DMS : Chapitre 98
DMS : Chapitre 100 Bonus

Chapitre 99 – Le pire donjon du monde ? (9)

 

Pendant plusieurs heures, le géant Arkileos travailla sur l’épée que je venais de lui donner. Il ne voulait et ne pouvait pas en fabriquer une à partir de rien, et avait préféré améliorer l’originale. Tandis qu’il frappait à l’aide de ses poings enflammés sur la lame chauffée à rouge puis à blanc, je ne cessai de m’émerveiller devant tant de maîtrise.

Bon sang, il travaillait le métal à l’aide de ses mains nues.

Les flammes sautaient et mourraient dans la nuit ; c’était un spectacle de toute beauté, vraiment.

Au bout d’une longue et éreintante attente, je le vis revenir vers moi. Les géants vignerons, eux aussi intéressés par le travail de l’un de leur égaux et qui avaient regardé ce denier travailler pendant tout ce temps, se poussèrent pour le laisser passer.

— Grande déesse, l’arme que tu m’as demandée de travailler brille telle mille tempêtes de diamants. Jen n’ai jamais laissé le feu lécher un ouvrage aussi petit et je ne saurais garantir qu’elle sera à ton goût divin mais…

— C’est bon, montre.

Il était reparti dans une prose lyrique. Je lui coupai hâtivement la parole en voyant que l’épée était encore plus belle qu’avant. Sa lame de platine pur était désormais recouverte d’un halo orangé, comme si un feu naissant ondulait sous la surface sans trouver moyen d’en sortir. Le pommeau, quant à lui, était incrusté d’un rubis à dix facettes – je les avait comptées et le tout renvoyait quelque chose de luxueux et de trop puissant pour être manié par des mains de mortels.

[Lame Flamboyante de Blanc-Cristal]

[Arme : Epée longue]

[Rareté : Unique]

[Attaque : 188~220]

[+25~35 dégâts de feu.]

[+30% de chance d’infliger une brûlure profonde lors d’un coup critique.]

[Le travail d’une vie d’un forgeron qui donne tout pour nourrir sa famille, sa femme et son futur fils. Il avait prévu de vendre cette épée aux enchères de Camelot pour offrir un bel héritage à son enfant, sans se rendre compte que la qualité de cette arme ne se situait que dans son aspect. Après avoir été volée et rendue, elle fut offerte aux mains expertes d’un forgeron de génie.]

— C’est devenu une arme unique… Elle était peu commune, constatai-je, maintenant, elle est réellement digne d’être vendue à Camelot. D’ailleurs, son attaque a augmenté et elle frappe même avec des dégâts élémentaires.

Je la fis tourner entre mes mains. Assurément, elle avait toujours le même poids, la même balance parfaite, mais le tranchant de la lame était devenu un monde bien à part. Lorsque je la fis siffler devant moi, une trainée orange jaunâtre la suivit et mourut rapidement comme autant de petites volutes calcinées.

— C’est incroyable ce que tu as pu faire en quelques heures à peine. Le soleil est encore loin de se lever… complimentai-je Arkileos.

Sa capacité spéciale était formidable, elle aussi. Presque une chance sur trois d’infliger une lourde blessure de feu lors d’un coup critique ? Si j’en croyais ce que FeiLong me disait, un coup avait de fortes chances d’être considéré comme critique lorsqu’on frappait un point vital. La gorge, la tête, le cœur, par exemple.

— Si je transperce la gorge d’un monstre et que le feu lui entre dans la gorge, il est mort, c’est sûr.

Mais cette arme n’était pas pour moi. Je reviendrais vers lui plus tard pour ça.

Je levai les yeux vers le forgeron qui venait de créer une arme hors du commun.

— Arkileos, merci. Tu es digne de moi.

Mes mots étaient simples et pourtant je pus voir toute l’émotion que dégageait son regard. Encore un mot de plus et j’allais le faire pleurer, j’en étais sûre. Aussi m’assurai-je qu’il rentre bien chez lui et annonce mon histoire aux siens afin de les préparer à une éventuelle future visite, à la suite de quoi je pris le chemin du donjon, direction Roram.

Entre temps, les explorateurs ne s’aventuraient étrangement pas dans mon donjon aquatique. Avaient-ils peur ? Peut-être avaient-ils eu vent des mésaventures qu’impliquait un petit plongeon. Pourtant, n’allaient-ils pas se forcer à le terminer pour gagner ce bonus de crédits ? Je me dis à ce moment qu’il était possible qu’ils s’en fichent, finalement. Après tout, leur équipement n’était-il pas beaucoup plus important ?

J’arrivai chez le forgeron à la tombée de la nuit. C’était toujours étrange de voir le cycle du soleil et de la lune inversés entre ici et là-bas… Mais je m’y faisais facilement. Lorsque j’aurais besoin de dormir, je n’aurais qu’à entrer dans l’un de mes deux donjons. Je commençais à être persuadée que le système ignorait leur existence. Après tout, n’en avait-il pas tant et plus à gérer en même temps ?

Je frappai à la porte et attendis qu’on vienne m’ouvrir. De toute façon, il savait que j’étais déjà venue puisque je lui avais laissé un mot en lieu et place de l’épée que j’avais emmenée avec moi.

La porte s’ouvrit rapidement et je vis le forgeron me regarder avec des yeux qui racontaient à quel point il était rassuré de me voir revenue. J’imaginais bien qu’il ne me connaissait pas vraiment et que pendant quelques temps, il avait pu envisager que je ne revienne plus jamais, emmenant sa précieuse épée vers une contrée inconnue.

— Wuying ! Tu es de retour !

Et sous forme humaine, s’il vous plait. Non, je n’avais pas oublié, même si j’étais persuadé que j’allais finir par me tromper dans toute cette histoire. Architecte par-ci, Exploratrice par-là… Pour le moment en tout cas, je m’en sortais bien.

— Oui, mon ami. Je suis revenue comme je te l’ai promis. Tu as bien lu mon message ? m’enquis-je.

— Comment aurais-je pu le louper ! Tu l’as planté dans le mur à l’aide d’une dague ! Lorsque je l’ai vu au loin, je pensais qu’il s’agissait d’une demande de rançon !

Il se frappa le front.

— Mais suis-je bête… Wuying ! Il y a plus important ! Lyrne, elle… le bébé… ! Le bébé est né ! Mon fils !

Je fis écho à son ton joyeux par un sourire radieux.

— Je sais. J’ai entendu. Toutes mes félicitations !

Il ne chercha pas à comprendre. Bien entendu, il savait que j’étais venu prendre son épée – qui d’ailleurs n’était toujours pas plus en sécurité que ça, et si ça n’avait pas été moi ?

Il me prit dans ses bras et me fit tournoyer en riant au éclats. Je me sentais mal, j’avais envie de vomir je manquais de sommeil mais je fis de mon mieux pour résister et avoir l’air la plus heureuse possible.

En réalité, je l’étais sincèrement pour lui. Une famille… C’était ce que je n’avais jamais vraiment eu.

— Att… Attends, tentai-je de lui dire.

Il sembla comprendre que j’avais autre chose sur le cœur et me reposa à l’intérieur de la maison.

— Ah… Tu as dit que tu emmenais mon épée et que tu me la ramenais rapidement, mais pourquoi devais-tu faire ça ? Je… Je te fais confiance, Wuying. Après tout, tu es celle qui me l’a ramenée, si tu avais voulu partir avec… tu ne serais jamais revenue.

Sa façon de penser était aussi naïve que le fait de ne pas verrouiller sa porte d’entrée.

— Et si j’avais changé d’avis entre temps ? Je me suis peut-être rendu compte que j’avais fait une belle erreur en te rendant ton épée…

Mes mots lui envoyèrent apparemment un choc électrique bien placé dans le creux du cou, car il s’arrêta net de danser et me libéra pour me regarder d’un air choqué.

— Tu… Mais non, allons, tu es revenue, finit-il par plaisanter.

Effectivement. Naïf à l’extrême. Je ferais mieux de laisser tomber.

— Assieds-toi.

Je ne pouvais pas lui donner son épée, là, debout près de l’entrée. Je ne savais pas comment il allait réagir et je ne voulais pas qu’il tombe et se blesse. J’avais déjà assez fait de mal à sa femme de la sorte même s’il l’ignorait.

Devant mon air sérieux, il alla s’installer sur le banc sur lequel j’avais allongé Lyrne… à ce moment coupable.

Je tirai l’épée de la sacoche magique de Pythagore. Elle brilla et miroita de tant de reflets brûlants que les yeux du forgeron semblèrent sortir de leurs orbites.

— M…Mon épée ? Qu’as-tu fait ?

Il paniqua légèrement. Vu comme ça, on aurait effectivement pu croire qu’elle était abîmée mais il se rassura rapidement.

— C’est… Un enchantement de feu ? Tu as fait enchanter mon épée ? s’étonna-t-il, un enchantement ajouté artificiellement sur une arme, c’est… Te rends-tu compte de la rareté de ce que ça représente ? Je pense qu’une demi-douzaine de personnes en sont capables dans tout le royaume ! Et regarde-moi ça, cette qualité parfaite… Oohhh…

Je secouai la tête en riant.

— Non, haha. Je l’ai confiée à un excellent ami à moi, un forgeron exceptionnel, digne des dieux. Oh, maintenant que tu le dis, peut-être que sa façon de forger enchante les armes ?

Je me mis à réfléchir. Mais finalement, j’avais autre chose à faire que de me poser ce genre de question. Je lui tendis son arme en souriant.

— Celle-là, elle va rendre ton fils riche, crois-moi.

— Mon fils… Mon… ? Wuying ! Viens ! Monte avec moi dans notre chambre ! Je veux te présenter notre fils, à Lyrne et moi ! s’écria-t-il soudain.

Il m’entraîna dans l’escalier sans me demander mon avis. L’épée toujours en main, mes yeux suivaient avec précaution la lame qui filait dans tous les sens. Un instant, elle sifflait devant lui, l’instant d’après, elle dessinait un arc de cercle dans ma direction pour passer au-dessus de ma tête.

Il taillada même le bois d’une marche de l’escalier. La lame y entra comme dans du beurre et y laissa une trace noire ; les braises rougeoyantes entourant la plaie du bois disparurent sous mon pied.

— Eh… Eh ? Tu ne voudrais pas ranger l’épée ? Tu vas foutre le feu à la maison, lui conseillai-je.

Le forgeron sembla réaliser qu’il la tenait toujours en main et s’arrêta en haut des escaliers, le regard braqué sur la lame miroitant de rouge et d’orange, un peu perplexe.

— Oh… Oui, tu as raison.

Il posa l’épée sur un petit guéridon qui traînait dans le couloir en haut de l’escalier et m’obligea à le suivre jusque dans la chambre où se trouvaient Lyrne et le bébé.

Une fois à l’intérieur, elle nous accueillit avec le sourire, son fils parfaitement endormi dans ses bras.

— Lyrne ? Regarde qui est de retour… balbutia le papa heureux.

— Je vois ça, mon amour. Je ne suis pas encore aveugle.

Elle lui adressa le plus large des sourires aimant, mais ne daigna pas poser les yeux sur moi. Je sentis tout à coup que quelque chose n’allait pas. Mon intuition ? Une compétence ou des statistiques ? C’était possible mais quelque chose clochait définitivement.

— Je te présente Alan, mon fils. Maintenant qu’il est né, ce petit trésor… Cette épée que tu as su améliorer alors qu’elle était déjà si parfaite… Je vais pouvoir la vendre.

Il semblait satisfait, presque apaisé. Comme si tout le poids du monde venait de disparaître de ses épaules. Tout prenait forme, le scénario allait finalement se dérouler comme il l’entendait et même encore mieux que ça.

— Le petit Alan, hein ? chuchotai-je, j’espère qu’il deviendra quelqu’un de grand, un homme bon comme son père et attentionné comme sa mère.

— Tes mots me flattent, Wuying. Vraiment. Je l’espère aussi, fit le forgeron en hochant la tête.

Soudain, Lyrne leva à nouveau les yeux de son fils et tout en continuant à sourire comme à son habitude, s’adressa à son mari.

— Dis… Pourrais-tu me laisser seule avec Wuying ? Il y a des choses dont j’aimerais discuter… entre femmes.

— Entre femmes ? Oh… Je vois, comprit le seul homme adulte de la pièce. Évidemment, le bébé n’allait nulle part.

Il se leva et repartit. J’attendis en silence de l’entendre descendre les escaliers en regardant Lyrne bercer le bébé endormi dans ses bras, le sourire aux lèvres et les yeux d’une mère.

Au bout de quelques minutes qui me semblèrent longues comme l’éternité, elle leva la tête et perdit son sourire.

— Pourquoi agis-tu ainsi ? demanda-t-elle soudain.

— P… Pardon ?

Je fus prise au dépourvu. Qu’entendait-elle par-là ?

— Tu fais partie de la famille, tu joues les exploratrices au grand cœur. Tu nous as ramené notre épée, l’héritage de notre fils. Tu… Je ne comprends pas. Explique-toi. Tu es celle qui nous a cambriolés, ce jour-là. Tu m’as frappée !

Elle se souvenait. Putain, elle se souvenait.

Eh merde. C’était beau. C’était trop beau. Je ne vais plus pouvoir revenir à Roram sous peu, je le sens.

— Je… Écoute… En fait, c’est à cause de…

— Non, tais-toi. Finalement, je ne veux pas savoir, me fit-elle tout bas. Je ne te comprends pas. Dois-je vraiment essayer ? Je ne pense pas. Tu t’es jouée de nous, tu nous as mentis, et je ne sais pas qui tu es… J’ai un bébé et je ne peux pas risquer qu’il lui arrive quoi que ce soit. Je t’aimais bien… Je comptais te confondre devant mon mari, tu sais ?

— Quoi ?

Je ne suivais plus du tout ce qu’elle racontait.

— Mais j’ai entendu ce que vous disiez, tout à l’heure. Cette épée, est-elle vraiment aussi formidable qu’il le prétend ? Je ne suis pas idiote, elle a l’air bien meilleure que ce qu’elle était avant, sinon il n’aurait pas crié de joie à ce point. Tu as fait ça pour qu’elle se vendre plus cher, n’est-ce pas ? Alors je te suis de moins en moins.

Elle était froide, presque triste d’avoir à dire ce qu’elle me disait. Mais elle ne s’arrêta pas pour autant. Elle continua tout en regardant son fils, comme pour se donner du courage.

— Je suis totalement perdue lorsque je te regarde. Je ne sais pas qui tu es, ni ce que tu veux. Tu agis de façon si chaotique… Mais par reconnaissance pour cette épée, je ne vais rien lui dire. Je ne veux pas qu’il se sente coupable de t’avoir invitée dans notre maison. Il ne mérite pas ça. Vraiment pas.

— Que veux-tu dire par là ? demandai-je avec appréhension.

— Pars. Pars et ne reviens jamais.

Moi qui étais si heureuse du bonheur que je leur apportais… Je sentis un violent coup de couteau dans le dos.

Un coup de couteau somme toute mérité. Les larmes aux yeux, je n’eus pas la force d’essayer de la convaincre. À vrai dire, je ne croyais pas moi-même que j’en avais le droit.

Je fis demi-tour et quittai la chambre sans un mot de plus. Lyrne ne me regardait déjà plus.

Raka
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9 thoughts on “DMS : Chapitre 99

  1. Merci pour le chapitre. Il faut bien que notre héroïne affronte ses démons de temps à autre. 

    Même si c’est dommage mais je comprends Lyrne.

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