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Chapitre 110 – L’offre et la demande (7)

 

— Tu penses vraiment que tu vas te lever, partir nonchalamment en me laissant là et aller me balancer ? lui demandai-je encore une fois.

Il m’adressa un sourire entendu tout en ricanant tout bas.

— Non, je vais te frapper si fort que tu ne pourras plus résister lorsque je t’emmènerai avec moi ensuite. Une fois dans les cachots du château, tu seras moins fière, hein ? rétorqua-t-il.

Il prit appui sur le sol afin de se relever et en moins d’une seconde, me regardait déjà de haut. Il tendit la main afin d’essayer de m’attraper par où il pouvait, mais déjà, je savais comment réagir.

Je lui secouai une amphore de vin sous le nez et il s’immobilisa net. Un instinct pur, bien entendu : ce n’était pas ce qu’il désirait mais c’était ce que son corps et son esprit lui dictaient tous deux. Bien sûr, son corps avait goûté au vin et je savais qu’il en était déjà dépendant ; son esprit s’en trouva tout à coup déchiré entre l’envie de me capturer et de me faire payer je ne savais quel affront et celui de se saisir de cette amphore pour se délecter de son précieux contenu.

Un peu plus loin, dans la rue, j’entendis le vent souffler l’espace de quelques secondes de silence. Je le regardai droit dans les yeux, il observait l’amphore en transpirant. Il avait sa fierté et ses convictions. Il désirait ardemment me choper et c’était tout ce qui lui permettait de lutter contre l’envie irrépressible de picoler.

Quelques dizaines de mètres sur le côté, je vis une ombre se déplacer rapidement. Je tournai légèrement la tête pour observer, par pur réflexe. Un type en guenilles coutait – non, bondissait – à quatre pattes, langue pendue et yeux brillants comme ceux d’un animal en rut se laissant aller à ses instincts les plus primaires.

— Raaah, raaah ! Précieux, où trouver du précieux ?! râla-t-il d’une voix rauque sans pour autant nous remarquer avant de disparaître dans une ruelle.

Friderik s’était préparé à l’intercepter et s’était légèrement décalé mais se détendit en le voyant partir dans une autre direction. Il avait eu peur que ce fou sente le vin au loin et se jette sur moi.

— Bien, où en étions-nous ? repris-je en me tournant vers le capitaine.

— Je…

Sa main tremblait. Elle pouvait se saisir de moi ou de l’amphore d’un simple geste et je savais qu’il luttait désespérément contre ses désirs les plus profonds à cet instant-même. Il fallait que j’achève le coup. Je fis sauter le bouchon de l’amphore afin d’en laisser échapper les effluves boisées typiques.

Il ne lui en fallut pas plus. Eh oui, mon gars. Même le capitaine le plus caractériel ne pouvait pas résister à ce vin. Une fois drogué, être conscient ou non de son était n’avait plus d’importance : le vin avait raison.

Il relâcha la pression et les muscles de son visage affichèrent un soulagement évident au moment où il s’empara de l’amphore pour la vider le plus rapidement possible. Je la lâchai naturellement de bon cœur ; il me l’aurait arrachée des mains de toute façon.

J’entendis des bruits, de l’autre côté. Encore ce genre de martellement, comme un animal au galop. Je n’eus pas le temps de me retourner lorsque je sentis un déplacement d’air qui fit voleter mes cheveux sur le côté.

Le fou qui faisait des bons de cabris et des pointes de lévrier un peu plus tôt était revenu, attiré sans doute par l’odeur du vin désormais à l’air. Il bondit directement et en râlant et bavant, la langue toujours le plus bas possible sur son menton, en direction du capitaine qui s’enfilait une amphore pleine.

Tous deux roulèrent au sol, dans la poussière de la ruelle et tandis que l’un murmurait des bruits rauques évoquant vaguement son précieux et ce besoin brûlant qui le rongeait de l’intérieur, l’autre était toujours conscient de ses actes et aperçut son épée, au sol juste un peu plus loin.

Les yeux du capitaine vibrèrent, autant d’allers-retours juste pour essayer de se décider : devait-il se saisir de son arme ou sécuriser l’amphore ? Il devait abandonner l’une pour privilégier l’autre.

Finalement incapable de se résoudre à lâcher l’amphore, il finit par se battre comme un chiffonnier avec un type complètement malade, un sauvage qui ne désirait que poser ses lèvres sur son précieux et ne regardant ni aux blessures ni à la douleur pour ce faire.

Le capitaine le roua de coups et l’empêcha tant bien que mal d’arriver à ses fins pendant que moi, j’étais là à regarder ces deux brutes se mettre sur la gueule pour une amphore de vin, totalement oubliée et laissée pour compte.

— Et si je me cassais… ? réalisais-je soudain.

Je fis quelques pas discrets en arrière et les deux drogués finis n’eurent pas l’air de me prêter la moindre attention. Leur monde n’était plus que cette amphore. Un troisième larron arriva pour se mêler à la fête ; celui-là marchait encore debout et n’avait pas totalement perdu la tête. Pourtant, il n’hésita pas à se jeter sur celui qui se prenait pour une bête afin de le mordre au poignet, le faisant lâcher prise dans un hoquet de surprise.

Ils continuèrent à se battre, leurs chances respectives s’amenuisant encore maintenant qu’ils étaient trois à convoiter le même trophée. Ils n’avaient réellement plus aucun loisir de faire attention à moi et je pus tranquillement filer à l’Anglaise, au nez et à la barbe de ces trois tarés.

Le capitaine ne me dénoncerait pas, je le savais. Il avait lutté de tout son cœur mais avait fini par succomber et accepter de donner raison à cette voix intérieure, finalement. Sous peu, il perdrait la tête et même s’il venait à retrouver temporairement les esprits et à raconter des choses sur moi, personne ne le croirait ; il se ferait très probablement exécuter bien avant, de toute façon.

Hors de vue, je me mis à courir aussi vite et longtemps que je le pus, tout en évitant les zones dangereuses. Le flair de mon loup de compagnie était vraiment très efficace et nous fûmes bientôt hors des murs de Camelot pour de bon. La porte n’était plus gardée ; les émeutes avaient finalement nécessité l’action de tous les gardes de la ville.

Une fois dans mon donjon, je me permis de souffler un peu, les mains sur les cuisses.

— Ils vont tous se faire tuer, finis-je par lâcher d’un air dégoûté, c’est… c’est de ma faute. Putain, qu’est-ce que j’ai fait ?

J’aurais vraiment voulu pouvoir les aider ! Pouvoir dire à tout le monde que j’avais de quoi les faire tenir en attendant que la méthode miracle pour les sevrer ne fasse son apparition. J’aurais tant voulu que…

…qu’ils n’aient jamais eu affaire à moi. Ne pas avoir détruit leurs vies et leurs réputations. Ne pas… ne pas avoir fait ce que j’avais fait.

Friderik le loup sembla comprendre mon était d’esprit ravagé et se blottit contre moi.

— Allez… grogna-t-il d’un air chaleureux, ce sont les victimes d’une guerre. Si ce n’avait pas été toi, ç’aurait pu être les monstres, des meurtriers ou même une erreur dans la justice du roi. Tu ne sais pas si tu en as vraiment tués autant que tu le penses…

— C’est censé me remonter le moral ? répliquai-je d’un air froid et stressé.

— Eh bien, je…

— Même si tu dis vrai, j’en ai forcément tué, et sans doute une majorité. Même si ce n’était qu’une seule personne innocente, c’est déjà assez. Je suis coupable. Je… je devrais partir et ne jamais revenir sur Albion.

En réalité, j’avais déjà pris ma décision. Je me rassurai un peu du fait que j’étais encore une Architecte novice et que j’avais tout à apprendre – d’autant plus que j’étais également une exploratrice – et que j’étais quoi qu’il en fût condamnée à faire des erreurs. Celle-ci avait simplement coûté la vie à de nombreuses personnes qui n’avaient rien demandé.

Malgré ça, je ne parvenais pas à calmer ce sentiment de culpabilité qui rongeait mon cœur. Combien de temps me faudrait-il pour oublier ?

Je ne surmonterais sans doute jamais cette épreuve. Elle allait rester en moi, blessure impossible à cicatriser jusqu’à la fin des temps. Étais-je destinée à devenir la déesse de la culpabilité ?

— Putain, ça serait con.

— Hein ?

Friderik pencha légèrement la tête, ne comprenant pas ce que je racontais. Il abandonna rapidement l’idée et enchaîna aussitôt.

— Et maintenant ? On fait quoi ? Tu as récupéré le vin, des gens vont mourir et nous, on fait quoi ? grogna-t-il tout bas.

Je me mis à réfléchir à la situation actuelle. Ce roi, que je prenais pour une marionnette sans cervelle mais juste et droite était en fait une saloperie despotique de premier ordre. Si tous ces gens allaient être mis à mort et même si j’avais eu mon rôle à jouer, c’était avant tout de sa faute. C’était son ordre !

En tant que dirigeant d’un royaume légendaire, comment ne pouvait-il pas simplement les avoir fait capturer et enfermer ? Le temps de cerner leur mal, le temps de trouver un remède, le temps de…

— On quitte Albion. Pour de bon.

Je ne pouvais pas rester. Lyrne m’en voulait ; Lancelot se méfiait de moi. J’avais provoqué une crise aussi. Le roi n’était pas celui que je m’imaginais. Pure création de l’esprit de Lancelot et complètement tordu, il ne m’intéressait plus du tout.

Qu’avais-je encore à faire sur Albion ?

— Je vais devoir supprimer mes deux donjons, continuai-je.

— Ne doivent-ils pas être conquis d’abord ? demanda Friderik.

— Si.

— Alors, comment va-t-on faire ?

Je haussai les épaules.

— Le donjon du lac a été conquis il y a plus d’une semaine. Il ne reste que celui au fond du cratère, perdu dans la nature. Personne n’y a mis le pied.

— Conquis ? s’étonna mon slime, mais comment ? Il est si… héhé, sadique.

— J’y ai mis du mien, expliquai-je. Personne n’y venait plus alors j’ai retiré la fontaine et ai placé un coffre, tout au fond, pour attirer les explorateurs. Et comme je n’avais pas modifié le comportement de la Dame, elle ne s’est pas trouvée très hargneuse lorsque deux explorateurs sont venus la défaire.

Friderik haussa les sourcils, surpris par mon choix.

— Oh… Je vois, souffla-t-il.

— Je vais pouvoir supprimer le donjon. Mais avant ça, continuai-je, il me reste une dernière chose à vérifier.

— Encore ?! N’as-tu pas assez pris de risques ?

— Je n’arrive pas à me défaire de cette idée… Ce capitaine, s’il raconte tout à mon sujet et…

— Et ? Aucune chance.

— …Et qu’on le croit ? Je ne peux pas laisser cette zone d’ombre derrière moi. Bon sang ! Merde, j’aurais dû le tuer !! Peu importe comment, j’aurais dû !!

Lancelot m’avait côtoyée, et je n’avais pas pris ce fait en considération. Il était un explorateur de haut niveau, intelligent, doué et il avait de l’expérience. Si ce capitaine pourri allait tout lui raconter et que Lancelot parvenait à discerner la vérité derrière ses mots, je serais mal. Très mal.

— Je n’ai pas le choix, Friderik. Mais tu n’es pas obligé de m’accompagner. Ça va être dangereux. Il faut que je voie Lancelot en privé et que je m’occupe de son cas. Je n’ai pas le choix. Il faut que je lui fasse boire de ce vin, par n’importe quel moyen. Il faut… Il faut que je me mette Lancelot en poche.

Et je savais où le trouver. J’avais largement eu le temps de mener ma petite enquête et je connaissais maintenant plus de choses sur lui que je n’en savais sur les Architectes et les explorateurs dans leur totalité.

— Je t’accompagne, bien entendu, répondit Friderik, tu croyais peut-être que j’allais te laisser partir seule ?

Raka
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11 thoughts on “DMS : Chapitre 110

  1. Merci pour le chapitre.
    Excuse moi mais j’ai de plus en plus de mal à comprendre le personnage principal. Bien sûr le scénario reste excellent mais… je préfère the DAB

    1. Et c’est pas fini.
      Tu croyais qu’elle allait rester naïve et innocente jusqu’au bout ?
      Dans un monde pareil, elle est condamnée à changer, bon gré mal gré, et ça lui fait du mal, ouaip.

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