DMS : Chapitre 8
DMS : Chapitre 10 Bonus

Chapitre 9 – En montagne (2)

 

Le type dans la cage était certainement la personne que je cherchais, la raison même pour laquelle j’étais dans ces montagnes, à la base. Je ne pouvais même pas concevoir le degré de chance qu’il m’avait fallu pour le trouver du premier coup, et par hasard, après seulement quelques heures de marche. A croire que toutes les jauges de chance de toutes mes vies précédentes avaient été vidées spécialement pour me permettre de vivre une seule fois ce moment précis.

Mais attends, ça veut dire que je vais redevenir poissarde ? Merde, c’est le moment de penser à ça ?

Je ne pouvais bien évidemment pas tenter quoi que ce soit pour sauver le pauvre type coincé dans une cage en bois devant les yeux d’une foule en délire. D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils avaient ? Je ne parlais pas un mot de gobelin, je ne savais même pas s’ils avaient une langue précise pour communiquer entre eux… Quoi qu’il en fut, l’espèce de chef au crâne à cornes dansait en agitant son bâton dans tous les sens en psalmodiant des phrases inintelligibles, et même si j’avais été plus proche, je n’aurais rien compris.

Tous les autres étaient comme en transe, pris au piège d’une espèce d’endoctrinement collectif. Peut-être que même si je passais devant eux, ils ne me verraient pas ? Mais ils étaient des dizaines et des dizaines, je n’arrivais même pas à les compter. Et ce type, on aurait dit un chaman plutôt qu’un chef. Plus je le regardais, plus ça semblait évident.

Alors comme ça, les gobelins ici étaient du genre religieux hérétiques ?

Je me demande bien quel genre de dieux ils vénèrent…

La réponse me fut rapidement donnée, ou un sacré indice en tout cas, quand le chaman sauta en bas de la plate-forme en bois et qu’un autre gobelin lui remit une torche, qu’il utilisa pour mettre le feu à plusieurs endroits-clés de la large structure, assez sèche pour s’embraser sur le coup.

Les flammes dévoraient rapidement tout ce qu’elles pouvaient de la plate-forme, et s’approchaient dangereusement de la cage du pauvre hère qui commençait à s’agiter à l’intérieur. La foule était plus en délire que jamais, le chaman continuait à danser comme un possédé au milieu de ses congénères. Je ne voyais plus que le haut de son bâton qui s’agitait dans tous les sens, son corps s’était littéralement fait phagocyter par la masse de gobelins.

Dans mon donjon, les deux gardes étaient morts. Etrangement, cette fois-ci, les deux explorateurs avaient réussi à s’en occuper sans attirer l’attention de Thomred, et sans subir le moindre dégât. Le filet était étendu sur les cadavres des pauvres tomtes, les intrus avaient probablement utilisé quelque stratagème de lâches pour les coincer dedans avant de les massacrer. Mais peu importe, ils ne feraient sans doute pas plus le poids face à Thomred que précédemment, même s’ils étaient alors en train de se féliciter mutuellement en riant. Personnellement, je trouvais que réussir à s’occuper de deux tomtes niveau 1 ou 2 après trois essais était un peu honteux, mais eux semblaient considérer ça comme le plus grand succès de leur vie… La joie et l’insouciance d’être un débutant…

La cage où le type était enfermé commençait à brûler, et il essayait de tourner en rond, mais il était vraiment coincé à l’intérieur, et ne pouvait pas réellement se déplacer. Je pensais qu’il était déjà cuit, que je n’allais rien pouvoir y faire mis à part mourir pour rien, et je me convainquis rapidement d’aller raconter ce que j’avais vu au vieux marchand. Cependant, après avoir fait demi-tour et commencé à me frayer un chemin sûr vers l’entrée de la grotte, deux choses me revinrent à l’esprit, en même temps que Thomred éclatait à nouveau la tête d’un des deux explorateurs d’un coup de massue plutôt violent. Je sentis un frisson de plaisir monter en moi.

D’abord, il faisait nuit. Je n’y verrais rien dehors, et serais à la merci des prédateurs, mais plus probablement encore des chutes mortelles en bas du chemin courant à flanc de montagne.

Ensuite, il me fallait une preuve de ce que j’avais vu, si je ne pouvais pas ramener le type de la cage en vie. Je ne pouvais simplement fuir pour ma vie.

Merde ! Quelle malchance ! Je m’en doutais !

Le feu avait déjà grignoté une partie de la cage en bois, et le prisonnier à l’intérieur – ou aurais-je dû l’appeler ‘sacrifice’ ? Ou ‘dîner braisé’ peut-être ? Je ne savais même pas pourquoi ils voulaient le brûler vif, après tout. Enfin, bref, il n’était pas encore mort, et je l’entendais tousser dans l’épaisse fumée grise, tout en essayant de défoncer le fond de la cage.

Et contre toute attente, la cage trembla tant et si bien sous les assauts répétés de son locataire forcé, sans doute bien affaiblie par le feu également, qu’elle céda. Il chuta lourdement au sol tandis que dans mon donjon, Thomred venait de massacrer l’explorateur restant – pas de bol, game over – et se mit à courir après s’être redressé difficilement. Il sauta en bas de la plate-forme et se rua aussi désespérément qu’il le pouvait vers la sortie, donc dans ma direction.

Une fois remis du choc de ce qu’ils venaient de voir, les gobelins hurlèrent, crachèrent et se lancèrent à ses trousses comme des chiens de chasse enragés qui n’auraient pensé qu’à déchiqueter ce renard jusqu’à ce qu’il n’en reste que des bouts de chair méconnaissables.

Le pauvre rescapé était aussi noir que rouge, couvert de suie, de traces de brûlures et de contusions qui lui donnaient même un air un peu violacé par endroits. Son œil droit était gonflé et racontait plutôt bien le traitement qu’avaient dû lui faire subir les gobelins avant de se faire enfermer.

Ils lui ont tapé dessus pour attendrir la viande avant de la cuire ? Hmmm, un steak bien tend… Hé ! A quoi je pense encore !

Il courait tant bien que mal, mais son enfermement prolongé, qui devait durer depuis des heures, voire des jours, laissait devenir l’engourdissement de ses muscles alors qu’il boitait et trébuchait plus que de raison. A vrai dire, il fuyait réellement pour sa vie. Si je mourais, j’allais certes souffrir, mais je réapparaîtrais chez moi. Lui, il n’était pas un architecte, il était l’un de ces personnages étranges que j’appelais PNJ. Il était probable que sa mort aurait quelque chose de définitif. A partir de ce postulat, je pouvais parfaitement comprendre qu’il tente de courir d’une façon aussi désespérée.

Mais il allait bien vite se faire rattraper, c’était presque évident. Les petites créatures étaient rapides et agiles, bien plus que lui. Elles sautaient au-dessus des feux de camps, glissaient sous les barrières de bois et renversaient même les huttes en piétinant sans vergogne ceux qui osaient tomber parmi leurs congénères. Des fous furieux, voilà ce qu’ils étaient. Une marée humaine, ou plutôt une marée gobeline de monstres, déferlait en détruisant leurs propres habitations au passage, et s’en moquant éperdument.

A ce moment, j’étais cachée derrière un énorme rocher aux abords du camp gobelin. Le fuyard désespéré allait passer devant moi pour foncer aussi vite que possible vers la sortie, et les gobelins allaient le rattraper bien avant. Je voyais déjà ça aussi bien que je le voyais pleurer et haleter.

J’aurais pu simplement le laisser passer, le laisser crever et puis une fois que tout se serait calmé, chercher un truc à ramener au vieux pour régler cette histoire. Mais qui me disait qu’il allait rester quoi que ce soit ? La super fontaine de mes rêves me faisait de l’œil, et avant que je ne comprenne ce qui se passe, j’avais tendu la main et attrapé l’homme alors qu’il passait devant moi. Il disparut d’un seul coup de la vue de ses poursuivants et avec une aisance qui me surprit moi-même, je me mis à courir dans une autre direction, toujours cachée par l’énorme pierre derrière laquelle j’étais planquée.

Je le portais sous le bras, et il semblait étonnamment léger ! Peut-être était-ce dû à mon nouveau corps, mais j’avais l’impression de transporter un objet inerte à peine plus lourd qu’un petit tapis enroulé sur lui-même. Son visage exprimait la confusion, il ne cherchait même pas à se débattre et se contentait de bégayer.

— M… Que… Hein ? Ah ?

— Ta gueule.

Jetant un rapide coup d’œil derrière moi, je vis la horde de gobelins arriver à l’endroit où ils avaient perdu leur proie de vue, et s’amassant près du gros rocher, criaient et sautillaient, sans doute encore plus perplexes que celui que je venais de sauver. Mais dans quoi est-ce que je m’étais fourrée, encore ?

Je fis rapidement le tour du camp gobelin pour trouver, un peu plus en hauteur dans la paroi de la grotte, une niche, une vraie cette fois-ci, d’à peine plus de cinq mètres de profondeur. Je balançais prestement mon paquetage vivant dans la cavité, qui était à hauteur de ma tête, et lui emboitai le pas d’un bond.

Au loin, je pouvais voir les lueurs des torches de l’armée de gobelins qui commençaient à se séparer dans toutes les directions. Ils chercheraient sans doute à bloquer l’entrée de la caverne pour commencer, et puis à ratisser l’ensemble des lieux ensuite, jusqu’à nous trouver. Et même si nous étions dans une espèce de mini-grotte dans la grotte, plus haute que le niveau du sol, ils finiraient par y jeter un œil, c’était presque certain. Nous n’allions pas pouvoir tenir la nuit entière ici. Il était 22 : 51, et les soleils ne se lèveraient pas avant un sacré bout de temps, dehors.

— Euh… Merci ?

Il m’adressa la parole, ce qui brisa le silence. Il était encore hébété, mais avait l’air de comprendre ce qui s’était passé.

— Chuut, parle moins fort, ça résonne beaucoup ici, chuchotai-je en plaçant mon doigt sur ma bouche, tu ne voudrais pas qu’ils nous entendent ?

— Bien, bien, bien, répondit-il sur un ton si bas qu’on aurait dit qu’il voulait me confier un secret confidentiel dont sa vie dépendait.

— Tu es le fils du marchand bizarre dans une ruelle malfamée d’Imperos ?

Il fallait que je sache directement si j’avais trouvé la bonne personne. Après tout, un malentendu aurait pu me coûter un temps précieux et causer l’échec de ma mission. S’il n’était pas celui que je cherchais, j’aurais été si contrariée que j’étais déjà décidée à le balancer en bas et gueuler pour attirer les petits monstres.

— Oui. Oui, c’est bien moi ! Tu es là pour me sauver ? me demanda-t-il, les yeux plein d’espoir.

— … Ouais.

J’étais blasée. D’un côté, j’avais trouvé le bon mec du premier coup, et j’avais même plus ou moins réussi à le mettre temporairement en sécurité, et c’était plutôt une bonne chose.

Mais d’un autre côté, en observant la situation dans laquelle nous nous trouvions, il était peu dire que nous avions de grandes chances d’y rester. Comment allait-on sortir de là ? Les torches des gobelins parcouraient la grotte, retournaient dans le camp à moitié piétiné, tournaient autour, semblaient scruter chaque recoin sombre derrière chaque pierre et chaque débris.

— Comment va-t-on sortir d’ici ? me chuchota mon compagnon de fortune.

Il lisait dans mes pensées, ou quoi ? C’était le genre de réplique, correspondant parfaitement à ce que j’étais en train de penser, qui avait tendance à m’énerver, encore plus que la ténacité stupide de ces deux héros en herbe qui venaient d’entrer pour une énième fois juste pour probablement se faire tuer une fois de plus. Néanmoins, malgré le fait que j’aurais préféré voir d’autres talents s’essayer à mon donjon, voir des crédits ambulants remplir mes caisses avait plutôt le mérite de me calmer un peu, à vrai dire.

— Je ne sais pas, dus-je lui avouer. Bon, si ce que FeiLong m’avait dit était vrai, ce genre de personnage n’avait ni âme si sentiments, et était uniquement guidé par un genre d’attitude préprogrammée. Donc même s’il devait mourir, je n’aurais sans doute pas à me sentir coupable, tant que je pouvais garder un objet lui appartenant.

Et c’est sans doute ce que j’allais devoir faire pour sortir de cette caverne saine et sauve…

Le regardant d’un air détaché, je lui ordonnai :

— Donne-moi cette bague.

Raka
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