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Chapitre 54 – De l’autre côté (1)

 

— Wuying, ma bonne amie Wuying ! s’écria Pythagore.

J’aurais bien aimé dire qu’il était heureux de m’accueillir et qu’il me regardait dans les yeux, mais il aurait été plus correct de dire qu’il regardait mon amphore et qu’il était heureux de la voir, elle.

— Ooohhh… Soupira-t-il d’admiration, je ne sais pas comment tu as réussi à mettre la main sur ce truc, mais… mais… je n’ai jamais rien senti d’aussi exquis…

Pythagore avait l’air d’un junkie en manque de sa dose quotidienne, et je le voyais commencer à baver tandis que ses doigts crochus commençaient à trembler d’impatience. Était-il vraiment amoureux du vin à ce point ? Au point de sembler déjà complètement drogué avant même d’y avoir goûté ?

Je préférais le prévenir une dernière fois, cela dit :

— Tu sais, Pythagore… On m’a laissé entendre que ce vin était une drogue puissante qui pouvait rendre fou. Tu sais, les géants qui gardent ça sont des monstres quatre étoiles, ce n’est pas une partie de plaisir. Peut-être ne pourrai-je alors plus jamais m’en procurer. Veux-tu toujours le boire ?

Il leva les yeux vers moi, et dans un éclair de lucidité me répondit :

— Ah, mais… ne t’en fais pas pour ça, ma fille. J’ai déjà prévu un sort adéquat, qui m’empêchera de sombrer dans la folie et l’accoutumance à cette boisson. Ha ha ha ha, pensais-tu que j’allais en boire sans avoir pris mes précautions ?

Alors il avait prévu une… Hein ?

— Une telle magie existe donc ? m’étonnai-je.

— Non, non, bien sûr, nia-t-il aussitôt, enfin… elle n’existait pas jusqu’à hier.

Il avait ajouté ces derniers mots sur un air entendu, qui ne laissait pas de place au doute.

— Tu as créé un sort spécialement pour ça ?! m’écriai-je alors.

— Évidemment ! Il me faut ce vin ! expliqua-t-il vivement, et crois-tu que je le veux au prix de ma santé mentale ? Je ne m’attendais pas à ce que tu en rapportes, vraiment ! Mais dans le doute, j’ai tout de même créé ce sort anti-accoutumance… Et…

Ses sourcils firent des vagues tandis qu’il concluait sa phrase :

— …on dirait que j’ai bien fait !

Ce vieux grigou ! Il avait passé son temps à se créer un sort sans s’occuper du mien ?! Je lui fis immédiatement la réflexion.

— Ah, ne t’avais-je point dit que je m’y mettrais une fois le vin entre mes mains ?

L’espace d’une seconde, je ne répondis pas. Il avait raison, il m’avait bien dit ça. Après tout, s’il ne s’attendait pas à me voir revenir, pourquoi aurait-il perdu du temps à créer un sort inutile ?

— Je comprends, finis-je par admettre. Bon. Eh bien… Allons t’offrir un verre… ?

— Hah ! Avec joie, ma jeune amie !

**

 

Nous sortîmes dans un jardin intérieur, où les fleurs colorées côtoyaient les bancs de marbre et de pierre ; on pouvait entendre des oiseaux chanter et…

— Des oiseaux ?

— Hm ? Un souci, Wuying ?

— Il y a des oiseaux, ici ? Dans un monde où n’existent que monstres et dangers ?

— Ah ! finit-il par comprendre en claquant des doigts, non, c’est uniquement une magie sonore. Pour l’ambiance, tu sais.

— Oh, je vois.

Décidément, ils faisaient vraiment n’importe quoi avec la magie. La considéraient-ils comme un jouet ? J’avais déjà bien moins de remords à faire travailler un type sur un sort inutile dès lors que je m’étais fait cette réflexion.

— Allez, ne perdons pas de temps ! s’impatienta-t-il en se frottant les mains et en souriant, les yeux pleins d’une anticipation non-dissimulée.

Il se mit à réciter un chant silencieux, chuchotant un sort sans doute car il se mit à briller d’une lueur étrange.

— Allez, verse ! s’écria-t-il aussitôt, plus pressé que jamais et me tendant un gobelet de terre cuite qu’il avait sorti de je ne savais où.

Je m’empressai de faire sauter le bouchon de l’amphore et le fumet qui se dégagea de l’alcool rouge sombre me monta instantanément à la tête – même moi ! Je n’osais imaginer l’état de Pythagore, grand amateur de vins.

Je levai lentement les yeux vers lui tout en remplissant son gobelet et je le vis frémir, trembler, le visage le plus sérieux que je pouvais lui connaître, vérifiant que je ne laisse pas la moindre goutte tomber à côté.

Une fois plein, presque à ras bord, j’eus le temps de sceller l’amphore et de la poser à côté de moi et il n’avait toujours pas porté l’alcool à ses lèvres. Sa bouche tremblait et il observait son reflet sur la surface sombre et miroitante de ce vin légendaire.

— Tu… bégaya-t-il, tu te rends compte… combien… combien de personnes ont eu ce vin entre les mains…

— Non, haussai-je les épaules et n’en ayant absolument rien à faire.

— Une dizaine de personnes à peine, si j’en crois les archives, avoua-t-il au lieu de boire ce vin qu’il avait attendu comme un forcené.

— Bon, tu bois ? Je n’ai pas que ça à faire. Allez hop, cul sec, m’impatientai-je.

Qu’avais-je à gagner à savoir que quelques têtes avaient eu l’honneur de boire ce vin ? Que sans doute seuls les plus grands Maîtres de sectes avaient eu la chance de pouvoir diriger une armée pour un raid incertain et dangereux vers des monstres plus forts qu’eux ?

Tout ce que je voulais, c’était qu’il boive ce satané vin une bonne fois pour toutes et qu’il se mette au travail sur mon sort comme il me l’avait promis. Et Teacup était formel, il tiendrait parole. Alors je l’attendais avec une impatience non dissimulée.

— Tiens, d’ailleurs, où est-il ? m’étonnai-je.

Pythagore, toujours incertain de la façon dont il devait boire ce vin de légende pour ne rien gâcher de sa splendeur et de son honneur, trouva en ma question une bonne excuse pour lever la tête.

— Teacup ? Aaah, Teacup ? Je l’avais oublié. Mais… bafouilla-t-il, n’es-tu point rentrée en sa compagnie ?

— Avec lui ? Comment ça ?

Je ne comprenais pas. Je n’étais pas partie avec lui. Pourquoi aurais-je dû revenir à ses côtés ?

Pythagore fronça légèrement les sourcils, toujours indécis et le visage présentant un savant mélange entre impatience alcoolisée et inquiétude incrédule.

— Il est venu me trouver pour me demander de toute urgence un sort d’illusion de très haut niveau et le plus efficace possible, expliqua Pythagore, il voulait que je crée un sort lui permettant de devenir invisible et indétectable, même par les géants…

— Quoi ?

J’étais complètement perdue ; pourquoi voulait-il un tel sort ? Pour les géants ? Quelque chose ne tournait décidément pas rond à ce moment précis.

— Je ne suis pas rentrée avec lui, non, confirmai-je. Pourquoi… Pourquoi t’a-t-il demandé ce sort ? Tu sais ?

Pythagore haussa les épaules en répondant :

— Il m’a expliqué qu’il me rendrait un service plus tard contre ce sort mais qu’il en avait immédiatement besoin. Que tu avais décidé de partir seule à l’assaut du camp des géants et que tu allais sans doute te faire torturer pendant des années.

— Hm ? Mais… hésitai-je, il n’avait pas complètement tort. Seulement, je m’en suis sortie.

— Il a aussi ajouté, reprit le vieux grec, qu’il devait absolument te sauver.

Ah mais bien entendu, si j’avais été faite prisonnière, j’aurais eu grand besoin de son aide. Mais quelque chose ne tournait pas rond dans tout ça. Il m’avait lui-même fourni une carte magique pour me permettre d’arriver chez les géants en vie ; s’il était si inquiet à mon sujet au point de réagir ainsi, pourquoi m’avait-il permis d’y aller, pour commencer ?

— …vraiment un truc qui tourne pas rond chez lui. Et donc, il est où ?

— Aucune idée ! Peut-être est-il en ce moment-même en train de se battre contre les géants ? Ou plutôt, de se faire capturer ?! Tout parce qu’il a décidé, seul, de… Ah ! Mais pourquoi lui ai-je donné ce sort ?!

Pythagore se sentait clairement mal. Et il avait l’air d’avoir complètement oublié ce nectar divin dans son gobelet, posé sur le banc à côté de lui.

— Eh, bois, lui rappelai-je soudain. J’ai pas fait tout ça pour rien. On s’occupera de Teacup plus tard. T’en fais pas, s’il s’est fait capturer, je le sauverai.

— Toi… Toi ? Tu en serais capable ? s’étonna Pythagore, mais comment…

Était-il à moitié en train de pleurer, ou étais-ce moi qui rêvais, là ?

— Eh, oh. Tu te reprends, là, et tu bois ton vin. Je te l’ai ramené au coût de plusieurs de mes vies, et ne me dis pas que je l’ai fait pour rien. Alors, hop ! Tu bois et tu te mets au boulot sur mon sort une bonne fois pour toutes !

Il sembla reprendre ses esprits, comme s’il revenait à une plus heureuse réalité après une éternité de souffrances morales. Oublié, Teacup. Au revoir les remords. Bonjour la vinasse !

Sur ces bons sentiments, Pythagore leva enfin le gobelet à ses lèvres, et je pus voir une explosion de mille explosions se produire entre sa langue et son palais. Un véritable feu d’artifice de bonheur se déversait dans sa bouche et s’il aurait été de bonne augure qu’il en ait les larmes aux yeux, pour le coup, ses larmes tenaient plus lieu de chutes du Niagara que d’un robinet qui fuit.

 

**

 

Arrivé près du camp des géants, il était enfin temps pour Teacup de mettre son plan à exécution. Plongé dans le regret et la douleur de laisser souffrir celle qu’il prévoyait un jour de séduire, il avait cependant sauté sur une occasion qui ne se représenterait pas. Cela devait déjà faire au moins toute une semaine qu’elle devait être attachée à une vigne à se faire écarteler.

Dépassant une forêt au bout de laquelle il pouvait apercevoir un immense cratère noir et encore fumant – bien que cela devait faire des jours que la foudre avait sans doute frappé cet endroit.

— C’est le moment, décida-t-il. Un peu plus près et je me ferai repérer.

Teacup lança son sort d’invisibilité, que Pythagore lui avait gentiment créé quelques jours auparavant. Il disparut instantanément et sentit que son existence même s’effaçait.

— Ouah ! C’est bien plus qu’un sort d’invisibilité ! Je sais que je t’avais demandé qu’il soit le plus efficace possible, mais là ! J’ai l’impression de ne plus faire le moindre bruit même en criant !

Et en effet, plus personne ne pouvait sentir sa présence. Il avait totalement disparu ; si le sort avait été un tout petit peu plus efficace, il aurait sans doute même disparu des mémoires des gens qui le connaissaient, pour ne jamais réapparaître en ce monde.

— Bon. Maintenant, trouvons les cépages. Elle doit y être. Hé hé, allons la sauver. Wuying, courage ! Ton chevalier blanc arrive !

Il sentit un souffle puissant passer au-dessus de sa tête, comme si un ouragan s’était soudain levé sans crier gare. Regardant par réflexe vers le ciel, il tomba à la renverse en apercevant un géant vigneron qui venait de prendre son envol.

Non, il ne volait pas, il bondissait au-dessus de ce qu’il restait de forêt.

— Mais mais mais mais… C’est quoi, ça ? Où est-ce qu’il va, celui-là ?! Il est fou !

Dans toutes les études qui avaient été faites, il n’avait absolument jamais été question d’un géant qui avait quitté son camp sauf pour en faire paisiblement le tour, montant la garde face à d’éventuels intrus. Et celui-là venait de bondir si violemment en quittant son village, au point de soulever une tornade sur la forêt ?

— N’importe quoi… maugréa-t-il pour lui-même tout en reprenant son chemin vers les cépages des géants.

Le temps était venu. Il allait sauver Wuying d’un cruel destin et elle allait définitivement tomber amoureuse de lui.

Raka
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11 thoughts on “DMS : Chapitre 54

  1. Wouah merci pour les chapitres tres bonne surprise d en avoir autant d un coup ^^.
    Toujour aussi fan de ton travail.

  2. térrible je sens que teacup va pas s’en tiré, et qu’il es deja trop tard pour lui…

    merci pour le chapter

  3. comment casser un mensonge ? avoir teacup qui va tout révéler par erreur aux géants !

    Merci pour ce Chapitre !

  4. J’espère que ce blaireau de Teacup ne va pas foutre en l’air la couverture de notre héroïne pour une fois que ça se passait bien pour elle j’aimerai bien que ça continue un peu moi :'(

    1. J’ai une théorie sur sa compétence aussi comme quoi elle peut copier une comp mais ne peut l’utiliser que pendant 24h après il faut en copier une autre même si c’est buggé ça équilibre le’truc.

      En tout cas merci pour ton superbe boulot 😀 DMS est juste ma série favorite 🙂

  5. Merci pour ce chapitre

    Je vois d’ici le plan de Travail qui donne lui donne une carte pour qu’elle se fasse capturer et qu’il puisse la sauver.

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