DMS : Chapitre 58
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Chapitre 59 – De l’autre côté (6)

 

— Son père ? Vous… Vous êtes le Maître de la Neuvième Vie ?! réalisai-je soudain.

Il me regarda de haut, comme si j’avais dit quelque chose de déplacé, avant de m’adresser la parole plus calmement, comme à une enfant :

— Explique-moi, me dit-il en tendant une main amicale, je ne tu punirai pas. Quelle est donc cette magie que semble porter cet objet ? Pourquoi ai-je oublié mon propre fils, ces derniers jours ? Ah ! Je savais bien que quelque chose clochait, et je n’arrivais à mettre le doigt dessus !

Il posait des questions mais ne me laissait pas le temps de répondre avant de repartir dans une nouvelle complainte. Quel homme…

Je lui répondis néanmoins, puisque tout ça n’avait rien à voir avec moi.

— Aucune idée. Comment avez-vous pu oublier votre fils ? Qu’en sais-je ? Je ne l’ai pas oublié, moi…

— Hmm… Il y a une puissante magie à l’œuvre, répéta-t-il, sûr de lui.

— Et quel genre ? renchéris-je, vous devez être calé en magie en tant que Maître…

Il réfléchit quelques secondes avant de se tourner pour en toucher deux mots à ses acolytes silencieux qui passaient leur temps à se jeter des regards sombres et lourds de sens. Savaient-il quelque chose à propos de tout ça ?

Le Maître me fit face à nouveau et m’annonça de but en blanc :

— Ils me disent que tu es une nouvelle recrue, que Teacup a personnellement appuyée, qu’ils viennent à peine de se souvenir de lui, eux aussi ? Je ne sais pas quel genre de relation tu entretiens avec lui, mais ce problème semble étrangement lié à toi. D’ailleurs, nous allons faire un tour chez les érudits, et tu vas venir avec nous.

Il voulait que je l’accompagne ? Mais que pouvais-je y faire ? Je ne savais rien de son problème filial. Par contre, il était vrai aussi qu’il représentait l’autorité suprême en ces murs et que je ne pouvais que difficilement m’opposer à lui.

Et puis après tout, j’avais bien un peu de temps à perdre ; je me rendais de toute façon chez Pythagore, alors je pouvais aussi bien y aller avec lui.

— Ok, lui répondis-je en lui emboîtant le pas après avoir soigneusement rangé la carte.

Nous descendîmes quelques escaliers, dépassâmes quelques salles bondées et empruntâmes autant de couloirs, le tout en silence. Je m’attendais à ce qu’il me pose plus de questions, mais il n’en fit rien. Au bout d’une dizaine de minutes, il se tourna vers moi et me demanda, d’un air innocent et des plus amicaux :

— Et sinon, jeune demoiselle, en ce qui vous concerne, pourquoi vous rendez-vous chez les érudits ?

Il s’arrêta quelques secondes avant de froncer les sourcils et de reprendre dans sa barbe :

— D’ailleurs, pourquoi devais-je y aller ? Ah ! Je ne sais plus, c’est malin.

Haussant les épaules, il continua, toujours seul au monde :

— Bah ! Ce devait être sans importance.

Est-ce que ce mec était demeuré, complètement con ou juste un peu à l’ouest ?

Tout grand Maître de secte qu’il était, il agissait vraiment étrangement.

— Évidemment, répondis-je machinalement, que vous y aller pour poser des questions sur votre fils… Je suppose.

Il leva les sourcils et ouvrit des yeux immenses, comme si je venais de lui révéler la vérité sur le sens de la vie.

— Mon f… Oh ! Mon fils ! Comment ai-je pu l’oublier…

Et se rendant soudain compte que c’était la deuxième fois, continua :

— …encore !

Décidément, il y avait vraiment une magie puissante à l’œuvre. Pour que même un type qui pouvait se targuer d’être le plus influent mage du coin ne parvienne pas à se défaire de cet effet bizarre d’amnésie, il fallait que celui qui l’avait lancé soit sacrément capable. Et moi, je portais sur moi cette carte, imprégnée de l’aura et de la magie de Teacup ; sans doute était-ce pour cela que je ne pouvais l’oublier malgré cette étrange malédiction. Après tout, au moment où le Maître l’avait vue, il avait réagi, lui aussi.

— Hm, réfléchis-je à voix basse, on va demander à Pythagore s’il sait quelque chose.

Il m’entendit cependant et acquiesça :

— Oui, oui. C’est une excellente idée, ils sont proches, tous les deux. Ce sont des amis. Si mon… hm… Ah, oui. Mon fils. Si mon fils a été victime d’une magie qui le force à être oublié de ses proches, alors Pythagore pourra sans doute remédier à ça en créant quelque chose de plus puissant.

— Sans doute… abondai-je en son sens, sans doute.

Nous arrivâmes rapidement, tous deux seuls – les autres types nous avaient abandonnés en chemin pour une raison obscure – au cercle des érudits. Je n’osais pas aborder le sujet une fois de plus, soupçonnant fortement aux sourcils très froncés et à l’air perdu du Maître qu’il ne savait à nouveau plus pourquoi il était venu là.

Je décidai de prendre les devants. Après tout, si je pouvais résoudre son problème, j’allais rapidement me mettre un type super puissant dans la poche. Il m’adorerait et me devrait une faveur. Je ne pouvais pas passer à côté d’une telle opportunité.

— Je vais régler le problème, déclarai-je fièrement. Suivez-moi, je vous prie. Je vais en parler à Pythagore.

Je m’avançai d’un pas sûr et décidé à travers la pièce jusqu’à arriver dans la petite alcôve où je savais Pythagore au travail – je l’avais d’ailleurs vu de loin, assis sur la chaise. Je pouvais sentir que ce dos était le genre de dos sur lequel on pouvait compter, sur lequel on pouvait s’appuyer. Il était penché sur son plan de travail, sans doute obnubilé par la création du sort que je lui demandais et qu’il devait avoir presque terminé.

— Eh. Eh, mon ami. Pythagore ? commençai-je.

Comme il ne réagissait pas, totalement perdu dans ses pensées, je lui posai une main sur l’épaule, ce qui le fit sursauter violemment.

— Ouahhah ! cria-t-il en bondissant sur sa chaise.

— Hélà, ce n’est que moi, Wuying. Tu te rappelles ? Mon sort ?

— …le vin.

— Erm, oui, aussi.

Il pivota sur son siège et je pus voir ses yeux aussi rouges que son nez. De sa respiration émanait clairement une odeur de vin et même si celle-ci restait divine même après un tel chemin, je pus clairement constater qu’il était ivre.

— Merde ! Mais tu as trop bu ? Combien ?! Combien de verres ! insistai-je en le secouant par les épaules.

Il me regarda, l’air hagard et les yeux vides, avant de saisir ce qu’il se passait.

— Ah ! Wuyi—ips ! Content de teuh voâr. La vie est be—lle ?

Bordel, il était complètement bourré. J’avais l’impression que je ne pourrais rien en tirer mais comme ma seule chance consistait à essayer, je ne me fis pas prier :

— Pythagore, parle-moi de ce sort que tu devais me créer ! Reprends-toi ! Allez !

— So—oo—ort ? Créer un –hips– sort, oui. Bien sûr… Il est fini, tu peux l’avoâr…

Lucide quant à ma demande, il attrapa une petite boule lumineuse posée dans un coin et me la donna. Juste comme ça.

— Et je dois faire quoi, avec ça ? l’interrogeai-je.

— Aaaah ? gémit-il en levant les yeux vers moi à nouveau, écrââse-la jus… hips- …te entre tes mains…

Je fis machinalement ce qu’il me disait, sans trop réfléchir. La petite boule lumineuse craquela comme du verre trop fragile et disparut instantanément entre mes doigts. En même temps, un nouveau savoir envahit mon esprit, exactement comme lorsque je faisais l’acquisition d’un vrai sort, ou d’une compétence par la voie classique.

[Polymorphe humain]

[Permet à un lanceur de sort d’adopter une apparence humaine pour 24 h.]

— Excellent ! C’est exactement ce que je voulais ! Seulement, pour 24 h ? C’est une petite contrainte. Est-ce que ça signifie que je ne pourrai pas désactiver le sort avant ça ?

Finalement incapable de m’arrêter à de petites imperfections comme celle-ci, je pris Pythagore dans mes bras pour le remercier.

— Merci, mon ami, lui chuchotai-je à l’oreille.

— Tu veux meuh reumerciiier ? se lamenta-t-il, alors trouve-moâ encore de ce bon viiiin…

— Tu… Tu as déjà tout bu ?!

Il me regarda sans répondre, l’espace de quelques secondes, avant de hocher la tête d’un air coupable.

— J’avais peur qu’on me le vôôôle…

Bon sang. Ce type venait de mettre mes plans à mal. Je comptais effectivement lui en ramener de temps en temps mais de là à ce qu’il vide une amphore pleine en deux jours… Je ne pouvais pas faire le voyage en deux jours, pas plus que je ne le voulais, d’ailleurs.

À ce moment, le Maître de secte arriva et il n’avait pas l’air satisfait, pas du tout, même.

Sans aucune considération pour son fils disparu de la secte et de sa mémoire à court terme, il s’adressa à Pythagore :

— Toi ! Je le sens d’ici ! Cette odeur ne trompe pas !

Pythagore se tourna vers lui, les sourcils levés et le regard plein de questions. Qui était ce type qui l’agressait de la sorte ? Pourquoi lui parlait-il d’odeur ?

— Oh, M… Maîîître…

Il était tellement plein qu’il avait un mal fou à articuler de simples mots. Et moi, je devais encore lui faire comprendre qu’il allait devoir aider un type dont il ne se souviendrait même pas de l’existence si je ne la lui rappelais pas régulièrement.

Il fallait que je trouve derechef une solution à tout ça. Mais le Maître ne m’en laissa pas le temps :

— Tu as bu la Cuvée du Géant, n’est-ce pas ! hurla-t-il, je t’estimais ! Tu étais l’un des meilleurs ! Regarde ce que tu es devenu !

Pythagore avait l’air complètement perdu face à ce que lui aboyait son supérieur sectaire. Il donnait également l’impression de n’en avoir absolument rien à faire à cet instant précis.

Seulement, celui qui se foutait bien de ce qui allait arriver, c’était le Maître.

— Tu es perdu, mon ami, se plaignit-il beaucoup plus calmement. Tu ne peux plus revenir d’un tel état. Tu vas… Tu vas devenir fou. Dément. Tu le sais, n’est-ce pas ? Je sais qu’au fond de toi, tu le sais… Nous ne pouvons pas garder un architecte qui a goûté à ce vin dans les murs de la ville…

Il porta le coup de grâce alors même que j’allais m’opposer à l’idée que je voyais arriver de loin :

— Tu vas devoir nous quitter, Pythagore mon ami. Et nous n’avons pas de temps à perdre. Tu vas me suivre sur-le-champ et nous allons demander ton jugement.

Pythagore ne broncha pas. Peut-être qu’au fond de lui, il savait réellement qu’il ne pouvait plus revenir en arrière. Regrettait-il ? Aurait-il résisté à la tentation du vin s’il avait su ? Ou était-ce si bon qu’il se damnerait une seconde fois ? Quoi qu’il en fût, il se leva de son siège et suivit le Maître, les bras pendants et le regard mort.

Non… Si je voulais résoudre ce problème avec Teacup, je devais pourtant faire quelque chose pour lui ! Je ne pouvais pas le laisser partir, jeter dehors et finir sa vie dans une grotte, fou et violent.

— Maître… commençai-je pour interrompre son départ, attendez, s’il vous plaît.

L’intéressé se tourna vers moi après s’être arrêté et m’interrogea silencieusement du regard.

— Je… Je veux l’emmener moi-même. S… S’il vous plaît.

J’aurais au moins le temps de discuter avec lui en chemin. Même si je ne trouvais pas de solution d’ici-là, j’aurais au moins fait tout ce que pouvais. Je n’allais bien entendu pas laisser un drogué courir librement à Imperos, mais je voulais faire le maximum avant de l’emmener devant ce type de l’administration qui jugeait les gens.

Je m’attendais d’ailleurs à me voir refuser ce privilège. Après tout, qu’était-il de plus normal pour un Maître de secte de ne pas accepter ce genre de demande étrange d’une nouvelle venue ?

Contre toutes mes craintes, il accepta néanmoins.

— Ah ! Oui, bonne idée ! Il n’est pas dans un état de manque trop avancé, il te suivra donc docilement… Et moi, j’ai des tas de trucs administratifs à régler, donc ça m’arrange bien, à vrai dire, ha ha ha !

Il se tenait le ventre en riant de bon cœur. Puis il tourna simplement les talons pour s’en aller et me laisser seule avec Pythagore, le génie grec en manque du vin des dieux.

— Bon, lui dis-je aussitôt. Les plans ont changé, mais ce n’est pas si grave. Suis-moi.

Il m’interrogea moi aussi silencieusement d’un regard lointain, comme s’il cherchait à comprendre où je voulais en venir, et surtout, surtout, s’il ne me restait pas un peu de cet excellent vin quelque part.

— Allez, viens, lui répétai-je en le tirant par le bras.

Une fois dehors, au lieu de le mener vers le centre de la ville, je pris la direction opposée. Ma décision était prise. S’il devait se faire bannir et terminer une existence éternelle hors de la ville, damné à tout jamais, alors je pouvais aussi bien tenter sa chance ailleurs.

J’avais tout à y gagner, après tout.

— Allez. Je t’emmène loin vers l’est, mon pote. On va voir de bons amis à moi.

Raka
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19 thoughts on “DMS : Chapitre 59

      1. x) nn je voulais juste mettre le premier commentaire.
        Mdr j suis un gamin parfois aut pas chercher x)

  1. Et bah dit donc quand pythagore fais un truc c pas a moitier que se soit les sorts ou la picole x)
    Est ce une bonne idée de l envoyer chez les vignerons ? Soit il va mourir soit il va etre bourrer h24.

  2. soit les géants vont gagner une arme redoutable, soit une architecte va faire une connerie mémorable !

    Merci pour le Chapitre

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