DMS : Chapitre 38
DMS : Chapitre 40

Chapitre 39 – Là où je ne voulais plus aller (2)

 

– Wayne ! Est-ce que ça va ?!

Wayne, le paladin, venait de subir une blessure à laquelle il ne s’attendait pas – et soyons honnêtes, moi non plus. Le moine se précipita à ses côtés, la main luisante d’un vert étrange. Il cherchait sans doute à le soigner. Mais pris par surprise, le paladin avait activé, par réflexe sans doute, une de ses propres compétences et commencait à irradier d’une lumière blanche tandis que la tache de sang se résorbait.

– Ne t’en fais pas, ça va. Je… J’ai un peu paniqué tant j’ai eu mal mais ça va.

– Fais surtout bien att…

Ptouï !

Pshiiit !

Leur coupant la parole et comme si mes monstres s’étaient donné un planning d’attaque à respecter, ils firent feu en même temps. Celui qui avait blessé le paladin et la deuxième salamandre d’eau qui avait montré le bout de son nez de l’autre côté ; tous deux agirent de concert.

Les tirs firent mouche. L’un des deux toucha à nouveau Wayne le paladin tandis que l’autre trouva son chemin vers le dos du moine.

Alors que le tir ayant touché le paladin avait été arrêté par son armure, le tir destiné au moine l’avait transpercé et était ressorti par son ventre. Il avait blêmi sur le coup mais, par fierté ou par surprise, n’avait pas poussé le moindre cri et se contentait de serrer les dents.

– Khetsun ! Non !

Wayne se tourna vers le moine en marmonnant quelques mots, sans doute un sort de soin de paladin. Et comme je m’y attendais, ses mains brillèrent à nouveau de cette lueur blanchâtre tandis qu’il les pressait contre la poitrine de son collègue. La blessure sembla se refermer en partie mais il s’agissait clairement là d’un traitement d’urgence.

– Hah… Merci… Je ne l’ai pas vu venir, celui-là. Je ne voulais pas déjà utiliser mon soin quotidien maintenant. Merci de m’avoir soigné.

Le paladin lui répondit aussitôt, comme pour le faire déchanter.

– Ah, mais moi aussi, je suis à sec. Je ne peux plus soigner personne avant quinze minutes, maintenant.

– Quinze minutes ? Arh… Ok… On va… Attention !!

— Mais ils sont idiots, ou quoi ? C’est déjà la troisième fois…

Je me demandais pourquoi ils continuaient à discuter comme ça comme des imbéciles heureux alors que mes salamandres continuaient de tirer. Ils étaient à nouveau sous un feu nourri – quoiqu’il s’agissait là d’eau, en l’occurrence.

Mais le cri du moine Khetsun avait élevé leur état d’alerte et prévoyant maintenant la direction de laquelle arrivaient les tirs, ils purent les esquiver de justesse.

– Aaahh…

Cependant, le moine souffrait clairement. Il était peut-être encore blessé à l’intérieur et se tenait la poitrine, la pressant de sa main. De l’autre, il ne lâchait pas son bâton rouge aux extrémités blanches.

La troisième personne, qui s’était plus ou moins désintéressée de la situation jusqu’alors, apparut d’un seul coup face à la salamandre qui était apparue en seconde. Un éclair argenté flasha devant mes yeux et la salamandre s’effondra.

Le paladin, qui avait regardé son collègue taciturne achever le monstre, le héla.

– Eh ! tu aurais pu partager ! Et puis, pourquoi as-tu utilisé cette compétence aussi tôt, juste pour ça ?

L’homme, habillé de noir et encapuchonné, se retourna et le regarda d’un air froid avant d’ouvrir la bouche pour la première fois.

– Il était en train de préparer une attaque plus puissante. Je devais l’arrêter. Tu voulais mourir ?

Khetsun s’appuya sur son bâton en répondant à l’homme en noir, pendant que Wayne chargeait en direction de la première salamandre, le bouclier levé pour arrêter une nouvelle attaque.

– Non… Mais tu aurais pu simplement me prévenir ! J’aurais pu l’esquiver. Il ne fallait pas gâcher ta Mort en un Coup aussi vite !

Mais l’autre ne se laissa pas décontenancer.

– Laisse-moi gérer mes compétences comme je le décide. Toi, bats-toi avec ton bâton et tes quelques sorts de soin. Enfin… Ce qu’il t’en reste.

– …

Le moine ne trouva pas quoi répondre à ça et se contenta de se retourner vers le paladin, qui était en train de lutter contre son ennemi au corps à corps. Ce fut à ce moment que je pus confirmer ce que je savais déjà instinctivement : les salamandres d’eau étaient des tireurs et ne pouvaient pas se défendre en combat rapproché, car elles avaient besoin de se recharger en eau en l’avalant, et c’était un processus qui pouvait facilement être restreint.

Le moine s’enquit tout de même de la situation.

– Wayne, ça va ? Tu as besoin d’aide ? Je peux…

– Non ! C’est bon !

Tout en répondant énergiquement, il trancha une fois de plus la chair de la salamandre, qui arriva à court de points de vie et s’effondra, inerte, la langue pendante.

– Bon, ça en fait deux de moins, c’est bien.

Le moine félicita son collègue de longue date avant de sortir une potion de soin et de l’avaler d’un trait. L’homme en noir ne manqua pas de se moquer de lui.

– Hah ! Tu me critiques parce que j’utilises ma compétence quotidienne sur un monstre faible, mais toi, tu viens d’engloutir une potion de soin pour quelques points de vie à peine ! Tu peux parler !

Le moine, qui se portait d’un seul coup beaucoup mieux, lui lança un regard de travers, les yeux plissés.

– Ne pousse pas trop, Laagaa. C’est toi qui voulais faire équipe avec nous. Ne l’oublie pas, nous n’avons pas besoin de toi et nous pouvons parfaitement t’abandonner à ton sort s’il t’arrive malheur.

Le principal intéressé se mit à rire.

– Hahaha ! Malheur ? Et que veux-tu qu’il m’arrive ?

– Ne dit-on pas que les types dans ton genre, voleurs et autres roublards, sont agiles mais n’ont pas de défense ? Attends donc de te laisser frapper par surprise, tu verras de quoi je parle.

Le dénommé Laagaa, visiblement un homme doté d’une classe de l’ombre, ne perdit pas son élan et continua de rire, se tenant presque les côtes comme s’il venait d’entendre la chose la plus stupide de la semaine.

– Ha ha ha ha ha ! Mais oui ! Bien sûr ! Moi, me faire frapper ! Je te rappelle que depuis le niveau 1, je ne me suis jamais pris le moind… rGha ?!

Tandis qu’il hurlait de rire en prenant ses collègues de haut – d’ailleurs, pourquoi avoir fait équipe avec eux si c’était pour les considérer de la sorte, je ne voulais même pas le savoir – un varan des cavernes avait tranquillement fait son chemin en descendant un mur et venait de le mordre au mollet.

Le type se retourna, de surprise plus que de douleur, pour constater qu’une morsure de varan des cavernes ne faisait pas mal mais…

Tandis que le monstre tirait une langue fourchue comme pour se moquer de lui en le fixant de ses deux pupilles verticales, une seconde s’écoula, puis deux, et trois. Le temps était comme figé, comme dans ces vieux films où aucun des deux protagonistes ne savait que dire à l’autre.

D’un coup, le roublard flancha et tomba à genoux. Le varan, comme sorti de sa transe, fit demi-tour et tenta de s’échapper en escaladant le mur d’où il était venu pour aller se réfugier derrière un pilier de pierre.

Mais ce fut sans compter sur la réactivité du moine, qui lança habilement son bâton, tel un javelot mortel. L’arme percuta le varan dans un Pahk mou, et le monstre se détacha du mur pour tomber au sol, quelques mètres plus bas.

Alors qu’il cherchait à se retourner pour se retrouver sur ses pattes, le paladin avait accouru pour lui transpercer le cœur. C’était un coup net, précis et efficace. Il attrapa ensuite le bâton du moine pour le lui lancer, comme si tout ça était une stratégie de combat longuement pratiquée et parfaitement maîtrisée.

— Evidemment, un moine et un entraîneur militaire, ils peuvent s’entendre sur le plan du combat et de la coordination… Je comprends pourquoi ils font équipe, maintenant. »

J’étais étrangement satisfaite de voir des explorateurs capables de défier mon donjon, alors que j’aurais dû ne pas apprécier de voir mes monstres mourir. Mais la difficulté ne me faisait pas peur et avait plutôt tendance à me motiver. Je voulais les mettre au défi et les écraser pour leur prouver que j’étais bien plus forte qu’eux… même si ce n’était pas moi qui les affronterait, évidemment.

Pendant ce temps, l’homme en noir, qui s’était retrouvé à genoux, faisait la grimace. Il souffrait d’un mal qu’on aurait pu ignorer si on ne connaissait pas les propriétés des varans des cavernes. Leur gueule était emplie d’autant de bactéries qu’une décharge municipale et une simple morsure, si elle ne faisait pas très mal, provoquait une infection rapide et probablement magique.

En effet, aucune infection au monde ne pouvait se propager aussi rapidement s’il ne s’agissait pas de quelque sortilège ou compétence magique, n’est-ce pas ?

Il arracha son pantalon de tissu d’un geste précipité pour constater que sa jambe, de la cheville jusqu’au genou, était désormais d’un noir purulent. Comme s’il allait perdre des épaisseurs de peau rien qu’en la touchant, elle avait l’air vraiment pourrie.

– Argh ! Qu… Ah !

Khetsun le regarda d’un air un peu moqueur, comme si en lieu et place de collègues, ils étaient rivaux depuis toujours. Et pas des rivaux dont l’entente était des plus cordiales, qui plus est.

– Heh… Toi, te faire frapper, hein ? Je pense que ton baptême est arrivé, dans ce cas.

Le visage du blessé, sous sa capuche noire, devint pâle comme de la craie.

– Ai… Aide-moi… Tu es un moine, non ? Et toi, là ? En… En tant que paladin, tu… Arh !!

Sa bouche se crispa sous la douleur lorsque la pourriture noirâtre dépassa sa cuisse et se faufila à nouveau sous ses vêtements. Je n’osais imaginer ce qu’elle venait d’atteindre et à quel point il devait souffrir. D’ailleurs, il tomba sur le sol et fut pris de convulsions irrésistibles, comme s’il essayait par tous les moyens de chasser la douleur.

— Bon sang, bon sang, bon sang, pourrir vivant, je ne voudrais vraiment pas subir ça… Mes varans sont vraiment les créatures les plus sadiques !

Le moine et le paladin ne bougèrent pas face aux complaintes de Laagaa le mourant. Ils se contentèrent de hausser les épaules.

– Mon soin des maladies est un soin personnel, désolé. Je ne peux pas l’utiliser sur autrui.

– Je pourrais te rendre de la santé, mais tu continuerais à pourrir. Tu veux vraiment souffrir plus longtemps ?

Le paladin ne pouvait pas soigner les maladies et autres infections. Sans doute en allait-il de même pour le poison. Le moine avait déjà montré qu’il pouvait se débarrasser des effets de la morsure du varan des cavernes, mais il venait d’avouer qu’il s’agissait là d’un auto-soin, et donc bien moins puissant que ce que j’imaginais. Il fallait dire que dans la plupart des jeux, le moine était effectivement un combattant axé sur la solitude, possédant à la fois des techniques de combat et des sorts de soin et d’amélioration personnels.

– AAAhh… Je… Vous… Enfoirés ! Pourquoi m’avoir accepté si c’est pour… Aahaaat !

Laagaa se roulait au sol. La blessure pestilentielle n’eut pas même le temps d’atteindre son visage qu’il cessa définitivement de bouger. Une fois le cœur et les organes principaux atteints, c’était évidemment la fin.

Je n’eus pas le plaisir de le voir noircir entièrement et il disparut dans un nuage de poussière. Il venait de réapparaître dans le village et je n’allais plus entendre parler de lui pour le raid en cours.

– Heh, mon gars, c’est toi qui a insisté pour nous accompagner. Nous, on ne t’a jamais dit qu’on aimait bien les types dans ton genre. Tu nous payes, on t’emmène, pour le reste… tu te débrouilles.

Wayne le paladin venait de s’exprimer pour lui répondre, même s’il n’y avait aucune chance qu’il l’ait entendu. C’était le genre de scène classe qu’on pouvait voir dans les films, un ‘mot de la fin’ qui dans cette situation était plus ridicule qu’autre chose, étant donné les varans qui arrivaient déjà dans son dos en groupe.

– Kssss…

– Pssskss…

Et comme s’ils discutaient entre eux, je les entendais siffler les uns vers les autres. Ils descendaient du plafond comme un essaim organisé, tournant autour des piliers et rampant le long des murs rugueux. Dans l’ombre, j’avais du mal à les compter mais ils devaient tous être là. Il ne manquait plus que le boss – elle était toujours cachée quelque part vers son nid.

– Bon. C’est bon ? On avance ?

– Je pense que c’est bon. Ma prière de soin est presque disponible à nouveau, le temps que nous rencontrions d’autres ennemis…

– Parfait. Alors j’ouvre la marche.

Le moine partit le premier et se faufila entre deux rochers et un énorme pilier irrégulier. Effectivement, il pouvait se soigner lui-même et le paladin pouvait l’aider également : il était celui qui devait se trouver en première ligne, la logique était nette. C’était le type avec le bouclier qui fermait la marche et je ne trouvais pas ça anormal, ce qui me fit sourire.

« Ils savent vraiment comment tirer parti de leurs classes, hein…

Soudain, à peine le moine disparu dans l’ombre, une demi-douzaine de varans arrivèrent au niveau du sol les uns après les autres pour encercler le paladin. Il eut besoin d’une demi-seconde pour comprendre la situation et crier.

– Khetsun ! Là !

Mais il était déjà trop tard et des gueules béantes s’ouvrirent tout autour de lui…

Raka
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