aucune surprise ne l’attendait parmi les dessins de sa sœur. Il tenta alors de lancer le sort de mémorisation pour stocker la pile entière dans son esprit mais se rendit compte que Kirielle était bien trop protectrice de son travail et suspicieuse. Il fallut à Zorian un long moment pour la persuader que le sort qu’il voulait lancer était totalement inoffensif et qu’il ne brûlerait même pas son travail en rêve. Vraiment, où avait-elle était chercher cette idée ?

— Un jour, Fortov a brûlé une pile de dessins quand je lui ai demandé de me montrer un peu de magie, avoua-t-elle. Il a dit que c’était une blague.

Zorian leva les yeux au ciel. Oui, c’était bien du genre de son frère de faire ça. Connaissant Kirielle, elle avait probablement été très pressante et ennuyeuse mais… c’était malgré tout un comportement de merde de la part de Fortov.

— Je me sens quelque peu insulté que tu me compare à lui, mais peu importe, dit Zorian avant de rapidement mémoriser les dessins. Voilà, c’est fait.

Kirielle feuilleta rapidement les pages pour s’assurer qu’il n’avait réellement pas dégradé le tout et le laissa là pour retourner les ranger dans sa chambre.

Elle revint bien assez vite, quelque peu inquiète.

— Zorian, pourquoi voulais-tu mémoriser mes dessins ? demanda-t-elle. Tu peux juste me demander de te les montrer quand tu veux y jeter un œil. Tu t’en vas quelque part ?

Zorian la regarda un peu de travers, se demandant que lui répondre. Il allait la laisser derrière lui pendant quelques boucles, et s’en sentait coupable, mais il ne pouvait rien y faire. C’était pour cette raison qu’il gaspillait de la mémoire de stockage mental pour y conserver ses dessins.

Elle était observatrice et était arrivée toute seule à cette conclusion nonobstant. Elle avait sans doute également remarqué ses autres préparatifs.

— Oui, avoua-t-il. Je pars. Après le festival d’été.

— Oh, soupira-t-elle. Mais ne dois-tu pas te rendre en cours ?

— Eh bien, oui, mais c’est plus important. D’ailleurs, ne t’en fais pas, je ne serai pas parti bien longtemps. Tu ne remarqueras même pas mon absence.

Étonnamment, elle accepta l’explication sans se plaindre. Bien. La dernière chose dont il avait besoin était une petite sœur apeurée ou attristée, si proche de la fin.

— Mais, décida-t-elle. Tu devras me ramener un cadeau quand tu rentreras. Sinon, je dirai à maman que tu m’as laissée seule avec des étrangers.

— Bien sûr, se mit à rire Zorian en levant malgré tout les yeux au ciel, avant de se demander si lui offrir ses propres dessins compterait comme un cadeau.

Ce serait probablement de la triche. Mais il comptait le faire dans tous les cas, juste pour voir sa réaction.

 

___

 

La porte dimensionnelle sous Cyroria était une cible compliquée à approcher. On devait éviter les nombreuses patrouilles ibasiennes pour n’était-ce que s’en approcher, et si l’on voulait ensuite s’y attaquer, on devait gérer une base construite autour de la porte elle-même. Fondre sur un tel endroit était une tâche digne d’un groupe de mages de combats vétérans, pas d’un Zorian solitaire, et donnerait aux ennemis tout le temps qu’il fallait pour refermer le portail si leur base était sur le point de tomber. Sans même parler de Quatach-Ichl, qui pouvait débarquer à tout moment si un tel assaut était lancé. Non, la seule façon viable d’accéder au portail était l’approche furtive. Une probabilité très incertaine en considérant la quantité de mages et de monstres qui arpentaient les lieux, et le tout sans même aborder les barrières de protection et de détection. Mais Zorian avait un plan. Un plan plutôt osé auquel il n’aurait jamais pensé donner une chance si ce n’était pas pour la boucle temporelle, mais un plan malgré tout.

Pour toute base, il partait du principe que les Ibasiens allaient envoyer à peu près l’intégralité de leurs forces à la surface pendant l’invasion, ne laissant éventuellement qu’une poignée de gardes pour défendre le portail. Aussi, le meilleur moment pour tenter son infiltration se trouvait être lorsque l’invasion aurait déjà démarré. S’ils étaient vraiment malins et prudents, le portail serait fermé au moment où l’invasion débuterait et tout son plan tomberait à l’eau. Mais Zorian voulait miser sur la chance que les Ibasiens pourraient avoir besoin de toute la main d’œuvre disponible afin de mener le combat à la surface, et que leur attaque nécessitait un portail fonctionnel afin de pouvoir se retirer en toute sécurité vers leur île. Il y avait un vaste océan entre Eldemar et Ulquaan Ibasa, après tout ; il espérait qu’ils ne laisseraient qu’un tout petit contingent derrière eux, avec pour ordre de faire appel à la liche s’ils se trouvaient en grand danger.

Ainsi, le jour de l’invasion finalement arrivé, Zorian descendit immédiatement et profondément dans les tunnels sous Cyoria et commença à chercher quelques rôdeurs faciles à dominer. Des monstres assez puissants pour créer le trouble, mais suffisamment faibles pour que les défenseurs ne se sentissent pas surmenés et ne paniquassent pas. Une simple attaque de monstres sans conséquences qui donnerait à Zorian l’occasion de se glisser dans la base sans être vu.

Il lui fallut du temps, mais il finit par tomber sur une meute de gobelins crochus – de petites créatures craintives qui avaient plus l’air de chauves-souris que d’humanoïdes dont les membres avant se terminaient en de longues griffes crochues. Très dangereux à courte portée, mais facilement tuables également. Une menace, mais pas une telle menace. Parfait.

Et il attendit. Comme le temps passait, ses prédictions prirent une allure de divination – les Ibasiens rappelèrent tous les groupes patrouillant autour de la base, permettant à Zorian de finalement approcher l’endroit pour poser ses yeux sur le centre de l’invasion ibasienne. Bon, il connaissait déjà la structure de la base grâce aux informations soutirées des Ibasiens capturés, mais ce n’était pas la même chose que de le voir par lui-même.

Il n’y avait aucun mur d’enceinte, mais chacun des tunnels qui menaient à la grotte possédait un point de repère servant de première ligne de défense.

Zorian patienta pendant un bout de temps afin que le nombre d’ennemis s’amenuise et lorsqu’il ne bougea plus, poussa mentalement les gobelins à attaquer l’un des points de repère en faisant de son mieux pour donner un coup de fouet à leur soif de sang et réprimer leurs peurs. Il n’eut pas à faire grand-chose, en réalité – les gobelins crochus semblaient des créatures perpétuellement colériques, dont la tendance à perdre les pédales n’était égalée que par leur attitude vicieuse face à la moindre provocation. Ils fondirent sur le point de repère en grinçant et criant, toutes griffes dehors ; la base entra immédiatement en état d’alerte.

Zorian avait initialement décidé d’utiliser cette attaque comme distraction pour attaquer un autre point de repère alors que tout le monde serait occupé avec les gobelins, mais ça devint très vite inutile – lorsqu’il atteignit la cible choisie, il découvrit que ses gardes étaient si peu professionnels qu’ils avaient quitté leur poste pour aider les autres à défaire les gobelins. Ou peut-être la base était-elle encore plus légère en hommes qu’il l’avait cru ? Peu importait, il décida d’en tirer avantage, tout simplement, et s’y précipita.

Il fila droit jusqu’au portail sans être dérangé ou vu par quiconque. À un moment, il croisa la route d’un mage courant vers l’endroit où la bataille faisait rage, mais il ne fallut qu’une très légère suggestion mentale pour le persuader que Zorian était totalement normal, à sa place, et qu’il n’avait rien de louche pour que l’homme hoche la tête dans sa direction et l’oubliât. Il ne s’était sincèrement pas attendu à ce que ce pût être si facile. Les gardes laissées derrière étaient vraiment les plus faibles d’entre tous, incapables de prendre part à l’invasion à proprement parler. Malheureusement, en atteignant le portail, il se rendit compte qu’il possédait ses propres gardes et que ceux-ci refusaient de quitter leur poste malgré le chahut.

Quatre mages et deux trolls. Il pouvait peut-être s’en occuper, mais sans doute pas sans foutre un gros bordel au passage. Une honte. Il était sur le point de jeter toute prudence aux quatre vents pour se mettre à balancer des boules de feu à tout va, accompagnées de cubes explosifs grandement améliorés, lorsque l’un de autres défenseurs arriva en courant et en criant : les gobelins avaient passé le poste de garde et il voulait que les gardes du portail signalassent à Quatach-Ichl qu’ils avaient besoin de son aide.

Uh, oups ? Il ne pensait sincèrement pas que ses petits amis allaient finir par gagner. Il faillit en rire, pour tout dire. Une confirmation supplémentaire que non seulement les Ibasiens avaient laissé une toute petite force derrière eux, mais qu’elle était composée des plus amateurs d’entre tous. Pas étonnant que l’infiltration se fût passée aussi facilement.

Heureusement pour Zorian, il n’y aurait pas d’appel à Quatach-Ichl. Les mages gardant le portail semblaient horrifiés par l’idée même. Leur chef agonisa pendant près d’une minute entière sur la façon dont l’ancienne liche allait les torturer pour l’éternité si elle se faisait appeler à l’aide pour les sauver d’une bande de gobelins puants. Il finit par envoyer deux de ses comparses et les deux trolls de guerre afin de continue l’incursion.

Zorian ne put que regarder, sans trop y croire, le portail laissé là avec deux gardes esseulés. Bon. Ça allait certainement rendre les choses plus faciles. Il attendit un petit moment pour être sûr que les autres s’éloignassent suffisamment du portail et lança une fiole de gaz soporifique en direction des deux gardes restants. L’un deux, celui qui avait parlé au défenseur paniqué et qui semblait être leur chef, parvint à tituber hors du nuage dans un état à moitié lucide et gagna le droit de recevoir un missile perceur en pleine poire. L’autre s’était déjà effondré et dormait comme un bienheureux comme prévu, ce qui permit à Zorian de souffler le nuage d’une rafale de vent avant d’approcher rapidement du portail qui n’était plus gardé.

Examiner l’objet dans le détail lui chatouillait les doigts, mais non, ce n’était vraiment pas le moment pour ça… la priorité actuelle était de découvrir ce qu’il y avait de l’autre côté. Regardant à travers l’ouverture elle-même et tournant autour pour voir de l’autre côté sous tous les angles, il découvrit qu’il y avait là une pièce vide dénuée de gardes. Ce qui avait l’air louche – les Ibasiens avaient-ils vraiment laissé l’un des côtés du portail sans surveillance ? Il tenta de faire passer son sens spirituel à travers le portail et fut ravi de constater qu’il n’y avait aucune barrière contre les intrusions de ce genre. Et encore plus lorsqu’il confirma l’absence du moindre ennemi.

Suspicieux mais conscient du peu de temps à sa disposition, il prit une profonde inspiration et passa le portail.

Il sentit une vrille magique caresser les protections de son âme au moment où son pied toucha le sol de l’autre côté. Une magie qui tentait de l’identifier. Elle se retira face à ses défenses et Zorian sentit aussitôt l’atmosphère de la pièce changer pour devenir plus lourde, plus oppressante. Il avait été détecté par le système quelconque présent sur les lieux et catalogué intrus.

Derrière lui, les bords de l’ouverture dimensionnelle se mirent à craqueler et luire. Le portail se rétracta alors comme une boule de papier que l’on pourrait froisser et finit par totalement s’évanouir dans une douce explosion lumineuse.

 

___

 

Bien que la fermeture du portail l’eût pris au dépourvu, Zorian ne se sentait pas plus inquiet par sa disparition. Il était de l’autre côté, après tout, et de cette façon au moins, les Ibasiens de Cyoria ne pourraient pas le poursuivre.

Il regarda autour de lui avec empressement et confirma que la pièce était effectivement vide, exception faite du désormais inerte icosaèdre en son centre. Il n’y avait qu’une porte en vue, et Zorian l’explosa immédiatement au lieu de tenter de l’ouvrir normalement. Il n’avait vraiment pas besoin de se prendre un effet indésirable déclenché par quiconque aurait pu être assez stupide pour poser la main sur la poignée. Quittant rapidement la pièce, il se mit à explorer les lieux pour découvrir le plus de choses possible avant que les forces ibasiennes situées de ce côté du portail ne fussent alertées par le bruit et vinssent s’occuper de lui.

Sauf qu’il n’y avait pas de forces ibasiennes. Et puis, il ne se trouvait pas non plus dans une base promptement érigée, comme il s’y était attendu. Il découvrit que la porte était située dans le sous-sol d’une maison plutôt luxueuse. Une très grande maison apparemment abandonnée. Zorian en fut d’abord confus – le premier portail de la chaîne était supposément dans un endroit isolé des Highlands Sarokian, après tout, et il s’était attendu à un camp au milieu d’une étendue sauvage et entouré par des arbres.

Enfin, les défenseurs des lieux finirent par le trouver, et il comprit où il se trouvait. Le sanglier mort-vivant qui venait d’essayer de lui mordre la jambe était en tous points semblable à ceux qui tentaient de tuer Lukav à chaque début de mois.

Il était dans les Highlands. Précisément, il était dans le manoir Iasku Et l’endroit pullulait apparemment de morts-vivants.

Il évita compulsivement un couteau lancé par un type silencieux et enveloppé de tissus noirs. Zorian venait de lui balancer un perceur à travers la tête et ça n’avait pas eu l’air de le déranger plus que ça. Un autre type semblable, un corps ambulant vêtu de noir, arrivait de la gauche, et le sanglier qu’il avait envoyé bouler prévoyait une nouvelle charge.

Zorian lança un cylindre brillant devant lui et ferma les yeux tandis qu’une explosion lumineuse balaya l’air en une vague disruptive de désenchantement qui noya la pièce dans laquelle il se trouvait. Les trois corps tombèrent au sol, inertes. La pulsation magique avait détruit le lien qui liait les âmes animées à leurs coquilles de chair.

Zorian soupira. C’était déjà la troisième grenade de désenchantement qu’il avait été forcé d’utiliser afin d’arriver là où il était. Il n’en avait que cinq pour commencer car il ne s’était pas attendu à devoir affronter une telle horde de morts-vivants. La plupart des autres objets à usage unique étaient également utilisés, et il savait que la mission allait sans doute se conclure sur une mort violente. Il le savait depuis le départ, mais c’était ennuyeux malgré tout.

Et plus qu’un petit peu dangereux. La présence d’une telle troupe de morts signifiait qu’il y avait des nécromanciens sur place. Mourir là pourrait s’avérer extrêmement critique.

Il était sur le point de faire demi-tour pour retourner vers la pièce du portail et s’y barricader jusqu’à la fin de la boucle. Mais à ce moment, un esprit vivant entra dans son champ de détection ; il arrivait droit dans sa direction.

Eh ben, merde. C’était le nécromancien, hein ? Bien sûr que c’était lui. Il avait forcément senti ses créations disparaître. Zorian dispersa rapidement des cubes explosifs au sol çà et là et effectua une retraite rapide vers le couloir duquel il était arrivé.

La porte située de l’autre côté du couloir s’ouvrit et un grand homme musclé affublé d’une épaisse moustache fit son entrée. Il jeta un œil vers Zorian et se mit à lui sourire de façon joyeuse, comme s’il venait de rencontrer un vieil ami perdu de vue depuis tant d’années.

— Bienvenue ! lui lança-t-il. Je m’appelle Sudomir Kandrei et je suis le propriétaire de cette humble demeure. Puis-je me permettre de m’enquérir de la raison qui vous a poussé à envahir ma maison ?

— Je ne sais pas de quoi vous parlez, dit Zorian en reculant d’un pas.

Reculer dans le couloir, reculer dans le couloir…

— La porte était ouverte, j’ai vu de la lumière. Si vous ne vouliez pas qu’on passe le portail, vous ne l’auriez sans doute pas laissé si peu protégé, n’est-ce pas ? Pourquoi, je me le demande, une armée entière pourrait simplement raser cet endroit…

Zoiran recula encore d’un pas. Sudomir le suivait et fit également un pas de plus.

Maintenant ! Zorian envoya une pulsation de mana en direction des cubes explosifs, les déclenchant et transformant le couloir entier en une –

– Non, en fait, rien ne se passa. Bordel de merde ?

— Les barrières magiques. De merveilleuses choses, n’est-ce pas ? sourit Sudomir. Je ne peux décemment pas laisser des choses exploser dans ma maison, vous voyez. D’ailleurs, même si j’étais tombé dans ce piège, ça ne m’aurait pas tué. Je vous assure que je suis plus difficile à éliminer que ça.

Adorable. Zorian le fixe pendant une seconde et décida de se concentrer sur son marqueur.

— Que faites-vous ? demanda brutalement le maire de Knyazov Dveri, qui pouvait très probablement voir que Zorian trafiquait quelque chose avec sa propre âme – putain de nécromanciens et leur vision de l’âme à la con.

Zorian l’ignora et ordonna à son âme de pousser l’un des leviers du marqueur, celui qui lui avait donné l’impression familière à laquelle il s’attendait désormais. Active-toi. Sa vision s’assombrit immédiatement, et il s’éveilla à Cirin, sa petite sœur sur le ventre.

Il soupira de soulagement, ce qui suscita la confusion chez celle qui venait de lui souhaiter une bonne journée. Par tous les dieux, ça avait marché.

Raka
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