Il commençait à pleuvoir. Légère et fugace au départ, la pluie se changea rapidement en une averse inondant les ruisseaux qui couraient à travers la montagne, remplissant la moindre dépression.
On dirait que ça va durer un bout de temps…
Sae-Jin soupira après avoir observé les trombes d’eau pendant un long moment, et il était inquiet. Qu’est-ce qu’il allait pouvoir dire à la femme qui dormait derrière lui ? Quelle excuse pourrait sembler plausible pour qu’elle ne le tue pas sur-le-champ ? Un chevalier aussi bien classé qu’elle, visant les strates des niveaux les plus élevés, n’avait besoin que d’une pichenette pour effacer toute trace de l’existence d’un simple Gobelin de bas niveau.
« …*nnggg*… »
Mais il ne pouvait pas continuer à s’inquiéter plus longtemps. Même si les soins avaient été administrés moins d’une heure plus tôt, Kim Yu-Rin laissait déjà échapper un léger gémissement, comme si elle pouvait reprendre conscience à tout moment.
Le pitoyable Gobelin faillit sauter au plafond en entendant un son sortir de la bouche de la blessée et se précipita à ses côtés.
« Est-ce que tout va b… »
Il réalisa soudainement qu’il allait faire une connerie.
Un Gobelin n’est pas supposé parler le langage humain…
En y réfléchissant un instant, il ne trouvait pas de solution. Un Gobelin « normal » n’était pas censé sauver un humain, sérieusement. Les Gobelins étaient voraces et toujours affamés, et n’auraient jamais fait la fine bouche quand il s’agissait de se remplir la panse, après tout.
« … Hmmm … ? »
Rassemblant ses esprits et luttant contre la douleur encore vive, Kim Yu-Rin finit par ouvrir les yeux. À travers ses paupières lourdes et ensommeillées, elle vit le plafond de pierre. Elle l’observa silencieusement pendant un instant, avant de soudainement réaliser et de se relever comme une furie.
« … Argh ! »
Malheureusement pour elle, son mouvement réveilla dans ses tripes une douleur qui la fit à moitié cracher ses poumons. Son visage était déformé par cette soudaine agonie et elle attrapa son ventre, qui était encore en lambeaux trente minutes plus tôt.
Mais c’était plutôt étrange.
Indéniablement, les griffes d’un Tigre à dents de sabre avaient bel et bien arraché un morceau de son abdomen. Même cette horrible douleur résiduelle était on ne peut plus réelle. Pourtant, en le touchant, son ventre paraissait intact, comme si rien n’était arrivé.
« Comment te sens-tu ? »
Elle entendit soudain une voix d’homme. Soulagée, elle soupira et tourna la tête en direction de la voix.
Au tout dernier moment, elle était parvenue à utiliser un parchemin de téléportation qu’elle avait emmené sur elle juste au cas où en voyant que tous les autres ne fonctionnaient pas pour Dieu sait quelle raison, mais même celui-ci l’avait envoyée vers un endroit complètement à côté de la plaque, et elle pensait que son compte était bon, qu’elle allait mourir comme ça. Ce fut à ce moment que par la plus grande des fortunes, quelqu’un l’avait trouv…
« Ah, je s… »
Un Gobelin se tenait juste là.
Et en plus, il parlait le langage humain. En Coréen, rien de moins.
Elle s’était apprêtée à se lever et à s’incliner en bonne et due forme pour remercier celui qui venait de lui sauver la vie, mais en le voyant, sa tête bascula dans un état de vide absolu. Le Gobelin devant elle continuait à aboyer à propos de quelque chose, mais elle n’entendait plus rien. Son cerveau refusait catégoriquement de relier les points.
« … Que… Putain de bordel de … ? »
Se convaincant qu’elle devait être victime d’un syndrome post-traumatique, elle ferma soigneusement les yeux, puis les rouvrit lentement. La scène était toujours la même. Elle se frotta les yeux et regarda à nouveau.
« Hu… »
Quoi qu’elle fasse, ce qu’elle voyait devant elle n’avait pas l’air de vouloir disparaitre.
« Mais merde, je deviens folle ou quoi ? »
Incapable de se retenir, elle avait craché ça sans sourciller.
« Nope, j’suis réel. »
Sae-Jin était aussi quelque peu frustré, parce que les Gobelins avaient de sacrés problèmes à assembler des mots – même de leur propre langue – pour former une phrase correcte. C’était vraiment la pire de ses formes, elle reflétait avec précision la façon d’être des vrais Gobelins, apparemment.
« Ouah, il a vraiment parlé. Peut-être que je suis morte ? »
Yu-Rin mit ses deux mains devant son visage et se rallongea sur le lit en pierre. Il lui fallut encore un sacré moment avant qu’elle n’accepte la réalité de la situation.
***
Sae-Jin fit de son mieux pour la convaincre tout en évitant soigneusement de croiser son regard. Une erreur et il se retrouverait six pieds sous terre en deux temps trois mouvements.
Son histoire était simple mais plausible. Il lui raconta qu’il était différent et plus malin que les autres Gobelins depuis toujours, et qu’après avoir été déçu et dépité par les méthodes lâches et sournoises de sa race, il s’était enfui. De là, il rencontra un chasseur et bien que ce ne fût pas parfait, il apprit de lui le langage et le comportement des humains. Bien évidemment, le chasseur avait perdu la vie dans un accident quelque temps plus tard.
Ce n’était pas l’histoire la plus détaillée et sans faille qu’on puisse inventer, mais heureusement Kim Yu-Rin ne remit pas vraiment sa parole en doute.
Son ouverture d’esprit était en partie due au fait qu’indépendamment de sa race, il restait celui qui lui avait sauvé la vie, mais aussi parce qu’on en savait finalement très peu sur la façon de vivre des monstres. Après tout, s’il y avait un monstre capable de prendre la forme d’un humain, alors il existait sûrement aussi des monstres capables de parler.
« … Tu as eu une histoire bien mouvementée… Quoi qu’il en soit, merci de m’avoir sauvée. »
D’une manière bien plus relaxée, Yu-Rin lui caressa la tête en souriant légèrement.
Même si c’était un geste doux, Sae-Jin se crispa. Trouvant ça drôle, Yu-Rin ricana subtilement.
« Haha… T’es un drôle de spécimen… Outch. »
L’état de son corps ne lui permettait toujours pas d’éclater de rire à volonté, et elle attrapa son ventre en grimaçant sous la douleur aigüe. Sae-Jin se dépêcha de lui donner une autre dose de la potion de soin.
« Je dois boire ça ? »
Comme Sae-Jin hochait la tête, elle attrapa la potion en souriant, et en but une bonne gorgée.
« … Hein ? »
Yu-Rin laissa échapper un halètement de surprise. Comme par magie, sa douleur disparut comme si elle n’avait été qu’un mauvais rêve.
« Tu as des sacrés talents, hein ? »
Elle sourit franchement et caressa la tête du Gobelin devant elle une fois de plus. On aurait dit que ce petit bonhomme aimait bien ça.
« Merci. Vraiment, vraiment, merci. Je m’en suis sortie grâce à toi. »
Aux yeux des chevaliers qui croisaient sans cesse le fer avec des monstres, les Gobelins n’étaient rien de plus que des expériences qu’ils préféraient bien vite oublier. Les poisons et les malédictions étaient sincèrement difficiles à gérer quand on était incapable d’y résister. Et bien sûr, l’aspect hideux des Gobelins ne faisait que signer la mauvaise impression qu’ils donnaient.
Mais à l’heure qu’il était, pour Kim Yu-Rin, le fait que celui qui se tenait devant elle était un Gobelin ne lui importait d’aucune façon. Il possédait une intelligence élevée et était étonnamment gentil. Elle trouvait même ça plutôt mignon.
« … Ah ? »
Alors qu’elle caressait nonchalamment la tête du Gobelin, le bracelet solidement attaché à son poignet se mit à vibrer.
Il semblait que l’Ordre tentait de communiquer avec elle. Il était probablement en train d’essayer de la joindre après avoir constaté son absence, bien après la fin de sa mission.
« C’est vrai, ma mission… »
Sa mission… était un échec, malheureusement. Et non contente de ça, elle aurait aussi pu trépasser d’une mort horrible, gore et indescriptible.
Mais grâce à sa chance de cocue, elle avait croisé le chemin de ce Gobelin et s’était trouvée capable de réécrire son destin. Cette rencontre fut une chance énorme.
Une enquête permettra de mettre en évidence ceux qui ont saboté les parchemins de téléportation, et les deux chevaliers qui m’ont laissée pour morte avant de s’enfuir. Yu Jong-Yun et Kim Sa-Rang… Non, il est raisonnable de penser que toute la deuxième équipe est impliquée.
Deux ans plus tard, le père de Kim Yu-Rin, Kim Hyun-Suk, allait devoir abandonner sa position de Maitre de l’Ordre des Chevaliers, une fois que son mandat toucherait à sa fin.
Et le candidat favori à sa succession n’était pas Oh Jong-Hyuk, le Vice-Maitre de l’Ordre actuel, mais bel et bien Kim Yu-Rin. La situation était arrivée à un point où deux factions opposées étaient engagées dans une lutte intestine officieuse, l’une supportant le Vice-Maître et l’autre Kim Yu-Rin. Ce qui était arrivé ce jour était en toute probabilité dû à ces affrontements internes.
Avec la cérémonie d’avancement de niveau du mois suivant, ils étaient sans doute pressés par le temps au point de s’abaisser à ce genre de coup bas. Yu-Rin y songea avec colère et grinça des dents.
Ces six enfoirés l’avaient abandonnée à l’entrée de la grotte où vivait un Tigre à dents de sabre de 40 ans, une créature si féroce que même des chevaliers de haut niveau trouveraient presque impossible de l’affronter face à face ; et ces mystérieux coupables qui avaient bousillé les sept parchemins de téléportation, saboté son armure infusée de mana et qui étaient responsables de l’enraiement de ses armes au moment crucial.
« Merci. Grâce à toi, on dirait que je vais pouvoir me débarrasser de toutes les mauvaises herbes d’un seul coup. »
Elle devait de toute façon se calmer et consommer sa vengeance froide, un jour prochain.
Kim Yu-Rin sourit gentiment et continua à frotter la tête du Gobelin, avant de répondre calmement en direction du bracelet.
« Chevalier de haut niveau Kim Yu-Rin au rapport. Je vais rentr… »
Yu-Rin s’arrêta de parler et jeta un coup d’œil rapide au Gobelin, qui réussit à lui arracher un nouveau sourire, assez doux. Elle changea le contenu de son message.
« Non. Je rentrerai d’ici trois heures. À cause des pluies torrentielles, un glissement de terrain a bloqué l’entrée de la grotte dans laquelle je suis. »
**
Sae-Jin et Yu-Rin parlèrent beaucoup pendant ces trois heures.
Mais plutôt qu’une conversation, c’était un monologue dans lequel les rôles étaient clairement définis. Comme il était difficile pour un Gobelin de formuler des phrases construites, Sae-Jin devint naturellement l’auditeur pendant que Yu-Rin parlait.
« Aaaaaah, comment est-il possible qu’en 27 ans, je n’aie jamais eu la chance de vivre une relation romantique… Ah, mais je ne suis pas la seule, non. »
Pourquoi est-ce qu’elle est si enjouée ? Elle avait l’air si froide et distante à la télévision.
Sae-Jin trouva Yu-Rin merveilleusement facile à vivre, c’était totalement au-delà de ses attentes. Lorsqu’il la voyait à la télévision, elle avait l’air beaucoup plus froide et calculatrice que la personne bavarde qu’il avait devant les yeux à ce moment.
« Honnêtement, j’aime vraiment les poupées toutes simples et mignonnes, tu sais ? Mais les garçons ne voient que mon côté chevalier et finissent toujours par m’offrir des trucs inutiles comme des couteaux, des épées et des objets magiques. Comment pourrais-je sortir avec des crétins pareils ? Et puis, quand je leur fais remarquer leur erreur, ils vont répandre des rumeurs, comme quoi j’ai des critères super élevés et me font passer pour quelqu’un de bizarre… »
Mais Sae-Jin était satisfait. Qui d’autre était capable d’écouter les divagations personnelles qui sortaient de la bouche du plus célèbre chevalier de Corée, comme lui le pouvait ?
Il l’écouta se plaindre pendant les trois heures qui suivirent tout en répondant aux bons moments et en faisant semblant de ne pas comprendre les mots compliqués, de temps à autre.
En fait, il était occupé à la dévisager. Même après trois heures, il ne pouvait simplement pas se passer de sa beauté, qui surpassait largement toutes les rumeurs la concernant.
Finalement, comme un signe marquant la fin des trois heures, la pluie cessa et le soleil apparut derrière les nuages.
« Quand j’aurai le temps, je reviendrai te rendre visite. Ce ne sera peut-être pas tout de suite… mais je te promets de rembourser ma dette à ce moment. »
Face à l’imminence de son départ, Yu-Rin était quelque peu hésitante, se retournant plusieurs fois vers lui.
Elle avait l’air malheureuse de ne pas l’avoir assez remercié, lui qui avait sauvé sa vie, et elle s’en désolait.
Mais Sae-Jin n’était pas du même avis. Il se sentait même plutôt reconnaissant et aurait même pu devenir fou d’excitation.
Yu-Rin lui donna une dent de Tigre à dents de sabre comme compensation. Digne d’un chevalier de son calibre, elle ne s’était pas contentée de perdre, seule face au monstre, mais avait réussi à briser l’un de ses crocs.
S’il n’avait pas obtenu ses connaissances de Gobelin récemment, il aurait considéré ce croc comme un vulgaire grigri pouvant être vendu à un bon prix, mais maintenant, il le voyait différemment. Le croc en lui-même était une pierre de mana et en même temps un ingrédient nécessaire à la confection de potions. En y ajoutant prudemment d’autres matériaux, il était possible d’en tirer au moins dix bouteilles de potions aux propriétés et effets variés.
Une rapide remémoration de ses souvenirs récents lui révéla qu’il pouvait faire une potion augmentant drastiquement sa constitution et ainsi chasser bien plus efficacement, mais aussi un breuvage semblable à celui qu’il avait fait boire à Kim Yu-Rin un peu plus tôt. Il pouvait le vendre – les possibilités étaient vraiment infinies.
En plus, il n’avait pas à rester discret pour ne pas attirer l’attention s’il commençait à concocter et vendre des potions. Normalement, il était possible de vendre les potions, une fois qu’elles étaient certifiées sans effets secondaires et déclarées propres à la consommation, tout en maintenant un certain degré d’anonymat.
Autrement dit, je peux au moins me faire un bénéfice de 440.000 $.
Tant qu’il y avait un effet curatif, même les breuvages d’urgence bas de gamme qui n’étaient même pas considérés comme des potions valaient tout de même 175 $ par bouteille. Il se rappela également avoir vu dans un extrait d’informations que d’après des tests effectués sur deux breuvages réalisés par un Elfe Noir et un Gobelin, celui du Gobelin s’avérait être le plus efficace.
Et il se trouve que je suis un Gobelin. Un Gobelin spécialisé en médecine, rien de moins.
Grâce à ça, il pourrait gagner suffisamment d’argent pour acheter de l’équipement et même se payer une belle maison dans la Province de Gangwon.
« Merci ! Prends soin de toi !! »
Sae-Jin salua Yu-Rin en lui lançant un regard on ne peut plus joyeux. Tombant idéalement, un rayon de soleil les sépara. C’était un temps plutôt agréable pour des adieux.
« …O… Oui ! Prends soin de toi aussi ! Ne t’aventure pas dans des endroits dangereux ! »
Yu-Rin parlait d’une voix légèrement tremblante, lourde d’émotions. Elle se sentait un peu triste de voir l’expression heureuse du Gobelin – après tout, elle lui avait ouvert son cœur pendant trois heures, et se sentait un peu plus proche de lui.
Mais elle ne pouvait plus reporter son départ.
Yu-Rin se résolut et se retourna, quittant les lieux d’un pas lourd.
« Ouais ! Toi non plus ! »
En écoutant derrière elle cette voix ordinaire, elle était sûre que le peu de temps qu’elle avait partagé avec cette petite créature, gentille et intelligente, resterait gravé dans son cœur pour toujours.
- EER : Chapitre 225 - 26 décembre 2023
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Merci pour le chapitre ^^
merci.
le 1er paragraphe tu mes « changèrent » j’aurai mis « changea » dans les règles d’écritures il faut éviter le participe présent et les mots en ‘ent’ (comme normalement). même si la tu traduis tu n’écris pas donc c’est compliqué de ne pas les mettre.
Woups, problème de relecture. J’avais écrit la phrase un peu différemment au début.
Merci de la remarque 🙂
merci pour le chapitre
Oh très beau chapitre, merci
Merci pour le chapitre
Merci pour le chap super sympas leur relations
Merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre
merci pour le chapitre
merci pour le chapitre ^^
La traduction est bien écrite, que du plaisir à la lire. De surcroît, cette série s’avère être un vrai coup de coeur ! <3
Merci pour tout !
Merci pour le chapitre ^^
il me tarde de voir la suite de cette idylle 😉
merci pour le chapitre
Merci pour ce chapitre
C’était mignon.