Chapitre 59 – Un pas en avant
Peu après que Xvim eût quitté la maison, Zorian fit de même. Il n’avait aucune destination particulière à l’esprit ; il était simplement tiraillé, avide de solitude loin de ses proches. Pour autant qu’il pût le dire, c’était la seule solution pour rester isolé quelques temps. Les autres occupants du foyer Imaya pouvaient déjà remarquer que quelque chose était arrivé entre lui et son mentor et que ce quelque chose l’avait grandement mis à cran. Aussi le harcelaient-ils tous, à la recherche de réponses et sans se soucier des conséquences. Zorian savait qu’ils ne lui voulaient que du bien, mais par tous les dieux ! Qu’ils étaient lourds !
Leurs questions tombaient particulièrement mal parce qu’il ne pouvait pas y répondre, non sans expliquer la vraie nature de la boucle temporelle ainsi qu’une myriade d’autres choses qu’il gardait secrètes.
Peut-être qu’il n’avait pas le droit de s’en sentir ennuyé. En considérant la magnitude des choses qu’il se gardait de leur dire, leur curiosité était sans doute parfaitement justifiée. Il ne s’en sentait néanmoins pas plus prêt à se montrer rationnel et compréhensif – il était plus sûr de s’éloigner jusqu’à avoir une chance de se calmer l’esprit.
Zach ne tenta pas de le suivre, fort heureusement. Zorian se laissa une note mentale afin de ne pas oublier de le remercier pour sa considération, un peu plus tard.
Pendant un long moment, il se contenta de déambuler sans but au travers des rues de la ville, observant les devantures et les gens qui l’entouraient. Au bout d’un moment, cela dit, il commença à en avoir assez et décida de retourner voir certains des endroits les plus emblématiques de son passé. Il s’en alla poser les yeux sur son vieil appartement fourni par l’Académie – il s’avéra occupé par un autre étudiant – et passa quelques instants sur le toit du bâtiment, le regard perdu vers la ville, le vent soufflant agréablement dans ses cheveux. Il descendit ensuite dans le donjon, sous Cyoria, et erra dans les tunnels sans vie du campement Aranea qu’il connaissait si bien. Finalement, il s’approcha du Gouffre et passa quelque temps à laisser son esprit imaginer ce qui pouvait bien exister dans ces abysses insondables, se demandant paresseusement si la prison du Primordial s’y trouvait à cause du Gouffre ou si le Gouffre existait à cause de la prison.
Comme il s’éloignait des abords immédiats de l’immense puits de mana, il rencontra un groupe de rats-crânes cachés dans l’ombre d’un bâtiment proche. Comme il ne s’occupait plus vraiment de l’invasion et que tant de choses s’étaient produites depuis, il les avait presque oubliés. Il était presque sûr que ses capacités mentales avaient dépassé depuis fort longtemps tout ce que pourraient tenter ces petits monstres, et ils ne l’effrayaient plus le moins du monde. Hmm…
Sur un coup de tête, il déploya une sonde télépathique afin de tenter d’initier une conversation avec l’esprit collectif du groupe. Peut-être pourrait-il réussir à les convaincre – ou les forcer – à retourner leur veste ? Au moins, réunir quelques précieuses informations ? Ce ne serait pas la première fois qu’un espion travaillerait pour deux camps à la fois…
Se connecter à leur esprit fût facile. Presque naturel, même. À cause de la façon dont fonctionnait l’esprit collectif, les rats ne pouvaient pas se défendre comme Zorian en était capable. Au lieu de ça, chaque animal se reposait sur une puissance individuelle et son utilisation collective lorsqu’un danger se faisait sentir.
Parler au collectif, en revanche, s’avéra plus difficile qu’il ne le craignait. L’essaim considérait chacune de ses tentatives de contact comme une attaque, répondant par une agression de leur cru à chaque fois qu’il établissait un lien concret, et isolant de leur esprit les rats faisant office de passerelle lorsqu’ils réalisaient que leurs attaques étaient vouées à l’échec.
Au bout du compte, Zorian refusa d’abandonner ses tentatives et fit progressivement monter l’intensité de ses sondes, la meute préférant séparer chaque individu jusqu’au dernier plutôt que continuer à traiter avec l’ennemi.
Légèrement déçu par cette conclusion, Zorian continua, ne se préoccupant même pas de mettre fin aux jours des rats soudainement isolés et terrorisés. Quel aurait été l’intérêt, sérieusement ? L’idée de les faire travailler pour lui l’avait bien frappée, cela dit. Que devrait-il faire pour pousser l’essaim à l’écouter ? Continuer à harceler l’esprit collectif jusqu’à ce que ce dernier en ait suffisamment eu et qu’il décidât de lui donner sa chance ? Si Zorian était dans leurs pompes, il finirait par briser le silence pour aller dire à l’emmerdeur d’aller se faire voir. Juste au cas où ça pût fonctionner.
Pourtant, peut-être qu’il leur prêtait trop de similarités avec la pensée humaine. S’il désirait établir le contact avec un esprit collectif composé de rats, il devrait éventuellement tenter de capturer l’un des leurs et de renforcer contre son gré sa connexion, afin qu’il ne pût pas être séparer de force et mis à l’écart de ses frères.
Assis sur un banc proche, Zorian sortit un petit calepin et entreprit de griffonner une formule pour un sort qui permettrait de verrouiller un rat-crâne à son esprit collectif. Une cage de métal recouverte de trois barrières de protec… Non, attends. Non, ça ne marcherait pas. Peut-être qu’il devrait simplement établir sa propre connexion au lieu de tenter d’en renforcer une existante… S’il plaçait un petit marqueur sur cinq ou six rats, il pourrait sans doute créer une résonnance qui…
Quelques instants plus tard, il dut mettre de côté, bien malgré lui, ses plans immédiats. Il commençait à faire noir et il était temps de se diriger vers la maison. Il lui faudrait quelques jours pour finaliser le design, de toute façon. Et il se sentait bien mieux maintenant, et n’éprouvait plus le besoin de s’isoler plus que de raison.
Il trouva curieux que le fait d’avoir travaillé sur des schémas afin de contacter les rats eût été aussi satisfaisant. Qu’aimait-il tant à ce sujet ? Après y avoir bien réfléchi, il se dit que c’était sans doute parce qu’il s’agissait enfin d’un problème qu’il saurait résoudre. Il n’était pas certain si l’une ou l’autre de ses idées était la bonne, mais ce n’était en rien les graves soucis de la boucle temporelle, totalement hors de portée. Il n’avait pas la moindre idée de la façon de traquer les cinq clés, et même s’il savait, ça ne lui apprendrait pas automatiquement comment faire pour revenir dans le monde réel en compagnie de Zach. Il ne savait foutrement pas comment traquer un type que même sa Maison Noble ne pouvait localiser. Non seulement ne possédait-il pas les compétences pour ce faire, mais il ne savait même pas quelles compétences pourraient être nécessaires.
Avec ce genre de connaissance, ce que proposait Xvim était-il seulement utile ? Zorian avait feuilleté le petit bloc-note que son mentor lui avait remis. Quelques-uns des quidams que Xvim lui avait recommandés étaient des experts en divination et en magie mentale, ce qui pourrait effectivement l’aider à acquérir de nouvelles informations. Mais la plupart étaient des mages orientés vers une forme de magie plus générale.
Et Zorian avait le plus besoin d’informations. Devenir un meilleur mage l’aiderait-il ?
C’était possible. Quelles étaient les chances pour que les clés, une fois trouvées, pussent être acquises sans l’aide d’une magie exotique et des efforts démesurés ? Minuscule, connaissant sa chance. Et le chemin hors de ce monde factice, quoi que ç’allait finir par être, aller sûrement demander une encore plus grande maîtrise que ce dont il pouvait actuellement se vanter.
Et ça, sans même considérer Robe Rouge et le fait qu’ils allait très certainement devoir s’occuper de lui une fois dehors.
Il faisait nuit lorsqu’il rentra finalement, et lorsqu’il posa le pied dans la maison, il trouva Imaya toujours éveillée, l’attendant.
— Ce n’était pas la peine, tu sais ? lui fit remarquer Zorian en souriant. J’ai une clé.
Même s’il l’avait oubliée, il aurait été aussi simple que ça de crocheter la serrure à l’aide de la magie. Il pourrait même verrouiller à nouveau la porte après être entré.
— Je sais, acquiesça-t-elle, totalement imperturbable. Mais je voulais t’attendre. Tu te sens mieux ?
— Oui, admit Zorian, qui n’avait rien accompli, mais qui se sentait déjà un autre homme.
— Où es-tu allé ? Tu t’es simplement promené ? lui demanda Imaya, connaissant évidemment la réponse.
— Plus ou moins, fit Zorian en haussant les épaules. J’ai acheté une pince à cheveux pour Kirielle, j’ai escaladé un bâtiment, j’ai visité un cimetière, j’ai laissé mon regard se perdre dans le Gouffre et j’ai tenté de parler à des rats.
— Tu as acheté un cadeau à ta sœur ? releva Imaya, curieuse. Pour quelle occasion ?
Zorian lui lança un regard curieux. De tout ce qu’il avait dit, elle avait choisi de se concentrer sur ça ?
— C’était en promotion, et j’en avais envie, expliqua-t-il avant de s’asseoir en face de la propriétaire, peu d’humeur à aller dormir dans l’immédiat. Tu m’attendais ? Pourquoi ? Ne suis-je pas juste un client ?
— Je n’en suis pas sûr. J’ai entendu parler de ces clients. Ils sont supposés être des créatures terribles qui rentrent tard, complètement ivres, détruisent les murs et les meubles, ne payent jamais le loyer à temps, lâcha Imaya, la voix vibrant d’un léger amusement.
— Diffamation, répondit Zorian sur le même ton.
— Sérieusement, tu as sans doute raison, et je m’en fais trop, finit-elle par admettre en soupirant légèrement. C’est à cause de Kirielle et Kana, je pense. Elles me font penser aux enfants que j’aurais toujours voulu avoir.
Zorian lui offrit un air plutôt surpris. Non parce que le fait qu’elle pût avoir voulu des enfants était incroyable, mais parce que durant tous les mois durant lesquels il l’avait côtoyée, elle n’avait jamais vraiment parlé de sa vie privée plus que ça. Il fût à deux doigts de lui demander la raison pour laquelle elle était toujours célibataire si elle désirait des enfants à ce point, mais il se ravisa au dernier moment en se souvenant de l’avertissement d’Ilsa : ne jamais discuter mariage et partenaires avec elle.
— Ne me regarde pas ainsi, lui dit-elle. Il est naturel de vouloir des enfants, tu sais ? Je sais que les jeunes gens tels que toi ne veulent pas vraiment y songer, mais tu verras, ça changera lorsque tu prendras de l’âge.
— Je n’ai rien dit, rétorqua-t-il calmement en secouant la tête. Bien que… Je vous présente mes excuses par avance pour me montrer si impudent, mais si vous désirez tant avoir des enfants, pourquoi ne pas simplement les avoir ? Bien sûr, certaines personnes vous jugeraient si vous étiez une mère célibataire, mais –
Il fut interrompu par Imaya, qui venait d’éclater de rire.
— Oh, alors ça, c’est plutôt drôle, fit-elle. Je suppose qu’Ilsa t’a demandé de ne jamais me parler mariage, et tu as sauté sur les conclusions, hmm ? Mais non, être seule n’est pas le problème. Le fait que je sois stérile l’est un peu plus, cela dit.
Oh.
— Mon mari m’a quitté en le découvrant, avoua-t-elle. Il voulait lui aussi des enfants, et je ne pouvais lui en donner. Alors voilà – maintenant, tu sais à ce propos également. Ce n’est pas un secret d’état, et j’ai dépassé tout ça, alors ne te fais pas de souci si tu veux aborder le sujet et fais-le. Je ne suis pas si délicate qu’Ilsa semble l’imaginer.
Elle sembla considérer la situation pendant un instant.
— Mais n’en fais pas mention sans bonne raison non plus, ajouta-t-elle. C’est un sujet déprimant.
— Je comprends, acquiesça Zorian, qui se demanda d’ailleurs pourquoi il désirerait en parler sans aucune raison. Juste une question. Votre infertilité… Est-ce parce que vous ne pouvez pas vous offrir le traitement, ou parce que c’est incurable ?
— Seconde possibilité, je pense. Les soigneurs dans les hôpitaux ne possèdent certainement aucun remède contre ça. S’il existait, le trouver et se le payer nécessiterait le budget d’un petit pays.
Zorian rangea ça dans un coin de son esprit et changea de sujet. Le problème d’Imaya, bien que tragique, n’était pas très haut sur sa liste de priorités. Pourtant, cela ne ferait pas de mal de se renseigner sur un quelconque remède miracle, une fois son enquête sur la Clé terminée. Il était presque certain que Kael apprécierait de participer à la recherche, lui aussi, et des remèdes puissants ne seraient jamais de trop pour Zach et lui-même.
Il passa encore trente minutes à discuter avec Imaya, principalement à propos de Kirielle et de ce qu’elle faisait de ses journées lorsque Zorian n’était pas alentour. Il fut soulagé d’apprendre qu’elle se comportait étonnamment bien – il avait été absent durant ce mois, encore plus que lors des précédents, et avait craint qu’elle se rebelle à cause de ça. Le seul problème, si c’en était vraiment un, était les quelques assiettes qu’elle avait brisées quelques jours plus tôt et dont personne n’avait pris la peine de lui parler. C’était ennuyeux : si Kirielle lui en avait touché un mot immédiatement, il aurait pu les réparer à l’aide de la magie. Mais désormais, les morceaux étaient disséminés dans la poubelle et depuis bien longtemps hors d’atteinte, alors il allait simplement devoir rembourser Imaya.
Non qu’il ne pouvait se le permettre, mais quand même. Il allait vraiment remonter les bretelles à cette peste de petite sœur.
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Le jour suivant vit Zorian assis dans sa chambre, entouré d’une véritable montagne de livres. Certains des ouvrages étaient classiques et banals, empruntés de l’une ou l’autre bibliothèque ou achetés en magasin. D’autres étaient directement issus du trésor Aranea ou volés des collections des cultistes travaillant avec l’envahisseur.
Il cherchait quelque chose, n’importe quoi capable de lui permettre de progresser plus rapidement sans avoir recours à la conception de Xvim.
Malheureusement, il n’avançait pas. Comme prévu, sincèrement – s’il existait une manière évidente de s’accaparer puissance et connaissances à moindre effort, ce serait une méthode déjà largement connue.
Il fut plutôt heureux lorsque la porte s’ouvrit pour laisser entrer Zach, car cette petite interruption lui donna l’excuse nécessaire pour s’accorder une petite pause. Il s’amusa de voir son ami attraper un livre qu’il avait lui-même amené et le feuilleter, cela dit. Il n’était pas habituel de voir le sanguin héritier Noveda s’intéresser à des ouvrages sans raison, encore moins du gens épais comme l’était celui-là.
— Quelque chose d’intéressant ? finit par demander Zorian.
— Pas vraiment, non. C’est une référence médicale que Kael m’a donnée. Il me répète depuis plusieurs jours maintenant que la boucle est parfaite pour étudier la médecine et il ne cesse de me prier de passer plus de temps à pratiquer la magie médicale. Apparemment, quelqu’un lui a laissé entendre que j’étais doué en magie médicale.
Il observa Zorian du coin de l’œil en prononçant ces derniers mots. Bien sûr, cela n’affecta pas celui-ci, conscient qu’il n’avait aucune raison de garder ça secret face à Kael. Zach avait les moyens et l’impudence nécessaires pour envoyer bouler le Morlock s’il ne s’y intéressait pas, dans tous les cas.
Au lieu de continuer sur le sujet, il décida de lancer son ami sur le sujet probable de sa visite.
— Que penses-tu de l’idée de Xvim ? lui demanda-t-il ouvertement.
Zach fit la moue sans s’en cacher, balança son livre sur le dessus d’un meuble proche et soupira.
— Ça me fout mal à l’aise, avoua-t-il. Vraiment mal à l’aise. C’est le genre de choses que Robe Rouge m’a fait, n’est-ce pas ? Mais… ça ne veut pas dire que tu ne dois pas le faire toi-même. Je suis plutôt biaisé, dans ce cas, mais je peux comprendre le raisonnement derrière l’idée de Xvim. Si tu sens que tu dois le faire, alors je n’essayerai pas de t’en dissuader.
— As-tu fait ce genre de choses, lorsque tu étais… moins puissant ?
— Pas comme ça, fit Zach en secouant la tête. Je n’ai jamais aimé la magie mentale, même à cette époque. Bien sûr, j’ai attaqué des gens afin d’obtenir un accès à leurs bibliothèques privées et leurs collections de sorts. J’avais par contre généralement de bonnes raisons de le faire. Peut-être peux-tu faire de même ? Te limiter aux gens envers qui tu peux justifier une agression ?
— C’est un peu ce que je fais déjà, abonda Zorian. Peut-être pas aussi agressif que je pourrais l’être, uniquement parce que je manque de temps pour vraiment m’y consacrer. Le principal intérêt de l’idée de Xvim, c’est que ce que je fais n’est pas suffisant. Que je dois prendre ce dont j’ai besoin, sans considération pour toute justification ou morale.
Zach se perdit dans ses pensées l’espace de quelques secondes. Zorian attendit patiemment une réponse de sa part, curieux de ce qu’il pourrait avoir à en dire.
— Tu sais, la plupart de mes sorts ne viennent pas de vols, dit-il finalement. La majorité de ce que j’ai accumulé, je l’ai fait en payant, en suppliant ou en harcelant gentiment de nombreux experts. Je te l’accorde, certains n’ont accepté que parce que je suis le dernier Noveda. Avant sa chute, ma Maison avait pour habitude de financer des mages talentueux venant d’horizons aussi divers que pauvres, alors qu’ils ne faisaient que démarrer leur carrière. Certaines de ces personnes sont devenues des experts et me repayent leur dette de la sorte. De temps à autre, ça joue avec la corde sensible des sentimentaux, aussi. Je suis le dernier pauvre membre de ma famille, tu sais, et mon tuteur a quasiment démantelé ma Maison et fait de l’argent sur mon dos. En plus, certains d’entre eux espèrent profiter de la gloire d’avoir instruit au tout dernier Noveda, parient sur le fait que je puisse être capable de rebâtir tout ça, et souhaitent garder cette dette en réserve. Entre mon argent, ma réputation, ma famille… ce n’est généralement pas bien compliqué d’obtenir des enseignements. Peut-être qu’on pourrait faire de même pour forcer certains de ces experts à coopérer ?
— C’est une idée intéressante, confirma immédiatement Zorian. Je ne suis pas sûr que ça puisse être aussi efficace que tu ne l’imagines s’ils doivent m’enseigner des choses à moi, mais ça vaut le coup d’essayer. En fait, Ça me rappelle que je possède moi aussi une certaine renommée, courtoisie de mon grand frère. Il pourrait être intéressant de voir si j’arrive à en obtenir quelque chose. Par le passé, ça n’a pas fonctionné, mais je n’étais alors clairement pas un prodige comme pouvait l’être Daimen. Aujourd’hui, je suis capable de faire preuve d’une efficacité qui lui est probablement bien supérieure.
Zach le regarda d’un air étonné.
— Ouais, je sais, réagit aussitôt Zorian. Ça me gratte partout dès que je me dis que je vais me reposer sur Daimen comme ça, mais à situation désespérée, mesures désespérées.
Zach secoua simplement la tête en souriant, visiblement amusé.
— Et les chambres noires ? demanda-t-il après un instant. Ne pourrait-on pas bénéficier de temps supplémentaire à l’intérieur ?
— En fait, oui, acquiesça Zorian. J’ai déjà effectué mes recherches et je pense que nous pouvons définitivement se jouer des opérateurs sous Cyoria, pour les forcer à nous laisser utiliser la chambre une fois par mois.
— Juste une fois ? grimaça Zach.
— C’est un dispositif vraiment gourmand en mana, lui rappela Zorian. Le centre sous Cyoria peut l’activer deux fois par mois, mais la première est vraiment mal foutue, question de timing. Ça arrive pile au début de la boucle, et je suis certain qu’on ne peut pas arriver à se coordonner à temps, à moins de prévoir un assaut brutal sur le centre de recherche comme première action du mois. Et même si on y parvenait, tu penses vraiment qu’on aurait une chance de les faire activer la chambre une deuxième fois ?
— Ugh, râla Zach, qui n’aimait pas ce genre de vérités. Mais ça veut toujours dire qu’on peut essentiellement doubler le temps à notre disposition, n’est-ce pas ? Une simple activation nous offrira un mois complet pour le prix d’une simple journée.
— C’est vrai, en un sens. Mais c’est un mois durant lequel nous ne pouvons contacter aucun expert, ou lire de livres que nous n’aurions pas songé à prendre avec nous. C’est utile, bien sûr, et nous devrions en abuser autant que possible, mais ce n’est pas aussi désirable que pourrait l’être une nouvelle itération de la boucle.
— Peut-être pourrions-nous découvrir d’autres chambres noires, ailleurs, et s’en servir aussi ? proposa Zach.
— On peut toujours essayer, acquiesça Zorian. Dans tous les cas, nous ne pourrons pas utiliser celle de Cyoria ce mois-ci. Nous avons déjà manqué le jour d’activation, malheureusement. Mais à partir de la prochaine itération, nous devrions prévoir tout ce qu’il faut pour en tirer profit au maximum.
— Ouais, répondit Zach en hochant la tête, satisfait. Bien que… je ne puisse m’empêcher de penser que ça va être un mois sacrément chiant, là-dedans.
— Probablement, ne nia pas Zorian. Spécialement pour toi. Je ne te vois pas capable de tenir le coup paisiblement, enfermé dans une petite pièce pendant des semaines. On verra comment ça se passe la première fois, et on ajustera le plan à partir de là. Si ça ne fonctionne pas, on laissera tomber.
— Je sais ce que tu veux dire. Mais je ne suis pas si impatient, pouffa Zach. Je ne vais pas jeter une opportunité pareille aux cochons juste parce que je m’ennuie un peu.
Après une rapide discussion concernant les affaires à faire entrer dans la chambre noire. Zach insista sur des filles, et abandonna l’idée à contrecœur après que Zorian lui eût énuméré tous les inconvénients que ça pourrait créer. Finalement, le silence s’abattit sur la pièce, et Zach laissa son regard errer çà et là, ramassant quelques livres que Zorian étudiait, en en faisant paresseusement tourner les pages.
— Alors, y a-t-il quoi que ce soit d’autre ? demanda-t-il lorsqu’il en eut assez de ces pages. Tu as trouvé quelque chose dans ta petite forteresse de bouquins ?
— Pas vraiment, avoua Zorian. Les rituels d’amélioration semblent intéressants, si on peut trouver le bon. Pas de chance, les mages son vraiment cachotiers à ce sujet. Pas mal de ces rituels nécessitent de nombreux cadavres avant de pouvoir être utilisés en toute sécurité. Tu sais, pour les tests… Je suis sûr qu’une personne haut placée dans le Culte du Dragon du Dessous est très douée dans ce domaine, par contre… et nous pourrions trouver quelque chose si on parvenait à la traquer.
— Les rituels d’amélioration ne réclament-ils pas l’utilisation permanente d’une partie de ton mana, afin de rester actifs ? se souvint Zach. On dirait que c’est pas le bon plan pour toi. Sans vouloir t’offenser, mais tu n’as pas tant de mana que ça à gaspiller.
— C’est pour cette raison que j’ai besoin de trouver le bon, en effet. D’ailleurs, personne n’a dit que j’allais être celui qui en ferait usage, répondit Zorian avec un sourire en coin. Tu es très doué, mais ça ne te ferait pas de mal de l’être encore un peu plus, et tu as largement assez de mana pour te permettre un ou deux rituels.
Zach y réfléchit pendant quelques secondes, avant de secouer la tête.
— Je n’aime pas jouer avec mon mana de la sorte, dit-il. Je ne refuse pas totalement l’idée, mais il va falloir que tu me trouves un rituel sacrément incroyable pour m’en convaincre.
— Je comprends, fit Zorian en haussant les épaules.
En effet, les rituels d’amélioration pouvaient s’avérer plutôt dangereux et certains pourraient affecter son mana même au-delà d’une itération, s’il s’y prenait mal, alors ses doutes étaient parfaitement raisonnables.
— D’ailleurs, reprit Zorian, maintenant que j’y pense, je voulais te le demander, et j’ai oublié. Pourrais-tu m’apprendre à lancer le sort de simulacre ?
— Uh, non, lâcha immédiatement Zach. J’ai découvert le sort, un jour, mais je ne pouvais pas le lancer. Le parchemin disait que le lanceur devait être conscient de sa propre âme, ce qui m’était impossible alors. Je suppose que c’est que qu’Alanic est en train de m’enseigner, mais par le passé, je ne pouvais pas, et j’ai totalement abandonné l’idée.
— Hmm… soupira Zorian. Bien, je peux sentir mon âme, alors je devrais être capable de le lancer. Je suppose que le parchemin n’est pas dans un endroit facilement accessible, par contre ?
— Pour être honnête, je ne me souviens même plus où je l’ai trouvé, répondit Zach, perdu dans sa mémoire, avant de secouer la tête. Désolé, mais c’était il y a vraiment longtemps. Je pense que c’était dans le sanctuaire de cette liche à Taraman, mais ça pourrait aussi être dans la salle du trésor de ce culte démoniaque à Tetra, ou dans ce coffre secret que j’ai découvert sous Marbolkano, ou… peut-être dans une centaine d’autres endroits.
— Merde, jura Zorian. Bon, essaye de t’en souvenir. Je ne peux pas trouver une description détaillée du sort, mais selon la façon dont il fonctionne, ça pourrait grandement améliorer notre situation.
— Je vais essayer, confirma Zach, pile au moment où Kirielle fit irruption dans la pièce, prit une pose dramatique, et annonça à Zorian qu’il avait encore de la visite.
Xvim était venu le voir la veille, ce jour-là était le tour d’Alanic.
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Après quelques salutations, Zorian fit entrer Alanic dans sa chambre, où Zach les attendait, avant de s’installer à nouveau sur son lit, au milieu de sa couverture de livres. Alanic en parcourut quelques-uns rapidement, grimaçant face à certains travaux volés des mains du culte, mais n’en commenta pas la moindre part.
— Xvim est venu me rendre visite, hier, annonça d’un coup Zorian, en remarquant que le prêtre n’allait pas engager la conversation.
— Je sais, lâcha simplement ce dernier, sans aucune émotion, sans aucun sentiment que Zorian pût capter dans son esprit.
— J’espère que ce n’est pas juste une tentative pour me presser d’écouter son conseil, prévint-il alors.
— Grands dieux, lui répondit sérieusement Alanic en le regardant d’un air grave. Je n’étais pas d’accord avec son choix pour commencer, alors pourquoi voudrais-je te pousser à agir dans ce sens ?
— Vous n’approuvez pas ? demanda Zach, surpris.
— Je suis un prêtre, lui rappela Alanic. En quoi devrais-je valider l’attaque de personnes innocentes dans le seul but d’acquérir de la puissance ?
— Pardonnez-moi pour ce que je vais dire, mais vous ne vous êtes jamais présenté comme un flambeau brûlant de moralité, lors des itérations précédentes, nota Zorian en fronçant les sourcils.
— Envers mes ennemis, sans aucun doute, fit Alanic en haussant les épaules. Mais est-ce là ce dont on peut se vanter de faire à des innocents, ou à ses alliés, sous les cieux ? Les dieux observent, et jugent.
Pendant quelques secondes, un silence de mort régna en maître sur la petite chambre, tandis que les garçons digéraient les paroles du prêtre. Après quoi celui-ci sembla admettre sa défaite et ferma les yeux en soupirant.
— Ceci dit, ajouta-t-il. Je dois avouer que ce que vous m’avez révélé est à la fois terrible et déprimant. Sans votre intervention, Lukav et moi-même serions morts dès le début du mois. Même si l’invasion de Cyoria échoue, des milliers de vies vont être perdues, la plupart capturées et offertes en guise de vulgaire nourriture au système nécromantique de Sudomir. Tout ça pourrait facilement donner naissance à de nouvelles Guerres de Fractionnement, et je ne vais même pas penser à ce que pourrait faire ce type à la robe rouge, si on le laissait courir en liberté.
— Où voulez-vous en venir ? l’interrompit Zach aussitôt qu’il eut terminé sa tirade. Nous savons déjà très bien à quel point les enjeux sont élevés.
— J’y arrive, continua Alanic, imperturbable, face à quoi Zach leva simplement les yeux au plafond. De ce que je comprends, Zorian, un point important pour que tu puisses quitter ce monde factice dans lequel nous sommes piégés consiste à trouver ces cinq clés, oui ? Et le marqueur sur ton âme est supposé t’aider à les repérer, mais tu ne sais pas comment.
— Correct, confirma Zorian.
— Dans ce cas, il est impératif que tu apprennes comment ressentir ton âme mieux que ça. Si nous avons de la chance, ça te permettra de comprendre mieux ton marqueur et peut-être d’en débloquer des compétences critiques.
— Mais c’est ce que je fais déjà, fit remarquer Zorian. Vous m’enseignez déjà comment ressentir mon âme mieux que je ne le fais, n’est-ce pas ?
— Je m’y emploie grâce aux méthodes les plus sûres que je connaisse, reprit Alanic. Celles que j’utiliserais naturellement lorsqu’un adolescent vient me voir pour me demander comment défendre son esprit contre la magie de l’âme. Ce n’est pas la plus rapide, cela dit. Et de loin… La méthode à laquelle je songe peut être absolument mortelle si quoi que ce soit est fait juste un tout petit peu de travers, et peut, dans un cas moins grave, laisser sa marque sur le corps d’une personne, pour de bon. Je ne la suggèrerais jamais en des circonstances normales, et si tu me dis la vérité au sujet de la boucle temporelle, alors le risque est quasi nul. Le seul danger pour toi, c’est de raccourcir ton mois si tu meurs.
Ce n’était pas exactement une petite contrariété pour Zorian. Pourtant, il était déjà désireux de risquer la chose au moins une fois, pour juger par lui-même si elle pouvait s’avérer viable.
— Et cette méthode, est-elle vraiment plus rapide ? demanda-t-il alors.
— Vraiment plus rapide, répéta Alanic, insistant sur le fait de rester vague de façon frustrante. De plus, tu obtiendras un niveau de conscience de ton âme impossible à imaginer si tu n’utilises que la méthode que j’emploie depuis qu’on se connait. Seulement en employant la méthode la plus dangereuse… pourras-tu alors réellement maîtriser cette compétence.
— Eh bien, conclut Zorian après une courte pause. Je suis définitivement intéressé.
— Ouais, on n’a pas vraiment le choix, n’est-ce pas ? intervint Zach. Alors bien sûr, nous allons le faire.
Alanic lui jeta un coup d’œil étrange.
— Je crains que mon offre ne concerne que Zorian pour l’heure, dit-il en secouant légèrement la tête. Tel que tu es actuellement, tu ne survivrais pas au rituel. Il te faut tout d’abord un certain niveau de conscience de l’âme avant de pouvoir prétendre à ça.
— Quoi ? protesta Zach. Pas d’entraînement accéléré pour moi ? C’est injuste ! Je suis parfaitement d’accord pour risquer ma vie, moi aussi !
— C’est non. Zorian va risquer la sienne, tu vas juste la gaspiller en vain. Il n’y a pas de risque lorsque la mort est une certitude. Et tu devrais être plus critique avec le fait de la risquer, de toutes façons. Nous devrions tous l’être.
Une dispute gigantesque plus tard, Zach accepta non sans rancœur qu’Alanic n’eût pas l’intention de changer de disque. Zach pourrait accompagner Zorian jusqu’au site d’entraînement, mais continuerait avec ses propres leçons plutôt que par ce que Zorian allait endurer.
Étrangement, Zorian se trouva plutôt enthousiasmé par l’idée de risquer sa vie. En toute honnêteté, pousser sa conscience de l’âme était l’une des choses les plus ennuyeuses qu’il eût le déplaisir d’avoir jamais faites et il était ravi de saisir la chance proposée par Alanic. En même temps, il comprenait la frustration de Zach comme s’il s’était agi de la sienne propre.
Il espérait simplement que les espoirs du prêtre n’étaient pas vains. Au minimum, il était sûr que Zach ne le laisserait jamais oublier un exercice ayant mal tourné et ayant provoqué sa mort.
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Deux jours plus tard, Alanic les conduisit tous deux dans un tout nouvel endroit, même pour Zorian. Ce n’était pas dans le temple, ou dans nul autre environnement dans lesquels le prêtre l’avait un jour mené. C’était littéralement un trou dans le sol, au milieu de nulle part – bon, au milieu d’une forêt extrêmement peu visitée dans tous les cas. Ce trou s’ouvrait sur un escalier poussiéreux et sombre, autour duquel des barrières réflectrices de lumières étaient installées : il était impossible de s’éclairer, à la fois de façon classique et magique. Ils durent utiliser leur mana afin de ressentir ce qui les entourait, descendant avec calme et précaution les marches inégales et brutes tout en insultant intérieurement à quelques reprises celui qui avait bâti l’endroit. Probablement Alanic en personne, si l’assurance avec laquelle il avançait était d’une quelconque indication. Et sinon cela, il était au minimum très familier de l’endroit.
En tout cas, une fois le fond atteint, ils débouchèrent dans une salle spacieuse et parfaitement cubique. Celle-ci n’était pas assombrie par magie, mais Alanic leur interdit de lancer quelque sort d’illumination que ce fût et insista pour qu’ils utilisassent des torches classiques au lieu de ça. Aussi les lieux étaient-ils relativement sombres quoi qu’il arrivât.
— C’est une salle de rituel, expliqua Alanic. Et le rituel que je suis sur le point de pratiquer s’avère désastreux s’il n’est pas maîtrisé. Toute magie non liée à ce rituel va invariablement tout faire capoter. L’illumination magique devrait être assez faible et simple pour ne pas interférer, mais mieux vaut ne pas prendre de risques.
— Toute cette installation est sinistre comme pas possible, se plaignit Zach. Si Zorian ne se portait pas garant, je vous aurais probablement déjà attaqué.
Alanic ne répondit rien à ça, et se concentra plutôt sur le fait d’allumer toutes les torches de la salle dans un mouvement sûr et établi. Et comme la lueur chaude emplissait peu à peu la pièce entière, il devint en même temps évident qu’une formule complexe était gravée à même le sol, arrangée en plusieurs cercles concentriques.
— Alors, peut-on avoir une explication sur ce qu’est ce rituel, maintenant ? demanda Zorian, les yeux rivés sur la formule, tentant d’en comprendre les spécificités.
Le cercle extérieur se trouvait être une barrière de mana classique servant à isoler le rituel du mana extérieur – une addition plutôt commune à de nombreux rituels. Le cercle le plus à l’intérieur, d’un autre côté, semblait être une espèce d’ancre servant à empêcher le contenu du rituel d’aller… uh, quoi ?
— L’intérêt de l’exercice, pour aujourd’hui, c’est de te faire mourir une fois, expliqua Alanic en se tournant vers lui après avoir enflammé la dernière torche murale.
Zorian observa le cercle intérieur une fois de plus. Il était supposé ancrer son âme, n’est-ce pas ? L’empêcher de… s’en aller…
— Plus spécifiquement, continua Alanic. Plus spécifiquement, je vais éjecter ton âme en-dehors de ton corps, tout en te permettant de conserver ta conscience. En devenant une âme sous sa plus pure forme, sans corps pour te distraire, tu vas acquérir une conscience sans pareille de ce qui la compose et de la façon dont elle fonctionne. Partiellement parce que sans corps, tu n’aurais qu’une âme à observer, mais aussi parce que sortir une âme d’un corps la rend plus stable, et moins encline à se tordre et se plier aux lois du corps en question.
— Tu vois, et je t’avais dit quoi ? murmura Zach. Il essaye de te tuer. Tu me dois dix balles.
— Nous n’avons jamais parié, soupira Zorian à son tour. Et tu n’as raison que sur un point. Je pense que l’intérêt du truc, c’est de me ramener à la vie à la fin…. Je pense.
Le prêtre les observa l’espace de quelques secondes pour s’assurer qu’ils avaient bien compris, avant de reprendre.
— Plus tu resteras en-dehors de ton corps, plus tu auras de temps pour affiner tes compétences, et le plus claire t’apparaîtra ton âme. Mais plus tu resteras en-dehors… plus faible sera le lien qui lie ton âme et ton corps. C’est une pratique très équilibrée, et le prix à payer pour toute imprudence minime sera la mort.
Il fit une pause pendant une seconde.
— Il est toujours temps de renoncer, dit-il alors.
Quoi, sérieux ? Comme s’il allait renoncer maintenant.
— Non, je veux prendre le risque, assura Zorian en secouant la tête. Que dois-je faire ?
— Assis-toi au centre du diagramme, ordonna Alanic. Avant que nous ne commencions, nous devons nous préparer. Plusieurs sorts doivent être lancés sur ton corps. L’un d’eux va raffermir le lien entre ton corps et ton âme, pour que tu puisses y retourner lorsque tu le désireras. Un autre va créer une espèce de cerveau magique pour que ton âme puisse penser, afin de te permettre de rester conscient même sans corps physique. Si l’un d’eux est mal lancé, …
— Oui, la mort, je sais, le coupa net Zorian.
Pendant près de quinze minutes, le prêtre expliqua les mécanismes du rituel à Zorian, et lui posa même des questions à plusieurs reprises pour s’assurer de son attention la plus totale. C’était quelque peu épuisant, mais il supposa que pour une chose si dangereuse, il était de mise de se montrer trop prudent. Alanic sentait que Zorian pouvait être capable de supporter le rituel, mais insista sur le fait que rien n’était jamais certain dans ce genre de situations. Une telle procédure n’était jamais sûre.
Une chose s’avérait néanmoins intéressante. Zorian ne put s’empêcher de remarquer à quel point ce rituel se fondait sur la capacité du lanceur de sort à posséder une vision de l’âme efficace. Ce n’était pas une chose qu’un expert en défense de l’âme pouvait maîtriser – c’était de la nécromancie pure et dure. Une preuve de plus appuyant le passé sombre du prêtre…
— Oh. Une dernière chose avant que nous ne démarrions, ajouta Alanic. Comme tu le sais sans doute, les corps des êtres vivants ne sont pas faits pour vivre sans âme. Une âme absente de son corps lui fait des choses terribles. Les dégâts provoqués par la force de vie d’un être humain dans un corps sans une âme pour la diriger peuvent être très difficiles, voire impossibles, à guérir. De nombreuses personnes ont ruiné leur vie de façon définitive en abusant de cette méthode. La façon dont la boucle temporelle réinitialise ton corps devrait te mettre à l’abri d’une telle conclusion, mais ne te protègera en rien de ce qui va arriver à ton corps dans l’immédiat et pour les semaines à venir. Même si tout se passe à merveille, tu vas te sentir malade comme un chien et souffrir tous les maux du monde.
— Je vois, comprit Zorian.
— Je te le dis pour que tu ne paniques pas en revenant dans ton corps, et ne risques pas de te blesser, continua Alanic. Il serait mieux de ne même pas tenter de bouger ou parler à ce moment. Supporte la douleur et les nausées pendant le temps qu’il faut et attend que ton corps rétablisse l’équilibre.
Zorian acquiesça, déjà totalement effrayé par l’expérience.
— Prêt ?
Bien sûr que non, merde.
— Oui.
Il n’y eut aucun avertissement. D’un geste soudain, Alanic attrapa la tête de Zorian des deux mains et tira.
Zorian n’avait ressenti une douleur si intense qu’à une seule occasion dans sa vie : lorsque Quatach-Ichl avait tenté de faire fusionner son âme avec celle de Zach. Il tenta de hurler, plus par reflexe que par choix, mais découvrit qu’il n’avait plus le contrôle de son corps.
Sa vision s’assombrit légèrement en périphérie, son corps devenait de plus en plus engourdi et insensible, et tous les bruits de la pièce s’éloignèrent de plus en plus. Sa conscience se rétracta et ne devint bientôt plus qu’un simple point dans l’existence, jusqu’à ce qu’il ne restât plus rien.
___
Et puis il y eut quelque chose. Son âme s’enflamma d’une conscience nouvelle, claire et lumineuse comme le jour, comme elle ne l’avait jamais été auparavant. Il paniqua en premier lieu, luttant pour comprendre ce qu’il se passait et tenta instinctivement de se raccrocher à quoi que ce fût alentour, grâce à des membres inexistants. Après quelques instants, cela dit, il sentit le lien qui existait toujours entre lui et son corps et se souvint de ce qu’il s’était passé, et des instructions du prêtre. La toute première chose qu’il devait faire, c’était de toujours rester conscient de ce lien. Il ne devait jamais le perdre de vue.
Il était seul – seul d’une façon trop compliquée à expliquer avec des mots. Il pouvait ressentir son âme, mais tout ce qui se trouvait en-dehors de la frontière de celle-ci était inexistant, vide, infini. C’était absolument terrifiant, et il sentir un besoin urgent de retourner dans son corps sans délai.
Mais il se retint. Peu à peu, il se calma et se mit au travail.
Il ne savait pas depuis combien de temps il était sous cette forme, âme consciente d’elle-même et tentant sans faillir de s’auto-définir, de tracer les contours et les spécificités de sa propre structure, à observer la façon dont ce marqueur interagissait en son sein. Il était difficile de juger le temps qui passait dans cet état entre les mondes. Et le temps lui importait peu. Qu’il se fût agi de moments, d’heures, d’années… Ça n’avait aucune importance : cette simple visite lui en avait appris tant… Tout était tellement plus clair désormais, tellement plus évident, tellement plus réel, et il pouvait déjà voir –
Le lien ! Il faiblissait !
Après avoir paniqué pendant une seconde, Zorian s’agrippa virtuellement au lien afin de hisser son âme vers ce corps si attrayant.
___
Après être passé par le nouvel exercice d’Alanic à plusieurs reprises, Zorian put finalement affirmer avec assurance que revenir à la vie était encore pire que la mort. Qu’Alanic lui arrachât l’âme était douloureux comme mille enfers, mais seulement l’espace d’un instant. La douleur et les nausées suivant le retour corporel durèrent des heures avant de seulement commencer à faire mine de faiblir.
Il devait rendre justice à Alanic, néanmoins – c’était efficace. Très efficace. Après la quatrième session, Zorian était enfin parvenu à localiser la partie de son marqueur en charge de la détection des clés. La raison pour laquelle cette fonction était si compliquée à comprendre sans pouvoir l’observer directement était simple : elle ne fonctionnait pas sur une distance illimitée, mais ne s’activait qu’à proximité de l’objet en question. Ce qui signifiait, malheureusement, qu’ils ne pouvaient pas simplement suivre un chemin tout tracé de part et d’autre du monde. Mais au moins, Zorian pourrait localiser les clés lorsqu’il s’en approcherait.
Aucune d’elle ne se trouvait à proximité de Cyoria. Il avait vérifié juste pour être sûr, pour ne pas avoir l’air totalement idiot après avoir réalisé qu’une clé sur trouvait sous son nez et qu’il ne l’eût jamais remarqué.
À part ça, il identifia également une fonction du marqueur lui permettant de savoir exactement combien d’itérations étaient encore prévues avant l’effondrement de la boucle temporelle. Ils possédaient déjà cette information grâce au Gardien, mais il était toujours bon de pouvoir le confirmer soi-même à tout moment.
En d’autres termes, Zach était jaloux de Zorian et sa capacité améliorée à avoir conscience de son âme, et du contrôle sur le marqueur. Il travaillait d’arrache-pied sur les bases de son propre entraînement et n’était pas du tout découragé en voyant l’état de Zorian : il voulait suivre ses pas aussitôt qu’Alanic lui aurait donné le feu vert. Et ce, malgré la description détaillée des sévices et souffrances fournie par Zorian en personne.
Ce dernier s’abstint de lui faire remarquer qu’il venait à peine de commencer et qu’il lui faudrait sans doute plusieurs mois avant de pouvoir en arriver à ce stade.
Dans tous les cas, l’itération arrivait sur sa fin, et des préparations devaient être faites. Kael lui amena une fois de plus ses notes de recherche, et Zorian mit ses propres archives mentales à jour, avant de faire de même concernant l’entraînement de Kirielle et Taiven.
Et cette fois, il y eut de nouvelles additions à sa collection – Xvim et Alanic lui apportèrent leurs propres calepins, destinés à être transférés à l’itération suivante…
— Je dois admettre que tu m’as dépassé sur ce point, avoua Xvim. Je n’aurais jamais pensé à simplement transférer des livres entiers en les stockant dans mon esprit. Je suppose qu’il n’y a pas de souci à te demander le même accord que celui que tu as avec ton ami ?
— C’est bon, accepta Zorian, qui ne portait plus le paquet mémoriel de la matriarche, et disposait alors d’une quantité incroyable de place libre.
Il regarda Alanic, par-dessus l’épaule de son mentor.
— Et vous ? Vous êtes sûr ne vouloir transférer que ce petit calepin ?
— C’est tout ce dont j’ai besoin, répondit simplement le prêtre. Contrairement à Xvim et Kael, je ne prétends pas utiliser cette boucle temporelle pour conduire des recherches. J’ai simplement besoin de faits et de noms, afin de te faire perdre moins de temps la prochaine fois que tu me parles de la boucle temporelle.
— Je suppose qu’on ne devrait pas vous donner ça si on ne compte pas vous parler de tout ça, dans ce cas.
— Cela va de soi, acquiesça Alanic. Mais si tu veux reprendre l’entraînement là où tu l’as laissé, tu vas devoir tout me raconter, où je n’accepterai jamais.
— Je m’en doute, confirma Zorian. Bon. Si c’est tout, alors affaire classée. C’est probablement la dernière fois qu’on se parle avant la fin de l’itération.
Xvim et Alanix partagèrent un regard sérieux.
— En fait, il y a quelque chose d’autre, avoua Alanic. Xvim et moi-même prévoyons de mener un groupe de combat dans le Gouffre pendant l’invasion afin de mettre un terme à cette invocation.
— Oui ? Je ne vais pas vous arrêter, répondit Zorian, confus quant à ce qu’il était censé en dire.
— Je sais, lui lança le prêtre comme s’il était le dernier des imbéciles pour y avoir même songé. Je veux que tu viennes avec nous. Si nous pouvons nous frayer un chemin jusqu’au site du rituel, nous pourrons identifier les mages responsables de tout ça, et tu pourras les interroger lors des futures itérations. Il y a aussi une forte chance pour que les dirigeants du culte soient là également. C’est définitivement une source d’informations qui doit t’intéresser.
— Je le suis, confirma Zorian. Et oui, c’est logique. Je suppose que je n’imaginais simplement pas les implications de ce que vous me disiez. Je suis si habitué à échouer lors d’un affrontement direct face aux envahisseurs que j’ai sans doute instinctivement bouté en touche l’idée même de parvenir à vos fins. Vous savez, tous les deux, que vous allez devoir faire face à Quatach-Ichl si vous voulez atteindre le site du rituel, n’est-ce pas ?
— Nous savons, abonda Alanic. Il est peut-être vieux et puissant, mais ce n’est qu’un unique mage.
— Euh… Un mage seul commandant une armée de monstres et de sous-fifres, oui ? fit remarquer Zorian. Mais bon, c’est d’accord, on va tenter le coup.
— Bien, se satisfit Alanic. Penses-tu que Zach viendra également ?
— Vous plaisantez, là ? Il ne nous pardonnerait jamais si on le laissait hors de ce plan. Donnez-mois simplement le point de rendez-vous. Où, quand, et nous serons là.
___
Lorsqu’Alanic lui avait dit qu’il allait, en compagnie de Xvim, descendre et assaillir le groupe, Zorian s’était imaginé qu’il allait s’y présenter à la tête d’un groupe d’une vingtaine de mages de combat, et peut-être le double servant de support en arrière-ligne. Au lieu de ça, Zorian découvrit sur le lieu du rendez-vous une centaine d’hommes, tous des mages émérites semblait-il. Certains portaient des fusils, mais le prêtre expliqua aussitôt qu’il s’agissait de mages armés plutôt que de simples soldats.
Xvim et Alanic avaient clairement pris les avertissements de Zorian au sujet de l’envahisseur et de leurs plans, ainsi que de la liche à leur tête, très au sérieux. Et c’était plutôt bon signe.
Quoi qu’il en fût, le prêtre – qui était le commandant du groupe, Xvim totalement content de suivre ses ordres – décida de ne pas gaspiller leurs forces à combattre en ville afin d’atteindre le Gouffre. Au lieu de ça, le groupe entier s’était caché dans un endroit proche de leur destination bien à l’avance et avait attendu que l’invasion démarrât.
— Tout l’intérêt de l’opération réside dans la capture des dirigeants en flagrant délit, expliqua Alanic tandis que les mages se demandaient quelle allait être la suite des opérations. Nous devons attendre que l’attaque démarre et monte en puissance, ou ils pourraient simplement décider de ne pas traîner autour du Gouffre et nous serions là pour rien.
Xvim et Alanic avaient clairement discuté avec les forces de défense de la ville afin de leur permettre de se préparer au chaos à venir, car quand les combats commencèrent pour de bon, les choses prirent de l’ampleur autour du Gouffre. Les défenseurs concentrèrent leur puissance de feu dans la zone, et les envahisseurs réagirent en répondant de plus belle.
— Nous allons patienter, afin les défenseurs de la ville affaiblissent l’ennemi. Puis, nous bougerons, annonça le prêtre en regardant le carnage sans émotion.
Zorian observait également, scannant la foule à la recherche du moindre signe de la présence de la liche. Ce monstre était enclin à se téléporter facilement lorsqu’il combattait pour de bon, ce qui le rendait particulièrement pénible à suivre, même à cette distance.
— À chaque fois que je le perds de vue, je m’attends à ce qu’il apparaisse dans mon dos pour m’achever par derrière, admit calmement Zorian.
— Ouais, confirma Zach. Je comprends. J’ai combattu contre d’autres liches, et je les ai vaincues, mais ce fils de pute… jamais. Pas une seule fois. Et il a tendance à t’attaquer en traître quand tu t’y attends le moins.
Nonchalamment, Zorian commença à faire ce qu’il faisait de plus en plus, récemment, pour se calmer les nerfs. Il vérifia le mécanisme de détection des clés de son marqueur. Il n’en avait jamais obtenu une réponse positive, bien sûr, mais ça l’aidait à se souvenir qu’il avait malgré tout effectué quelques progrès récemment, et ça lui permettait de se détendre autant que possible.
Sauf qu’il ressentit quelque chose, à ce moment. Totalement excité, il se concentra sur ce que le marqueur lui disait, et –
— Putain de bordel de merde, grinça soudain Zorian, les cheveux dressés sur la tête.
— Quoi ? s’étonna Zach, peu habitué à entendre son compagnon jurer ainsi.
— J’ai trouvé Quatach-Ichl, annonça Zorian amèrement en désignant un endroit sur leur gauche.
La liche se tenait juste là, à côté d’un bâtiment, observant placidement le combat sans même se fatiguer à intervenir.
— Oh, nota Zach après l’avoir repérée aussi. Mais qu’est-ce qu’il fout, à se tenir là, de côté ?
— Aucune idée, avoua Zorian. Je m’en fous un peu, là, tu vois. J’ai trouvé une des clés.
— Oh ? releva Zach, son humeur soudain grandissante.
— Tu vois cette couronne, sur la tête de la liche ? Celle qu’il porte tout le temps ? lui demanda Zorian.
Zach connaissait cette couronne. Il ne prit même pas la peine de la regarder, et se contenta de pâlir à vue d’œil.
— Tu te fous de ma gueule, c’est ça ?
Malheureusement, ce n’était pas une plaisanterie. Selon son marqueur, Zorian savait que Quatach-Ichl portait la couronne des empereurs Ikosiens, et qu’il s’agissait d’une des clés qu’ils allaient devoir retrouver afin de quitter la boucle.
— Cette itération ne fait que nous apporter des bonnes nouvelles… soupira Zorian.
- EER : Chapitre 225 - 26 décembre 2023
- EER : Chapitre 224 - 8 décembre 2023
- EER : Chapitre 223 - 7 décembre 2023
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On vas avoir droit à de la bonne baston !!!!
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