DMS : Chapitre 40
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Chapitre 41 – Là où je ne voulais plus aller (4)

 

Je connaissais un peu trop bien cet endroit – alors que je n’y étais venue qu’une seule fois. Il m’avait tellement traumatisée que je m’étais pourtant jurée de ne jamais y reposer les pieds. J’y avais rencontré deux personnes uniquement et elles avaient toutes les deux été infectes. Un mec hautain et un pervers fini m’avaient convaincue de ne plus jamais quitter le centre de la vile.

Et pourtant j’étais là, dans cette même rue étonnamment pleine de gens qui lévitaient à quelques centimètres du sol, toujours pressés comme des courtiers en bourse à la recherche du dernier placement rentable.

D’un seul coup, je regrettai de ne pas avoir emmené Friderik ; au moins, j’aurais eu quelqu’un pour discuter. En désespoir de cause, je pouvais toujours fermer les yeux et me plonger dans mon donjon, mais il ne s’y passait pas grand-chose. Personne n’était revenu se frotter aux varans depuis que Khetsun et Wayne s’étaient enfuis. Si j’en croyais Friderik, ils étaient le genre de duo taciturne et mystérieux dont le comportement imposait une certaine forme de respect. Peut-être avaient-ils prévenu les explorateurs, qui s’en étaient alors trouvés dissuadés.

Ce n’était pas à ce rythme que j’allais pouvoir tuer des gentils explorateurs et gagner des niveaux. Etais-je allé trop loin pour un donjon de débutants ? On ne m’avait pas dit qu’il ne fallait pas que je fasse de mon mieux, et que si j’étais trop forte pour ces pauvres hères, ils ne viendraient plus.

Ou alors… La prochaine fois, j’irais rajouter des coffres. Ainsi, j’espérais qu’ils s’en trouveraient plus appâtés. Après tout, qui n’oserait pas se frotter à quelques varans pour une récompense adéquate ?

Et c’était sur ces pensées mitigées que j’avançais dans la rue, seule âme utilisant ses pauvres pieds pour arriver à destination. C’était là que j’avais rencontré ces deux abrutis, la fois précédente. Je me surpris à prier intérieurement pour ne pas les croiser à nouveau ; surtout le deuxième, ce type qui m’avait reluquée sans gêne.

Je priai Dame Chance, déesse de la chance et patronne de toutes les bonnes fortunes du monde.

Et m’interrompant dans mes prières, une voix m’interpela.

— Eh ! Mais qui voilà ! Je savais bien qu’on se reverrait !

Evidemment, comme j’étais sûre d’avoir tuée la déesse de la chance dans une vie précédente, j’aurais mieux fait de ne jamais lui demander son aide.

— …

Sur les milliers, ou les dizaines de milliers de personnes que j’aurais pu rencontrer là, il fallait vraiment que ce soit lui ? Je veux dire, je n’avais jamais gagné au loto durant ma vie antérieure, tout ça pour piocher à ce moment le pire numéro possible ?

— Evidemment… Encore toi.

— Comment ça, encore moi ? Tu n’es pas heureuse de me voir ? Tu n’es pas revenue pour moi ?

Il souriait de toutes ses dents. Il croyait vraiment que j’étais revenue pour lui ? Sérieusement ?

— Mais… Tu vis dans quel monde, mon gars ?

Je ne pouvais pas imaginer qu’il puisse réellement penser ce qu’il disait. C’était impossible. Aucun type sensé n’aurait pu, en toute honnêteté, ne pas comprendre. Et je me devais de le lui faire savoir.

— Tu m’as suivie, ou quoi ? Je ne suis pas là pour toi. Dégage de mon chemin.

Je tentai de le pousser du coude. J’aurais pu le contourner, mais ma fierté m’ordonnait de le virer de mon chemin à la place, afin de bien lui dire qu’il n’avait rien à faire sur ma route et que je me moquais bien de lui et de ses idées.

Mais il se mit à virevolter autour de moi comme une Fée Clochette sous ecstasy.

Ne prêtant pas attention à lui, je me dis qu’il allait vite abandonner si je l’ignorais royalement après lui avoir froidement dit de dégager.

Mais il n’avait pas l’air froissé par mon attitude et continuait à me bombarder de questions auxquelles je faisais bien attention à ne pas répondre.

— Eh. Tu vas où ?

— Allô ? Pourquoi tu marches ? Tu n’as pas appris à voler ? On n’apprend pas ça chez les toges blanches ?

— Ben dis donc, tu es aussi muette avec tes amis ?

— Tu sais, je pourrais te servir de guide.

— Ah, au fait, si tu cherches une secte, je pourrais te présenter, je suis assez bien placé dans la mienne.

— Allez ! Si tu n’es pas là pour une secte, pourquoi, alors ?

— Et puis, tu serais sous ma tutelle, je te formerais puisque je t’aurais fait entrer dans la secte.

— Allez, tu en dis quoi ? Eh, tu vas où ?

Il n’arrêtait plus. Je ne pouvais pas faire dix pas sans qu’il n’ait terminé une phrase de plus. Le plus irritant dans tout ça était que je ne savais réellement pas où j’allais et par où commencer mes recherches. Bon sang, pourquoi avais-je décidé ça sur un coup de tête, juste pour faire plaisir à mon slime ?!

Cela dit, maintenant que j’étais là, j’allais tout de même aller au bout de ce que j’avais entrepris. C’était le minimum si je ne voulais pas avoir l’air idiote en rentrant à la maison.

Avant tout, je voulais me débarrasser de ce type collant qui volait autour de moi comme une mouche autour d’un vieux bout de viande.

— Eh ! Je ne suis pas un bout de viande, dégage !

— … ?

— Qu’est-ce que tu me veux, à la fin ?

Je criais. Les gens autour de nous daignèrent pour la plupart nous accorder un regard fuyant sans pour autant prendre la peine de ralentir. Après tout, ils étaient déjà tellement en retard, pauvres petits lapins.

L’illustre inconnu me répondit d’un air agacé, comme si je posais une question dont la réponse était évidente et qu’il n’avait pas le temps de s’y attarder.

— Allons, ne sois pas idiote. Je veux que tu rejoignes ma secte. Je te l’ai dit, hein ?

Je levai une main vers le ciel, comme pour demander l’aide des dieux.

— Ah, je ne t’écoutais pas.

Loin de se laisser insulter cela dit, il se posa au sol devant moi, me bloquant le passage et m’adressant un large sourire. Le genre de sourire sincère et amical.

— Mais maintenant, tu m’as entendu ! Alors ? Ne me dis pas que tu n’es pas intéressée par ma secte ?! C’est l’une des plus fameuses sectes de magie du sud de la ville ! Nous n’avons pas accepté de nouveau membre depuis… Ah… Je ne sais plus du tout…

Il se mit à réfléchir, comme si ce qu’il avait à dire m’intéressait et que j’allais lui répondre « Ah ! Depuis tout ça ? Je me sens si privilégiée, j’accepte !

Ce n’était qu’une secte, après tout. De magie, certes, mais une secte.

Il claqua des doigts en se souvenant.

— Ah ! C’est vrai ! Le dernier membre a été accepté il y a plus de 300 ans ! Je n’étais même pas encore là ! Voilà pourquoi je ne pouvais pas m’en souvenir !

— Hein ?

Depuis plus de 300 ans ? Comment une telle secte pouvait-elle survivre ? Ses membres étaient les mêmes depuis tout ce temps ? Et lorsque l’un d’entre eux devenait un dieu, ils ne recrutaient personne ?

— 300 ans… Quand même.

— Oui ! Et aujourd’hui, j’aimerais que tu nous rejoignes. Je me chargerai de tout. Après tout, je n’avais pas vu de fille depuis… mon arrivée ici il y a plus de 120 ans, en réalité.

Les filles étaient donc vraiment rares à ce point ? C’était incroyable. Il n’en avait jamais vu et il me considérait comme un trésor rare au point de briser cette durée de stabilité que connaissait sa secte. J’en étais – réellement – presque flattée. Je faillis hésiter, tout ça pour me souvenir de la façon dont il avait accompagné mon départ la fois précédente.

— Non merci, ça ira.

— Quoi ? Mais pourquoi ?

Il ne comprenait sincèrement pas. Persuadé que sa secte était une panacée, un but ultime que quiconque se devait de désirer, il commençait à me faire penser à quelqu’un d’autre sur ce plan. D’un seul coup, je pris peur, animée d’un sentiment de malaise.

— Eh… Dis-moi. Tu… Tu connais la secte de l’eau trouble ?

Il me dévisagea avec des yeux interrogateurs.

— Hm ? Jamais entendu parler. C’est une secte du centre de la ville, chez les toges blanches ?

— …Quelque chose comme ça, oui.

Je fus rassurée par sa réaction. Il n’avait pas l’air de la connaître et ne semblait pas vouloir s’y intéresser. Après tout, pour lui, seules importaient ces sectes du sud, et la sienne surtout.

Afin de lui faire comprendre que je ne désirais pas le rejoindre, mais également pour le faire fuir une bonne fois pour toutes, je décidai de m’y prendre autrement et de lui jouer le jeu de l’absurdité.

— Et dis-moi, pourquoi devrais-je vouloir entrer dans ta secte ?

Il haussa les sourcils, choqué.

— Mais… Comment peux-tu demander ça ? Ce… Ce serait comme demander si nous souhaitons devenir des dieux un jour…

— Non, je veux dire, je n’en ai jamais entendu parler, alors comment pourrais-je la regarder avec envie ?

Nous avions recommencé à marcher. Je ne savais pas trop où j’allais mais je finirais bien par tomber sur une boutique ou un bâtiment administratif où me réfugier et me renseigner.

Il attrapa son menton dans sa main.

— Hmm… Tu dis vrai. Ecoute, nous sommes la deuxième plus grande secte de magie de la ville. Cette secte s’appelle ‘La Neuvième Vie’, en référence à la…

— Je m’en fous, hein. Je me fous royalement des sectes.

Je lui coupai la parole assez sèchement pour le faire reculer d’un pas. Mais il n’abandonna pas. Il faut croire que la présence d’une fille était plus importante que je ne le pensais à ses yeux.

— Ah, mais tu dis ça parce que tu ne nous connais pas. Je t’assure que tu pourras obtenir tout ce que tu veux chez nous. Ah ! D’ailleurs, tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu es là, si ce n’est pas pour rejoindre une secte !

On en venait au but. J’allais lui dire ce pour quoi j’étais là, il allait rire et me traiter de conne, partir et je pourrais enfin chercher en paix.

— Mm, je suis simplement là afin de confirmer ou non la présence d’un sort, et s’il n’existe pas, je le ferai créer.

— Un sort ? Nous en avons des centaines ! Lequel t’intéresse ?

— Je veux un sort cosmétique, qui me permettrais de me faire passer pour une exploratrice.

— … ?

Il ne comprenait sans doute pas l’intérêt profond d’une telle chose.

— Tu sais, même si tu utilises un tel sort dans ton donjon, ils ne sont pas assez idiots pour ne pas se rendre compte de la supercherie… Quand un groupe entre dans le donjon, la barrière invis…

— Oh, la ferme. Je sais tout ça.

Il semblait déçu.

— Ah… Mais alors, pourquoi ? Je ne comprends pas. Veux-tu faire une farce ? Tu sais les ressources et le temps que nécessitent la création d’un sort – parce que je t’assure, le sort que tu cherches n’existe pas – et crois-tu que quiconque ici sera disposé à le faire pour toi ?

Il marquait un point. J’aurais beau demander, si ça coûtait réellement tout ce qu’il disait, personne ne se sacrifierait pour mes beaux yeux – et pourtant, qu’est-ce qu’ils étaient beaux !

— Peut-être que…

— Mm ?

Peut-être que je pourrais profiter de lui, finalement. Au moins un peu.

— Si j’entre dans ta secte, te débrouilleras-tu pour me faire créer ce sort ?

— … !

Il resta muet, l’air choqué. Cela dura plus de dix secondes.

— Allô ?

— …Eh… Je… Tu acceptes de nous rejoindre ?

— Je t’ai posé une question. M’aideras-tu ? Oh, et évidemment, j’ai une deuxième condition. Après tout, c’est toi qui veux à tout prix que j’adhère à ton machin.

— …Dis toujours ?

Il était nettement moins entreprenant, d’un seul coup. Je ne savais pas si c’était dû à mon changement soudain d’attitude qui lui paraissait louche ou s’il était allé trop loin et avait un peu trop parlé – et ne serait donc pas capable de tenir une telle promesse au sein de sa secte – mais il écoutait avec une prudence non-dissimulée ce que j’avais à lui dire.

— Je veux qu’on me foute la paix. Je ne fais pas partie du monde de la magie et il ne m’intéresse pas plus que ça. Lorsque je voudrai venir, je viendrai, lorsque je voudrai rester chez moi, je resterai chez moi. »

Il réfléchit et finit par répondre.

— C’est beaucoup demander, tu sais. Mais… Je ferai de mon mieux.

C’était tout de même surprenant. Promettre tant de choses, juste pour moi ?

— Pourquoi te donner tant de mal pour moi ?

Il me sourit, franchement et jusqu’aux oreilles en lorgnant sous mon menton.

— Je te l’ai dit, non ? Tu es parfaitement à mon goût !

— …

Raka
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21 thoughts on “DMS : Chapitre 41

  1. Merci pour ce chapitre 

    Et c’est parti pour apprendre à voler et utiliser la magie.
    C’est bien d’avoir réussi à rejoindre une secte tour en restant fidèle à l’idéologie du MC.

  2. Merci pour le chapitre!!
    Juste, c’est sans doute moi, mais puisque que le mec est arrivé il y a 120 ans sur le plan, et que sa secte n’a recruté personne depuis 300 ans, il y a pas une petite incohérence ?

    « — Ah ! C’est vrai ! Le dernier membre a été accepté il y a plus de 300 ans ! Je n’étais même pas encore là ! Voilà pourquoi je ne pouvais pas m’en souvenir ! »

  3. le problème avec cette héroine c’est que tu lui donne la main et elle te mange le bras…. je connais un membre de secte qui va avoir des problèmes.

    Merci pour le chapitre

  4. « — Ah ! C’est vrai ! Le dernier membre a été accepté il y a plus de 300 ans ! Je n’étais même pas encore là ! Voilà pourquoi je ne pouvais pas m’en souvenir

    — Oui ! Et aujourd’hui, j’aimerais que tu nous rejoignes. Je me chargerai de tout. Après tout, je n’avais pas vu de fille depuis… mon arrivée ici il y a plus de 120 ans, en réalité. »

    paradoxe entre ces 2 phrase non ?

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