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Chapitre 93 – Le pire donjon du monde ? (3)

 

L’intérieur de la grande salle souterraine était totalement incroyable. J’aurais volontiers pu me croire dans les années 1930, dans un casino clandestin à l’époque du grand Al Capone. Il y avait tout ce qu’il fallait : les rires, les ivrognes, les chants à boire, et en plein milieu de tout ce beau monde, en contrebas, une arène octogonale fermée de hautes grilles métalliques.

— Ouah.

Je ne pus m’empêcher d’exprimer ma stupéfaction face à cette scène complètement improbable. Évidemment, l’ambiance restait fortement médiévale, mais il existait ici ce petit quelque chose de contemporain dans la façon qu’avaient les gens de lever les poings et de boire en riant et en regardant deux monstres se battre en bas, dans l’arène.

— Un loup ? Un loup et un… C’est quoi, ça ? Un génie ? m’étonnai-je.

Il y avait là un loup, la même créature que Friderik avait tuée dans la forêt et en face de lui se trouvait une espèce de créature rouge qui ne possédait en réalité qu’un torse monté sur un nuage de fumée tout aussi rouge. Il avait une sacrée carrure, de gros bras et une petite barbiche noire et pointue. Je ne pus m’empêcher de le comparer à ces génies des contes des mille et une nuits.

Mais le Seigneur Ombre, qui m’avait accompagnée jusqu’ici, me corrigea rapidement en souriant.

— C’est un Effrit, mademoiselle Wuying. Ce n’est pas un Génie. C’est pareil, presque. Sensiblement différent cela dit. Son origine et ses pouvoirs ne sont pas les mêmes que ceux d’un Génie. Il est bien plus mauvais.

Je me surpris à acquiescer par réflexe, puisque je venais d’apprendre quelque chose.

— Je vois… Et ces deux-là se battent ? m’enquis-je. Ils ont été capturés par des explorateurs, n’est-ce pas ? Je commence à comprendre de quoi il retourne, dans ces lieux.

Le Seigneur Ombre, dont je ne distinguais toujours pas les yeux, esquissa un nouveau sourire, plus léger cette fois.

— Et donc, reprit-il, que pensez-vous de ‘ces lieux’ ?

Je fis mine de réfléchir mais en vins rapidement au fait.

— J’apprécie. Je sens que je vais y faire de grandes choses.

Me tournant vers Friderik, je pris conscience que c’était l’endroit rêvé pour qu’il puisse assouvir son besoin de combat ; en même temps, peut-être pourrait-il absorber d’autres créatures et prendre d’autres formes par la même occasion.

Il sembla penser la même chose et je pouvais voir sa queue gélatineuse frétiller de plaisir et d’impatience. Le Seigneur Ombre m’adressa un hochement de tête satisfait.

— Oh, parfait. Parfait, oui. Héhé. Venez avec moi.

Je le suivis jusque dans une petite pièce dont il déverrouilla la porte avant de la refermer une fois lui, Friderik et moi à l’intérieur. Puis, il reprit tout bas.

— Votre familier est un slime. Ces créatures ne sont pas réputées pour être les plus intelligentes et les plus puissantes, expliqua-t-il. Si vous le faites combattre sous la forme classique, je peux garantir que les paris vont aller contre lui. Et je pourrai même les diriger jusqu’à une certaine mesure. Votre premier combat, mademoiselle, ou plutôt celui de votre familier… Héhéhé… va nous faire gagner un pactole.

Il voulait faire combattre Friderik dans des combats truqués ? Est-ce que ça n’allait pas attiser la fureur de la foule ? Après tout, il était question de leur argent. Je le croyais parfaitement capable de faire ce qu’il prétendait mais était-ce sans risque pour moi ?

— Et si les parieurs s’en rendent compte ? hésitai-je alors, lorsqu’ils verront que mon familier n’est pas si faible qu’ils l’attendaient… Ne vont-ils pas flairer l’arnaque ?

Je continuai en chuchotant, de peur que l’on m’entende à l’extérieur de ce bureau uniquement isolé par des murs en bois. Le Seigneur Ombre secoua la tête pour me rassurer.

— Ils ne se rendront compte de rien. Votre familier ne devra pas gagner trop rapidement. Contrôlez-le bien pour qu’il semble avoir du mal. Il devra grignoter son adversaire avec difficulté, jusqu’à lui porter le coup de grâce tout en paraissant être en mauvais état.

Ce type ! Il avait tout calculé ! Il connaissait son affaire, j’étais désormais persuadé que ce n’était pas la première fois qu’il faisait ça. Était-ce une habitude, chez lui ? Il extorquait les pauvres parieurs mais après tout, c’était un lieu empli d’illégalité, et ceux qui y entraient savaient les risques qu’ils prenaient.

Je jetai un rapide coup d’œil à Friderik et celui-ci hocha la tête de façon imperceptible. Aussitôt, il reprit sa forme de slime, petite boule gluante prête à en découdre.

— Bon. On commence quand ? demandai-je aussitôt en sentant son impatience grandissante.

Le Seigneur Ombre leva les mains et rit de bon cœur, pour la première fois depuis notre rencontre.

— Pas si vite, pas si vite, gloussa-t-il, il faut que je prépare ce combat. Disons… demain soir, au coucher du soleil. Soyez là.

— Hm… réalisai-je, je ne sais pas où nous sommes. Je vais me perdre.

Il haussa les épaules d’un air peu convaincu.

— Vous n’aurez qu’à demander à n’importe quel garde que vous croiserez de faire appeler le capitaine Rawlyn. Andrew Rawlyn. Ils possèdent tous un dispositif magique permettant de communiquer avec lui, pour lui faire leur rapport notamment. Il saura venir vous chercher et vous accompagnera jusqu’ici.

Demander à un garde de contacter le capitaine Rawlyn ? N’était-ce pas un peu…

— Et si les gardes refusent, ou me trouvent suspecte ? S’ils me demandent la raison pour laq…

— Ne vous en faites pas, mademoiselle Wuying, me coupa le Seigneur Ombre, ils n’en feront rien. Vous êtes une exploratrice. Ils n’en disent rien mais ils vous respectent pour ce que vous faites. Après tout, vous les aidez à assurer le calme de la ville en réduisant la menace extérieure.

— Je vois…

Après lui avoir fait mes adieux, je pris Friderik sur mon épaule et quittai les lieux. Il était temps de faire quelque publicité pour mon nouveau donjon : les explorateurs n’allaient pas s’y jeter tête la première de sitôt sinon. Qui aurait l’idée d’aller voir au milieu d’un lac ?

Me perdant à nouveau dans les rues et consciente que je ne saurais retrouver mon chemin vers le repaire du Seigneur Ombre, je finis par arriver tant bien que mal sur une place publique, sur laquelle un crieur annonçait des nouvelles sans importances concernant les affaires du royaume.

— Même au milieu de la nuit ? Merde. Quelle ville.

J’abordai une des personnes, au hasard, dans la foule qui l’entourait.

— Excusez-moi ? me lançai-je.

La jeune femme se retourna, la curiosité lisible dans son regard et les flammes des torches qui se reflétaient sur ses cheveux d’or en dansant.

— Oui ? Bien le bonsoir.

— Pourriez-vous m’indiquer la direction de la Guilde des Explorateurs ? Je… suis un peu perdue, avouai-je.

Elle se cacha la bouche de la main et rit silencieusement.

— Vous êtes nouvelle à Camelot ? Les explorateurs s’y perdent toujours. Venez avec moi, je vais vous y conduire. Surtout de nuit, vous n’allez pas trouver votre chemin.

— Oh ? Oh, mille merci, m’écriai-je.

Je ne m’attendais pas à ce qu’elle me serve de guide. Elle avait à peine jeté un coup d’œil désintéressé à Friderik, sur mon épaule. Il fallait croire qu’à l’intérieur de l’enceinte de la ville, ils se sentaient tellement en sécurité que même la vue d’un monstre ne prêtait pas à confusion. De la même façon, elle n’avait aucunement peur en se promenant dans des ruelles désertes au milieu de la nuit ; la criminalité n’existait-elle donc pas à Camelot ?

Finalement et avec son aide, je parvins jusqu’à la Guilde. Je lui fis mes adieux en la remerciant une fois de plus et elle tourna les talons pour s’enfuir calmement dans l’obscurité d’une petite allée.

Évidemment, le marchand trouva qu’il y avait un problème et que je ne pouvais pas lui acheter ce qu’il avait à proposer. J’avais testé par acquis de conscience tout en étant plus ou moins certaine du résultat.

Cependant, ce n’était pas la raison principale de ma venue en ces lieux. Remarquant que plusieurs explorateurs étaient attablés dans un coin et discutaient entre eux de façon très sérieuse, je me mis à discuter à voix un peu trop haute avec le marchand de la boutique.

— D’ailleurs, en revenant, j’ai vu un nouveau donjon. Le croyez-vous ?!

Le marchand me répondit tout naturellement, peu importe le sujet de conversation que j’abordais.

— Oh, vraiment ? Un nouveau donjon près de Camelot ? Il y en a donc trois en même temps, désormais. C’est une première.

Il ne semblait ni surpris ni paniqué. Son ton reflétait simplement un certain degré de lassitude. Du genre « Oh ? Super. Moi, j’ai mangé une pomme. »

Mais je n’avais pas besoin d’en dire plus. Un des explorateurs attablés non loin m’adressa un signe de la main.

— Eh ! Un nouveau donjon, tu dis ? Où ?

Et voilà. Le poisson avait mordu encore plus facilement que prévu. Je m’approchai rapidement d’eux, le regard plein d’émotion. Mais avant de pouvoir dire quoi que ce fut, ils remarquèrent Friderik sur mon épaule.

— Eh ? Un slime ?

— Comment peux-tu te promener avec un monstre à Camelot ? Ce n’est pas possible.

Et voilà. Il fallait vraiment que je pense à faire quelque chose pour ça ou chaque explorateur que j’allais rencontrer allait me balancer les mêmes remarques. Cherchant à esquiver le sujet, je lui répondis hâtivement.

— Le nouveau donjon se trouve dans le lac, juste derrière la forêt collée à la muraille de la ville, à l’est. Je… Je l’ai vu de loin, c’est comme un vortex ouvert à la surface du lac. Rendez-vous compte ! On peut même marcher sur l’eau, désormais !

L’un des explorateurs qui avait gardé le silence jusqu’alors se mit à sourire.

— Un donjon aquatique, hein ? Héhéhé…

Les autres oublièrent aussitôt Friderik pour se tourner vers lui et se plaindre.

— Ah non ! Pas question !

— Je sais que tu un spécialiste des donjons aquatiques, mais non ! Tu nous laisses tenter notre chance les premiers ! Sinon, nous n’aurons aucune chance de nous y essayer !

Un spécialiste des donjons aquatiques ? Possédait-il une classe spéciale ?

J’allais rapidement avoir la réponse, de toute façon. Le principal concerné soupira grandement.

— Ahhh… C’est ce que vous avez déjà dit la dernière fois… Et qu’avez-vous fait ? Vous vous êtes noyés comme des cons. Non, cette fois, j’y vais le premier.

Sans attendre, il s’était déjà levé et se dirigeait vers la sortie, bien décidé à se rendre sur place avant quiconque. Rapidement, il disparut dans la nuit.

Me retournant, un peu perplexe, vers les autres explorateurs qui faisaient maintenant triste mine en voyant ce nouveau donjon pris d’avance, je leur demandai :

— Mais quel est le souci ? Il peut le faire, vous le finirez ensuite une nouvelle fois.

— Ah, tu es nouvelle ? s’exclama l’un des autres qui avait gardé le silence.

— …Oui, avouai-je, à Camelot en tout cas.

— Eh bien, laisse-moi te dire que ça se voit, jeune fille !

Le premier s’était de nouveau exprimé. Il mâchouillait un peu ses mots dans son épaisse barbe grise mais ça lui donnait un air d’autant plus expert et ancien. Depuis combien de temps était-il explorateur sur Albion ?

— Lorsqu’un nouveau donjon apparaît, le premier à le terminer reçoit une énorme prime sous la forme de crédits. Plus du triple de la somme normale, pour tout dire. C’est une spécificité de Camelot, si tu demandes. Ailleurs, ça ne fonctionne sans doute pas comme ça. Mais ici, c’est la capitale et…

— Ok, ok, j’ai compris, le coupai-je en tout hâte. Et pourquoi ce type est-il considéré comme un spécialiste des donjons aquatiques ? Je ne comprends pas.

— Oh, lui ? Il ne fait que ça depuis toujours. Et quand aucun donjon aquatique n’apparaît, il s’en va en chercher jusque dans l’océan. Il met parfois des mois à revenir, mais… il revient toujours.

L’un des autres m’expliqua alors de quoi il retournait.

— D’une part, il est Élémentaliste. Il peut lancer un sort pour respirer sous l’eau, ce qui rend la chose plus pratique. D’autre part, à force de terminer des donjons aquatiques, peut-être par chance, peut-être pour une autre raison, il a fini par rassembler au terme d’une longue et douloureuse carrière un équipement exceptionnel, qui fait rêver n’importe quel explorateur sous le soleil. Son armure, son arme, des bagues et un collier, sa ceinture et même ses bottes, tout est spécialisé dans l’attaque sous-marine. Sous l’eau… c’est un dieu.

En l’entendant parler, je fus prise de deux sentiments qui cherchaient à se disputer la priorité dans mon cœur. D’une part, je le voyais déjà potentiellement tuer ma Dame du Lac avec une aisance naturelle, et de l’autre…

…J’avais déjà tant pitié pour lui.

Raka
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12 thoughts on “DMS : Chapitre 93

  1. Merci pour le chapitre.

    Il va y avoir un petit slim qui va bientôt manger de l’équipement d’élémentaliste.

  2. Eh bien, un expert de lvl 190 devra pas avoir trop de mal à finir un donjon de niveau 18 même avec un boss de lvl 198 mais de puissance inférieure.
    *un slime lui tombe sur la tête*
    Aaaaaah !

    Wait… je croyais que seuls les niveau 13~23 (un truc dans le genre) pouvait faire un donjon de niveau 18 ?

    1. Oh mais Joc lui a cassé les règles.
      Elle est à Albion, elle a un donjon de niveau local avec un boss local.

      1. Ah bien.
        D’ailleurs il y a un problème avec le site, une fois sur deux quand je poste un com ils me mettent « error – veuillez résoudre cette »
        Mais merci pour le chapitre ! (je n’ai pas pu le poster tout à l’heure -_-)

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