Chapitre 37 – Combustion lente.
Les semaines passant, Zorian en eu de plus en plus marre des leçons d’Esprit Flamboyant. Bien qu’elles apportassent leur lot de résultats en terme d’efficacité dans le domaine du combat mental, elles étaient également très rébarbatives et offraient des résultats de plus en plus marginaux. Que ses défenses mentales fussent désormais trop bonnes pour être facilement écrasées par sa professeure n’aidait en rien, ce qui signifiait qu’il ne terminait plus les cours dans une violente migraine qui l’obligeait à rester allongé pendant des heures. Les leçons n’éprouvaient plus que sa patience, le laissant un peu fatigué et frustré mais fin prêt à passer à la suite.
Et il décida de faire ça. Il n’avait jamais vraiment été rendre visite aux autres Aranea car il désirait apprendre auprès des Navigateurs de Rivière avant tout mais il était devenu de plus en plus certain qu’Esprit Flamboyant le faisait traîner afin de ne rien lui enseigner de plus avancé. Ses défenses mentales étaient déjà bien assez bonnes d’après lui, et il n’avait pas de raison de ne pas se rendre auprès des autres colonies pour voir ce qu’elles penseraient de son offre.
Les Avocats Lumineux furent sa première destination. Ces Aranea étaient, après tout, supposées être très intéressées par travailler avec quelqu’un comme lui ainsi qu’affamées des ressources qu’il pouvait leur offrir. Malheureusement, ça ne se passa pas tout à fait comme prévu. Leur offre initiale était totalement ridicule, demandant à Zorian de payer une somme digne de la famille royale accompagnée d’objets magiques. Il refusa, bien sûr – il n’aurait pas pu même s’il l’avait voulu. Même en rassemblant sa fortune et en vendant tous ses biens, il en aurait encore été bien loin. Il lui fallut trois semaines pour les convaincre de baisser le prix, lorsqu’elles réalisèrent qu’il était plutôt pressé. Et à ce moment, la réinitialisation n’était plus très lointaine. Découragé, il tenta de les approcher encore pendant 4 mois en variant les approches mais ne réussit à chaque fois qu’à obtenir un prix plus raisonnable que quelques jours avant la fin.
Bien sûr, les quelques leçons qu’il avait réussi à tirer d’elles étaient d’une qualité ahurissante. Non seulement lui donnèrent-elles des conseils cruciaux concernant le renforcement de sa carapace mentale, qui accélérèrent énormément ses progrès avec Esprit Flamboyant tout en l’aidant à aiguiser d’autres aspects de ses pouvoirs mentaux. Par exemple, il était désormais capable de former deux liens télépathiques permettant à des non-psychiques de lui parler en retour ainsi que former des liens avec plusieurs personnes à la fois. Elles lui apprirent même comment mieux traiter les informations des sorts de divination qui envoyaient les informations directement dans l’esprit du lanceur. Des enseignements utiles, oui. Malgré tout, Zorian décida d’abandonner les Avocats après le quatrième mois. Leur aide avait été utile mais le temps qu’il devait perdre à chaque fois et la patience qu’il perdait à devoir s’octroyer leur aide rendait le tout vraiment peu rentable. Et ce n’était pas arrangé par le fait qu’ils refusaient catégoriquement de lui enseigner tout ce qui touchait à la manipulation de la mémoire à moins de se soumettre lui-même à une analyse mémorielle complète par courtoisie, ce qui faisait de leur Toile une impasse pour ce qu’il pouvait en juger. Parce que ça n’allait jamais arriver.
Comme les négociations avec les Avocats Lumineux impliquaient énormément d’attente, Zorian avait eu le temps d’approcher les Sages Filigranes en même temps. Elles aussi demandèrent un lourd effort, bien que dans leur cas, ce fût parce qu’elles étaient suspicieuses et pas du tout ravies qu’il eût vendu des relais télépathiques aux Navigateurs. Heureusement, la première fois qu’il réussit à les convaincre, il trouva un raccourci qui lui permit de considérablement réduire le temps nécessaire. Tout ce qu’il devait faire, c’était montrer à quel point il était doué en formulation et leur promettre d’adapter les techniques humaines à leur propre artisanat de toile. Elles se souciait de ça bien plus que de tout autre commerce potentiel et tant qu’il faisait ainsi, il ne lui fallait qu’une semaine pour les faire accepter.
Zorian fut choqué, et pas qu’un peu, lorsqu’on lui montra la toute première fois un exemple de l’artisanat de toile des Sages Filigranes. Il s’était attendu à quelque chose de relativement simple et brut, comme un morceau de soie brodé de formules ikosiennes ou peut-être même des fils de soie tissés en forme de glyphes. Au lieu de ça, l’artisan avec qui il devait travailler le conduisit vers une formation rectangulaire faite de piliers en pierre au milieu de laquelle était suspendue une sphère complexe et à plusieurs couches, faite de soie d’araignée. Elle luisait d’une lumière blanche pâle dans les ténèbres de la pièce, des points d’une lumière vive courant constamment le long de tel ou tel fil en une danse compliquée que Zorian ne pouvait déchiffrer. Chaque morceau de sa surface – ainsi que chaque partie des couches intérieures, découvrirait-il plus tard – était couvert de glyphes. Inconnus, pas ikosiens en tous les cas. Et le guide prétendait qu’il s’agissait de l’une des sphères d’entraînement mineures, car elles n’allaient pas laisser un étranger potentiellement peu digne de confiance s’approcher plus que ça des vraies sphères.
Il avait désormais réalisé à quel point il avait eu les yeux plus gros que le ventre. Aider les Sages Filigranes demandait techniquement de devenir adepte d’une tradition tout à fait différente de formulation. Une tradition qui descendait des Ikosiens et qui rendait le travail un tantinet plus facile, mais quand même. C’était une tâche qui pouvait prendre des années, pas quelque chose qu’on pouvait faire sur le côté tout en se concentrant sur autre chose.
Il s’y essaya malgré tout en toute honnêteté – principalement en abandonnant tout le reste pour plusieurs boucles – et les Sages Filigranes semblaient ravies de son travail, mais il finit par juger que ça ne valait pas l’effort qu’il devait fournir. Le sujet était intéressant, bien sûr – de nombreux chercheurs auraient vendu leur âme pour être à sa place, à étudier une tradition magique inconnue – mais c’était une distraction dont il n’avait vraiment pas besoin à ce moment. Et vraiment, l’enseignement qu’il recevait en échange de son travail était à peine différent de ce qu’il avait appris chez les Navigateurs… Il s’était attendu à trouver des connaissance plus poussées, plus précises, un style de combat mental plus efficace que celui pratiqué par les autres Aranea car les Sages Filigranes prétendaient que leur style tournait autour du combat en groupe. Pas très utile au final, car il n’aurait jamais un compagnon télépathe avec qui employer ces techniques. Il finit simplement par apprendre quelques trucs pour gérer plusieurs attaquants et voilà.
À l’origine, les Sages Filigrane étaient totalement contre l’idée d’apprendre à Zorian toute forme de manipulation mémorielle. Cependant, après deux boucles à étudier leur artisanat, il lui était impossible de prétendre qu’il démarrait de zéro. La fois suivante, il prétendit avoir appris les bases de la Toile cyorienne et fut rapidement mené à la matriarche – qui l’avait profondément ignoré jusqu’alors – qui sembla très encline à envoyer une expédition vers Cyoria à l’aide de Zorian afin d’établir un contact avec la Toile locale. Même l’information concernant leur éradication ne parvint pas à entacher leur enthousiasme et le but changea simplement pour passer d’un contact à un pillage des restes. Adorable. Quoi qu’il en fût, en échange de son aide pour le voyage et une escorte grâce à ses pouvoirs de mage humain, afin que les Aranea ne risquent pas leur vie face à des dangers inconnus en chemin – aller et retour – on promit à Zorian… eh bien, n’importe quoi. Même la manipulation des souvenirs était sur la table.
À part le fait qu’accepter une telle offre demanderait à Zorian de retourner à Cyoria et qu’il devrait aider un groupe d’Aranea à piller les restes de ses amies, il y avait encore le petit hic qui rendait le tout relativement incertain : les Aranea de Cyoria utilisaient-elle le même genre d’artisanat ? Il le soupçonnait et nombre des choses qu’avait mentionné la matriarche semblaient indiquer que ce fût le cas mais il ne pouvait en être parfaitement certain. C’était juste une excuse qu’il avait inventée pour expliquer une connaissance de base autrement incompréhensible.
Il se devait définitivement de descendre dans les ruines de la Toile de Cyoria et vérifier si quoi que ce fût s’y trouvait avant d’accepter de participer à une telle expédition.
Les Avocats Lumineux et les Sages Filigranes éliminées de la liste des options au moins pour un moment, Zorian restait avec trois options comme alternative aux Navigateurs. Les trois Toiles louches contre lesquelles il avait été mis en garde… Zorian était sur le point de les approcher ; ce fut le moment que choisir Esprit Flamboyant pour passer du combat télépathique basique au niveau suivant.
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Lorsqu’elle déclara que les défenses mentales de Zorian étaient passables et qu’ils allaient passer à l’aiguisage de son arsenal offensif, il était prudemment optimiste mais n’en attendait pas énormément plus. L’entraînement deviendrait sans doute moins douloureux puisque les rôles allaient être inversés mais il ne comptait pas sur l’efficacité de ses attaques. Les défenses mentales de l’Aranea seraient fatalement excellentes.
Mais lorsqu’Esprit Flamboyant lui demanda de la frapper de sa meilleure attaque en se tenant simplement face à lui, s’apprêtant à passivement encaisser l’attaque, Zorian se sentit obligé de lui accorder cette grâce. Il puisa une grande quantité de mana pour l’insuffler dans son prochain geste, le maximum que son attaque pût contenir sans perdre de sa cohésion, et l’abattit directement sur la carapace mentale de sa professeure.
Les résultats furent supérieurs à ses attentes. Plutôt que simplement rebondir sur les défenses comme il l’imaginait, l’attaque explosa le cocon protecteur sans ralentir et s’écrasa directement sur l’esprit de l’Aranea. Elle grinça de douleur, fut prisme de spasmes et gigota impuissamment au sol et, pendant un bref moment, ce fut un pandémonium : les autres Aranea proches surfirent dans la pièce pour voir à quoi était dû ce remue-ménage. Zorian tenta de leur expliquer ce qui était arrivé sans que la situation entière ne dégénère en un combat ouvert ; pendant un instant, il fût persuadé qu’il allait devoir fuir et serrait déjà fermement sa baguette de retour afin de se téléporter au plus vite, mais Esprit Flamboyant récupéra juste à temps pour dénouer la situation.
Elle insista également sur la nécessité de continuer les leçons comme si rien de notable ne s’était produit, et commença à chasser toutes les Aranea indésirables de sa salle de classe.
[Damnation,] grommela Esprit Flamboyant une fois qu’ils furent seuls à nouveau. [Non seulement me suis-je fait avoir par un humain débutant mais tout le monde l’a vue. Cette mésaventure va me suivre pendant un bout de temps.]
[Euh… Désolé ?] tenta Zorian, peu sur de ce qu’il devait même lui dire, pour être honnête.
[Ne le sois pas,] dit-elle. [C’est ma faute, vraiment – ton inexpérience m’a automatiquement conduit à te traiter comme l’une de nos jeunes Aranea et m’a stupidement fait penser que ton attaque serait du même acabit. Mais tandis que tes compétences en combat mental laissent encore à désirer, tu es toujours un mage qualifié avec énormément de mana à brûler et une expérience notable dans sa manipulation. J’aurais dû te laisser faire face à mes meilleures défenses avant d’en réduire progressivement la puissance. J’aurais dû attendre de voir ce dont tu étais capable au mieux de ta forme au lieu de juger par avance de la solidité que devait avoir mon bouclier. Que ça te serve de leçon également, si tu devais un jour enseigner à ton tour – il n’est jamais sage de se montrer arrogant et présomptueux, à moins de vouloir se faire avoir par des nouveau-nés.]
Alors maintenant, elle se mettait à le tutoyer ? Avait-il gagner un quelconque respect ? Se sentait-elle plus proche de lui maintenant qu’elle avait failli y rester par sa faute ? Mais dans tous les cas…
…Il n’était pas un putain de nouveau-né ! Il n’était qu’à un an de la majorité et il en était déjà un en considérant le temps passé dans la boucle temporelle !
[Je n’ai rien fait de permanent, n’est-ce pas ?] s’inquiéta-t-il soudain.
[Non, bien sûr que non. Pourquoi aurais-tu… Ah. Je vois que ma hâte de mener tes compétences à un niveau pratique m’a fait négliger certains points de théorie essentiels. Comme ce qu’il se passe lorsqu’une attaque parvient à franchir des défenses.]
[De mauvaises choses ?] tenta Zorian, qui en avait déjà fait les frais.
[Oui, mais peut-être pas aussi graves que tu l’imagines,] contra-t-elle. [Pour simplifier grossièrement les choses, il y a quatre choses majeures que l’on peut faire lorsqu’une cible n’est pas protégée. La première, simplement assaillit leur esprit par télépathie afin de l’endommager. C’est, dans presque tous les cas, un simple moyen de neutraliser la personne pour une période de temps donnée. Il est très difficile de tuer quelqu’un simplement en l’attaquant mentalement – habituellement, ce genre d’agression provoque énormément de douleur, peut faire perdre conscience également, pendant un moment. Peut-être un très long moment, et il y a les migraines, la confusion et l’amnésie mais même là, la convalescence de la victime est presque garantie.]
[Oh. Je ne le savais pas,] admit Zorian, qui pensait honnêtement que se faire frapper par une attaque télépathique assez puissante pouvait tuer ou handicaper à vie ; mais encore, un très long moment pouvait représenter des mois ou des années alors ce n’était pas à prendre à la légère, sans parler du fait qu’il était sûr qu’une attaque si douloureuse pouvait facilement devenir un instrument de torture. [Alors, vous n’avez pas été en danger, mais ça va piquer pendant un moment.]
[Oui, c’est un peu ça.]
[Et quelles sont les trois autres choses que l’on peut fait à une cible ?] continua Zorian, intéressé.
[Eh bien, la seconde possibilité revient à extraire des informations, soit en lisant ses pensées ou en fouillant dans sa mémoire. Lire les pensées est ce qu’il y a de plus simple, bien sûr, mais souvent de plus inefficace. Les Aranea, les mages et quelques humains non-entraînés savent comment maintenir une discipline irréprochable au sein des pensées de surface, les rendant opaque à toute extraction simple. Ce qui laisse le forage en profondeur, la lecture mémorielle, et c’est très loin d’être aussi facile que ça. Les individus ont énormément de souvenirs dans lesquels nager et peuvent sentir lorsque quelqu’un s’y plonge. Même un non-psychique peut résister à une analyse mémorielle et y résister, s’ils sont assez entraînés et que le psychique ne l’est pas suffisamment.]
Zorian garda le silence. Il avait soulevé la possibilité d’être instruit à ce sujet à plusieurs reprises par le passé et elle lui avait invariablement répondu qu’il n’était pas prêt. Il ne pouvait pas imaginer qu’elle en dise autrement ; peut-être pas un non catégorique, mais…
[La troisième et la quatrième option sont ce que les Aranea appellent manipulation de surface et manipulation profonde. La manipulation de surface consiste en quelque chose de temporaire, comme leurrer les sens ou amplifier une émotion particulière ressentie par la victime afin de produire une réaction anticipée. Les manipulations profondes, en revanche, sont plus… permanentes. Il s’agit de modifier les souvenirs d’une personne, effacer des parties entières de sa vie, instiller des envies particulières ou les transformer en agents dormants sans qu’ils le sachent. Ces techniques profondes sont ce à quoi beaucoup d’humains associent la magie mentale mais elles sont en réalité très rarement usitées. Des altérations de ce genre demandent à l’attaquant de plonger très profondément dans l’esprit de sa victime et y passer un certain temps à trafiquer des choses, ce qui les rend difficiles à exécuter et lentes dans leur mise en œuvre. Ce n’est pas une chose que l’on utilise en combat – c’est ce qu’on fait à un adversaire qui a été totalement écrasé et qui ne peut plus répliquer du tout. Même parmi nous autres Aranea, c’est considéré comme un art sombre. Peu d’entre nous sont expertes dans le domaine.]
Zorian soupira.
— Ce qui amène au pourquoi vous ne voulez pas m’enseigner la manipulation mentale, n’est-ce pas ? dit-il tout haut.
[Oui et non,] répondit-elle avec prudence.
— Donc un « non » couché en un langage fleuri et poli, se moqua Zorian. Eh ben, c’est le troisième refus d’affilée. Je vais devoir trouver d’autres Toiles, plus avenantes…
[Oh, as-tu visité d’autres Toiles avec cette demande ?] s’étonna-t-elle, pas le moins du monde dérangée par cette réaction quelque peu dérisoire et provocatrice. [Il faudra que tu me racontes ces histoires à l’occasion. Mais ne nous déclare pas encore séparés, toi et moi. Il est vrai que nous ne sommes pas prêtes à te laisser plonger dans nos souvenirs – et tu ne l’es pas non plus – ça ne signifie pas que nous ne pouvons t’aider à te préparer pour le jour où une Aranea se montrera suffisamment brave pour te laisser lire sa mémoire.]
— Et vous comptez faire ça en… ?
[Le problème principale auquel tu feras face en tentant de lire l’esprit des Aranea se situe dans notre façon de percevoir le monde. Nos nombreux yeux nous permettent de le voir de trois manières différentes, dont seulement une, celle fournie par nos plus gros yeux, est totalement identique à la vôtre, à vous autres humains. Nous pouvons également ressentir les vibrations au travers de nos pattes, et notre sens du toucher est infiniment plus développé que le vôtre, à vous autres humains. C’est ainsi que nous pouvons naviguer dans les tunnels sans y voir.]
— Vous ne voyez pas dans le noir ? demanda Zorian, étonné car la plupart des habitants du Donjon le pouvaient.
[Non, nous avons besoin d’un minimum de lumière,] répondit-elle. [Mais nous possédons une excellente vision par très faible luminosité… Oh, nous digressons. Ce que j’essaye de dire, c’est que même si tu as accès à l’esprit d’une Aranea, tu ne serais pas capable d’y faire le tri. Si tu veux être capable de lire un esprit Aranea, tu dois d’abord apprendre et comprendre à travailler la façon dont nous voyons le monde. Et c’est là que je peux t’aider. Je peux te laisser puiser dans mes sens et te laisser t’y ajuster. Je pourrais même emballer quelques souvenir inconséquents et te les envoyer par lien télépathique afin de t’aider à comprendre comment gérer les paquets mémoriels.]
— Oh, réalisa Zorian.
Oui, ça, ça ! Ça avait l’air d’aller dans la bonne direction. Quelque peu revigoré par la réponse, il bascula à nouveau sur une communication télépathique.
[Alors, peut-être pourrions-nous faire ça tout de suite ? Je dois avouer que je suis un peu épuisé des leçons de combat. Je sais qu’il est important d’entraîner mes attaques comme mes défenses, croyez-moi, mais je vais perdre la raison si ça continue trop longtemps.]
[En tout était de fait, oui. Je voulais attendre avant de te dispenser ce genre d’enseignement, attendre que tu puisses être assez puissant pour mettre à mal mes défenses mais tu as déjà réussi. Pas du tout de la façon à laquelle je m’attendais, mais ce qui est dit est dit. Nous allons commencer par la manipulation de surface, car tu vas avoir besoin d’être très bon dans ce domaine avant de pouvoir puiser dans les sens d’autrui. Où s’est arrêté l’enseignement de tes autres professeures Aranea ?]
[Au tout début, elles ne m’ont rien appris, mis à part le fait que ça existe,] avoua Zorian. [Mais la manipulation de surface équivaut à un contrôle mental, oui ? Nous avons vu tout ça à l’académie de magie. En théorie, avec une emphase sur la façon d’identifier le type de contrôle mental et la façon de le combattre, mais bon.]
[Résume ces leçons pour moi, je te prie,] l’intima Esprit Flamboyant. [J’aimerais savoir sur quelle base je vais devoir travailler.]
D’un geste de la main, Zorian créa un diagramme géométrique lumineux informellement connu sous le nom de rectangle du contrôle mental et dont le nom officiel échappait à Zorian. C’était une chose bien trop compliquée et verbale pour ce qui représentait en réalité quatre mots arrangés en une simple grille de deux sur deux. Un rectangle divisé en quatre cases représentant chacune l’une des méthodes de manipulation mentale.
Domination. Suggestion.
Marionnette. Illusion.
[Mignon,] commenta Esprit Flamboyant sur un ton impassible. [Mais je dois confesser que je n’ai jamais appris à lire les scripts humains. Tu vas devoir m’expliquer de quoi il retourne.]
Ah. Oui. Il oubliait parfois que malgré toutes les interactions des Aranea avec les humains, elles possédaient toujours un esprit totalement différent. Les Ikosiens possédaient une révérence presque religieuse pour l’écriture et ils avaient répandu la littérature à peu près partout où ils le pouvaient, dans tous les endroits qu’ils avaient contrôlés, et il n’existait presque nul endroit où ils n’avaient pas mis un jour les pieds. La langue universelle rendait facile l’entraînement du plus grand nombre de mages, politique qui démontrait clairement des bénéfices tangibles. Les Aranea, d’un autre côté, ne possédaient pas de telles traditions et ne pouvaient de toute façon probablement pas utiliser le langage écrit humain avec leurs pattes. Il savait que la Toile cyorienne possédait un certain nombre de membres qui savaient lire et écrire mais la plupart des Aranea ne maîtrisaient assurément pas une once de tout ça.
[La domination et la suggestion représentent les sorts qui forcent la volonté du lanceur dans la cible,] expliqua Zorian en désignant le haut du rectangle. [Les sorts de domination impliquent des ordres directs, le lanceur demande à la cible d’agir et elle n’a d’autre choix, contre sa volonté. La suggestion tente de présenter cet ordre comme une chose que la cible désire. Ce sont des situations basées sur la volonté ; selon la personne et leur situation lorsque l’on lance ces sorts, il peut être parfaitement impossible de les affecter avec cette sorte de magie mentale. La plupart des gens vont résister aux ordres suicidaires ou demandant de tuer un être cher et il est presque impossible de convaincre un soldat en patrouille que vous n’êtes pas la personne dont il possède la photo dans la main, ou si quelqu’un vous désigne comme coupable à côté de vous.]
Il désigna ensuite le bas du rectangle.
[Les sorts de marionnette et d’illusion, d’un autre côté, ne sont pas affectés par la personnalité de la cible, ou les circonstances. Les sorts de marionnette usurpent le contrôle du corps de la victime et le pilotent comme… Eh bien, comme une marionnette. Les illusions troublent les sens de la cible, d’une certaine façon. Aucune de ces deux catégories ne peut être résistée, même si contrôler le corps d’une cible demande de dépasser ses défenses magiques en premier lieu et que les illusions peuvent être détectées et désenchantées.]
Zorian agita la main une fois de plus et trancha l’illusion en deux, séparant la partie droite et la partie gauche – Domination et Marionnette à gauche, Suggestion et Illusion à droite.
[Domination et Marionnette sont deux méthodes qui emploient la force. La cible sait qu’elle est victime d’un sort et sera généralement furieuse quand il se terminera. Aussi sont-elles principalement utilisées en combat, contre des gens qui se présentent clairement comme des ennemis. Suggestion et Illusion sont des méthodes subtiles : la cible ne sait pas forcément qu’elle a été affectée et justement, leur but est de rester implicite le plus longtemps possible. Elles sont généralement utilisées à des fins criminelles ou d’espionnage.]
Les sorts de contrainte en haut, les sorts de piratage en bas. Les sorts de force brute à gauche, les sorts subtils à droite. Ouaip, il avait tout couvert. Il laissa l’illusion s’évaporer en fumée et s’assit en attendant la réponse d’Esprit Flamboyant.
[Une cassure intéressante,] dit-elle. [Ce genre de nette séparation possède une certaine beauté simpliste, il faudra que je m’en souvienne, facile à expliquer. La réalité est bien plus complexe et moins définie… mais nous y arriverons, lorsque ce sera pertinent. Je n’ai jamais aimé passer beaucoup de temps sur la théorie, pour dire vrai. Nous avons perdu assez de temps pour aujourd’hui et j’aimerais que nous passions à quelque chose de productif.]
La leçon qui s’ensuivit fut exceptionnellement douloureuse, rappelant à Zorians les toutes premières qu’elle lui avait dispensées, plusieurs boucles dans le passé… Et malgré son insistance sur le fait qu’elle n’était pas plus dure avec lui qu’avec ses autres étudiants, Zorian savait que la soudaine férocité des cours pratiques avait le goût de revanche pour l’humiliation qu’il lui avait fait subir.
D’un autre côté, elle se calma après une semaine. D’un côté moins joyeux, il allait devoir l’énerver ainsi au début de chaque boucle et il devait s’attendre à une averse de migraines plus horribles les unes que les autres… tous les mois.
Parfois, on ne peut simplement pas gagner.
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Il s’avéra qu’Esprit Flamboyant prétendant qu’il serait incapable de comprendre les sens Aranea n’était pas une vérité, mais une vaste sous-estimation. Même après un mois complet d’entraînement, il ne pouvait pas comprendre le commencement de ce qui devait être un ressenti Aranea. Même en tentant de limiter la sensation à la vue classique, il finissait confus et maladif et le moins il pouvait parler du toucher, le mieux il se portait. Elles possédaient un sens rudimentaire du goût sur les poils de leurs pattes, merde ! ELLES GOÛTAIENT LE SOL SUR LEQUEL ELLES MARCHAIENT ! Mais merde, pour l’amour de toutes les espèces étranges créées par tout ce qu’il y avait de plus divin, pourquoi une espèce avait-elle besoin de ça ?!
Et, d’une grimace bien sentie, il plaça l’habitude qu’avait Nouveauté de toucher à tout et n’importe quoi dans la case sous une nouvelle et dérangeante lumière.
Il n’avait pas rien appris durant ce mois ; Esprit Flamboyant était parvenue à lui enseigner comment affecter l’esprit des autres de quelques façons mineures. Par exemple, la capacité de provoquer spasme et de faire se dérober les membres, ça, il savait déjà le faire – il l’avait déjà fait sans trop savoir comment, et maintenant, il était capable de proprement pirater le système nerveux d’une cible pour y parvenir de façon plus consistante. Les autres choses qu’il avait apprises, comme induire une paralysie totale, étouffer ou exacerber légèrement des émotions, rediriger l’attention subtilement d’une chose à une autre ou provoquer une panne de l’un ou l’autre des sens, tout ça était tout nouveau pour lui. Mais alors que ces choses étaient incontestablement utiles, le manque total de progrès sur ce dont il avait vraiment besoin de maîtriser le frappait durement.
Au bout du compte, il décida à contrecœur de consulter les Avocats Lumineux à la recherche d’une aide. Autant ce groupe l’ennuyait, autant il possédait sans doute une réponse à son problème. Il parvint à court-circuiter les négociations deux semaines avant la fin du mois en se contentant de payer leur prix ridicule. Il eut besoin de passer des jours et des jours à explorer le Donjon de Knyazov Dveri pour y vendre tout ce qu’il pût y dénicher mais après les avoir convaincues de diviser le prix de leur aide par deux, il les contenta simplement.
Selon eux, son souci principal venait du fait qu’il tentait de surmonter un défi trop gros d’un coup. D’une part, il tentait de puiser dans les sens d’une autre forme de vie tout en gardant les siens, le forçant à adapter son esprit à deux points de vue différents. Et non, s’asseoir les yeux fermés était loin d’être suffisant pour y pallier. Afin de régler ce problème, les Avocats lui apprirent comment tourner ses capacités mentales vers lui-même et éteindre un de ses propres sens, ne laissant que la sensation externe à analyser.
Leur seconde suggestion était d’ordre plus pratique : il devait s’entraîner au ressenti sur une forme de vie plus facile à appréhender. De préférence des humains, leurs sens étant les plus fondamentalement proches de ce qu’il connaissait, mais quelques animaux à l’esprit très proche également. Seulement lorsqu’il aurait maîtrisé l’art de l’emprunt des sens humains pourrait-il alors s’inquiéter de la possibilité de faire de même pour une forme de vie plus étrangère comme les Aranea.
Lorsque Zorian tenta de le faire en connectant son esprit aux sens d’un passant aléatoire dans une ville proche, il réalisa que les Aranea avaient parfaitement raison. Il faillit perdre connaissance, totalement désorienté, quand bien même il ne faisait que ressentir un sens qui lui était naturel. Il lui faudrait un temps incommensurable avant de pouvoir basculer sur des sens plus exotiques.
Ce qui présentait un léger problème. Tandis que ses capacités mentales étaient suffisantes pour qu’il ne craignit pas d’être découvert à chaque fois qu’il les utilisait sur un passant dans la rue, il ne pouvait garantir qu’il ne se louperait jamais et qu’il ne révèlerait pas sa présence à sa cible. Et franchement, on ne pouvait jamais savoir si un civil était vraiment civil. Il était parfaitement possible d’entrer dans l’esprit d’un mage puissant qui se fondait dans la foule pour passer inaperçu, ou de rencontrer un civil entraîné à reconnaître ce genre d’intrusion mentale. Et la réponse de la Guilde des Mages était sévère. Il ne voulait pas traîner une équipe de chasseurs de la Guilde à ses talons, et ce, même si la boucle le protègerait sans doute de la pire des conséquences.
Et c’était sans même considérer la dimension morale de la chose. Choisir une personne innocente pour le bien de son entraînement personnel n’était pas le chemin qu’il voulait arpenter et se moquer de leur sort à cause de la rotondité de la boucle temporelle était une attitude malsaine. Il aurait pu essayer de se trouver une excuse en se disant qu’il ne faisait qu’emprunter leurs sens et que c’était sans vrai danger mais les Avocats Lumineux avaient été claires à ce sujet : ce n’était pas la seule capacité qu’il allait devoir pratiquer sur des humains. Il allait rencontrer le même problème quand il tenterait de maîtriser la manipulation des souvenirs – même après s’être accordé à leur sens, l’esprit des Aranea était suffisamment différent du sien pour le forcer à d’abord s’entraîner sur des humains avant de s’essayer aux Aranea. Et pratiquer l’intrusion mémorielle n’était ni sûr, ni sans danger ni discret.
Il lui fallait une cible acceptable.
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Zorian progressa prudemment dans les rues de Cyoria, analysant la foule à la recherche du moindre signe d’hostilité avec tous les sens à sa disposition. Il sentait que sa tension et sa nervosité étaient palpables par les gens qui l’entouraient mais il n’était pas le seul dans cet état. Les monstres qui remontaient aléatoirement du Donjon avaient effrayé plus d’un habitant et il y avait désormais là une tension générale que Zorian ne connaissait pas à Cyoria.
Il s’agissait de sa seconde visite à Cyoria et elle se passait tout aussi banalement que la première. Il avait même délibérément pénétré dans quelques ruelles et parties plus isolées de la ville pour voir si Robe Rouge ou l’un de ses agents l’attaqueraient une fois loin des yeux du public mais rien n’était arrivé. Il n’avait même pas rencontré cette bande de loubards qui aurait tenté de s’emparer de ses affaires comme on le lissait dans toutes les aventures médiocres. Soupirant, il fit dépasser le haut de la baguette de retour de sa ceinture et se téléporta rapidement en périphérie de la ville. L’endroit était totalement ordinaire, lui aussi – ce n’était pas habité et Zorian l’avait piégé de tous les côtés pendant des semaines. Il pouvait aller et venir à sa guise mais si la barrière entourant la zone détectait n’importe qui d’autre, elle activerait une pléthore de pièges en direction de l’intrus – les plus vicieux et mortels qu’il était en capacité de créer et installer.
Il répéta l’action à trois reprises, se rendant à trois endroits similaires, erra dans quelque direction aléatoire pendant une heure avant de se téléporter vers sa destination finale.
Deux jours plus tard, quand personne n’avait tenté de le traquer jusque dans ce petit village reculé qu’il avait choisi pour base – principalement parce qu’il se situait au milieu de nulle part, des champs de blé à perte de vue dans toutes les direction – il finit par soupirer de soulagement… et planifia immédiatement sa prochaine excursion en ville. La prochaine fois, il vérifierait les ruines Aranea pour voir si Robe Rouge y aurait placé un quelconque piège susceptible de l’avertir de l’arrivée d’intrus.
Lorsque Zorian avait envisagé de retourner à Cyoria, il avait immédiatement considéré ça comme pure folie. Il n’était pas prêt et agir prématurément pouvait potentiellement tout ruiner. Cependant, plus il y pensait, plus il aimait cette idée. Robe Rouge ne tentait clairement plus de le localiser – si ç’avait été le cas, Zorian n’aurait pas tenu tout ce temps, il en était sûr. Pourquoi Robe Rouge ne sentait plus le besoin de le localiser alors qu’il cherchait clairement à se débarrasser de tous les autres voyageurs temporels, Zorian n’en savait rien. Il avait eu peur que l’autre voyageur eût peut-être placé des pièges à Cyoria pour être tenu au courant du retour de Zorian mais même cette hypothèse semblait de plus en plus improbable, désormais – Zorian avait traversé Cyoria dans tous les sens pendant ses deux brèves excursions dans la ville, même certaines parties de l’académie, et rien n’était arrivé.
C’était important, en partie parce que Zorian sentait qu’il devenait un peu fou et désirait désespérément voir quelques visages familiers, n’était-ce que pour un instant, mais également parce que Cyoria contenait des cibles de prédilection pour qu’il pratique ses capacités mentales grandissantes. La matriarche avait résolu le problème de la boucle temporelle en pêchant les informations dans la mémoire de certaines personnes, alors pourquoi ne pourrait-il pas faire de même ? Non seulement ses capacités progresseraient-elles mais il attaquerait également le mystère de la boucle par un autre versant. D’une pierre deux coups.
Il n’allait pas vraiment retourner en ville. Il allait continuer à tester l’endroit pendant quelque temps. Tenter d’y passer une semaine ou deux, se montrer en cours. Mais si Robe Rouge ne répondait toujours pas après ça ?
Son long exil serait alors terminé.
___
Zorian passa les trois mois suivants à alterner entre les leçons d’Esprit Flamboyant et les promenades à Cyoria. Il ne fut pas attaqué une seule fois en ville, pas même en parcourant le campement Aranea empli des corps sans vie tels qu’il les avait déjà vus. Une partie de lui trouvait tout ça hautement suspect mais au final, ça ne le retint pas de revenir.
Spécialement parce qu’il commençait à atteindre les limites de ce que désirait lui apprendre Esprit Flamboyant. Ses défenses mentales étaient au top du top et sa capacité à répondre aux attaques envers les esprits hostiles n’était pas à prendre à la légère – même Esprit Flamboyant admit qu’elle avait dû le prendre au sérieux, récemment. Elle lui avait inculqué tout ce qu’elle savait des astuces simples et des techniques de base auxquelles elle avait daigné lui laisser accès et il était même légèrement plus proche de parvenir à lire les sens des Aranea – les Avocats Lumineux avaient eu raison, c’était devenu nettement plus facile une fois habitué à le faire avec les humains. S’il désirait tirer un quelconque bénéfice de ses enseignements, il allait devoir passer plusieurs mois à s’exercer à l’analyse de la mémoire profonde des humains en premier lieu.
Bien sûr, cela demanderait une Aranea volontaire, qui lui apprendrait les bases de telles analyses profondes. Esprit Flamboyant refusait catégoriquement car cela reviendrait à abaisser ses défenses et permettre à Zorian de plonger en profondeur dans ses souvenirs privés. Même parmi elles, les Aranea considérait ce genre d’acte pourvu d’une grande signification et requérait une confiance extrême. Et il ne fut pas aidé par le fait que lorsqu’Esprit Flamboyant demanda à pouvoir faire de même dans ses propres souvenirs, il n’eut d’autre choix que de refuser.
Il savait que les Sages Filigranes seraient enclins à jouer le jeu s’il leur permettait un accès au campement Aranea de Cyoria mais Zorian s’était trouvé incapable de trouver les indices qu’il cherchait concernant l’artisanat Aranea dans ce camp et il n’était même pas sûr que ça fonctionnerait, tout simplement.
Puis, vers la fin de la dernière boucle se produisit quelque chose d’intéressant. Zorian reçut la permission de la matriarche des Navigateurs de rester dans leur colonie pendant un certain temps après qu’il les eût aidées à creuser une toute nouvelle caverne grâce à la magie d’altération. De fait, il était présent dans la chambre de la matriarche quand arriva un messager des Gardiennes de la Caverne Jaune, qui suppliait les Navigateurs de lui apporter de l’aide.
Les Gardiennes de la Caverne Jaune, avait-il découvert, étaient au bord de l’extinction. Quelques jours avant le début de la boucle, les grottes desquelles ils tiraient leur nom – et dont dépendait leur survie et leur prospérité – avaient été envahies par un énorme monstre venu des niveaux inférieurs du Donjon. La créature était trop résistante pour être affectée par la magie mentale, tout aussi solide physiquement et capable de se régénérer. Une grosse semaine et demi après le début de la boucle temporelle, les Gardiennes avaient commencé à désespérer. Dans leur tentative de récupération de leur habitat, elles avaient décidé de lancer une attaque décisive pour chercher à chasser le monstre. Ce fut un désastre sans nom et elles perdirent à la fois leur matriarche et ses deux successeurs/assistantes/…quelque chose. Désormais sans dirigeante et totalement paniquées – elles prétendirent avoir discuté la situation entre elles mais Zorian savait lire entre les lignes – elles n’eurent d’autre choix que de venir demander de l’aide à quiconque voudrait les écouter.
Malheureusement pour elles, les Navigateurs n’avaient aucune intention de se mêler des affaires d’une créature capable de décimer un camp Aranea entier. Heureusement pour elles, Zorian était loin d’être aussi intimidé.
La dernière fois qu’il leur avait proposé son aide, elles avaient ouvertement refusé. Mais la dernière fois, c’était au début de la boucle, quand leur matriarche était toujours vivante et qu’elle pensait être capable de s’occuper de la situation. Elles étaient probablement plus inquiètes de la possibilité que Zorian put tirer parti de leur faiblesse et ne ressentaient pas le besoin urgent de trouver tout l’aide possible. Maintenant que la matriarche était morte, cependant, elles n’étaient plus en position de négocier.
Il n’eut même pas à demander – la messagère s’approcha de lui et le supplia de les aider juste après que Pont de Clarté de Lune, la matriarche des Navigateurs, l’eût bottée en touche et qu’elle eût réalisé la présence de Zorian.
Après avoir martelé un marché basique – qui se résuma en un nous ferons tout ce que vous voulez, rendez-nous notre caverne ! – Zorian utilisa la baguette de retour en compagnie de la messagère pour se rendre à la surface et se téléporta aussitôt avec elle à l’endroit où se trouvait leur caverne. La messagère était un peu choquée qu’il pût connaître l’endroit sans avoir besoin d’être guidé, un peu désorientée de la rapide succession de déplacements instantanés ; mais elle récupéra rapidement et le conduisit vers ce qui servait de hiérarchie dirigeante momentanée à leur colonie.
Quelques heures plus tard, il se trouva face à l’entrée d’une grande caverne où existait une forêt fongique, deux gardes Aranea l’observant depuis l’arrière, dans le tunnel qui menait à la grotte. Elles étaient prêtes à intervenir si quelque chose se passait mal mais Zorian était certain qu’elles resteraient assises sur leur cul s’il se faisait attaquer et s’il perdait, elles iraient rapporter sa disparition tragique face aux crocs d’un monstre avant qu’elles pussent faire quoi que soit. Elles semblaient terrifiées rien que de se trouver là.
Zorian créa un œil ectoplasmique flottant et l’envoya plus loin dans la caverne afin d’y comprendre quelques bases quant à sa forme et sa disposition. Son entraînement récent dans la lecture des sens d’autrui lui permettait de comprendre ce que l’œil lui envoyait avec une simplicité enfantine et il n’avait même plus besoin de fermer les yeux pour se concentrer.
Il devait admettre une chose – cette caverne était à couper le souffle. Gigantesque et presque entièrement couverte d’une variété ahurissante de plantes et de champignons géants. Les champignons les plus familiers en forme de parasol existaient entre d’autres qui ressemblaient à de longs arbres sans feuilles ou encore de fine pointes parsemées de baies. Les regardant de plus près, Zorian aperçut même plusieurs spécimens qui semblaient être des plantes albinos plutôt que des protubérances fongiques, complétées de fleurs et de feuilles atrophiées. La plus grande brillait d’une lueur bleutée qui diffusait une aura légère dans la caverne entière.
Son appréciation de la scène fut rapidement interrompue, cela dit – le monstre était compliqué à louper.
En plein milieu de la caverne, assis comme un roi dans un petit lac peu profond. Eh bien, peu profond, dans un certain sens. Zorian aurait pu y couler en son centre alors qu’il ne s’agissait guère que d’une flaque pour celui qui surplombait le lac. C’était une espèce de grenouille géante, mais du genre à avoir pour père un troll qui l’aurait élevé aux potions de croissance musculaire depuis la naissance. Une peau noueuse, d’un vert sombre, couvrait une créature de plus de cinq mètres de haut, même allongée. Ses membres étaient épais et les muscles sous-cutanés donnaient l’impression de vouloir exploser à tout moment. Oh, et ils se terminaient par de grandes griffes acérées en lieu de place de ventouses.
L’un des yeux globuleux de la grenouille géante se tourna vers l’œil spectral, remarqua l’intrus et puis… la créature resta immobile, se contentant d’ignorer ce petit intrus. Le monstre avait abattu tous les champignons entourant le lac, probablement pour se donner une meilleure vue de son nouveau domaine, changeant périodiquement d’angle afin de l’admirer sous toutes les coutures.
Zorian fit disparaître l’œil ectoplasmique et se tourna vers les deux gardes.
— Il va me falloir quelques jours pour me préparer.
___
Trois jours avant la fin de la boucle, Zorian était prêt à tenter d’abattre le batracien géant qui avait évincé les Aranea de chez elles. Son plan était simple : du feu.
Beaucoup de feu.
Vraiment beaucoup de feu.
Lorsqu’il arriva finalement à l’entrée de la caverne, il s’assura tout d’abord que sa cible était toujours là où il l’avait laissée – elle y était – et déposa lentement une pierre d’ignition dans une caisse emplie de briques hautement inflammables qui lévitait derrière lui. Une fois ceci fait, il créa une illusion autour de la caisse pour la faire ressembler à une Aranea et l’envoya flotter le long du sol en direction de la bête géante. Il la suivit de loin sous couvert d’invisibilité, un énorme et solide golem d’acier sur ses talons. Le golem était totalement visible et servait essentiellement de cible géante si le plan A devait ne pas fonctionner.
Zorian avait imaginé un certain nombre de méthodes pour tenter de forcer le monstre à avaler le leurre mais aucune d’elles ne s’avéra nécessaire. Il semblait que ce que disaient les Gardiennes de la Caverne Jaune sur la créature qui adorait apparemment manger de l’araignée était exact, parce qu’elle ne prit qu’à peine le temps de tourner la tête dans sa direction avant d’attaquer. Une longue langue filiforme et rouge sombre jaillit vers la caisse déguisée avant de l’attirer tout aussi rapidement vers sa gueule.
Au moment où elle se referma pour de bon, Zorian envoya une pulsion de mana en direction de la pierre d’ignition située dans la caisse, faisant exploser le tout à l’intérieur du monstre.
Le cri qui en résultat fut très possiblement la chose la plus perturbante que Zorian eût l’occasion d’entendre au cours de sa vie. Ce n’était ni un coassement ni quoi que ce fût qui se rapprochait du royaume batracien. C’était plus semblable à une meute de porcs se faisant égorger dans un même geste, encore et encore. La grenouille géante ouvrit la gueule pour en vomir une cascade de feu, de sang et de bile, tentant d’expulser la substance agressive sans succès – Zorian avait volontairement choisi un produit alchimique dont le feu collait aux surfaces comme de la glue et peu importe à quel point le monstre essayait, il n’arrivait pas à se débarrasser de la poisse enflammée qui lui couvrait les entrailles. Pour dire vrai, sa tentative pour vomir le tout ne faisait qu’empirer les choses ; il aurait eu plus de chance s’il avait tenté de garder la gueule fermée pour essayer d’étouffer le feu.
Malheureusement, après quelques essais futiles, le monstre cessa soudain de lutter en remarquant Zorian et son golem. Immédiatement, il chargea dans leur direction.
Zorian ordonna silencieusement à son golem d’intercepter la charge de la créature en faisant de même, sans même se demander comment elle savait qu’il se trouvait là. Les habitants du Donjon possédaient toutes sortes de sens ridicules et des capacités qui l’étaient encore plus, spécialement lorsqu’elles étaient puissantes comme celle-là. Il envoya une vague de force vers les pattes du monstre, parvint à la faire tituber un peu et donnant l’occasion à son golem d’abattre son point de métal directement dans le coin de sa gueule. Bien que beaucoup plus grosse que lui, la grenouille parut momentanément sonnée par l’impact et n’eût pas le temps d’éviter l’énorme boule de feu envoyée par Zorian.
Fâcheusement, elle n’était toujours pas morte. Elle hurla à nouveau, blessée en-dehors et en-dedans, les yeux réduits en deux cosses carbonisées par la boule de feu. Mais elle trouva malgré tout suffisamment de force pour déchirer l’acier du golem – que Zorian avait passé un temps considérable à fabriquer et renforcer – dans une explosion de violence. Le monstre arracha ses deux bras, éventra le corps en deux morceaux distincts et envoya les bouts voler dans toutes les directions. La partie inoffensive supérieure du torse du Golem tomba tout près de Zorian, qui resta silencieux et immobile en espérant ne pas attirer l’attention de la grenouille.
Il aurait été agréable de dire que ce qui suivit fut une bataille épique au cours de laquelle il prit les devants pour courageusement achever le monstre une bonne fois pour toutes mais en vérité, il se contenta de rester hors de portée de ce qu’il pouvait posséder comme sens pendant qu’il ravageait la forêt, à la recherche de sa proie. La perte de sa vision semblait lui faire grand mal et il ne parvint pas à même approcher l’endroit où se trouvait Zorian. À un certain moment, il s’arrêta et bascula, succombant finalement à ses nombreuses blessures.
Pourtant, une victoire reste une victoire, n’est-ce pas ?
Ses gardes s’étant enfuies voilà bien longtemps, Zorian se rendit lentement vers le campement temporaire des Aranea locales afin de leur donner la bonne nouvelle.
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Les deux Aranea envoyées s’assurer qu’il disait vrai observaient le cadavre calciné de la grenouille géante qui les avait presque annihilées. Zorian tenta de rester respectueux et attendit sagement qu’elles réalisent que tout était bel et bien fini avec ce monstre mais après plus de cinq minutes, il commença à s’impatienter. Et à se sentir contrarié – ce n’était pas si incroyable que ça qu’il eût pu dégommer cette bestiole, non ?
Il s’éclaircit la gorge, parvenant enfin à attirer leur attention.
— Au sujet de mon paiement… commença-t-il.
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Zorian ouvrit les yeux d’un seul coup, une douleur aiguë dans l’estomac. Son corps tout entier se convulsa en réaction à l’objet qui venait de lui tomber dessus ; ce fut ce qui l’éveilla brusquement, la moindre trace de somnolence parfaitement dissipée.
— Bonjour, mon frère ! Résonna une voix désespérément joyeuse quelque part au-dessus de lui. Bonjour, bonjour, bonjour !
Zorian soupira. Il souhaitait vraiment que tous les mois ne commençassent pas de la même manière.
— Bonjour à toi aussi, Kiri, dit-il poliment. Ça te dirait de descendre de mon ventre ?
— Hmm… murmura-t-elle en faisant mine d’y réfléchir. Nope ! Je pense que je vais rester là encore un moment.
— C’est dommage, lâcha-t-il platement.
— Tu sais que tu vas à l’académie aujourd’hui, hein ? lui demanda-t-elle.
— Comment aurais-je pu oublier ? répondit-il. La vraie question, c’est veux-tu venir avec moi ?
Les yeux de Kirielle s’ouvrirent plus grand encore que lorsqu’il avait accepté sa demande la toute première fois.
— V… Vraiment ?!
— Je n’aurais pas demandé si je n’étais pas sérieux, la rassura-t-il.
Cinq minutes plus tard, Zorian parvint à distraire une Kirielle extatique grâce à un oiseau illusoire et à la faire enfin cesser de parler afin de l’envoyer emballer ses affaires.
Lui, d’un autre côté, était déjà prêt. Il avait appris les bases de l’analyse profonde de la mémoire en tant que paiement pour avoir tué cette grenouille géante et il était désormais certain que le simple fait de rester à Cyoria n’était pas dangereux en lui-même ; il avait désormais un but et un moyen d’y parvenir à partir de là.
Il était temps de retourner en cours une fois de plus.
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