IATM Chapitre 68
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Chapitre 69 : La guerre, toujours la guerre… 7/7

 

« On lance une seconde attaque ? » demanda Aaron Tate, dès le retour de Roan.

Il n’y avait eu du côté de Rins que très peu de pertes, là où le campement d’Istel était réduit à l’état de mer de flammes et où leur Colonel le plus doué, Luther Bale, avait perdu la vie. Un tel succès ne pouvait qu’en appeler un autre, mais Roan secoua la tête.

« Non. L’ennemi est dérouté, mais c’est le moment où jamais de battre en retraite. » répondit-il.

« Comment ? Fuir maintenant, alors qu’on détient un tel avantage ? » s’étonna le Colonel Tate, comme l’intégralité des commandants présents.

Roan, à son habitude, resta parfaitement calme.

Dès que j’en aurai l’occasion, il faudra que je change les gens à la tête de l’armée de Rins.

La plupart des royaumes avaient des forces similaires, et partageaient le système de noblesse et de grades. Ainsi, à Rins comme ailleurs, la très vaste majorité des Colonels étaient des Barons, mais dont les réelles compétences n’avaient rien à voir avec leur grade.

Même à Rins, ils n’ont de Colonel que le nom, exceptions faites d’Aaron Tate et de Philippe Hass… La nature et les aptitudes d’un chef devraient toujours primer sur sa noblesse.

Restait donc à convaincre les autres…

« Les chevaliers ennemis sont déjà sur le pied de guerre, et les mages ont sûrement terminé leurs préparatifs. Nous n’avons ni l’un, ni l’autre. Si on nous attaque, et ce que nous avons gagné jusqu’à présent ne nous sera plus d’aucune utilité. » finit-il par répondre.

Étonnamment, Philippe Hass fut le premier à acquiescer. Les autres s’en tirent au silence, l’air grave à la seule mention des chevaliers et des mages.

« N’oublions pas que c’est aussi Roan qui nous a avertis de leur raid et nous a permis d’organiser la contre-attaque. Je pense qu’il vaut mieux suivre son conseil. » trancha-t-il.

Depuis sa première rencontre, son attitude à l’égard de Roan avait beaucoup changé. C’était un vieux guerrier rompu aux rigueurs du champ de bataille et passée la réserve des premiers temps, il s’était lui aussi laissé convaincre de ses facultés à prendre les bonnes décisions. Ceci venait sans doute du fait que Philippe Hass, au contraire de certains bien-nés, ne cherchait pas jalousement à protéger son titre, préférant s’en remettre à sa seule capacité à diriger.

Il serait parfaitement imbécile d’ignorer ce petit génie par fierté. Je laisse ça à d’autres…

« Bien, ça me semble être la façon de procéder la plus sûre. » assentit à son tour Aaron Tate.

« Alors sonnons la retraite. » opina le Colonel Hass.

« Si je puis me permettre, je suggère d’éloigner d’abord notre infanterie tout en laissant les tentes sur place. » dit Roan après un court moment, afin de s’assurer que personne ne décide soudainement de s’opposer au projet.

« Afin qu’Istel s’imagine que nous occupons encore le camp, je me trompe ? » demanda Philippe Hass, un sourire au visage.

« C’est exactement ça. » répondit Roan, lui aussi affublé d’un sourire.

Finalement, personne n’y trouva rien à redire. Aaron Tate fit appeler le Major Mendel et lui donna l’instruction de transmettre les ordres, tandis que les Colonels des autres régiments les regagnèrent. Roan s’apprêtait lui aussi à sortir quand une main sur son épaule l’invita à rester.

« Roan, j’ai quelque chose à te dire. » lui dit le Colonel Tate, le regard plein d’admiration.

« Je vous écoute… » répondit Roan en s’inclinant, comme il était d’usage en de telles circonstances.

« Tu as repoussé un assaut qui aurait pu être dévastateur, tué le Colonel Luther Bale et réussi un raid avec succès. Ce sont de formidables exploits, et ils ne seront pas oubliés. Tu seras récompensé dès que la guerre sera terminée. »

« Je vous remercie, mon Colonel. » répondit encore Roan en s’inclinant avant, comme l’y invita Tate, de sortir.

Plus le temps passait, plus Aaron Tate s’y attachait, et plus seulement par intérêt pour sa propre carrière. C’était désormais à celle de Roan qu’il pensait.

Je ne veux pas qu’il parte, mais il a tué un Colonel du royaume d’Istel.

Le moins qu’il pouvait faire pour lui était de l’introduire à la noblesse, au minimum au titre de Baron.

Mais pour ça, il va falloir moi aussi que je me batte corps et âme pour gagner cette guerre.

« Mon Colonel, les préparatifs sont terminés. » vint lui annoncer Mendel après un moment.

À ses côtés, les autres Colonels étaient eux aussi revenus. Aaron leur lança un regard discret tandis que Mendel retourna vers le campement.

Je ne leur fais pas assez confiance pour gérer la suite.

La retraite devait mener les régiments vers la région de Nerf, où se trouvaient leurs alliés.

« Le septième régiment restera. Partez en avant. » dit Aaron Tate.

« Oh, vraiment ? »

« C’est une décision qui vous honore, Baron Tate ! »

Leur excitation ne fit que confirmer ses doutes, les couards souhaitaient filer le plus vite possible. Aaron Tate eut un sourire rempli de rancœur.

Roan ferait un bien meilleur Colonel qu’eux…

Les deux hommes sortirent, laissant seuls Philippe Hass et Aaron Tate.

« Je m’en remets à toi, Aaron. » lui dit Philippe Hass, une main sur l’épaule.

« Et je m’en remets à toi, Philippe. » répondit Aaron Tate.

Le Colonel Hass arbora alors le même sourire empreint de mépris, ayant parfaitement compris l’objet de son propos. Ce fut d’ailleurs pour cette raison qu’il fut décidé que Philippe Hass prendrait la tête des opérations. La retraite s’organisa alors dans le plus grand silence possible, et l’obscurité était encore telle que le royaume d’Istel ne pouvait encore se douter de rien.

« Pourvu qu’il n’arrive rien… » soupira Tate.

« Pourquoi arriverait-il quelque chose ? » demanda Mendel, à ses côtés.

« C’est vrai. Le Colonel Hass les dirige, tout devrait bien aller. » répondit Roan.

Aaron Tate lui adressa un sourire gêné, auquel Roan répondit de la même manière. Ni lui ni Mendel ne comprirent l’objet de son propos, et pour cause, comment pouvaient-ils s’imaginer ce qui les attendait…

 


 

À l’aube, ce fut au tour du septième régiment de partir. Roan, au milieu du campement presque vide, eut une idée alors qu’il s’étirait.

« On devrait peut-être faire un feu. La fumée ôtera tout doute. »

« Oh, bonne idée. » répondit le Colonel Tate.

Et ainsi, plusieurs feux furent dressés, au dessus desquels on plaça des branchages humides pour produire un maximum de fumée.

« Bien, ça devrait être suffisant, se satisfit Roan. Maintenant, il faut placer des épouvantails aux abords du campement. »

« Oui, ils risquent de se poser des questions s’ils ne voient pas de gardes. »

Armés de lances et d’armures de mauvaise facture, les hommes de paille furent disposés de sorte à être visibles de loin, sans pour autant risquer d’être découverts, ce qui risquerait de donner l’alerte aux soldats d’Istel.

« Il faut y aller, maintenant. » dit Aaron Tate.

Le campement d’Istel semblait être à nouveau sous contrôle. Roan, aidé de la Larme de Kalian, lança un regard vers leur position.

Ils se préparent déjà à attaquer. Il n’y a plus une seconde à perdre.

« Oui, il faut faire vite, mais en silence. » opina Roan.

Les derniers cavaliers restants s’éloignèrent du campement de Rins en quelques instants, les sabots de leur montures recouverts de tissu afin d’en étouffer le bruit. De loin, ils se rendirent effectivement compte que leur position semblait toujours occupée.

 


 

« Il est temps de leur rendre au centuple ce qu’ils nous ont infligé ! » cria de toutes ses forces le Colonel et Baron Wett Landel, du royaume d’Istel.

« Ouaiiis ! » répondirent d’une même voix ses soldats, revigorés en dépit de la fatigue.

« Chargez ! » hurla encore Wett Landel, l’épée fièrement dressée.

Tous partirent à sa suite, au même rythme soutenu. Le Colonel Landel était comme possédé.

Maintenant que Luther est hors course, je n’ai plus qu’à réussir.

S’il gagnait ce combat, tous prendraient enfin conscience de sa valeur, et il obtiendrait la moitié du territoire saisi. À la tête d’une large armée, il traversa les plaines et vit se dessiner les contours du camp ennemi.

« Trouillards de Rins ! Sortez vous battre ! » lança-t-il à l’intention des gardes en poste.

Les affronter dans leur campement était trop risqué. C’était dans l’espoir d’une confrontation en terrain ouvert qu’il tentait de les provoquer, mais même aidé des cris de ses soldats, aucune réponse ne lui parvint.

Ça me semble pas normal…

Ils auraient tout au moins dû recevoir une nuée de flèches, comme il était d’usage en de telles circonstances. Fort de 10000 soldats, Wett Landel s’était lancé avec une totale assurance vers sa victoire. Pourtant, le malaise commença à le gagner.

« Il y a quelque chose qui cloche, non ? » lui demanda le Major Arr, son second.

« Sans le moindre doute… » répondit le Colonel Landel.

Le Major Arr pointa alors du doigt les gardes en poste aux alentours des barricades.

« Même eux, ils ne bougent pas… » dit-il.

« Hmm… Archers ! Préparez-vous ! »

Les archers avancèrent rapidement jusqu’à une position satisfaisante. En position, ils attendirent le signal.

« Feu !!! »

Un nuage de flèches sans pitié vint s’abattre sur les gardes. Évidemment, ils ne bougèrent toujours pas.

« Foutre Dieu ! C’est pas un truc qui cloche, c’est un bordel organisé ! » vociféra Wett Landel.

Furieux, il partit seul au galop vers le camp. Malgré sa surprise, le Major Arr donna immédiatement l’ordre aux cavaliers de le suivre de près. Le Colonel ignora jusqu’au bon sens et s’enfonça profondément dans le campement, avant de s’arrêter net, l’air désespéré.

« Ils nous ont roulés… » maugréa-t-il à demi mot.

Tout avait été organisé de sorte à les induire en erreur, et de toute évidence avec succès. Le Major Arr découvrit, au milieu des brasiers, un parchemin de tissu, qu’il vint aussitôt apporter à son chef.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-il.

« Lisez… » lui répondit d’un ton grave Arr.

« Bon travail, surtout, ne vous privez pas, les foyers doivent encore être chauds. Ils… Ils se foutent de nous, en plus ?! »

De sa vie, le Baron Wett Landel ne s’était jamais senti aussi humilié qu’en ce jour. Rejetant le parchemin dans les flammes, il tourna son regard vers l’ouest et fit le souhait de leur faire regretter leur impudence.

« Ils le paieront de leur vie ! »

 


 

Après avoir traversé la région de Bink, ils arrivèrent aux abords de celle de Nerf.

Je vois leur campement…

Aaron Tate pointa du doigt la place forte à flanc de montagne. Rien qu’à en voir l’emplacement, il était évident qu’il n’avait pas été placé dans un but stratégique. Tate ne put s’empêcher d’exprimer son agacement d’un soupir, tout comme Roan.

Il est beaucoup trop ambitieux pour un tel couard…

Combien de fois Benjamin Doyle avait-il failli mener Rins à sa perte ?

Il faudra que je m’occupe de son cas…

Toutefois, en tant que simple Commandant en second d’un bataillon, Roan restait pieds et poings liés.

Je dois saisir la moindre opportunité. Pour le royaume de Rins et pour moi-même, je dois le faire sortir du tableau. Ça ne devrait pas être trop compliqué, il fait bien assez d’erreurs pour ça…

Face aux soldats qui gardaient l’entrée du campement, Le Colonel Aaron Tate se présenta et entra aux côtés de Roan, sous les encouragements.

« Votre statégie était formidable ! »

« Vive le septième régiment ! »

Les nouvelles avaient été vite. Les soldats du septième régiment se gargarisèrent de ces éloges, gonflant le buste tandis qu’ils progressaient. C’est alors que du fond du campement vint un groupe, composé de Colonels, Majors et surtout de Benjamin Doyle. Aaron Tate et Roan descendirent de leurs montures et s’inclinèrent.

« Mais je vous en prie, relevez-vous, Colonel Tate ! » l’enjoignit Doyle, un large sourire au visage.

Rien au monde n’était plus faux que ce sourire. Toutes ses entrailles le maudissaient.

Si j’avais su qu’Istel était si faible, j’aurais dressé une campagne à Bink…

Il ajouta : « Le Colonel Hass m’a remis son rapport, vous avez très bien combattu. »

Aaron Tate, étonné mais se gardant bien de le montrer, lança un regard à Philippe Hass. En réponse et tout aussi discrètement, celui-ci lui fit un geste de la main en secouant la tête. Il n’y était pour rien.

« Mais vous avez fait une erreur, Colonel Tate. Pourquoi n’avez-vous pas repoussé plus loin les soldats d’Istel alors que la victoire vous appartenait ? » lui demanda Benjamin Doyle.

« Eh bien, parce que… » commença Tate.

« C’est fort regrettable, le coupa-t-il, vous avez manqué une occasion. Enfin, je vais prendre le commandement des opérations et intercepter leur armée. »

Aaron Tate ne répondit rien.

Il nous méprise… Mon pauvre Philippe, dans quelle galère nous sommes-nous fourrés ?

Les deux autres Colonels étaient, de toute évidence, sous son charme.

Pauvres cons, riez à tout ce qu’il raconte…

« Où en étais-je… Ah, oui. Vous êtes très certainement fatigué, après un tel exploit et une si brillante retraite vers notre position. »

Doyle lui posa la main sur l’épaule et reprit, d’un air condescendant : « Inutile de prétendre le contraire, je le vois à vos yeux. J’ai de toute manière décidé de vous exclure du prochain combat, restez ici. »

« Mais… » balbutia Aaron Tate, les sourcils froncés.

« Mais quoi ? Le septième régiment reste ici, vous finirez les soldats d’Istel dès qu’ils s’approcheront d’ici. » lui répondit Benjamin, qui malgré son sourire arbora une expression sévère.

Il comptait lui rafler tous les honneurs et lui laisser les morceaux restants, comme à un chien. Il le toisa d’une expression pleine de mépris.

Tu en as déjà bien assez fait comme ça, connard… La victoire doit me revenir, Tate.

S’il en avait eu la possibilité, Benjamin Doyle l’aurait tué de ses propres mains. Il valait mieux pour l’heure continuer à l’utiliser. Voilà tout ce qu’il avait gagné à se rapprocher de Reil Baker.

« J’aimerais vous demander… » commença Aaron Tate.

Sans même considérer son propos, Benjamin Doyle s’éloigna vers sa tente, en compagnie des Majors et des deux incapables Colonels.

« Colonel Tate, ça ne sert à rien de s’énerver. J’ai essayé de m’exprimer, mais les deux autres ont tellement bavé que… » lâcha Philippe Hass.

« Laisse, tu n’as rien fait de mal. » lui répondit Tate.

Ils se sourirent et Philippe Hass s’éloigna vers la position du cortège où il savait être attendu.

« Pfff… C’est injuste. » soupira Tate, seul avec Roan.

Ce n’était pas la course à la gloire qui l’animait, mais malgré tout, on venait de lui voler le fruit de ses accomplissements. Roan tapota du pied par terre.

« Ça ne sert à rien de t’énerver, Roan. C’est foutu. »

« Bien au contraire. » répondit l’intéressé d’un ton calme, un léger sourire au visage.

Surpris, Aaron le regarda droit dans les yeux, dans l’attente d’une explication.

« C’est à nous que reviendra l’honneur de mettre fin à ce conflit. » lui chuchota Roan, peu désireux d’être entendu.

Nostra
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12 thoughts on “IATM Chapitre 69

  1. « Foutre Dieu ! C’est pas un truc qui cloche, c’est un bordel organisé ! »

    Juste j’adore le choix des mots !!! :,)

    Merci beaucoup pour cet excellent chapitre !^^

      1. Surtout que dans la VA, certains paragraphes ressemblent plus au résultat d’une partie de Scrabble qu’à de vraies phrases. Respect.

  2. Merci pour le chapitre. Il y a toujours de sacrés cons dans les haut gradés de l’armée, mais visiblement celui-ci l’est plus que les autres.

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