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Chapitre 66 – Les Devoirs d’un Paladin (4)

 

Le village n’était pas si loin que je me l’imaginais. À peine dix minutes plus tard, je vis cette petite bourgade entourée d’une palissade plus que précaire et dont les portes étaient grandes ouvertes. Il faisait nuit ceci dit, et ils ne les fermaient probablement jamais.

J’étais coincée dans mon corps humain pendant encore presque vingt heures. Il fallait maintenant que je passe la nuit ici ; je ne pouvais pas rentrer à Imperos et je ne me voyais pas dormir dans le donjon. Un simple feeling m’en avait convaincue.

Et puis, il fallait que je fasse attention à l’heure à laquelle j’allais rentrer également. Il y avait douze heures de décalage entre Albion et Imperos ; je devais donc attendre qu’il soit 19 h heure locale, pour avoir le droit de rentrer sur le plan des Architectes. Avant ça, les miroirs se rechargeaient.

— Roram, me voilà. Je dirais bien que c’est le moment de vérité mais puisque les deux rigolos ne m’ont pas reconnue, alors je doute que quiconque le puisse ici.

Je passai la porte d’un pas assuré et me mis à observer les environs. Le village était typiquement moyenâgeux, presque antique. J’avais un peu l’impression de me trouver dans un film, mais si j’étais sur Albion, n’était-ce pas finalement prévisible ?

Trouvant rapidement un groupe de personnes afin de me renseigner, je me mis à les approcher avec un grand sourire :

— Bonjour, mes amis.

Tous trois se tournèrent vers moi en s’arrêtant de discuter. L’un d’eux, un type chauve arborant une barbe brune touffue, des rides évidentes et portant une longue fourche à la main me répondit :

— Bonjour, exploratrice. Tu es une exploratrice, n’est-ce pas ? Nous ne t’avons jamais vu ici avant. Tu viens de renaître à Roram ?

Ils étaient au courant pour les explorateurs ? Ils n’en étaient pas ? Alors comme me le disait FeiLong, les plans d’explorateurs étaient réellement des planètes peuplées d’humains ; et contrairement à la Terre, Albion était un endroit où donjons et explorateurs faisaient partie de leur vie.

— Ah, euh, oui. Je suis nouvelle. Je m’appelle Qian Wuying. Enchantée.

Mon sourire se fit plus large lorsque les trois personnes desquelles j’avais interrompu la discussion m’adressèrent de charmants visages et plissèrent les yeux en souriant.

— Je suis Keuwain Lugren, reprit le barbu, hah ! Et voici mon frère et ma sœur ! Padak et Igelen. Nous étions en train de discuter de… Ah, laisse tomber ! Affaire de famille.

— Hm, répondis-je en haussant les épaules.

Après tout, leurs affaires ne m’intéressaient pas. Par contre, j’avais des questions à leur poser.

— Dis-moi, Keuwain, mon brave, puis-je te demander où une exploratrice récemment arrivée à la nuit tombée est supposée dormir ?

Il me regarda de haut en bas avant de répondre en hochant la tête :

— Hmhm. Tu devras gagner de quoi t’acheter ta propre maison, ou te débrouiller pour te faire loger. En attendant, tu peux aller à l’auberge. Si c’est ta première nuit, elle sera gratuite. Mais n’oublie pas ! À partir de demain, tu devras aller chasser des monstres ou explorer des donjons pour gagner de quoi payer la nuit, sous peine de devoir dormir dehors, dans le foin ou sur le pavé.

— Oh… Compris, fis-je simplement avant de leur souhaiter la bonne nuit et de faire demi-tour vers l’endroit qu’il pointait du doigt.

À quelques minutes de marche à peine, j’arrivai devant un bâtiment qui ne pouvait être que ce que je cherchais. Une chaumière au toit de grès noir et aux murs blancs – sans doute peints à la chaux – et éclairée par une lanterne accrochée au-dessus de la porte et dans laquelle brûlait une bougie dont la flamme faisait danser des ombres sur le mur et le sol. De dehors, je pouvais déjà entendre que là-dedans, c’était la fête. Rires et musique passaient au travers de la porte et j’entrevis des mouvements de l’autre côté de la fenêtre embuée.

Je poussai la porte qui n’était pas verrouillée et fut accueillie par les exclamations, les rires et les chants de plusieurs dizaines de personnes.

— Que…

Ce n’était pas qu’une auberge ! C’était une vraie taverne, ma parole ! Le bâtiment devait faire office des deux à la fois. Comment pourrais-je espérer dormir dans un boucan pareil ? On aurait cru qu’ils se battaient dans un combat de fin du monde mais au lieu de se tuer, ils trinquaient et au lieu de s’injurier, ils chantaient de concert des chants à boire.

— Incroyable… murmurai-je, toujours à moitié dehors, figée dans l’encadrement de la porte.

Le vent souffla dans mon dos, et vint éteindre la bougie brûlant sur une table toute proche. Je frissonnai et fis un pas en avant. Au même moment, la porte dans mon dos claqua, abattue par le vent qui décidément, se levait pour la nuit. Les rires et les bourrades amicales ne cessèrent pas pour autant, une employée en tablier s’approcha simplement pour rallumer la bougie éteinte avant de me saluer d’un hochement de tête et de tourner les talons pour aller s’emparer d’un plateau sur lequel étaient disposées plusieurs bières.

— Vraiment cliché… Ouah.

Un grand type venait de se lever et s’approchait de moi en riant, agitant tant et si bien sa chope de bière qu’il allait y en avoir plus au sol que dans sa gorge ; il me posa la main sur l’épaule et d’un air déjà passablement ivre – ivre mais heureux – me cria dessus :

— HAAAAA ! Une nouvelle venue ! Fêtons ça, les amis !! Egen ! BIERE POUR TOUT LE MONDE ! C’EST MOI QUI REGALE !

Son appel à la beuverie fut immédiatement suivi par un tonitruant hurlement collectif de la part de tous les clients, assis, debouts, et même certains qui étaient déjà affalés par terre, complètement bons pour le compte relevèrent la tête pour signifier qu’ils descendraient bien encore une ou deux bières.

— Att… bafouillai-je, attends, je… non, je… ne boi…

Il ne m’écouta pas et s’en allait déjà vers le bar en riant de plus belle. Et moi j’étais là, comme une conne au milieu de ce qui s’apprêtait à devenir une fête en mon honneur alors que j’étais juste arrivée là pour dormir un peu.

Je m’approchai de ce qui m’avait l’air d’être le patron – le type le mieux habillé si on pouvait dire ça – pour lui adresser une question :

— Ex… Excusez-moi…. AAAH je ne m’entends même pas parler !! LA FERME, VOUS TOUS !!!

Soudain, tout le monde se tourna vers moi et un silence de mort s’abattit sur la salle, à peine brisé par un ou deux ronflements de quelques types ivres morts dans les coins et par la déglutition bruyante d’un client qui se foutait royalement de ce que j’avais hurlé.

— Merci ! dis-je vers la salle et d’un air agacé, maintenant je peux enfin parler tranquillement.

Sous les regards interloqués d’une foule de clients la plupart déjà trop bourrés pour comprendre ce que je voulais ou qui j’étais, je repris, à l’attention du type bien habillé derrière le comptoir :

— Je suis nouvelle et on m’a dit que la première nuit me serait offerte.

Directe, concise, efficace. Wuying dans toute sa splendeur.

— Ah, mademoiselle est une exploratrice, naturellement. Oui, en effet, nous offrons la première nuitée, par pure bonté de cœur.

Il attrapa une vieille clé de fer sous le comptoir et me la tendit.

— Chambre 3. Il faudra avoir quitté les lieux au lever du soleil. Nous n’offrons pas le petit déjeuner. C’est là, en haut des escaliers, la deuxième à droite.

Je n’avais que faire d’un petit déjeuner. Je pouvais sentir que ce corps n’avait pas plus besoin de se nourrir que mon corps d’architecte. Après tout, n’était-ce pas qu’un sort d’illusion ?

— Merci, fis-je simplement en attrapant la clé, avant de tourner les talons.

 

**

 

Lorsque j’ouvris les yeux le lendemain matin, une étrange sensation me poussa à me questionner l’espace de quelques secondes.

— Hein ? Ce n’est pas mon plaf… Oh. Albion.

Je me souvins de l’endroit où je me trouvais. Une chambre puante d’une auberge bas de gamme sur un plan où je ne serais pas la bienvenue si on savait qui j’étais.

Je me levai rapidement et déverrouillai la porte avant de redescendre donner la clé à la femme qui se trouvait alors à la place du type de la veille.

— Merci, chère cliente, me répondit-elle avec un sourire, et passez une bonne journée !

Sur ces bons mots, je tournai les talons et quittai les lieux.

Dehors, le soleil se levait tranquillement, comme si rien d’autre n’avait de sens à ses yeux que son petit rituel quotidien. Par terre, dans la terre et la poussière de ce village finalement pas très évolué dormaient plusieurs ivrognes en train de cuver leur excès de bière. Maintenant qu’il faisait clair, je pouvais voir les habitants de Roram s’agiter au petit matin, nourrissant les cochons des restes de la veille ou récoltant les œufs des poules pour le petit déjeuner.

— C’est vraiment un monde… humain. On croirait voir une scène du moyen-âge sur Terre… m’extasiais-je.

Où que je regarde, je pouvais y voir la vie. La vraie vie, inutile, paresseuse, travailleuse ou pressée. Pas celle que je connaissais sur le plan des Architectes, où tout était fait pour les Architectes et où il n’y avait que nous. Ici, c’était un monde empli d’humains, qui n’étaient proches de nous qu’à cause des donjons. Si je n’avais pas ouvert un donjon à côté de Roram, y aurait-il eu des explorateurs ici ? C’était à se poser la question. Pourtant, des explorateurs étaient venus dès le premier jour. Ils étaient déjà là.

Je m’approchai d’une vieille femme en robe bleue coiffée d’une espèce de voile blanc à dentelles :

— Bonjour, madame.

Elle se tourna vers moi, un balai archaïque dans les mains. Elle était en train de nettoyer sur le pas de sa porte.

— Bonjour, jeune fille… murmura-t-elle d’une voix éraillée par le temps, que puis-je pour toi ?

— Je… Je suis nouvelle ici, commençai-je, et j’aimerais savoir…

— Oui ? m’incita-t-elle alors que j’hésitais à impliquer de simples humains dans mes affaires.

Mais après tout, ils étaient là et impliqués, ils l’étaient déjà.

— Depuis combien de temps y a-t-il un donjon près de Roram ?

Elle se tourna entièrement vers moi et posa son balai au sol avant de s’appuyer dessus, s’autorisant une petite pause matinale. Elle se mit à réfléchir, comme si elle comptait dans sa tête.

— Hmm… Voyons… Il y a celui-ci, qui est ouvert depuis deux ou trois semaines et qui a déjà plusieurs fois changé de nom… Avant ça, il y avait le Repaire des Brigands… Et je ne sais pas ce qu’il y avait avant ça. Tu sais, ma fille, ici, les donjons de bas niveau vont et viennent. La plupart sont tout d’abord des repaires de tomtes avant de devenir autre chose… et de finalement disparaître totalement. S’ensuit alors un temps de paix, mais des donjons finissent toujours par réapparaître.

Évidemment, le système considère Roram comme une zone de débutants. Les explorateurs débutants y naissent et les donjons des Architectes les plus faibles y sont créés…

— Hmm, je vois, la remerciai-je, je vous souhaite une bonne journée, ma bonne dame.

— Ah, la jeunesse, soupira-t-elle en souriant, toujours pressée… Allez, file ! Va faire ton travail et protège-nous des monstres !

— Hein ? m’étonnai-je alors que j’étais sur le point de repartir à l’aventure. Des monstres ? Mais…

Les monstres étaient des habitants des donjons. Ils ne sortaient pas et ne présentaient aucun danger pour les humains qui n’entraient pas dans les donjons. Pourquoi… devais-je la protéger ?

— Pardon, mais, vous protéger ? Mais de quoi ? Des donjons ?

— Ha ha ha ! se mit-elle à rire à gorge déployée, tu es nouvelle, vraiment ! Viens, entre ! Je vais t’expliquer le rôle d’un explorateur !

Elle ouvrit la porte de chez elle et me fit un signe de la main pour m’inviter à la suivre. Je franchis le pas de la porte et une fois à l’intérieur, elle m’offrit une vieille chaise en bois et un verre d’eau.

— Désolée ma fille, je n’ai que ça à te proposer.

— Ce… Ce n’est rien. Merci.

Je n’avais pas besoin de boire de toute façon. Je sirotai une ou deux gorgées par politesse mais ce n’était que de l’eau. Ce n’était pas exquis et ça ne présentait aucun intérêt. Mais mon hôte s’assit en face de moi et se mit à me raconter ce qu’elle pensait que j’avais besoin d’entendre.

— Vois-tu, jeune fille, nous vivons dans un monde dangereux, nous humains ne sommes qu’une espèce parmi tant d’autres, et de loin l’une des plus faibles.

— Il y a beaucoup de prédateurs sur Albion ? tentai-je.

— Des prédateurs ? Des monstres, oui ! s’écria-t-elle pour toute réponse.

— Des monstres ? Oh…

— Ce que tu vois dehors, les poules, les cochons, sont des créatures qui ont été amenées ici par magie, depuis un autre monde il y a fort longtemps par un explorateur plus malin que les autres. Hormis ces animaux, que l’on peut trouver dans les villes, la faune sauvage n’est composée que de monstres. Et de temps en temps, ils nous attaquent. Vous autres explorateurs, c’est votre boulot d’éviter ça.

Elle n’avait pas tout compris. Soit on lui cachait la vérité, soit elle était particulièrement stupide. S’il était vrai que les explorateurs pouvaient tout à fait défendre les humains contre des attaques de monstres, ce n’était pas là leur but premier. Friderik me l’avait dit, ils cherchaient à devenir des dieux, tout comme nous, les Architectes.

Mais je n’allais pas polémiquer et hochai simplement la tête.

— Et donc, lui répondis-je, afin de protéger Roram des monstres, les explorateurs doivent devenir forts en conquérant des donjons, c’est ça ?

J’étais certaine que c’était ce qu’elle pensait. En un sens, elle avait raison, mais ça restait une raison secondaire, un bonus.

— Oui, oui, ma fille. C’est bien ça.

Elle sourit, fière d’elle. Je pensais qu’elle allait m’expliquer des choses, mais finalement, je n’avais pas entendu de quoi changer ma vie. Des monstres à l’extérieur ? Je n’en étais même pas surprise. Après tout, il y avait déjà des donjons…

Par contre…

— Vous avez mentionné un explorateur plus malin que les autres ? lui demandai-je alors.

— Ah, oui. Un très brave homme, fier, robuste et courageux. Plein de bonne volonté et très intelligent.

— Hmm… Et je suppose que cela fait bien longtemps qu’il n’est plus ? Il a disparu du jour au lendemain, n’est-ce pas ?

Si ce type était si fort, il avait dû devenir un dieu bien des années auparavant.

— Ah ? fit-elle en ouvrant des yeux ébahis, mais non ! Sir Lancelot travaille pour le Roi Arthur, désormais.

— Qu… Non, mais… Hein… Lancel… Lancelot ?!

— Eh bien oui, ma fille, répondit la vielle en se servant elle aussi un verre d’eau, Sir Lancelot. Il était un explorateur très malin et doué, il a vécu quelques années ici, à Roram. Lorsqu’il est devenu trop puissant et que la région ne présentait plus de défi pour lui, il a su prouver son utilité au Roi Arthur… D’ailleurs, maintenant que j’y pense…

— Oui ?

— Hmm… Non, rien. Un souvenir qui s’efface un peu, rien de plus.

Un souvenir qui s’effaçait ? Quelle étrange femme. Mais si Lancelot était toujours un explorateur, je me promis de le rencontrer si j’en avais l’occasion. J’étais sûre que ça pourrait être une sacrée opportunité ! Je voulais savoir qui il était, d’où il venait et pourquoi il avait choisi de travailler à la cour du Roi plutôt que de devenir un dieu. Avait-il échoué, alors qu’on chantait ses éloges ?

Quelque chose ne tournait pas rond et ma curiosité demandait à être assouvie, absolument. C’était toujours comme ça.

Faisant rapidement mes adieux à la gentille vieille dame, je me mis alors en quête de la Guilde des Aventuriers de Roram.

Raka
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