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Chapitre 53 – En route vers le camp des géants (6)

 

Confortablement installée sur un trône fait de marbre et de vignes et recouvert de cuirs étonnamment doux, je pouvais voir l’extérieur de la plus grande hutte du village, à travers la porte ouverte. On m’avait installée dans la demeure du chef du village en prétextant qu’il s’agissait là du seul lieu se rapprochant un peu de ma grandeur céleste. On ne me l’avait pas dit directement mais c’était ce que j’avais compris.

Devant moi, dans cette « modeste » hutte de plus de douze mètres sous plafond, tandis que j’étais assise sur un trône trop rapidement fabriqué pour mes besoins et à ma taille, quatre géants ne bougeaient pas. Le visage collé au sol face à moi, ils me faisaient penser à ces musulmans que j’avais croisés parfois, dans ma vie précédente.

Seulement, à ce moment précis, ils me vénéraient, moi.

— Alors, résumons tout ça, voulez-vous ? leur fis-je d’une voix assurée.

L’un d’eux – celui en charge des relations sans doute – leva la tête, se mit à genoux et commença à m’expliquer pour la troisième fois depuis la dernière heure, sans se lasser :

— Nous te vénèrerons jusqu’à la fin des temps, grande déesse venue d’au-delà des cieux. Nous ne souhaitons pas connaître le même sort que notre frère Vedbarg et mourir de notre propre main sous ton autorité suprême. Nous vivons pour toi et pour te servir désormais. Ordonne, et nous obéirons.

Je ne me lassais pas d’entendre ces monstres gargantuesques dire ça. Me dire ça, à moi, haha ! S’ils savaient… Ils me prenaient pour une entité suprême uniquement à cause d’une compétence buguée. Cela faisait déjà une bonne heure qu’ils m’avaient installée là et que j’en profitais. Je pouvais bien encore me reposer quelques instants. Après tout, j’avais énormément voyagé, ces dernières semaines, allant même jusqu’à fermer mon esprit à ce qu’il se passait dans mon donjon.

D’ailleurs, j’ai dû gagner des crédits. J’espère que Friderik a fait du bon travail. Je lui fais confiance sur ce point. Et pendant que j’y pense, cette compétence…

[Appropriation]
[L’utilisation de cette compétence permet à l’hypnotiseur vicieux de s’approprier la compétence d’un autre. La compétence copiée remplacera définitivement cette compétence.]

 

Je ne comprenais toujours pas pourquoi je n’avais pas pu copier la compétence de foudre de Vedbarg le géant, à ce moment. À la place, j’avais reçu une compétence de dragon – alors qu’il n’y avait visiblement pas de dragon dans les environs – et alors qu’elle prétendait être réinitialisée 24 heures plus tard, je l’avais perdue en me levant le matin.

— Est-ce que… hésitai-je.

Le géant face à moi leva les sourcils et se hâta de me demander :

— Oui, grande déesse ? As-tu besoin de quelque chose ? Du… Du vin, peut-être ? Nous avons un vin plutôt exquis, tu sais…

Ils voulaient m’offrir leur vin ? Se pouvait-il que…

— Parles-tu de la célèbre Cuvée du géant vigneron ? tentai-je.

Il hocha la tête :

— Tout à fait. C’est d’ailleurs le seul alcool que nous produisons ici. Je suis persuadé qu’il satisferait les attentes d’une déesse venue d’au-delà des cieux.

Ils me prenaient réellement pour une déesse redescendue sur le plan des architectes après la déification. Je l’avais bien compris ; et cela me laissait supposer que ces géants étaient assez intelligents pour comprendre que si j’avais réussi à tuer l’un des leurs de sa propre main, alors je devais forcément venir de tout là-haut.

Mais je ne pouvais décemment pas accepter ce vin. Si FeiLong avait dit vrai et qu’il provoquait une accoutumance, je ne voulais pas tomber dans ce cercle vicieux, même si de fait, je pouvais désormais m’en procurer à loisir. Je n’étais pas spécialement friande de vin, et je n’allais pas me laisser droguer pour un plaisir de ce genre.

— Non, ça ira, mon brave, lui répondis-je. Je n’ai point besoin de vin mortel, sais-tu.

Je me donnais un air si hautain que je faillis en rire moi-même. Mais le géant face à moi ouvrit de grands yeux, décidément convaincu désormais que je n’étais réellement pas là pour lui voler sa recette – je la lui aurais déjà réclamée sinon. Il baissa à nouveau la tête vers le sol, une dernière fois, avant de la relever vers moi :

— Grand déesse, tu es vraiment un cadeau des cieux. Grâce à tes pouvoirs, tu pourras désormais protéger notre village de ces architectes qui cherchent parfois à nous voler. Nous te remercions beaucoup.

Il quoi ? Je quoi ? Je devais protéger le village ? Était-il fou ? Je profitais simplement d’un quiproquo, je ne comptais pas m’attarder et jouer les chiens de garde. Et je m’empressai de le lui faire savoir, en trouvant une excuse toute faite :

— Non, lui dis-je en secouant les mains. Désormais, les architectes d’Imperos ne viendront plus. Je… Je leur ai fait comprendre que vous étiez trop dangereux, et que je veillais sur vous.

— Oooooh… Tu avais déjà tout prévu, alors !

— Oui, répondis-je en suivant le mouvement d’un mensonge qui devenait de plus en plus complexe, je suis d’ailleurs désolée pour ton frère mort, mais il s’agissait là de la seule façon que j’avais de vous faire comprendre qui j’étais.

Il baissa à nouveau la tête et la plaqua contre le sol :

— Non, non ! Ne t’en fais pas, grande déesse ! La mort de notre frère n’est qu’une petite contrainte dans notre vie ! S’il en fallait autant pour ça, alors nous l’acceptons avec joie !

Ces mecs étaient vraiment tarés. Étaient-ils vraiment des monstres ? Ils possédaient un intellect et une psychologie humaine… non, même au-delà. Ils étaient des êtres vivants à part entière, et je me surpris à les considérer comme des gens. Des gens comme les autres. Simplement… un peu plus grands.

Cela dit, je n’avais aucun doute : s’ils comprenaient un jour que j’avais triché, ils se retourneraient sans pitié contre moi et suivraient leur instinct de monstre avant de suivre leur instinct de survie et de glorification des dieux.

Il fallait que je ne fasse aucune erreur.

La compétence attendra. Je ne peux pas prendre de risque. Il ne faut pas qu’ils découvrent que je suis une architecte. Tout d’abord, je suis là pour quelque chose de précis, j’ai failli oublier.

— Relève-toi, mon brave, lui dis-je encore. Et finalement, va me chercher une amphore de ce vin. Je souhaite… Je souhaite en faire cadeau à mes frères et sœurs dieux, pour leur montrer votre utilité. Ainsi, ils vous aimeront et vous béniront.

Je vis la lumière de l’espoir briller au fond des yeux du géant alors que je lui montais un bateau de conneries de A à Z. Il tomba évidemment dans le panneau ; pour lui, c’était trop beau.

Il courut alors hors de la hutte et laissa là les autres géants toujours couchés par terre, la face contre le sol pour me montrer comme ils m’aimaient et me révéraient.

Décidément… Suis-je réellement devenue la déesse de putains de monstres à quatre étoiles ?! C’est fou. Je ne commence même pas à voir le début de tout ce que ça pourrait impliquer. Il faut juste… qu’ils ne comprennent jamais qui je suis vraiment.

Au bout de quelques minutes, le géant revint et s’agenouilla devant moi en me tendant une amphore à ma taille. Peu lourde et remplie d’un nectar rouge sombre sentant le paradis – alors que je n’aimais pas tant le vin que ça – je pouvais désormais la ramener à Pythagore.

Mais je ne vais tout de même pas me taper le chemin du retour à pied… Je ne pourrais jamais.

Cela dit, j’avais déjà trouvé une solution. Le temps que j’avais passé à me faire révérer n’avait pas été vain et m’avait permis de réfléchir.

— Dis-moi, mon brave. Quel est ton nom ? demandai-je.

Il me regarda droit dans les yeux en répondant fièrement :

— Grorg, grande déesse. Je m’appelle Grorg.

— Eh bien, Grorg, repris-je, j’ai besoin de me rendre à Imperos afin de pouvoir remonter aux cieux. Tu sais, eux seuls possèdent le dispositif permettant de… Oh, ne t’en fais pas pour de tels détails. Il faut que j’y retourne et je me sens lasse, si lasse…

L’avant-bras sur le front, je me penchai légèrement en arrière, d’une manière assez théâtrale et pour exprimer ma fatigue de ce monde. Il réagit immédiatement :

— Oh ! Grande déesse, je comprends, n’en dis pas plus ! s’écria-t-il.

Il se releva et se frappa le torse, provoquant une onde de choc qui faillit me faire lâcher l’amphore que j’avais entre les bras.

— Moi, Grorg, vais mener notre grande déesse vers la ville des architectes ! Il n’y a rien dont les géants vignerons ont peur en ce monde, aucun endroit qu’il ne peuvent atteindre !

Je le savais. Il cherchait tant à m’être utile et agréable qu’il allait proposer de m’accompagner jusqu’à Imperos. J’avais trouvé mon billet de retour. Et plus que ça, j’avais une intuition en voyant ses longues jambes.

— Combien de temps ? m’enquis-je.

— Oh… réfléchit-il, deux jours sans doute, si je cours vite.

Il disait ça d’un air si détaché. Courir pendant deux jours ? Mais après tout, son endurance devait être ridiculement haute.

— Alors faisons ça, décidai-je. Nous partons immédiatement.

— Oui, grande déesse.

J’aurais adoré en tuer un de mes mains pour gagner un géant à placer dans mon donjon. Mais plusieurs problèmes m’en avaient dissuadés : d’une part, je ne possédais pas les capacités pour les mettre à mort, même s’ils se laissaient faire. D’autre part, ils me révéraient justement pour ne pas mourir. Si je me mettais à en massacrer un gratuitement, même en trouvant une bonne excuse, ils allaient peut-être retourner leur veste immédiatement.

Des alliés – non, des serviteurs pareils à l’extérieur étaient après tout bien plus bénéfiques qu’un hasardeux monstre pour mon donjon.

Et puis, je commençais vraiment à les voir comme des êtres vivants à ne pas tuer. J’avais de plus en plus de mal à les considérer comme des monstres.

 

***

 

Le voyage se déroula en un battement de cils. Enfin, pas littéralement, mais Grorg courait si vite et sautait si haut, bondissant par-delà des petites forêts et franchissant des canyons d’un bond… J’étais sidérée et en extase. À regarder le paysage qui défilait, j’avais l’impression qu’il devait dépasser la vitesse de pointe de nombreuses voitures modernes, mais ce n’était sans doute dû qu’au vent qui me fouettait le visage ; il ne pouvait pas aller si vite et je l’avais clairement calculé dans ma tête.

Il se moquait de tout : dangers, monstres et intempéries. Pour tout dire, les intempéries ne le gênaient pas parce qu’où qu’il passât, le ciel se dégageait.

— Toi et tes frères possédez réellement le pouvoir de contrôler la météo ? lui demandai-je lorsqu’il s’arrêtât quelques secondes pour boire l’eau d’un ruisseau. Les monstres, contrairement aux architectes, avaient besoin de se nourrir et de boire, il venait de m’en apporter la preuve s’il en était encore besoin.

S’essuyant la barbe de manière plutôt brutale, il n’hésita pas à me répondre :

— Oui. Et non. Nous pouvons demander la bénédiction de quelques dieux, mais rien ne garantit qu’ils daignent répondre à nos prières. Habituellement, nous nous contentons d’y faire appel pour obtenir une récolte fructueuse.

— Ah ? m’étonnai-je. Et tu ne leur as pas demandé de t’accompagner pour ce voyage ?

— Aurais-je dû ? s’étonna-t-il également. Tu es une grande déesse, je pensais que tu étais la cause de ce ciel dégagé.

Non, ce n’est pas moi, bien évidemment…

— Ah… Je n’ai rien fait… Sans doute les autres grands dieux veillent-ils sur moi ?

J’avais trouvé une nouvelle excuse parfaite. Bien sûr, selon la logique de ce géant, elle était parfaitement acceptable. Après tout, je m’apprêtais à leur ramener un échantillon de ce vin légendaire. Évidemment qu’ils allaient veiller sur moi !

Ramassant l’amphore que j’avais déposée à mes pieds, je me tournai vers Grorg :

— On y retourne ?

— Selon tes désirs, grande déesse, acquiesçât-il aussitôt.

Ainsi, nous arrivâmes en vue des portes de la ville et Grorg prit même la liberté de s’en approcher sacrément près.

— Eh ! m’écriai-je, tu n’as pas peur que les gardes t’agressent ?

Il se contenta de rire :

— Hah ! Haha ! Ces gardes, là ? S’il est vrai qu’ils sont plus puissants que toi, je doute qu’ils soient capables de me faire grand mal !

Mais, pris d’un doute plus que réaliste, il n’avança pas plus. Après m’avoir déposée au sol, il fit une révérence montrant tout son amour envers la grande déesse que j’étais et tourna les talons, non sans m’avoir affirmée que je serais toujours la bienvenue dans son village.

— Bon, fis-je pour moi-même, il est temps que je retourne à la secte. Je connais quelqu’un qui va être heureux de me voir rentrer.

 

**

 

Le géant m’avait déposée près de la porte sud de la ville, selon ce que je lui avais demandé. Ainsi, j’étais relativement proche de la secte ; on ne me regarderait pas de travers bien longtemps, jeune fille transportant une amphore dans un monde où les boissons étaient un luxe magique.

Mais les sectes qui créaient de l’alcool par magie devaient être plus nombreuses que je ne me l’imaginais. La plupart de ceux qui me jetaient un regard ne le faisait que parce qu’il était extrêmement rare de voir une fille passer, et ce que je tenais en main ne présentait pour eux qu’un intérêt presque nul.

Même le type – pas très sympa d’ailleurs – à qui je demandai mon chemin n’avait pas prêté attention à l’odeur divine de ce vin qui émanait de dessous le bouchon pas très bien scellé. Peut-être avaient-ils simplement peur de violer les lois de la ville s’ils devaient m’agresser pour me voler, je ne pouvais pas deviner ; je ne pouvais que remercier ma bonne fortune soudaine pour m’avoir fait retrouver l’entrée de la Neuvième Vie.

Une fois les couloirs, escaliers et autres péripéties architecturales franchies, Pythagore m’apparut à l’entrée de la salle où je l’avais rencontré la première fois. Il souriait et ses yeux me disaient qu’il m’avait « sentie » venir de loin – moi, ou ce que je tenais dans les bras.

Raka
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18 thoughts on “DMS : Chapitre 53

  1. Je ne comprends toujours pas la situation, elle a débarqué avec une compétence de copie de capacité, s’est faites tué par un géant avec un « fatal-foudre ». Attaqué lancé par elle même parce qu’elle avait pris le contrôle du géant grâce à une compétence de dragon du contrôle mental périssables dans le temps est qui prends a peine de redonner la compétence de copie beugué ?

    Lecteurs et Main Character qui ne cernons pas toute la situation ? 

    J’ai bien résumé ?

    Au passage merci pour le chapitre. o/

  2. Quel grand délire mais ça me casse vraiment la tête quell es perdu la compétence
    Merci pour le chapitre

  3. Merci pour le chapitre
    Mais je comprend pas pourquoi elle n’a pas eu le schéma du géant vigneron puisqu’elle en a tuée un… C’est parce qu’elle n’était pas dans son corps ??

          1. Ouais j’ai compris, mais. C’est dommage je voulais qu’elle ai ce schéma

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