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Chapitre 107 – Friderik et la vie de château (3)

 

— S… Sire…

Lancelot était perplexe. Lui qui avait l’habitude de diriger faits et gestes d’Arthur, qui pouvait même apparemment le rendre inconscient de ce qui l’entourait comme lorsqu’il avait discuté avec Wuying ce jour-là, lui qui était le réel dirigeant… il venait de se laisser surprendre par un comportement du roi qu’il n’avait pas prévu.

— Mon bon Lancelot, te souviens-tu de ce jour, lorsque dans le royaume de Bretagne, j’ai épargné ce voleur ? Il a recommencé. J’ai fait preuve de bonté parce qu’il avait une famille, une nouvelle fois. Présenté devant la justice du roi, je l’ai laissé partir. Qu’a-t-il fait ensuite ?

Les yeux du roi étaient toujours froids mais perdaient peu à peu de leur aura meurtrière. Il redevenait ce bon vieux roi Arthur un peu à l’écart, peu concerné par ce qui l’entourait et se fiant aux décisions de Lancelot pour toutes les affaires du royaume.

Ceci dit, sa voix soutenait quelque chose de sérieux et de profond et Lancelot, qui baissa une nouvelle fois les yeux vers la tête incrédule de feu le Seigneur Ombre, ne sut que répondre.

— Je… Oui, cela fait si longtemps mais… bégaya-t-il.

Il était le dirigeant de ce plan, de cette planète ou qu’en savais-je. Il avait le pouvoir sur le roi et sur Albion en général. Pourtant, quelque chose l’empêchait de se comporter comme tel face à Arthur. Son respect, son amour ? Il était le roi malgré tout, c’était ça. Il l’avait recréé sur Albion, à partir de rien et ce n’était pas sans raison. Il l’avait fait à l’image de son roi adoré et adulé et lui avait visiblement même accordé ses souvenirs, lui faisant sans doute croire qu’il avait traversé l’espace et le temps en sa compagnie.

— Qu’a-t-il fait, ensuite ? répéta le roi.

— Il a assassiné ce riche marchand et sa femme pour les détrousser, dans leur calèche… se souvint Lancelot.

Arthur me surprit et esquissa un sourire fatigué, plein de souvenirs et de réalité.

— Les gens ne changent pas, mon bon ami. Ils peuvent regretter, amèrement même. Ils peuvent se promettre de ne plus recommencer, ça arrive souvent, des criminels faisant preuve de bonne volonté et qui finissent toujours par retomber dans la facilité de leurs travers.

— Mais… Ce n’était pas la…

— Cet homme a créé une organisation illégale et crois-tu qu’il aurait montré un semblant de remord pour ça ? La seule chose qu’il regrettait était son erreur de jugement concernant ce vin ou que sais-je. Le King ne peut permettre à ce genre de personnage de vivre à Camelot et présenter une menace pour les habitants de mon royaume.

— Une menace ? Mais il était apprécié des… Non, attendez, Sire, ce n’est pas le problème ! Vous auriez pu le tuer quelques minutes plus tard ! Il allait nous révéler des cho…

— Suffit, Lancelot, trancha Arthur en lui accordant à nouveau un regard glacial qui ne supportait pas la réplique, je me fiche de ce qui est arrivé à ces gens. Ils ont choisi de faire confiance à un criminel et je veux que le message soit clair pour mon peuple : en marge de la loi, seule guette la mort.

Lancelot se mordit la lèvre. J’avais envie de me changer en slime et de crier à Arthur à quel point sa façon de penser était ridicule et emplie d’incohérences mais je me retins de faire le moindre mouvement qui aurait pu me trahir.

Décidément, le temps insouciant en compagnie de Wuying me semblait déjà si loin, ce temps heureux où je pouvais simplement monter la garde dans ses donjons afin d’y mettre quelques aventuriers à mort pour son bon plaisir.

Je me pris à rêver d’y retourner, ou plutôt… de créer ce temps béni à nouveau. Perdu dans ma rêverie comme de plus en plus souvent ces derniers temps, je cessai d’écouter ce que se racontaient les deux chevaliers de la table ronde, peu d’accord l’un avec l’autre. Après tout, le créateur du monde obéissait au roi à cause d’une espèce de masochisme étrange ; je savais qu’il ne lui tiendrait pas tête alors qu’il aurait pu le faire avec une facilité déconcertante.

Finalement, Arthur me rangea dans mon fourreau après m’avoir soigneusement nettoyé du sang qui recouvrait ma lame. Tous repartirent en direction du château et seul Lamorak prit une direction différente. Je savais qu’il était porteur d’une mission qui consistait à mettre à mort tous ces fous furieux : sans doute allait-il donner leurs ordres aux soldats du roi stationnés un peu partout en ville et qui ne cherchaient pour l’heure qu’à réprimer tant bien que mal un début de révolte étrange.

Ils allaient tous mourir, maintenant. Tous jusqu’au dernier et ce uniquement parce qu’ils avaient eu le malheur de vouloir boire de ce vin délicieux qui rendait fou. C’était là leur seul crime et il allait leur valoir la peine capitale sans jugement aucun.

Wuying allait être atterrée en apprenant tout ça. Le savait-elle déjà ? Que faisait-elle à ce moment précis, d’ailleurs ? Voilà une autre question que je me posais souvent.

Et si elle ne le savait pas ? Que dirait-elle lorsque l’info arriverait à ses oreilles ? Je savais qu’elle se sentait coupable pour ce qu’elle avait fait dans la tanière de ce vieux fou ; si elle avait conscience que ses actions avaient provoqué la mort de centaines d’innocents, que deviendrait-elle ?

Mais je ne pouvais pas trahir ma promesse et détruire ma couverture. S’ils devaient mourir, alors ils mourraient et je ne pouvais rien y faire. Non. Je le pouvais sans doute. Je ne le voulais pas.

Quelques centaines de vies ne valaient pas ma promesse.

— Sire, qu’allons-nous faire si cela se reproduit ? demanda Lancelot soudainement.

Arthur s’arrêta et se tourna vers lui, l’air étrangement surpris.

— Pourquoi cela devrait-ce se reproduire ? Puisqu’ils vont tous mourir, personne n’osera plus s’y aventurer à l’avenir. N’est-ce pas ?

Il était si chaleureux, si bon et si déterminé lorsqu’il parlait et vivait au quotidien et pourtant si froid, distant et cruel lorsqu’il abordait la mort de ses propres citoyens avec tant de légèreté. Lancelot n’était qu’à moitié étonné de le voir changer ainsi et je me surpris à me demander s’il avait réellement créé le roi comme il l’était jadis, sur Terre.

Arthur avait-il était un roi sachant se montrer sans pitié, même avec ses propres hommes ? D’après Wuying, ce n’était pas ce que la légende racontait. Mais une légende ne reste qu’une légende, après tout. Qui pouvait dire à quel point la réalité était embellie dans l’histoire racontée ?

— Oui, Sire. Je doute que nul n’ose se procurer ce vin dans les temps qui vont suivre, de peur de perdre la tête à leur tour et de se voir mis à mort.

Arthur esquissa un sourire, un très léger sourire satisfait et carnassier.

— Je vais dès la fin de ces évènements… tragiques… parler pour le peuple. Je leur expliquerai que ce vin est désormais interdit et quiconque se verra en consommer, en vendre ou simplement en transporter sera jugé et condamné à mort séant.

— Tout à fait, Sire, reprit Lancelot en hochant la tête d’un air compréhensif, c’est ce qu’il convient de faire pour s’assurer que ce genre de tragédie ne se déroule plus.

Tous deux se dirigèrent non pas vers le château mais vers la forêt, où Arthur me planta dans la pierre.

— Bien. Nous reviendrons dans trois jours, conclut le roi, Excalibur sera rechargée et toute-puissante. Ainsi, je me servirai de l’épée pour réaffirmer mon bon droit devant ceux qui pourraient me trouver trop oppressant et cruel, trop prompt à juger. Après tout, l’épée est formelle : je suis celui qui la manie et le seul apte à régner sur Albion.

Lancelot baissa la tête.

— Oui, Sire. C’est un bon choix.

 

**

 

Je sortis rapidement de la pierre en me demandant ce que j’allais devoir faire maintenant. Rester coincé pendant trois jours ? Il pouvait rêver. Il n’était pas le roi bon et juste que j’avais entendu Wuying décrire. Il était un roi qui réglait les problèmes en les supprimant ; à partir de ce moment, il était une personne que je dénigrais au plus haut point.

Continuer à jouer ce jeu stupide ? Me prétendre son épée pour lui donner le pouvoir dont il avait besoin de pour asseoir son autorité ?

Il pouvait bien continuer à espérer. Je ne retournerais jamais dans ce fourreau à sa hanche.

Il avait abandonné l’épée dans la pierre sans même se demander si Wuying n’allait pas revenir l’en déloger une fois de plus ? Ce n’était plus de la confiance, c’était de la naïveté. Trois jours plus tard, ils ne retrouveraient plus leur lame bénie.

Où pouvais-je trouver Wuying, désormais ? Il fallait que je puisse la contacter. Était-elle à Camelot, consciente de ce qu’il s’y passait ? Chez les géants, à se prélasser en attendant que le temps passe ?

Je possédais cela dit un bon moyen de me rappeler à son souvenir.

Le donjon.

— Tout revient toujours aux donjons, hein ? soupirai-je.

Je m’avançai vers l’entrée et pénétrai dans le donjon somme toute peu fréquenté. Ici, elle finirait par me voir et se rendre compte que quelque chose n’allait pas. Combien de temps cela allait-il lui prendre ? Sans doute suffisamment de temps pour que toutes ces pauvres âmes innocentes ne soient totalement perdues. Après tout, elle ne regardait pas ce qu’il se passait dans son donjon à tout bout de champ.

Soudain et contre toute attente, je la vis apparaître devant moi.

— Quoi ? C’est une blague ? m’écriai-je alors.

Elle me regarda d’un air faussement étonné avant de sourire amèrement.

— Je t’attendais, Friderik. Tu en as mis, du temps.

— Tu… m’attendais ?

— Je suis rentrée chez les géants dès que tout ce bordel a commencé. J’ai trop rapidement compris ce que le Seigneur Ombre a fait du vin que je lui ai confié pour ceux qui en avaient réellement besoin. Maintenant, il a donné naissance à un cataclysme.

Elle savait… Et elle ne se sentait pas coupable ? Sans doute parvint-elle à lire ce que je pensais car elle donna voix à une réponse spontanée.

— J’ai effectivement drogué quelques personnes. J’en suis coupable et c’est un péché qui ne me quittera jamais. Mais… J’ai fait ce qu’il fallait pour les aider comme je le pouvais. C’est lui…

Elle grinça des dents, visiblement passablement agacée.

— …C’est lui qui a fait tout ça ! Il a été cupide et je vais le faire payer, tu entends ?! Même si je dois le poursuivre jusqu’au bout d’Albion, je lui ferai payer ce qu’il a fait, en connaissance de cause, à tous ces gens !

Elle était à moitié en train de hurler. Finalement, quelque part au fond d’elle-même, elle se sentait responsable, hein ? Sans l’avouer, elle avouait qu’elle punirait le coupable de sa propre erreur de jugement… par procuration.

— Espère-tu apaiser ton esprit ainsi ? Le Seigneur Ombre est déjà mort, lui expliquai-je tout bas.

— M… Mort ?

— Tu es partie depuis plusieurs heures, n’est-ce pas ? continuai-je, et il s’en est passé des choses depuis. Arthur a tranché la tête du vieux, comme un simple meurtrier et sans tenir compte de sa demande de rédemption. Même Lancelot était choqué, je crois bien.

— Arthur a fait ça ? Mais Arthur est un roi juste et noble. Que lui est-il arrivé ?

Je me mis à ricaner tout bas avant de lui répondre.

— Je pensais aussi qu’il était quelqu’un de juste et droit. Mais au fond de lui, il cache quelque chose d’horrible, de pourri, un tempérament que je ne pourrai jamais respecter. C’est un monstre sans cœur, Wuying. Oublie tout ce que tu sais de lui, ce que tu t’imagines savoir.

Wuying resta silencieuse pendant quelques secondes, à me regarder avec ses yeux scrutateurs, qui cherchaient à trouver quelque chose tout au fond de moi, comme si la réponse était cachée au beau milieu de mon corps translucide.

Finalement, je repris la parole au moment où elle ouvrit la bouche pour parler.

— Que comptes-tu faire, maintenant ? Tous ces gens sont en train d’être mis à mort…

— Je… Je ne peux plus rien pour eux, fit-elle en baissant les bras, ce vieux con a été trop loin et ça échappe même à ce que je pourrais tenter de faire. Par contre… Il reste encore du vin chez lui, j’en suis certaine. Pendant que tu t’amusais avec le roi, lorsque je me suis rendue compte qu’il était en train de vendre le vin malgré ce que nous avions convenu, je me suis introduite chez lui à nouveau et j’ai vu ses livres de compte. Il reste encore du vin, Friderik. Il n’a pas tout vendu.

— Il en reste encore ? Ne me dis pas que tu comptes aller le…

— Si quelqu’un tombe dessus, où qu’il soit caché, alors tout ça recommencera. Allez. On y va.

Raka
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8 thoughts on “DMS : Chapitre 107

  1. Super chapitre comme d’habitude merci Raka !!
    Juste un truc, quelques chapitre auparavant il a pas était dis qu’il laisserait plusieurs soldat monter la garde quand il replanterais l’épée dans le rocher ?

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