MoL : Chapitre 101

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Chapitre 101 — L’échange

 

Cyoria brûlait. De nombreux bâtiment importants avaient été rasés par l’échange d’artillerie initial, et de plusieurs parties de la ville montaient des flammes intelligentes qui cherchaient à incinérer le plus de terrain possible. Les soldats ennemis n’aidaient en rien, mettant le feu où ils le pouvaient également à défaut d’être arrêtés par des défenseurs de la ville.

Malgré ça, Zorian sentait que la situation était plutôt bonne. En se basant sur tous les scénarios précédents qu’il avait vécus pendant des années, il s’était attendu à ce que la ville souffrît bien plus que ça. Les dirigeants de Cyoria furent extrêmement rapides dans leur réaction et organisation, alors même que l’hôtel de ville et les baraquements principaux avaient été totalement détruits relativement tôt dans l’affrontement, et les forces de défense étaient bien mieux équipées que ce dont il se souvenait. Il s’agissait partiellement là du résultat des machinations de Zach et Zorian ; il semblait que malgré l’accord des deux camps de garder les choses secrètes, une certaine conscience de ce qu’il se passait s’était lentement développée parmi les autorités de la ville.

C’était bien. Zach et Zorian avaient de plus importantes batailles à mener et ne pouvaient pas se permettre de venir en aide aux quatre coins de la ville. Celle-ci était livrée à elle-même dans la lutte contre le feu avant que les foyers ne fussent hors de contrôle, ainsi que pour repousser les envahisseurs qui sortaient sans fin des tunnels montant du Donjon.

Était-ce cruel de leur part de laisser la ville se débrouiller pour le meilleur et pour le pire ? Un peu. Cependant, Zorian croyait fermement que ce qu’ils faisaient s’avérait être le meilleur moyen de minimiser les dégâts de ce combat. S’impliquer dans chaque altercation forcerait sans aucun doute Quatach-Ichl et quelques autres haut-gradés ennemis à faire leur apparition, et il n’était pas dans l’intérêt de Cyoria à ce moment précis de voir une bande de mage ultra-puissants commencer à massacrer à tour de bras dans les rues de la ville.

Non, il était bien plus pertinent de passer à l’offensive directement contre l’envahisseur afin de forcer les combats catastrophiquement dangereux à se dérouler ailleurs. Quelque part où ils n’auraient pas à s’inquiéter des dégâts collatéraux.

C’était pourquoi un des simulacres de Zorian dirigeait une armée composée de golems, les recrues d’Alanic, et des monstres qu’il contrôlait mentalement, pour se diriger directement vers la base souterraine des Ibasiens, à l’endroit où se trouvait le portail dimensionnel par lequel les forces ibasiennes prétendaient se retirer une fois leurs buts atteints, et qui devait donc être protégée à tout prix.

Aussi, au moment où les envahisseurs réalisèrent qu’un puissant bataillon marchait en direction de leur porte de sortie, ils n’eurent d’autre choix que de rediriger la plupart de leurs forces afin de l’arrêter. Les défenseurs en surface ne le réalisaient probablement pas, mais ils ne combattaient qu’une infime partie des forces ennemies, parce que la plupart était désormais occupée à combattre Zorian et ses soldats dans les tunnels en-dessous.

Enfin… Zorian était lui aussi occupé, et il était plus juste de dire qu’ils combattaient son simulacre, mais pour le coup, ça n’avait pas vraiment d’importance. Zorian et ses simulacres ne faisaient qu’un, fusionnés à un niveau sans précédent dans le monde de la magie. Il n’était plus un homme possédant quelques copies qui couraient alentour, mais un seul homme possédant plusieurs esprits, qui allaient un jour se rejoindre. C’était là le point culminant de toutes ses recherches sur les rats et l’hydre, et c’était la première fois qu’il osait mettre en pratique les résultats de ces études. Il avait toujours été effrayé par la possibilité qu’un tel niveau de fusion spirituelle finît par corrompre son égo, lui faire perdre conscience de qui il était vraiment, spécialement s’il l’utilisait de façon régulière… mais une situation désespérée demandait des mesures désespérées.

Il serait sans doute acceptable de ne l’utiliser qu’une seule fois.

Il l’espérait.

Actuellement, le simulacre avançait, confiant, vers la masse d’ennemis qui bloquait l’entrée du tunnel proche, ne les laissant pas l’intimider le moins du monde par leur tentative de blocage. Son armée, composée de plusieurs centaines de golems de diverses tailles, presque une centaine de mages fournis par Alanic pour alimenter leur effort de guerre, et plusieurs centaines de gobelins et autres habitants du Donjon, le collait de très près, en attende d’ordres.

Une paire de projectiles brillants, l’un rouge, l’autre bleu, arrivèrent dans sa direction depuis la barricade ennemie. Ils étaient si lumineux qu’ils en faisaient mal aux yeux, et leur vol créait un sifflement strident qui n’épargnait pas les oreilles non plus. Zorian ne daigna pas même se défendre ; ce serait un gâchis de son mana limité. L’énorme garde du corps – un golem – qui ne quittait jamais son entourage immédiat leva ses mains massives devant Zoiran et abattit les sorts en approche d’une claque violente, comme deux mouches trop ennuyeuses.

Tout ça sans se faire égratigner, bien sûr.

Sans dire un mot, et avant que l’explosion qui s’ensuivit eût le temps de s’évanouir, Zorian pointa l’énorme fusil magique qu’il tenait dans les mains en direction du mage qui lui avait tiré dessus, et fit feu. La balle partit à une vitesse supersonique, perçant sans effort leur petite barrière magique, et toucha le mage ennemi au milieu du torse avant qu’il ne pût ériger la moindre défense personnelle. Ce n’était pas un coup fatal, mais il allait être hors-jeu pour un avenir certain, et ce n’était guère différent. Zorian tourna froidement son arme vers l’autre mage responsable de l’attaque, ignora le barrage de sorts arrivant dans sa direction et les tentatives frénétiques de sa cible pour lancer le plus grand nombre de sorts défensifs possible.

Plus d’une dizaine de golems se tournèrent eux aussi vers la cible de leur maître, pointant leur propres armes lourdes dans un mouvement unique synchronisé.

Le bouclier du mage bloqua les cinq premières balles. Les dix suivantes déchirèrent ses muscles et broyèrent ses os, sans pitié, le tuant sur le coup.

Quant au barrage de faibles sorts destiné à le distraire, il fut bloqué sans cérémonie par quelques golems bien bâtis qui s’interposèrent à cette fin, encaissant le tout de leurs corps solides et leurs défenses magiques hors du commun.

Zorian envoya une pensée fugace, et une nuée hurlante de gobelins, mille-pattes géants et autres lézards des grottes surgirent de l’arrière pour charger en direction de la position ennemie. Les forces en défense y répondirent en envoyant des hordes de squelettes et de zombies, et les deux groupes de soldats à sacrifier s’écrasèrent l’un contre l’autre au milieu du champ de bataille, l’un tentant de surpasser l’autre.

Cependant, il devint rapidement évident que les morts-vivants perdaient. Ils ne connaissaient certes pas la peur, mais ils étaient ultimement des créatures dénuées d’esprit. La horde de monstres de Zorian, d’un autre côté, était plus avancée qu’il n’y paraissait. Ce n’était pas la première fois que Zorian utilisait la magie mentale pour contrôler des monstres et s’en servir de boucliers vivants et de soldats de choc, et ses méthodes avaient grandement évolué avec le temps. Ses troupes ne chargeaient plus sans réfléchir, se marchant dessus et se moquant de leur voisin le plus proche, éparpillant leurs attaques sur le champ de bataille complet, comme par le passé. Maintenant, ils travaillaient ensemble comme l’essaim de rats, partageant leurs sens, concentrant leurs attaques sur les points faibles que cette pseudo-colonie découvrait, se jetant à plusieurs sur un même ennemi et se sacrifiant pour le plus grand bien de l’ensemble si nécessaire.

Soudain, Zorian sentit dix signatures, esprit et âme combinés, se déplacer rapidement vers eux de toutes les directions, entités creusant la roche comme les menaces invisibles qu’elles étaient, en direction de l’arrière de son armée.

Des Vers de Roche. Zorian pouffa intérieurement et ordonna au reste de ses troupes d’avancer. Les golems obéirent sans attendre, bien sûr, mais certains des mages d’Alanic hésitèrent à suivre cette commande mentale inopinée, toujours peu habitués à cette forme de communication et un peu apeuré par ce mage mental si puissant. Ils finirent par obéir, cela dit, et c’était tout ce qui comptait. Il avait évité de les utiliser jusqu’à présent, à la fois parce qu’il cherchait à préserver leurs forces pour un combat qui importerait vraiment et parce qu’il était toujours mal à l’aise lorsqu’il s’agissait de donner des ordres de combat à des humains pensants, certains d’entre eux allant droit vers leur mort. Contrairement aux golems sans conscience et aux monstres d’un niveau animal qui composaient le reste de son armée, les mages humains étaient des soldats et ne pouvaient être sacrifiés.

Les Ibasiens en face d’eux envoyèrent des Trolls de guerre à la charge, dans l’espoir probable de capitaliser sur le moment de choc que les Vers de Roche n’allaient pas manquer de créer en surgissant du sol en l’explosant. Ce qui n’arriverait pas, évidemment. La sorcière devait avoir informé Jornak des compétences psychiques de Zorian, mais soit l’information n’avait pas percuté dans l’esprit des commandants des troupes, ou ces derniers l’avaient jugée ridicule. Dans le cas contraire, ils n’auraient jamais tenté une telle tactique contre lui.

Tout se passa en quelques secondes. La ligne de Trolls de guerre n’était qu’à quelques pas de l’impact avec les golems, parfaitement synchronisés avec les Vers de Roche, sur le point d’émerger au milieu de l’armée de Zorian. Quiconque commandait cette manœuvre savait vraiment comment coordonner les choses pour infliger un maximum de dégâts et de confusion à l’ennemi, et Zorian pouvait littéralement sentir l’anticipation et l’excitation suinter des Ibasiens qui attendaient de profiter du spectacle en retenant leur souffle…

…et Zorian tendit tout à coup dix sondes mentales, en direction des dix Vers en approche, déchirant totalement les protections mentales placées autour de leurs esprits par les mages ibasiens comme si elles n’étaient pas plus solides que de vulgaires toiles d’araignées, et leur ordonna de changer de cible.

Et bien sûr, les Vers s’exécutèrent à la lettre. Juste avant que les golems et les Trolls de guerre ne se percutassent, huit des Vers surgirent du plafond et du sol pour abattre les huit plus gros et menaçants Trolls, mettant fin à leur élan. Lorsque les deux groupes se rencontrèrent, le régiment de Trolls fut immédiatement mis à mal par l’avancée des golems de métal. Plus solides que l’acier et armés de lames d’une température extrême spécialement pensée pour neutraliser la régénération des Trolls, les golems n’avaient aucun problème, et n’en auraient pas eu, même sans l’aide de leurs nouveaux alliés invertébrés et bouffeurs de pierre. Et ces derniers s’occupant des chefs des Trolls, le reste de la ligne de front ne savait plus comment se battre. Les Trolls n’avaient aucune chance.

Zorian continua d’avancer. En fait, il n’avait jamais arrêté. Comme il approchait du combat entre les golems et les Trolls de guerre, l’un des commandants de ces derniers tituba non loin de lui, un Ver de Roche effrontément enroulé autour de lui comme un serpent géant. Le Ver refermait sa mâchoire, encore et encore, autour du visage du Troll pendant que celui-ci utilisait ses mains pour tenter en vain de le tenir à distance. Zorian émit une commande destinée à son garde du corps, et la poupée métallique abattit l’une de ses gigantesques mains, attrapa le Troll par la jambe gauche et le souleva dans les airs.

Le Ver lâcha immédiatement sa proie et trouva une autre cible à harceler, tandis que le golem faisait tournoyer son nouveau jouet dans les airs. Finalement, il le balança en direction de la barricade ibasienne, sur laquelle il alla s’écraser comme un poids mort.

L’attaque n’aurait normalement pas été très efficace, mais les Ibasiens étaient légèrement occupés à ce moment. Les deux derniers Vers que Zorian avaient recrutés avaient été dirigés vers les mages jadis responsables de leur contrôle. De plus, la horde de monstres de Zorian avait quasiment fini de démembre le cheptel de morts-vivants envoyé pour les arrêter et attaquaient déjà tous les points faibles de la barricade afin de passer à travers. Aussi, les Ibasiens ne purent qu’observer leur propre Troll de guerre, immense même pour un Trolls et enfermé dans une armure d’acier trempé, virevolter dans les airs et s’écraser physiquement sur le cube de pierre qui tenait lieu du cœur des barrières de défense de la barrière.

Le cube éclata en plusieurs centaines de morceaux et la protection couvrant les fortifications disparut avec lui. Sans perdre son élan, Zorian attrapa l’énorme lance-grenades qu’il portait dans le dos et tira trois grenades de gel directement sur le groupe le plus dense de mages ibasiens qu’il pouvait voir. À peine quelques secondes plus tard, ses soldats humains se joignirent au mouvement, peu enclins de laisser une telle opportunité s’enfuir. Des vagues d’énergie, de sorts, de balles, de grenades et d’autres projectiles moins identifiables se mirent à pleuvoir sur les Ibasiens.

Démoralisés par leurs échecs répétés, les forces ennemies abandonnèrent leur barricade et s’enfuirent. Zorian fut sur le point d’ordonner à ses troupes de les poursuivre et de trancher dans leurs rangs lorsqu’une image spectrale se matérialisa dans les airs, en face de lui.

C’était un humanoïde portant une robe d’un rouge vif, le visage enfoui sous un épais voile de ténèbres.

Même après s’être révélé à eux, Jornak utilisait toujours ce déguisement pour lui faire face.

— Tu n’as rien révélé de tes capacités, lorsque nous avons combattu, dit-il en bloquant une volée de balles des soldats de Zorian tout en tirant un arc électrique dans leur direction.

L’éclair toucha immédiatement la première cible, la tuant sur le coup, avant de bondir d’une cible à l’autre, cinq fois de plus, réclamant trois vies et handicapant les deux qui restaient. Zorian leur ordonna immédiatement de battre en retraite. Ils pouvaient servir de distraction temporaire, mais ils devraient mourir pur ça, et c’était la dernière chose qu’i désirait.

Celui qui venait d’apparaître en face de lui n’était qu’un simulacre, de toute façon, et ils n’accompliraient pas grand-chose en le mettant à terre.

— Nous avons tous deux fait de même, répondit calmement Zorian en tirant deux fois avec son fusil dans sa direction, deux projectiles que Jornak bloqua aussi facilement que les précédentes, totalement serein – était-ce un bouclier spécialisé dans la défense contre des attaquer physiques ? Il n’y a rien d’étrange dans notre comportement, ou bien ?

— Je déteste vraiment tout ça, commenta Jornak. Ces armes ont causé tant de souffrances et de rancunes. J’aurais aimé qu’elles n’eussent jamais été inventées. Je n’en utiliserai très assurément pas, à moins de ne pas avoir le choix. Je crois que Zach ressens la même chose. C’est ce qui me surprend, et c’est ce qui m’a surpris la première fois que nous nous sommes battus. D’un certain côté, tu manques bien plus d’honneur que moi.

Zorian n’était pas d’humeur à se faire sermonner par un type comme lui, aussi intima-t-il simplement à ses golems de l’attaquer tout en se préparant à lancer un sort. Il ne pensait pas vraiment qu’il s’agît d’une discussion philosophique dans tous les cas – Jornak tentait seulement de faire traîner les choses avec Zorian en lançant un débat stérile pour donner à ses forces le temps de se ressaisir.

Presque en même temps, tous deux accélérèrent dans le but de prendre l’autre par surprise et relâchèrent leurs sorts. Le mur du tunnel fondit instantanément, se tordit d’une manière étrange, et éclata. Les adversaires en sortirent indemnes, et une onde de choc issue de l’impact entre ces deux puissances se propagea jusqu’à l’endroit où était stationnée l’armée humaine de Zorian, les convaincant de reculer encore plus.

Zorian fronça les sourcils, et observa ce type en fac de lui. Pour dire vrai, il avait su que quelque chose comme ça allait se produire au moment où il avait décidé de lancer cet assaut. Il aurait été beaucoup plus inquiet si personne ne s’était pointé pour l’arrêter, puisqu’il arrivait à proximité de la base ibasienne. Ses ennemis devaient le stopper avant qu’il ne pût fermer le portail. Sans lui, l’invasion était morte dans l’œuf.

Le souci étant que l’original combattait déjà ailleurs, et que ce combat était bien plus important que le sien. C’était également la raison pour laquelle la seule vraie opposition que les envahisseurs lui avaient envoyée n’était que l’un des simulacres de Jornak – ils étaient déjà très occupés ailleurs et ne pouvaient pas sacrifier qui que ce fût d’autre pour cette tâche.

En vérité, toute cette opération était en quelque sorte une distraction gigantesque. Il n’avait jamais vraiment cru être capable de prendre la base ibasienne. Son premier but en venant là était de faire diminuer la pression sur la ville et de menacer les Ibasiens au point qu’ils se sentissent forcés d’envoyer un simulacre, leur faisant ainsi gaspiller un précieux mana. Et c’était déjà un succès. À ce moment, le simulacre de Zorian avait déjà rempli son rôle : il faisait traîner le combat en long pour forcer Jornak à utiliser de plus en plus de mana, pour l’empêcher de s’en servir ailleurs.

Et il pouvait continuer ainsi, le simulacre ennemi apparemment peu enclin à faire diminuer sa consommation de mana.

Ou alors… il pouvait prendre un risque et tenter d’éliminer le simulacre pour de bon – un résultat qui forcerait l’ennemi à attribuer encore plus de ressources à ce conflit particulier, mais avait de grandes chances de lui exploser au visage si lui-même se faisait détruire. Toutes les recrues humaines qui le suivaient mourraient peu après lui, et les Ibasiens seraient à nouveau libres de concentrer leurs efforts sur la ville, à la surface.

L’indécision ne dura qu’une éphémère seconde. Il ordonna rapidement à son armée de golems de se mettre en mouvement et créa une armée de petits projectiles autour de lui. Chacun d’eux était plus petit qu’un de ses doigts, brillant d’une vive lumière orange, et le tout formait un nuage qui orbitait autour de lui comme une rivière d’étoiles.

La réaction de Jornak face à la petite armée de golems surprit Zorian, cela dit. Plutôt que de s’enfuir à l’aide de la magie ou d’utiliser une vaste quantité de mana pour les bombarder de sorts, il se contenta de… les frapper. Le simulacre de Jornak était clairement spécial, et Zorian ne comprenait pas de quelle façon, parce qu’il possédait une puissance physique incomparable. Ses simples coups de poings envoyaient des golems de taille humaine voler comme des poupées de paille, et un coup de pied bien placé pouvait aisément déboîter une jointure au niveau du genou et handicaper sévèrement un golem.

Pire, le simulacre ectoplasmique semblait capable de régénérer son corps spectral en ne fournissant qu’un effort minimal. Par deux fois, Zorian parvint à l’endommager sévèrement, explosant son bras la première fois et perçant un énorme trou dans son torse la deuxième, et dans les deux cas, les dégâts disparurent en quelques secondes.

Zorian ordonna à son garde du corps de joindre la mêlée, espérant utiliser sa taille et ses puissantes barrières protectrices pour simplement surclasser Jornak en termes de puissance physique, mais ce choix se retourna contre lui. Jornak sortit trois grenades de sa poche et les lança au-dessus de sa tête avant de se téléporter hors d’atteinte du golem. Avant que Zorian pût lui ordonner de reculer, les explosifs détonèrent sans le moindre son. Une toile de micro-fractures dimensionnelles clignotèrent dans les airs, l’espace lui-même s’effondrant légèrement face à cette blessure. Ceci faisant, cette dernière enveloppa le golem.

Aussi avancées que pussent être les défenses du golem, peu de choses pouvaient prétendre faire face à des fractures dimensionnelles. Elles se propagèrent jusqu’au cœur du golem sans vraie résistance, éclatant son centre de mobilité et le découpant en centaines de petits morceaux.

Zorian ne put que regarder, impuissant, sa création, celle qui devait s’avérer cruciale dans son avancée, être anéantie devant ses yeux.

Ok. Maintenant, il était en colère.

Il lança toutes les étoiles flamboyantes qui cerclaient autour de lui, directement vers le simulacre de Jornak, le forçant à se mettre en position de défense, et le chargea aussitôt, physiquement. L’ennemi hésita, l’espace d’une seconde, se demandant sans doute ce qui venait bien de posséder Zorian pour faire un truc aussi stupide, avant de décider que c’était une trop belle chance et qu’il ne fallait pas la laisser passer. Il chargea lui de même, afin de rencontrer Zorian face à face. Il était évidemment bien plus puissant, au corps-à-corps, que le simulacre de Zorian.

Juste avant que l’un ne percutât l’autre, le corps de Jornak tout entier s’enveloppa d’une couverture électrique rouge, qui rappela à Zorian le sort favori de la liche. Dans un mouvement éclair, la main de Jornak se lança en avant et frappa le simulacre de Zorian, droit dans le torse. Bien qu’il fût fait de métaux traités et de matériaux alchimiques puissants, son corps n’offrit que très peu de résistance face à cette main ectoplasmique, qui le traversa comme une lame acérée. Les éclairs rouges se propagèrent immédiatement dans la cavité maintenant présente au milieu du torse du simulacre, endommageant de façon irréparables certains de ses composants essentiels.

Zorian ignora les dégâts. Il attrapa le bras devant son torse des deux mains. Réalisant que quelque chose n’allait pas, le simulacre de Jornak tenta d’arracher ce bras à l’emprise de Zorian, mais ne fut pas assez rapide, cette fois. Des centaines de filins de mana sortirent des paumes de Zorian, s’enfonçant profondément dans la chair ectoplasmique de Jornak.

Celui-ci frémit, puis tenta de gigoter, de bouger, mais échoua à échapper à Zorian. Alors même que le torse de ce dernier commençait à se décomposer, des morceaux internes en sortant sous la forme d’un fin sable noir, la forme de Jornak se floutait également, devenant moins distincte. De plus, la dégradation du simulacre de Jornak progressait clairement plus rapidement que la désintégration du corps métallique de celui de Zorian, de plus en plus de fils de mana s’introduisant dans le corps de Robe Rouge, perturbant cette incarnation à un niveau fondamental.

— Toi… grinça celui-ci sans y croire, avant de voir son corps, sa robe et tout ce qui allait avec, se tordre et disparaître comme une illusion mal faite, pour finir en un nuage de fumée.

Mais le propre corps du simulacre de Zorian s’effondra également au sol, maintenant que cette main ne lui permettait plus de tenir debout. Ses organes artificiels étaient bien trop ruinés pour qu’il pût bouger le moindre membre, et la seule chose qu’il était encore capable de mouvoir s’arrêtait au niveau de son cou.

Au bout d’un moment un soldat humain décida de venir vérifier pourquoi tout était devenu si calme de ce côté, et approcha avec prudence.

— Hé, l’appela soudain Zorian, au sol, où son corps gisait, inerte ; quelques soldats se regardèrent avec curiosité, avant que le plus proche, celui qui était venu voir de quoi il retournait, pointât un doigt vers lui-même. Oui, toi, le barbu. Coupe-moi la tête.

— Je vous demande pardon ? bégaya l’homme, choqué.

— Je ne peux plus bouger mon corps, qui n’est plus qu’un poids mort, maintenant. Malheureusement, aucun de mes golems n’est vraiment doué pour les travaux exigeant de la dextérité, alors il va falloir que tu me coupes la tête toi-même, et que tu m’emmènes avec toi. Tu seras désormais mon porteur de tête officiel.

Le soldat regarda le corps, et sur son visage passa une ribambelle d’expressions. Il finit par soupirer.

— J’ai pas signé pour ça, grommela-t-il en approchant.

 

___

 

En même temps, pendant que Zorian combattait dans les tunnels sous Cyoria, il était également à Koth, où il préparait l’attaque de la base des Ibasiens sur place. Jornak avait créé un portail plus tôt dans le mois afin de s’en prendre aux amis et à la famille de Zorian, et il y avait maintenant là une petite base, cachée au milieu de la jungle, assez proche du domaine Taramatula.

Zorian ne pouvait dire si Jornak plaçait toujours des espoirs dans ce plan. D’un côté, la base était toujours là et le portail n’avait pas été désactivé. Les ennemis n’auraient certainement pas agi ainsi s’ils savaient que Zorian avait exclu les lieux de sa liste de sanctuaires possibles ? D’un autre côté, cette base était ridicule et en sous-effectifs à ses yeux. Un seul régiment de Trolls de guerre et une toute petite horde de morts-vivants, conduits par une poignée de mages humains ? C’était sans nul doute une opération qui ne faisait pas dans la démesure.

En tout cas, c’était ce que lui pensait. Orissa et les autres gens de domaine ne partageaient visiblement pas ce sentiment.

— Quelle mauvaise surprise, ce qu’ils ont préparé pour nous, commenta-t-elle. Il aurait pu être désastreux de nous avoir pris au dépourvu.

— Je vous ai vue combattre, répondit Zorian en fronçant les sourcils. Et puis, une Maison possédant plusieurs dizaines de mages comme la vôtre ne devrait avoir aucun problème à repousser une force comme celle-ci, même si les Trolls et les morts-vivants sont plus résistants aux abeilles que la plupart des cibles.

Comme une majeure partie de son attention était placée ailleurs, Zorian n’était présent que sous la forme d’un simulacre. De plus, il n’avait pas son armée de golems sous la main, comme celui de Cyoria. Il était là en tant que conseiller, consultant, essentiellement. Les Taramatula allaient combattre eux-mêmes.

— Vous m’avez vue combattre… ? releva Orissa. Comme c’est étrange. Je ne me souviens pas avoir combattu quiconque lorsque vous étiez alentour. Pourtant, bien que je vous remercie pour ce compliment, le point faible de votre argument se trouve dans le fait que notre Maison ne possède pas plusieurs dizaines de mages comme moi. Je suis exceptionnelle, tant en talent qu’en quantité de ressources ayant été dépensées pour mon éducation magique. La plupart des membres de notre Maison ne sont même pas spécialement bons au combat, pour commencer. Ce sont tous des surveillants ou des traqueurs, qui utilisent les abeilles purement dans un but informatif, ne combattant qu’en tout dernier recours.

— Ah, dit Zorian en grimaçant intérieurement – oui, il n’aurait probablement pas dû prendre une personne comme Orissa comme échelle de mesure standard. Alors, pourquoi avoir insisté pour lancer cette attaque, dans ce cas ? Pourquoi ne pas juste vous défendre comme je vous l’ai conseillé ?

— Il y a bien trop de risques, expliqua Orissa. Si nos ruches principales se font endommager pendant le combat, ce serait un énorme coup pour nous. Mais plus important… Les Anciens veulent le portail.

Zorian leva un sourcil. Le portail… Évidemment. La base que Jornak avait bâtie pour cette opération connectait directement Koth à Altazia, pontant en un instant les vastes distances entre les deux continents à l’aide d’un passage dimensionnel permanent. La valeur de cet endroit était incommensurable.

— Et… Pensez-vous être capables de vaincre ces forces, contre lesquelles vous n’êtes pas sûre de pouvoir vous défendre, d’une façon qui permettrait de récupérer le portail intact ? continua Zorian, curieux.

— Il y a une chance, oui, lui répliqua Orissa avec un sourire mystérieux. En combat direct, je ne serais pas très confiante, mais grâce aux informations que nous avons obtenues, nous avons un moyen de les prendre par surprise. Si nous pouvons introduire furtivement suffisamment d’abeilles dans leur base, alors la première indication d’une attaque serait déjà une catastrophe : des centaines d’abeilles magiques les assailliront de toutes parts.

— Il faudra vous assurer de tous les abattre d’un seul coup, ou ça échouera, fit remarquer Zorian. Si un seul mage survit à l’attaque initiale, il refermera le portail.

— Bien sûr, confirma Orissa. C’est pourquoi la patience est importante. Il faut faire les choses lentement mais sûrement. Vous avez dit qu’il n’y avait pas le feu, n’est-ce pas ?

— Absolument, admit-il, en se souvenant que le combat était plus ou moins sans importance dans le grand schéma des choses, et que si les Taramatula pouvaient vraiment se saisir du portail, ils pourraient aussi bien envoyer quelques renforts à Cyoria pour les assister, même si ce serait très peu décisif au final. En fait, je supporte totalement votre décision de vous montrer précautionneuse.

— Moins de chance de devoir nous sortir du trou si nous tombons dedans ? lui envoya Orissa d’un air entendu.

— Je suis juste un adolescent un peu plus doué que la moyenne, rétorqua Zorian. Je pourrai difficilement faire basculer le cours de la bataille tout seul.

— Oui, j’en suis sûre, murmura Orissa. Combien d’ennemis avez-vous dit se trouver dans la base ?

— Vingt-huit, répondit nonchalamment Zorian, sans même y penser, avant de désigner du doigt l’emplacement de chacun d’entre eux afin que les forces Taramatula ne perdissent pas de temps à partir en éclaireurs.

— Vous savez exactement où tout le monde se trouve dans la base, même à cette distance, commenta légèrement Orissa. Mais vous êtes juste un adolescent un peu doué. Votre frère aurait dû vous apprendre à mentir mieux que ça.

— Il s’agit juste d’un sens spirituel standard que possèdent tous les psychiques, protesta Zorian. Une capacité innée, rien de plus.

— Et moi, je suis certaine que Daimen ne pourrait pas répliquer ce que vous venez de faire, alors qu’il est bien plus âgé, insista-t-elle.

Ugh. Pourquoi était-il si nul lorsqu’il s’agissait de paraître normal ? Ça allait être un vrai problème à l’avenir, il pouvait déjà le sentir…

— Vous savez quoi ? Je me tais, soupira-t-il. Vous avez une attaque surprise à planifier, et vous devriez vous y mettre. Quant à moi, je vais… juste rester en touche et laisser les adultes gérer la situation à partir de maintenant. S’il vous plaît, protégez-moi, fiancée de Daimen. Mon frère ne vous pardonnera jamais si vous permettez à son petit frère adoré de mourir.

Pour ça, elle laissa échapper quelques-unes de ses abeilles vers lui.

 

___

 

 

Zorian se trouvait dans les tunnels sous Cyoria. Il était à Koth, et il était même à l’Académie de Cyoria, préparant des choses au cas où tout ne se passerait pas comme il l’espérait.

Mais il était principalement à la Maison Iasku.

En fait, Zach, Xvim, Alanic, Daimen et la plupart de leurs forces s’y trouvaient également… parce qu’il s’agissait de l’endroit où se trouvaient les enfants métamorphes.

C’était un choix assez évident, rétrospectivement. L’endroit était lourdement défendu, loin de toute civilisation, et possédait un portail connecté à la base sous Cyoria.

Cependant, il y avait eu de nombreux choix évidents pour cette opération, et le coût d’une attaque sur la Maison Iasku était énorme. Ce n’était pas un prix qu’ils auraient été disposés à payer à moins de savoir qu’il y avait quelque chose de critique en ces lieux.

Et maintenant qu’ils savaient, la maison et ses environs étaient devenus le site d’une bataille amère. Le corps réel de Zorian s’y trouvait, debout sur le dos de Princesse, tandis que la forêt brûlait et se désépaississait autour d’eux. Des milliers et des milliers de morts-vivants chargeaient dans leur direction, allant du simple sanglier décomposé aux montagnes de chair raccommodée informes qui pouvaient rivaliser en taille avec les plus gros golems de Zorian. Ces derniers s’en occupaient, les déchiraient en morceaux à l’aide de lance-grenades ou à mains nues, ou encore avec des lames géantes, mais il y en avait juste tellement…

Heureusement, Princesse n’avait pas peur de cette horde en marche, et ses huit têtes étaient ultra-vigilantes. Tout mort-vivant qui osait approcher était immédiatement éliminé, sans que Zorian eût quoi que ce fût à faire pour ça.

Immédiatement derrière la horde approchait rapidement une masse de monstres. Principalement des Trolls de guerre et des Loups Hivernaux, un gros essaim de becs-de-fer les survolant en grinçant sinistrement. Quelques Vers de Roche se déplaçaient invisiblement sous la surface du sol, mais leurs contrôleurs étaient plus malins que ceux de Cyoria, et s’assuraient d’éviter Zorian comme la peste en restant aussi loin de lui que possible à tout moment.

Et, au loin, perchés sur le toit de la maison, se trouvaient trois Dragons, qui les observaient avec intensité.

Trois Dragons, vivants, parfaitement sains, totalement étrangers à la monstruosité squelettique camouflée dans les profondeurs de la Maison Iasku.

Oganj et ses deux étudiants, Zorian en était certain. Ils ne faisaient rien encore, mais il savait que ça allait changer à mesure qu’ils s’approcheraient de la maison elle-même.

L’attaque était supposée être une surprise, mais leurs ennemis s’y étaient clairement préparés.

Bon. Il aurait été bien de pouvoir les prendre totalement au dépourvu, mais il n’avait jamais vraiment caressé cette utopie. Les choses devaient se passer plus mal qu’il en rêvait, c’était presque une règle.

Après quelques allers-retours avec Zach, Zorian envoya un signal silencieux à la masse menaçante de becs-de-fer dans le ciel, et le nuage entier d’oiseaux plongea sur le côté comme un seul être, avant de relâcher une volée massive de plumes tranchantes à ce qui semblait être un morceau de terrain vide.

Des cris distants emplirent l’air lorsque les mages qui se déplaçaient sous couvert d’invisibilité se firent soudain attaquer par ceux qu’ils pensaient être de leur côté.

Avant que les mages ne pussent se regrouper, Zorian ordonna à Princesse de charger droit devant, en direction de la maison. Elle s’exécuta avec passion, mais non sans avoir d’abord laissé échapper un cri de défi sorti en même temps de chacune de ses huit gueules, en direction du trio de Dragons, au loin. Clairement chauffé par la provocation, l’un d’eux trembla et faillit s’envoler afin de l’intercepter, mais le plus gros des trois le colla au toit d’un coup de queue nonchalant, avant de lui envoyer un regard silencieux. Clairement châtié, le plus petit se calma aussitôt.

Zorian était impressionné. Bien qu’Oganj fût clairement le plus gros et impressionnant des trois, les deux autres étaient malgré tout des Dragons adultes. Ils n’étaient pas connus pour accepter facilement de devenir les subordonnés d’autrui. Oganj devait être plus qu’un bon mage pour parvenir à convaincre une paire de Dragons adultes de suivre ses ordres à la lettre.

Dans tous les cas, Princesse était un train à huit têtes qui n’avait pas besoin de rails pour s’avérer inarrêtable une fois lancé. Sa grande vitesse et sa carrure imposante signifiaient qu’elle pouvait simplement se frayer un chemin morbide à travers la horde de morts-vivants en ne rencontrant plus ou moins aucune résistance, piétinant les plus petits sans ralentir et envoyant voler les plus gros comme des chiffons sur les côtés., tout en ne déviant pas de sa route.

Puis, Alanic et ses mages finalisèrent leur sort et invoquèrent un tourbillon enflammé au cœur de la horde de morts-vivants, où il commença à les aspirer en son centre et grandir, grandir… à mesure qu’il incinérait ce carburant fétide.

Zorian avait vu ce sort auparavant, et maintenant, il connaissait même le secret de celui-ci. Le tourbillon piégeait en réalité les âmes des morts-vivants, qu’il gardait en lui afin de s’alimenter, lui permettant de ne jamais arriver à court de mana tout en gagnant en intensité avec le temps et les victimes. C’était une magie très sombre selon les standards cléricaux, presque nécromantique dans son fonctionnement, mais diable, combattre le feu par le feu, il n’y avait que ça de vrai ! Le tourbillon enflammé libèrerait les âmes piégées une fois le sort terminé, leur permettant de passer dans l’au-delà en paix.

Avant que Zorian ne pût fêter cette petite victoire, des centaines de silhouettes rouges jaillirent de la maison, volant dans le ciel. Zorian plissa les yeux, découvrant devant lui des ennemis qui ne lui étaient pas familiers. Ils avaient presque l’air de chauve-souris, mais possédant de dérangeants visages et corps humains, et traînant des queues de lézard derrière eux. Queues terminées par des bouches pleines de dents, réalisa Zorian, et qui bougeaient comme si elles étaient animées de leur propre conscience.

[Des démons,] lui envoya Alanic en se servant de leur lien télépathique.

[Mineurs ou majeurs ?] demanda aussitôt Zorian.

[Il n’existe pas de démons pouvant être qualifiés de mineurs,] lui répondit le prêtre. [Mais je suppose que si tu veux le voir ainsi, ils pourraient compter comme tels.]

Zorian fit claque sa langue. Malheureusement, à cause de la façon dont la boucle temporelle fonctionnait, il n’avait aucune expérience face à ce genre d’ennemis. Tout ce qu’il savait des démons, c’était qu’ils étaient incroyablement variés, et possédaient d’étranges pouvoirs qui variaient d’un individu à l’autre, sans même parler des différentes espèces. Les combattre, c’était presque comme combattre un mage humain : on ne savait jamais à quoi s’attendre.

[Laisse-nous nous en charger,] demanda une autre voix.

Zorian ne protesta pas, donna ses permissions, et un essaim de Sulrothums s’éleva soudain dans les cieux dans un monstrueux bourdonnement, afin d’intercepter les démons.

Pendant un moment, Zorian ne se préoccupa plus que d’une chose : il guida plusieurs disques tranchants et décapita des Trolls de guerre et Loups Hivernaux pendant que Princesse écrasait tout sur son passage, mais la situation commença graduellement à lui sembler anormale. Leur avancée semblait bonne, mais il ne pouvait s’empêcher de trouver que les défenseurs de la maison ne faisaient pas de leur mieux pour les arrêter. Ils sacrifiaient juste des pions, des troupes éphémères, afin de gagner du temps pour… quelque chose.

Le fait qu’Oganj et ses deux étudiants fussent simplement assis là, sur le toit, à observer le combat avec visiblement aucune intention d’y participer le dérangeait encore plus spécialement. Pourquoi ces putains de trucs n’attaquaient-ils pas ?

Merde, même le Dragon squelettique n’avait pas encore été envoyé !

Il tâtonna nerveusement le cube que lui avait donné l’Ange, se demandant s’il devait —

No. Non, il n’était pas encore temps. L’utiliser si tôt serait une erreur. Un sentiment, dans le fond de son esprit, lui criait qu’il ne fallait pas le gaspiller si facilement.

Il rangea le cube, et discuta rapidement avec Zach, Alanic et les autres.

Peu après, une créature absolument massive s’éleva dans les airs à son tour avant d’approcher rapidement. Il s’agissait de la bête divine des Sulrothums, le Ver des Sables gigantesque qui leur avait donné tant de mal la fois où ils avaient dû l’affronter. Maintenant, il était dans leur camp. Surfant dans les airs sur des centaines de petites ailes de libellule, le Ver s’orienta droit sur les trois Dragons.

En même temps, l’autre camp se mit en mouvement. Zorian projeta une salve de force répulsive devant Princesse, repoussant sur le côté quelques adversaires qui le gênaient et qui ralentissaient leur avancée, et ordonna à l’hydre de se diriger droit sur la maison et ses Dragons gardiens, au diable le reste. Pendant ce temps-là, un orbe blanc laiteux s’éleva lui aussi, portant Zach, Xvim, Alanic et Daimen, et se projeta dans la même direction avec force et agilité.

Les Dragons réalisèrent immédiatement qu’ils étaient ciblés, et s’élevèrent comme un seul Dragon. Oganj cracha quelque chose d’incompréhensible à ses deux étudiants, et chacun se choisit un adversaire. Celui de gauche se dirigea vers Zorian et Princesse, celui de droite s’en alla intercepter le Ver volant. Quant à Oganj, il sembla avoir identifié le groupe de Zach comme la plus grosse menace des trois, et avait choisi de traiter avec eux personnellement.

Zorian était suffisamment modeste pour admettre que le Dragon mage avait probablement vu juste.

En tout cas, une fois que le Dragon eût décidé qu’il était temps de combattre, il ne se retint pas le moins du monde. La sphère de Zach était trop rapide et manœuvrable pour que le grand Dragon pût l’esquiver ou la toucher de son souffle, aussi décida-t-il de se fier à sa magie. Il agita les mains dans un geste étonnamment humain, et créa une boule incandescente dans ses mains, qu’il envoya en direction de la sphère de Zach, plus ou moins.

Même si l’attaque ne lui était pas destinée et qu’il s’en trouvait plutôt éloigné, Zorian put sentir ses cheveux se dresser sur sa tête en réalisant la quantité de mana qu’Oganj avait utilisée pour créer ce sort. La magie des Dragons était vraiment ridicule. Putain, quelle connerie !

Heureusement, Zorian et ses alliés étaient eux aussi marginaux, chacun à sa façon, et Zach était accompagné de trois d’entre eux. Avant que la sphère destructrice ne pût seulement s’approcher d’eux, l’espace commença à se plier autour d’eux, comme si un courant invisible avait décidé de s’envelopper autour d’eux, et le projectile cessa simplement d’exister.

Quelques secondes plus tard, une terrifiante détonation retentit, quelque part au loin. Xvim avait téléporté l’attaque d’Oganj vers une région lointaine, et son explosion avait malgré ça résonné jusque sur le champ de bataille, envoyant même une onde de choc à travers le torse de Zorian.

Le ciel, à l’horizon, fut illuminé d’un second soleil, pendant quelques secondes de plus.

Grands dieux… Pas étonnant que Zach fût mort face à Oganj à de si nombreuses reprises… Comment étaient-ils seulement supposés combattre un machin pareil ?

— Faites attention, stupides sauvages ! résonna soudain la voix de Sudomir, tout autour de la maison, amplifiée magiquement et projetée afin de pouvoir être entendue sur tout le champ de bataille. Vous avez de la chance qu’ils aient pu se débarrasser de ce projectile, ou vous auriez rasé toute la maison ! Depuis quand ce genre de magie est-elle acceptable quand on défend un endroit ?!

— Silence ! hurla Oganj dans une langue bien humaine, tout aussi puissante que celle de Sudomir, malgré l’absence de magie amplificatrice. Je sais ce que je fais ! Retourne pleurer ta défunte femme au lieu de me déranger quand je me bats !

Zorian ignora la dispute de couple entre Sudomir et Oganj, ayant des soucis plus immédiats sous la main. L’étudiant du Dragon mage n’était sans doute pas aussi puissant que son maître, mais il était malgré tout un autre Dragon mage, et il venait pour lui.

Zorian projeta une lance de force vers le nouvel arrivant, espérant perforer son aile et le forcer à combattre au sol. Le vol des Dragons était magique, mais dépendait malgré tout de l’intégrité de leurs ailes pour fonctionner, et les membranes de ces dernières étaient une faiblesse énorme et bien connue.

Un peu trop, même, semblait-il. Le Dragon tenta de dévier de la trajectoire de la lance de force, mais quand Zorian révéla qu’il pouvait la faire pivoter au milieu de son vol et changer de direction à volonté, il découvrit que le Dragon avait également érigé un bouclier autour de lui, juste au cas où. La lance de force le heurta et éclata sans donner suite.

Plissant visiblement les yeux vers Zorian et Princesse, le Dragon prit une profonde inspiration et cracha un torrent de projectiles enflammés. Apparemment, ce Dragon pratiquait une magie qui lui permettait de transformer son souffle en plusieurs projectiles différentes.

Il ne put néanmoins pas toucher Princesse. Grâce à ses huit têtes et son corps étrangement formé, elle avait l’air lente et pataude, pour se révéler en réalité être une bête possédant des attributs divins, et écraser toutes les premières impressions. Princesse était à la fois rapide et agile, et non seulement esquivait-elle avec brio tous les projectiles que le jeune Dragon lui crachait, mais elle trouvait même le temps de ramasser quelques rochers et Loups Hivernaux qui ne s’étaient pas enfuis assez rapidement, pour envoyer le tout direction le Dragon volant. Et elle savait viser, par-dessus le marché.

En plus, bien sûr, Zorian était debout sur son dos. À chaque fois qu’elle ne pouvait absolument pas éviter un tir ennemi, il le déviait simplement tout en harcelant périodiquement le Dragon à l’aide de projectiles de force simples. Il était presque sûr qu’il s’agissait là de celui qui avait failli s’envoler avant le début du combat, lorsque Princesse avait hurlé son défi, et cela faisait de lui une entité très irritable par nature.

Et cette déduction s’avéra correcte. Après avoir esquivé ses projectiles et l’avoir bombardé de sorts au rabais, le Dragon en avait apparemment eu assez. Il aurait pu continuer à voler plus haut, hors de la portée de ses deux adversaires au sol, mais il décida au contraire de se rapprocher du sol afin de pouvoir les cibler d’une attaque plus puissante.

Et c’était une bonne attaque, Zorian devait l’admettre. Le lézard géant créa une balle bleue translucide devant lui et l’envoya vers eux. Comme elle se rapprochait, elle s’étendit soudain en un énorme dôme gélatineux et se referma autour d’eux, les piégeant en bonne et due forme. Princesse tenta de mordre, mais la barrière gélatineuse résista à ses efforts et referma même l’une de ses mâchoires, obligeant Zorian à la décoller de force. Pendant ce temps, le Dragon prit son temps pour charger un puissant sort de feu qui les incinèreraient tous deux jusqu’à ne plus en laisser que des cendres, maintenant qu’ils étaient prisonniers de cette petite zone, sans possibilité d’esquive.

Malheureusement pour lui, Princesse pouvait se téléporter.

Juste avant qu’il ne pût relâcher son sort, Princesse se recroquevilla rapidement en une boule de chair et d’écailles et disparut de sa prison gélatineuse, emmenant Zorian avec elle.

Et sans laisser le temps au Dragon de réaliser ce qu’il se passait, son sort fut finalisé et il le libéra vers le dôme vide, gâchant son mana en ne touchant rien que de l’air. Puis, Princesse apparut de nulle part, quasiment à ses côtés, permettant à Zorian de rapidement lancer un sort qui envoya des fouets tranchants lacérer le torse de la bête.

Étant considérablement plus résistant qu’un humain, le Dragon mage ne fut pas tranché en petits morceaux, mais les fouets entamèrent sa chair, passant à travers les écailles et réclamant son sang, avant de l’envelopper et le serrer, trop tendus pour être facilement délogés. En particulier parce que toute tentative ne faisait que rendre ses blessures un peu plus profondes encore. Zorian attacha la base des fouets sur le dos de Princesse et lui ordonna de tirer.

Le Dragon laissa échapper un cri presque semblable à celui d’une petite fille, et s’effondra, plusieurs des liens tranchants profondément incrustés dans son corps. Avant qu’il ne pût reprendre ses esprits, Princesse fut sur lui, gueules mordant et tirant, et il s’ensuivit un pêle-mêle de membres et de cous. Le combat dégénéra rapidement en une lutte brutale et vicieuse, Dragon et Hydre divine roulant au sol, abattant des arbres et éclatant des rochers comme s’ils n’étaient faits que de poussière.

Quant à Zorian, il avait fort heureusement déjà sauté au bas du dos de Princesse, au moment où elle avait décidé de bondir sur leur ennemi commun, et volait actuellement en direction des deux autres combats impliquant les Dragons, à l’aide d’une sphère blanche similaire à celle de Zach, qu’il utilisa pour semer la confusion dans l’esprit d’Oganj. Il se sentait un peu mal de laisser Princesse combattre l’autre lézard seule, mais il avait foi en elle ; elle ne se laisserait pas tuer en son absence. Elle était bien trop têtue et résistante pour ça.

Les deux autres combats, réalisa-t-il très vite, continuaient toujours. En fait, ils avaient fusionné en une espèce de bataille combinée, de match en équipe, grâce à deux faits. D’une part, l’étudiant d’Oganj ne pouvait pas réellement stopper le Ver géant – il pouvait le tenir occupé, mais il était trop gigantesque, trop massif pour que le plus petit Dragon pût l’empêcher d’aller où bon lui semblait. D’une autre part, les becs-de-fer avaient décidé, de leur propre initiative, de combattre les deux Dragons. Zorian n’avait aucune idée du pourquoi de cette décision, en comprendre la raison dans l’esprit des oiseaux étant une tâche bien trop colossale pour lui à ce moment précis – il ne comprenait que leur colère immense, et leur haine apparente pour les trois Dragons depuis qu’ils s’étaient montrés et avaient, de façon arrogante, fait de la maison leur perchoir.

Comparées aux Dragons, les becs-de-fer n’étaient rien. Cependant, ils étaient nombreux, et ils savaient quand attaquer et quand battre en retraite. De plus, Zach et les autres les protégeaient, ayant trouvé ces oiseaux vicieux utiles en tant que distraction régulière.

Et apparemment, Sudomir n’appréciait pas tout à fait le fait que sa maison, dans laquelle se trouvait l’esprit de sa bien-aimée, était en danger à cause de tous ces combats. Sa voix résonnait constamment, envoyant des instructions aux deux Dragons et des insultes à Zach et aux autres. Il avait l’air de plus en plus incohérent, et lorsque Zorian atteint finalement le champ de bataille, le propriétaire des lieux en eut assez.

Le toit de la maison s’effondra et le Dragon squelettique qui y était caché commença à sortir des décombres.

Oganj lui envoya un regard froid et renifla de dédain avant de se concentrer à nouveau sur ses adversaires.

Bien entendu, les autres combattants ne permettraient pas à une énième puissante créature de faire son entrée, et avant que le nouvel arrivant pût s’élancer dans les airs, Daimen matérialisa soudain un corps ectoplasmique géant autour de lui-même et bondit sur le Dragon squelettique pour le plaquer au sol. Il avait un jour utilisé ce sort pour se battre avec Princesse, bien avant qu’ils ne réalisassent comment la contrôler, et maintenant, il faisait de même pour réprimer la créature de Sudomir.

Malheureusement, celui-ci n’était pas un amateur dans le domaine des horreurs artificielles, et celle-là n’allait pas se laisser facilement tenir au sol. Daimen faisait de son mieux, mais il était clair qu’il perdait du terrain… et aucun des autres ne pouvaient se permettre de tourner le dos aux Dragons pour lui donner un coup de main.

Aucun, sauf Zorian, qui venait d’arriver.

Avant que les Dragons ne pussent comprendre ou réagir, Zorian fit sortir de l’orbe impérial… un golem absolument massif, haut et large. Il faisait six mètres de haut et était fabriqué à partir d’un métal brillant presque indestructible. Le sol s’enfonça sous son poids tandis qu’il se jeta en avant vers le Dragon squelettique, que Daimen luttait pour garder plaqué au sol. Peut-être s’agissait-il juste de son imagination, mais Zorian put jurer voir une expression de pure panique dans les yeux vides du monstre mort-vivant, juste avant que le golem colossal lui sautât dessus pour abattre ses poings lourdement équipés de pointes et de plaques, directement sur le crâne.

Malheureusement, le moment vu légèrement ruiné par le fait que ces poings de destruction n’éclatèrent pas la boîte crânienne du squelette géant, mais ne firent que l’abîmer suffisamment pour perturber ses fonctions motrices, et lui retirer tout espoir futur de prendre son envol dans les airs, là où il serait devenu une vraie menace pour tout le monde.

Avant que Zorian ne pût célébrer cette victoire et réduire ce tas d’os en poussière, cela dit, une étrange vague spatiale émana de la maison et entoura les environs, forçant tout le monde à s’arrêter.

— J’espérais vraiment que ce ne serait pas nécessaire… se plaignit la voix de Sudomir, qui résonnait toujours comme venue de partout à la fois, mais plus calme, cette fois.

[Merde !] jura soudain Zach dans la tête de Zorian, juron immédiatement suivi par une dégradation éphémère de la perception, un flou de la vision, des genoux ramollis et une montée de bile dans la gorge.

Zorian reconnut immédiatement ces symptômes. Ils lui rappelaient un certain sort de téléportation, sauf que…

Il regarda rapidement autour de lui. Il se trouvait toujours à côté de la Maison Iasku, le golem colossal toujours fermement assis sur le Dragon squelettique, et les becs-de-fer grinçant frénétiquement dans les airs, leurs cris habituellement synchronisés désormais totalement chaotiques. Il fut impressionné qu’ils ne fussent pas tombés du ciel quand le vertige les avait frappés.

Au-delà de la Maison Iasku, en revanche, Zorian put apercevoir un bâtiment. Un bâtiment familier. Et au loin, des incendies, et des cris maintenant portés par le vent. Les défenseurs de Cyoria qui faisaient face à des hordes de Trolls et de morts-vivants.

Il lui fallut quelques secondes pour comprendre ce qu’il s’était produit. Pendant l’alignement planétaire, un groupe de mage avait un jour réussi à téléporter une cité entière d’un continent à l’autre… Ce que Jornak et ses alliés venaient de faire était relativement terne en comparaison.

Ils avaient simplement échangé la Maison Iasku et ses environs avec le même volume d’espace à Cyoria.

Zorian soupira. Il donna l’ordre mental au colosse d’en finir, et ce dernier abattit une fois de plus ses énormes poings sur le crâne de sa victime, qui éclata pour de bon cette fois. Les os du Dragon de Sudomir tombèrent à la renverse, se détachant les uns des autres, totalement inertes désormais.

Malgré toutes ses tentatives, ils étaient finalement revenus se battre à Cyoria, au bout du compte.

Dans le ciel, au-dessus, Oganj laissa échapper un cri terrifiant.

La bataille venait de reprendre de plus belle.

Raka
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