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Chapitre 97 – Le pire donjon du monde ? (7)

 

En fin de compte, le roi ne fut pas capable d’invoquer sa Dame du Lac. Elle ne lui avait pas répondu ; était-elle dans l’impossibilité de le faire à cause de mon donjon ? Après tout, je « possédais » les droits universels des lieux, je pouvais en faire ce que j’en voulais, et apparemment empêcher une entité magique comme la Dame du Lac de faire son apparition. Je pouvais l’imaginer, enfermée sous le donjon, quelque part entre le lac et le néant, dans un endroit duquel elle ne pouvait pas sortir… à cause du donjon, justement.

— Bon, on s’en fout. Le roi est parti. Son armée n’est plus là. J’ai eu peur, admis-je finalement.

S’il m’avait trouvé, j’aurais été, dans le meilleur des cas, enfermée à vie. Dans le pire ? Tuée. La mort était dans ce cas bien plus terrifiante pour moi que vieillir à tout jamais dans ce corps immortel entre quatre murs. Ça signifiait croupir dans mon propre corps, sans en avoir le contrôle, à tout jamais.

Le rendez-vous avec le Seigneur Ombre avait lieu le lendemain soir. Entre temps, il y avait une chose que je voulais faire depuis un moment déjà et qui me permettrait de garder l’anonymat et ma sécurité. C’était le moment idéal.

Je retournai au camp des géants en laissant Friderik s’entraîner dans la forêt de Camelot. Il suspectait les loups d’être de bons partenaires pour parfaire sa maîtrise de l’épée. J’étais plutôt d’accord avec lui. Le traîner derrière moi inutilement, pourquoi ? Il avait raison, il pouvait bien s’entraîner. Ce n’était pas comme s’il risquait grand-chose dans la forêt. En réalité, je suspectais déjà les loups de l’éviter volontairement depuis qu’il avait tué l’un des leurs.

— Bien. Je reviendrai ici, devant le donjon, une ou deux heures avant le coucher du soleil, lui indiquai-je avant de me retourner vers l’entrée du donjon du lac.

— Compris. Je serai là. Ha ha, j’ai hâte.

Friderik partit de son côté tandis que je disparaissais dans le donjon. De retour au camp des géants, je fis immédiatement demi-tour pour me rendre dans le donjon situé à quelque heures de marche de Roram.

— Personne. Pas étonnant, maugréai-je.

Le donjon était perdu dans la nature, j’étais persuadée que personne ne l’avait encore découvert. D’autant que son entrée était tout sauf classique… Même un aventurier aurait considéré ce trou comme un danger naturel plutôt que l’entrée d’un donjon.

Je jetai un œil vers le boss, varan spectral dans sa forêt hantée souterraine. Il flottait là, totalement imperturbable. Comme il ne faisait pas attention à moi, je sortis aussitôt et partit en direction de Roram en courant pour me rendre directement chez mon ami le forgeron.

— Espérons que tout se passe bien. Me fera-t-il confiance ?

Je frappai à la porte. Il ne travaillait pas dehors, à cette heure-là. Pourtant, j’étais certaine qu’il remuait ciel et terre pour gagner l’argent dont il avait besoin…

Personne ne vint ouvrir.

— Ils sont absents… ? m’interrogeai-je.

Je frappai une fois de plus. Il me considérait comme de la famille, mais je n’étais pas assez malpolie pour entrer comme ça chez les gens. D’autant que ce sentiment de culpabilité me hantait toujours. J’avais volé son épée, frappé sa femme et leur avais menti à tous les deux.

Quelque chose clochait vraiment. Pourquoi n’était-il pas là ? Si le forgeron pouvait être absent, Lyrne avait un ventre aussi gros qu’un ballon et je doutais qu’en cette époque médiévale, les femmes enceintes et proches du terme pouvaient partir ainsi de chez elles impunément.

Machinalement, je tentai d’ouvrir la porte. Celle-ci n’était pas verrouillée et bascula lentement, faisant entrer un rai de lumière dans la pièce légèrement poussiéreuse. Au mur brillait toujours l’arme très belle mais sans aucune valeur que le forgeron destinait la vente à son enfant.

— Mais où sont-ils… ? Il ne leur est rien arrivé, j’espère… m’inquiétai-je alors.

Il s’agissait non seulement de mon lieu de chute à Roram, un logement gratuit chez un coupe gentil, mais je leur devais également mon hypocrisie. Je ne pourrais pas supporter de les voir disparaître sans avoir rien fait pour eux.

Soudain, j’entendis un cri, à l’étage. Lyrne hurla.

— M… Merde !

Sans réfléchir, je me jetai en avant et grimpai les escaliers quatre à quatre pour me retrouver dans le couloir de l’étage. Lyrne hurla une fois de plus, encore plus fort. Elle semblait souffrir le martyr.

— Le cri vient de la chambre…

Je m’apprêtais à me jeter en avant et me ruer dans la chambre pour venir à son secours lorsque j’entendis un autre cri.

Celui d’un bébé.

— …Oh. Elle a…

Elle venait d’accoucher ? Le forgeron devait être également dans cette chambre, dans ce cas ! Voilà pourquoi la maison était déserte et silencieuse ? La main posée sur la poignée de porte, je me retins et esquissai un sourire.

Non. Je n’allais pas entrer. Je mourais d’envie de voir son enfant ; je n’allais pas gâcher leur moment en m’introduisant dans la chambre sans y être invitée pour autant.

J’entendis des pleurs, d’homme, de femme, les mots d’une autre femme qui était sans doute une sage-femme appelée pour l’occasion et des rires soulagés.

J’en fus un peu triste, mais ce n’était vraiment pas mon moment. Je n’appartenais pas à cette famille et je n’avais pas le droit de profiter de ce bonheur. Je n’étais que celle qui s’était immiscée dans leur vie sur la base d’un mensonge éhonté, d’un vol, d’une agression.

Je lâchai la poignée et fis doucement demi-tour, un sourire un peu triste sur le visage. Le plancher grinça sous mes pieds, cette fois. L’avait-il fait lorsque j’étais arrivée ? Même si ç’avait été le cas, ils ne l’avaient assurément pas entendu. Mais désormais qu’ils étaient apaisés, comment auraient-ils pu le louper ?

— Qui est là ?

La voix du forgeron résonna depuis la chambre. Je caressai pendant une seconde l’idée de lui répondre et de les rejoindre, de faire partie de cette famille, de… Je secouai rapidement la tête. Je ne pouvais pas les impliquer comme ça dans une traque dont j’étais la proie. Le système me retrouverait un jour, c’était certain. S’il considérait qu’ils m’avaient aidée, qui sait ce qui pourrait leur arriver ? Ils avaient un bébé maintenant, je ne pouvais pas courir de risque.

Je me hâtai de redescendre les escaliers, et le forgeron ne sortit pas de la chambre. De loin, je l’entendis simplement maugréer qu’il s’agissait sans doute du bois du plancher qui travaillait, qu’il n’y avait évidemment personne dans le couloir.

— Maintenant, j’en suis sûre.

Je savais ce que je voulais. J’étais là pour ça à l’origine, mais ce dont je venais d’être témoin m’avait totalement confortée dans mon idée.

Sans perdre une seconde, j’attrapai un petit bout de parchemin et de l’encre qui traînait sur un meuble et écrivit quelques mots, que, je l’espérais, ils comprendraient.

Aussi vite que le vent, je n’étais déjà plus là quelques dizaines de secondes plus tard.

 

***

 

Je courus jusqu’à mon donjon. En arrivant, le soleil se couchait presque. J’avais passé la journée à courir, merci à ma constitution et à mon endurance, qui avaient gagnées 5 points simplement parce que je n’avais pas cessé de gambader malgré la fatigue.

— Je devrais courir plus souvent, réalisai-je.

J’avais choisi de ne pas flotter au-dessus du sol pour ne pas risquer d’exposer mon identité. Et ça avait porté ses fruits d’une façon inattendue mais bienvenue, finalement.

Juste avant d’entrer dans le donjon, je sentis ma peau me gratter et fourmiller de milles démangeaisons.

— Le sort ?

Je reconnaissais cette sensation. Polymorphe humain. Je me jetai dans mon donjon avant de retrouver une apparence rouge et démoniaque. Une fois à l’intérieur, le camp des géants n’était plus qu’à quelques pas.

 

*

— Grorg ?

— Grande déesse. Tu es déjà de retour ? s’étonna-t-il lorsque j’allai le voir.

J’avais laissé entendre que je pourrais être partie pendant longtemps et je revenais sans arrêt, courant à droite et à gauche comme si leur camp était un énorme rond-point aux mille directions. Mais il ne pouvait pas comprendre les choses de cette façon et je ne perdis pas mon temps à le lui expliquer.

— J’ai besoin de toi, une fois de plus.

Et une fois de plus, il hocha la tête sans hésiter et en m’adressant un sourire empli de fierté. Une déesse avait besoin de ses talents, que demander de plus ?

— Demande-moi. Si c’est dans mes capacités, je ferai ce qu’il faut, affirma-t-il.

Je sortis l’épée que j’avais à nouveau volée chez le forgeron et la lui présentai.

— Ce n’est peut-être pas votre spécialité, à vous les géants, mais… pourrais-tu reproduire une arme identique ? Une arme exceptionnelle, qui ferait rêver les hommes et les dieux ?

Il baissa les yeux, puis se saisit de l’épée entre ses deux gros doigts. Il la fit tourner dans tous les sens pour l’observer sous toutes les coutures.

— Cette arme est ridicule, finit-il par avouer, elle ne trancherait pas même mes cheveux. Regarde !

Et pour illustrer ses dires, chose à laquelle je ne m’attendais pas d’un type sérieux comme lui, il attrapa une mèche de ses cheveux et la tendit avant de tenter de la couper à l’aide de cette épée, pas plus grosse qu’un de ses doigts.

Et bien assurément, il avait raison…

— Je le sais, Grorg. Je le sais bien. C’est pour cette raison que je t’ai demandé si tu pouvais la reproduire… de façon correcte. Non, bien plus que correcte, exceptionnelle.

Il réfléchit un instant avant de hocher la tête.

— Nous ne sommes pas des forgerons. Nous nous y connaissons dans l’art de la forge d’outils, bien sûr mais… Eh bien, si tu le veux réellement, je peux appeler quelqu’un, une autre tribu spécialisée dans ce domaine.

— Une… autre tribu ? hésitai-je.

— Pensais-tu que nous étions les seuls géants de ces contrées ? s’étonna-t-il.

— Non !

Il ne fallait pas que je montre mon ignorance. Je m’empressai de nier en riant.

— J’étais étonnée que tu veuilles bien partager la bénédiction de ta déesse avec d’autres, voilà tout, ha ha ha !

Grorg ne se laissa pas distancer et haussa les épaules.

— Tant que tu bénis notre tribu, Grande déesse, qui sommes-nous pour t’imposer notre volonté ? Tu es celle venue d’au-delà des cieux, même si j’ignore la raison de ton choix quant à ce corps si faible… Tu es celle qui peut forcer des géants tels que nous à nous donner la mort volontairement. Tu es celle qui a sauvé notre frère Hohol gravement blessé alors qu’il n’a pas été capable de se sauver lui-même. Nous… Nous sommes de simples mortels.

Il n’avait pas tort. Vu sous cet angle, j’étais effectivement en droit de faire ce que bon me semblait pour la simple et bonne raison que personne ne pouvait m’arrêter. S’il avait su à quel point j’étais faible… à quel point je leur avais menti…

Je me rendis compte que ce mensonge-là ne me posait pas de problème. Après tout, il s’agissait de ma vie. Ma survie, pour être précis. Avant, c’était lié au fait que je ne voulais pas être torturée pendant des années, mais désormais… je ne pouvais plus mourir, tout simplement. Je n’en avais plus le droit.

— Appelle-le, finis-je par conclure.

— Bien. Il devrait être là rapidement. Je vais faire le nécessaire pour ça.

Alors comme ça, il existait d’autres tribus de géants, outre les vignerons ? Quelles étaient leurs spécificités ? Leurs habitudes ? Leurs modes de vie ? Leurs niveaux… ?

Du haut de mon arrogance de Grande déesse, j’étais impatiente de le découvrir.

Raka
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12 thoughts on “DMS : Chapitre 97

  1. J’aime tellement cette série, je ne sais même plus quoi dire…
    Je vais attendre plusieurs semaines avant de me lancer dans theDAB parce que si c’est aussi bien que DMS, ce sera une véritable souffrance que de n’avoir que 2 chapitres par semaine. Merci Raka !

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