MoL : Chapitre 8
MoL : Chapitre 10

Chapitre 9 – Tricheurs

 

— Majara, prononça Zorian pour finaliser le sort avec le mot qu’il voulait que le sort recherche. Il sentit l’invocation l’envelopper, scanner les livres alentour à la recherche de toute mention du mot en question. Puis, il y insuffla encore plus de mana afin d’en étendre le rayon. Ses efforts furent à deux doigts de surcharger le sort et faillirent le déstructurer, forçant Zorian à passer plusieurs secondes à en stabiliser la mise en forme. Au bout du compte, le flux de mana trouva sa place et le sort termina sa tâche comme prévu. Sept filaments dorés apparurent en scintillant, semblant prendre racine dans son torse et le connectant à divers ouvrages dans cette partie de la bibliothèque.

Zorian sourit. Le sort était l’un de ceux permettant la divination de livres qu’Ibery lui avait appris, un spécifiquement prévu pour partir en quête d’un mot ou d’une suite de mot dans des pages à proximité. Le sort était fragile par nature et échouait si le nombre de résultats positifs dépassait un certain seuil – le nombre exact dépendait du talent du lanceur. Il était principalement usité afin de retrouver citations ou termes exotiques.

Des termes exotiques comme, disons, l’ancien langage Majara. Zenomir ne plaisantait pas en disant à Zorian qu’il ne serait capable de trouver aucun livre à son propos : aucun ouvrage n’était exclusivement dédié au langage Majara et très peu d’autres le mentionnaient même. Jusqu’à présent, il n’avait trouvé que 13 autres livres qui contenaient ce mot et la plupart sous la forme d’un commentaire quelconque. Il était possible que la connaissance qu’il cherchait se trouve quelque part dans la bibliothèque, mais sous un format rendant le type de divination qu’il employait inutile – Ibery lui avait appris la base de la base de la magie de bibliothèque, comme elle l’appelait – mais si c’était le cas, il ne pouvait pas y faire grand-chose.

Il baissa les yeux vers les filins d’or qui sortaient de son torse et agita la main à travers, la regardant les traverser sans effet. Il n’en avait jamais assez de faire ça. Bon, il en aurait sans doute marre un jour, mais la nouveauté était encore trop récente. Ils n’étaient qu’une illusion et n’existaient que dans l’intimité de son propre esprit. Chaque sort de divination nécessitait un médium au travers duquel présenter les informations au lanceur puisqu’il était impossible à un esprit humain de traiter les données sortant d’un sort de divination de façon brute. Une illusion imposée à soi-même comme ces fils dorés était en réalité une manière avancée de contourner ce besoin de médium, ou en tout cas, c’était ce que prétendait Ibery lorsqu’il avait tenté de lui dire qu’il avait réussi à lancer le sort en moins de 30 minutes. Il avait eu l’impression qu’elle le prenait pour un menteur. Il ne comprenait pas vraiment ce qui était supposé être si difficile à propos de ce sort, pour être honnête – les fils n’étaient qu’une construction mentale qui ne réclamait même pas un talent exceptionnel dans la mise en forme du mana… Simplement, une bonne visualisation. Pour Zorian, le tout avait semblé naturel.

Il secoua la tête et suivit l’un des fils jusqu’à atteindre un livre auquel il était attaché. C’était un énorme et intimidant ouvrage de 400 pages relatant l’histoire de Miasina et Zorian n’avait absolument aucune intention de s’y attarder tant qu’il n’aurait pas atteint la toute petite partie qui l’intéressait, aussi lança-t-il un autre sort de divination pour la localiser avec précision. Celui-ci mentionnait même le mot choisi en le surlignant d’un vert brillant, aussi feuilleta-t-il les pages rapidement jusqu’à choper cet éclat de lumière verte.

— Zorian ? Que fais-tu ici ?

Zorian claqua immédiatement la couverture du livre pour le refermer et le replaça sur l’étagère. Même s’il ne faisait rien de répréhensible, il n’avait aucune envie d’expliquer à Ibery ce qu’était un Majara et pourquoi il était à la recherche des quelques mentions qui en étaient faites.

La réponse qu’il prévoyait de lui servir mourut entre ses lèvres quand il se tourna pour lui faire face. Ibery était ravagée. Ses yeux étaient rouges, son nez encore plus, comme si elle avait beaucoup pleuré récemment et des immondes taches pourpres décoraient sa joue et son cou. Ce n’était pas des marques de violence, non, pas exactement, c’était…

Oh, merde, non ?

— Ibery… commença Zorian de façon hésitante. Tu ne serais pas dans la même classe que mon frère Fortov, n’est-ce pas ?

Elle recula d’un pas et tourna le regard. Zorian soupira profondément. Génial…

— Comment le sais-tu ? demanda-t-elle après quelques secondes de silence.

— Mon très cher frère est venu me voir un peu plus tôt, expliqua Zorian. Il a dit qu’il avait poussé une fille dans un buisson de lianes pourpres et il voulait que je lui fabrique une potion anti-rash. Je n’étais pas d’humeur et je l’ai gentiment foutu dehors.

C’était un mensonge, bien sûr. Il avait découvert pendant les trois boucles précédentes que Fortov était parfaitement incapable de pister Zorian s’il ne retournait pas dans sa chambre. C’est pour cette raison, en réalité, qu’il avait passé sa journée à la bibliothèque à la place. Pourtant, sa situation plutôt unique lui permettait malgré tout de savoir ce qui s’était passé.

— Oh, souffla-t-elle. C’est… Ça ira.

— Non, trancha Zorian. Non, ça n’ira pas. Si j’avais su qu’il parlait de toi, je l’aurais aidé. Enfin, je t’aurais aidée, toi. Lui, il peut aller crever ou se jeter dans un feu, pour ce que je m’y intéresse.

Zorian fit une pause pendant quelques secondes, le temps de peser la situation.

— Tu sais, il n’y a rien qui m’empêche de faire ça tout de suite. Je n’ai qu’à faire un saut à ma chambre et choper les ingré –

— Tu n’as pas à faire ça, coupa rapidement Ibery. Ce n’est… Pas si important.

Zorian l’observa une fois de plus. Ouais, elle avait pleuré avant d’arriver. D’ailleurs, son choix de mots était remarquable : elle avait dit qu’il n’avait pas à le faire, pas qu’il ne devait pas, et que ce n’était pas si important, pas que ça ne l’était pas.

— Ce n’est vraiment pas un problème, la rassura-t-il. Si j’ai refusé de le faire en premier lieu, c’est parce que c’est Fortov qui me l’a demandé, pas parce que c’est compliqué. Dis-moi simplement où te trouver quand j’aurai terminé et tout ira bien.

— Hm… j’aimerais venir avec toi, si ça ne te dérange pas… hésita Ibery. J’aimerais voir comment se prépare le remède. Juste au cas où.

Zorian fit une pause une fois de plus. C’était… potentiellement problématique. Après tout, l’atelier d’alchimie serait fermé si tard le soir et il devrait utiliser quelques méthodes, hm, peu orthodoxes pour y avoir accès. Mais merde, ce n’était pas comme si elle allait s’en rappeler la fois suivante.

Ainsi, ils partirent vers la chambre de Zorian. Bien sûr, qu’Ibery regarde par-dessus son épaule n’était pas suffisant et quand ils atteignirent la chambre, ils y trouvèrent un autre visage familier. Nommément, Zach.

Il ne fut pas terriblement surpris de voir Zach l’attendre, pour être honnête. Il devenait de plus en plus nerveux à mesure que le festival d’été approchait, sans doute les nerfs à vif en prévision de l’invasion à venir. Il n’avait pourtant jamais parlé de ça à Zorian et restait bouche close à ce sujet, peu importe à quel point Zorian tentait de l’y mener. Durant les quelques jours précédents, Zach l’avait questionné à propos de ce qu’il comptait faire durant le festival, insinuant sans prendre de gants que rester dans sa chambre était une extrêmement mauvaise idée. Comme Zorian se souvenait encore avec vivacité de cette flamme qui avait rasé son dortoir, il avait tendance à être plutôt d’accord avec son ami sur ce point. Malheureusement, ce dernier avait visiblement du mal à accepter que Zorian fusse si facilement en accord avec lui. Il ne faisait aucun doute qu’il était venu s’assurer – encore – que Zorian allait bien participer au bal. Et Zach se demanda une fois de plus ce qui avait bien pu se passer entre Zach et son incarnation d’un autre temps pour qu’il lui laisse ce genre d’impression. Avait-il vraiment été si obtus pendant les 200 sessions temporelles de Zach ?

Il s’approcha de Zach, qui était simplement assis sur le sol à côté de la porte, parfaitement inconscient de ce qui se passait autour de lui, trop concentré sur la paume de sa main. Non, maintenant que Zorian était plus proche, il pouvait voir que c’était en réalité quelque chose au-dessus de sa paume. Un crayon, tournoyant paresseusement dans les airs. Apparemment, Zach connaissait cette variante également et s’amusait en attendant Zorian, qui sentit d’un seul coup le besoin urgent de jeter quelque chose à la tête de Zach en lui intimant de recommencer. Finalement, il parvint à se retenir de justesse.

Principalement parce qu’il n’avait pas de billes à lui balancer.

— Salut, Zach, commença-t-il, sortant celui-ci de sa rêverie. Tu m’attendais ?

— Ouais, confia Zach, qui ouvrit ensuite la bouche pour dire quelque chose lorsqu’il remarqua Ibery qui se cachait à moitié derrière Zorian. Euh… Je vous interromps, là ?

— Non, pas vraiment, soupira Zorian. Je suis juste venu chercher quelques ingrédients afin de préparer quelque chose pour Miss Ambercomb ci-présente. Qu’est-ce que tu me voulais ?

— Eh, ça peut attendre, avoua nonchalamment Zach. Qu’est-ce que tu fais ? Peut-être que je peux aider. Je suis plutôt bon en alchimie.

— Y a-t-il une matière dans laquelle tu n’es pas bon ? renifla Zorian.

— Tu serais surpris, grommela Zach.

Ibery observa leur échange en silence mais Zach était une personne relativement sociable et le temps que Zorian revienne de sa chambre avec tout ce qu’il fallait, ils étaient déjà engagés dans une conversation animée. Principalement à propos de l’état d’Ibery.

— Mec, j’ignorais que ton frère était un tel enfoiré, Zorian, fit remarquer Zach. Pas étonnant que tu sois devenu si… euh…

Il recula d’un pas quand Zorian leva un sourcil dans sa direction, un sourcil qui lui demandait clairement s’il allait oser finir sa phrase. La réaction d’Ibery fut plus vocale.

— Ce n’est pas un enfoiré ! protesta-t-elle. Il ne l’a pas fait exprès !

— Il aurait dû faire quelque chose pour réparer son erreur, par contre, insista Zach. Intentionnellement ou pas, c’est sa faute. Il n’aurait pas dû rejeter les responsabilités sur son petit frère de la sorte.

— Personne n’a forcé Zorian à faire quoi que ce soit, précisa Ibery. Il le fait de son propre chef. Pas vrai, Zorian ?

— Exact, confirma le principal concerné. Je le fais parce que je veux le faire.

Il était d’accord avec Zach de long en large, en réalité, mais choisit de ne rien en dire d’autre. S’il avait appris une chose à propos d’Ibery après avoir passé une boucle entière près d’elle, c’était qu’elle en pinçait sévère pour Fortov. Aucun bien ne pouvait être fait en dégradant son image devant elle. D’ailleurs, s’il devait être honnête avec lui-même, Zorian aurait dû admettre qu’il était incapable d’être objectif à propos de son frère. Il existait entre eux trop de ponts sous lesquels l’eau ne pouvait plus couler.

Heureusement, tous deux tombèrent rapidement d’accord sur le fait qu’il ne fallait pas en dire plus et après un hochement de tête entendu, un silence désagréable s’abattit sur le groupe. Désagréable pour Zach, en tout cas ; Zorian l’appréciait particulièrement.

— Eh, Zorian lâcha Zach pour briser le silence, pourquoi nous rendons-nous vers les bâtiments de l’académie ?

— Pour que je puisse accéder à l’atelier d’alchimie, bien sûr, répondit Zorian, qui savait où Zach voulait en venir mais espérait tout de même pouvoir s’en sortir sans avoir à révéler l’un de ses secrets les mieux gardés.

Manque de chance, quand tu nous tiens.

— Mais les ateliers sont fermés à cette heure-ci, fit remarquer Zach.

— Ah ! s’exclama Ibery. Il a raison ! Ils ont fermé il y a deux heures !

— Ce ne sera pas un problème, les rassura Zorian. Tant que nous nettoyons derrière nous, personne ne saura qu’on y a été.

— Mais la porte est verrouillée, signala Zach.

— Pas à la magie… soupira Zorian.

— Tu connais un sort de déverrouillage ? s’étonna Zach avec honnêteté.

Zorian comprenait sa surprise : les sorts de déverrouillage étaient une magie très contrôlée à cause des abus qui pouvaient en découler. À moins de posséder une licence spéciale, le simple fait de savoir comment lancer un tel sort était un crime. Pas un crime particulièrement sérieux, mais un crime nonobstant.

Peut-être était-il préférable, en sachant ça, que Zorian ne connaissait pas le moindre sort de déverrouillage.

— Non, je n’en connais pas, répondit Zorian. Mais c’est une simple serrure mécanique. Je vais me contenter de manipuler les goupilles par télékinésie. Rien de plus simple.

Les deux autres lui offrirent un regard vide. Comme la plupart des gens, ils n’avaient aucune idée de la façon dont fonctionnaient les serrures et à quel point il était facile de crocheter la plupart d’entre elles. Zorian, du fait de son enfance colorée, le savait. En fait, il pouvait crocheter n’importe quelle serrure classique sans même l’aide de la magie – c’était simplement plus lent sans qu’avec et lui demandait d’avoir toujours sur lui un jeu de crochetage.

Il s’arrêta devant la porte qui menait à l’atelier et tenta d’en abaisser la poignée. Comme Zach l’avait prédit, c’était fermé. Zorian haussa les épaules et plaça ses paumes contre le trou de la serrure avant de fermer les yeux. Il pouvait sentir Zach et Ibery graviter autour de lui pour tenter de mieux voir ce qu’il faisait et il fit de son mieux pour leur bloquer la vue. Il lui fallait une concentration totale pour faire ça rapidement.

Il avait développé ce truc un peu plus tôt, en seconde année après en avoir eu assez de toujours se plier aux exercices de mise en forme de mana donnés par les professeurs, bien trop simples à son goût. On parlait alors de noyer le mécanisme de la serrure avec son mana, et d’utiliser ce champ de mana comme un détecteur sensoriel afin de ressentir le « toucher » des goupilles. Il pouvait alors les placer délicatement en position et neutraliser le principe même de la serrure. Il lui avait fallu des mois de pratique bornée mais il était désormais capable d’ouvrir la plupart des portes en moins de 30 secondes.

Même celles protégées par magie. Il ne le dit pas à Zach et Ibery mais la porte qu’il tentait d’ouvrir était en réalité protégée. Tout ce qui était d’une quelconque importance dans l’académie l’était, y compris la plupart des portes. Cependant, comme Zorian l’avait découvert lors de ses expériences avec son jadis toute nouvelle compétence, les protections de bas niveau étaient très spécifiques – faites pour contrer une poignée de sorts de déverrouillages communs et rien d’autre. Le petit truc de Zorian n’était pas un sort structuré et ces protections magiques ne l’arrêtèrent pas le moins du monde.

La serrure cliqueta et Zorian tenta la poignée une seconde fois. Cette fois, la porte s’ouvrit sans opposer de résistance.

— Ouah, s’exclama Zach en entrant dans l’atelier. Tu peux ouvrir une porte fermée juste en pressant ta paume contre la serrure pendant quelques secondes !

Zorian le regarda, l’air bête.

— C’est un peu plus compliqué que ça, tu sais. Ce n’est que la partie visible.

— Oh, je n’en doute pas une seconde.

Pourtant, tout comme Zach semblait très impressionné par la performance de Zorian, Ibery restait étrangement silencieuse et le regardait de temps en temps d’un œil étrange. C’était pour ça qu’il avait horreur de montrer aux gens ce qu’il savait faire avec une serrure – la plupart en déduisaient immédiatement qu’il était une espèce de voleur. Bon, ça et parce qu’il ne voulait pas que les autorités académiques le découvrent. Ils modifieraient sans aucun doute la façon dont les portes étaient protégées et il se serait plus capable alors de faire ce qu’il venait de faire.

Heureusement, Ibery ne semblait pas si prompte à le condamner que la plupart des gens que Zorian avait rencontrés au cours de sa vie et dépassa ses soupçons au moment où il se mit à préparer le plan de travail. Assez étrangement, Zach ne connaissait pas cette recette alors que c’en était une assez simple à réaliser et qu’il avait fait preuve d’un talent surhumain en alchimie, en cours. Il ne semblait pas intéressé par la possibilité de l’apprendre – apparemment, le baume anti-rash était trop banal à son goût et seules les potions de type puissance et guérison pouvaient éveiller son intérêt. C’était un peu comme essayer de construire une maison sans prendre la peine de couler des fondations mais c’était lui, le voyageur temporel vieux de tant d’années.

— Mais ce sont des feuilles de liane pourpre ? demande Ibery en désignant la petite pile que Zorian avait placée dans un morceau de tissu humide.

— Oui, confirma aussitôt Zorian en les emballant. C’est l’ingrédient principal, et il faut les broyer d’abord. Les manuels d’alchimie prétendent qu’il faut réduire les feuilles en poudre mais ce n’est pas nécessaire d’aller si loin. Il faut juste utiliser plus de feuilles dans ce cas mais ce n’est pas comme si elles étaient rares…

Une heure plus tard, le baume était prêt et Zach fut assez aimable pour lancer un sort d’illusion afin qu’Ibery puisse se l’appliquer çà et là en toute intimité. Gentiment et furtivement, pendant qu’Ibery était consciencieusement à la tâche, Zach entraîna Zorian un peu plus loin pour lui parler en privé.

— Alors ? demanda Zorian. Qu’est-ce qu’il se passe ?

Zach mit la main dans sa poche et en sortit un anneau, qu’il tendit rapidement à Zorian. Une simple bande dorée sans fioritures qui réagit étrangement quand Zorian y fit circuler un peu de mana.

— C’est une formule magique, expliqua Zach.

— Missile magique ? supposa Zorian.

— Oui, ça, et bouclier, et lance-flammes, ajouta Zach. Maintenant, tu peux les utiliser en combat.

Zorian baissa les yeux vers l’anneau, un respect nouveau dans le regard. On ne pouvait que graver une certaine quantité d’information sur un objet – la formule d’un sort. Et la plupart du temps, cette quantité était dépendant de la taille de l’objet en question. Transformer une chose si petite en formule pour trois sorts différents était un haut-fait, impressionnant même, malgré le faible niveau des sorts gravés.

— Ça a dû te coûter cher, remarqua Zorian.

— Euh, je l’ai fait moi-même, en fait, ricana Zach.

— Pourtant, c’est quelque chose de bien précieux que tu donnes à une personne que tu ne connais vraiment que depuis moins d’un mois, insista Zorian. Pourquoi ai-je l’impression que je vais en avoir besoin dans un futur proche ?

Le sourire de Zach disparut et il devint soudain bien plus nerveux.

— Peut-être. Je ne fais que m’assurer que tout ira bien, tu sais. On ne peut pas savoir quand un troll hargneux pourrait surgir pour te sauter dessus…

— C’est… étrangement précis, comme exemple, nota Zorian. Tu sais, plus le festival approche, plus tu deviens nerveux. Et tu sembles vraiment insister sur le fait que je doive aller au bal.

— Tu vas y aller, n’est-ce pas ? bondit Zach.

— Oui, oui, je te l’ai déjà dit au moins une demi-douzaine de fois, pouffa Zorian. Qu’y a-t-il de si important à propos de ce bal, d’ailleurs ? Que va-t-il s’y passer, ô grand voyageur du futur ?

— Tu vas devoir le voir pour le croire, soupira Zach. C’est peut-être encore plus improbable que le voyage dans le temps.

— À ce point ? demanda Zorian, acquiesçant intérieurement ; une invasion de cette envergure était une chose à laquelle il n’aurait pas cru s’il ne l’avait pas vécue.

— Juste… Essaye de survivre, ok ? soupira Zach.

Avant que Zorian ait pu répondre, il arbora soudain un masque de joie et d’insouciance et s’écria d’une voix suffisamment audible pour que même Ibery comprenne.

— Ouah, Zorian, je suis heureux qu’on ait parlé de ça mais je devrais vraiment y aller, maintenant ! Je dois être parfaitement reposé demain. Bye, Zorian, Bye, Ibery ! Je vous revois tous les deux au bal !

Il fit demi-tour et s’en alla sans un mot de plus. Zorian secoua la tête en le regardant dépasser Ibery, désormais guérie de tout ce rash pourpre qui la couvrait un peu plus tôt.

— Eh bien, je suppose qu’on devrait y aller, nous aussi, affirma Zorian. L’académie n’envoie généralement personne patrouiller à la nuit tombée mais cet idiot vient de gueuler et risque d’avoir attiré une attention indésirable.

— Oh. Hm, tu as raison.

Zorian surveilla Ibery tandis qu’ils quittaient l’atelier et qu’il réutilisait son astuce pour verrouiller la porte à nouveau. Elle semblait étrangement nerveuse pour une personne qui avait eu ce qu’elle voulait.

— Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il au bout d’un moment.

— Euh… Non, rien, répondit-elle. Pourquoi ?

— Tu ne sembles pas heureuse d’avoir été guérie.

— Je le suis ! protesta-t-elle aussitôt. C’est juste que…

— Oui ? l’incita-t-il.

— Je n’ai pas de cavalier, avoua-t-elle. Celui avec qui je désirais y aller a déjà une partenaire maintenant.

Si le garçon anonyme se trouvait être Fortov – probablement, si on considérait la situation – alors oui, il en avait une, très certainement. En fait, il l’avait déjà eue probablement des semaines à l’avance et elle n’avait à peu près aucune chance d’y aller avec lui en premier lieu ; mais Zorian ne se sentit pas d’humeur à briser ses rêves de la sorte.

— Alors tu devrais simplement faire la même chose que moi et y aller seul, non ? conclut Zorian en haussant les épaules.

Elle s’arrêta soudain et le regarda d’un air intéressé.

— Tu n’as pas de cavalière ?

Zorian ferma les yeux et jura dans sa tête. Il avait vraiment mis les pieds là-dedans tout seul, hein ?

 

___

 

Zorian était nerveux. Depuis sa toute première réinitialisation, il avait soigneusement évité la ville le jour du festival, peu désireux d’être à nouveau pris dans l’invasion. Rester dans l’enceinte de la ville pouvait facilement signifier la mort, après tout, et à cette époque, il n’était jamais sûr du caractère final du mois en cours. « Et si c’était le dernier ? » n’était désormais plus une option, à moins qu’il ne fût enclin à faire comprendre à Zach que quelque chose n’allait pas avec lui.

En un mot, il était coincé au bal comme il l’avait promis et avec l’addition de dernière minute de sa cavalière Ibery. Il n’était pas tout à fait heureux de ce développement, en réalité. Il n’avait pas vraiment de plan pour la soirée, sauf peut-être attendre et observer ce qui allait arriver mais la présence d’Ibery à ses côtés allait sans aucun doute le limiter. Sans même parler du fait qu’il se souvenait encore de sa désastreuse soirée avec Akoja et désirait assez peu revivre une telle performance, boucle temporelle ou pas.

En parlant de sa soirée avec Akoja, Zorian dut admettre une chose à propos d’Ibery : elle était largement plus raisonnable et considérée que sa partenaire précédente. Elle ne l’avait pas traîné au bal deux heures avant le début des festivités, ne l’avait pas fait attendre au milieu de l’attroupement devant l’entrée et ne l’avait pas même présenté à la chaîne à des gens qui s’intéressaient plus à Daimen et Fortov qu’à lui… Elle était également bien plus intéressée par le fait de scanner la foule à la recherche d’une trace de Fortov que par l’éventualité de prêter attention à son propre cavalier. Mais ça allait, Zorian ne se berçait pas d’illusions ; elle ne lui avait demandé sa main pour la soirée que parce qu’elle n’avait personne d’autre, pas parce qu’elle s’intéressait à lui. Après un certain temps, il décida d’avoir pitié d’elle et l’informa que Fortov était déjà à l’intérieur, se préparant pour la performance du club de musique.

Naturellement, l’entrée de Zach fut dans le style flamboyant du personnage. Il avait attiré tous les regards sur lui en se montrant non pas avec une cavalière, mais deux. Zorian ne reconnut même pas ses compagnes, d’ailleurs. Il avait ensuite encore plus hébété les gens en faisant montre d’un talent impressionnant lorsqu’il s’était mis à danser. Apparemment, Zach avait appris un peu plus que la magie durant ses réinitialisations… Zorian applaudit avec les autres lorsque Zach eut finalement terminé et considéra l’intérêt d’accorder un peu de son temps à des domaines sans rapport avec la magie. Pas la danse, cela dit… ni aucune autre compétence de haute-société. Les peaufiner à peine au-dessus du niveau de base qu’il possédait lui demanderait de se fabriquer un masque qu’il n’était pas sûr de pouvoir retirer une fois chose faite. Les bénéfices ne valaient pas la vente de son âme, même métaphoriquement.

— C’est bien plus classe que ce à quoi je m’attendais, nota Ibery en laissant glisser un doigt le long de la nappe brodée.

— C’est évidemment bien plus qu’un simple bal scolaire, confirma Zorian. Je suppose que l’académie organise une espèce d’évènement pour dignitaires étrangers cette année et a décidé de faire d’une pierre deux coups, pour une raison qui m’échappe.

— Je suppose, lâcha Ibery. Ils ont vraiment investi pour que tout soit si beau cette année et je doute qu’ils l’aient fait pour nous.

Ibery regarda à l’autre bout de la table, où Zach amusait une petite foule, ses deux compagnes parties nul ne savait où. Après quelques secondes, elle se tourna vers Zorian et le regarda d’un air étrange.

— Quoi ? s’étonna ce dernier, un peu nerveux par ce regard soudain.

— Je voulais te demander… hésita-t-elle. Qu’y a-t-il entre Zach et toi ? Je veux dire, je sais que vous êtes amis mais comment ? Vous semblez si différents l’un de l’autre.

— C’est assez récent, avoua Zorian. Et c’est principalement du fait de Zach, pour être honnête. Tout ce que j’ai fait, c’était l’accompagner chez lui quand il était malade et il en a décidé que nous étions les meilleurs amis du monde. Je me suis contenté de suivre le mouvement.

— Alors tu ne sais rien à propos de… Hm…

— Son talent hors-normes soudain ? devina Zorian, en réalité surpris qu’elle ne l’eut pas questionné plus tôt à ce sujet, comme presque tout le monde le faisait – bien sûr, elle allait recevoir la même pâtée indigeste que tous les autres. Je n’ai aucune idée de ce qui lui est arrivé mais je peux te dire que c’est réel, ce n’est pas une espèce de sort d’illusion comme beaucoup le suggèrent. Il m’a enseigné un peu de magie de combat et il connaît vraiment son affaire.

— Ouais, j’ai entendu que tu faisais ça, avoua Ibery, ce qui fit froncer les sourcils à Zorian.

Être associé à Zach rendait les gens curieux de façon dérangeante de ce qu’ils faisaient ensemble, peu importe à quel point ce pouvait être banal ou inintéressant. Et être scruté de manière constante à chaque instant comme il l’était depuis un mois maintenant était une expérience nouvelle. Nouvelle et malvenue.

— Kyron a été impressionné par tes progrès, tu sais ?

Ouais… Au moins jusqu’à ce qu’il découvre que Zach était impliqué, point auquel c’était simplement devenu une chose supplémentaire maîtrisée d’une main de génie par Zach, qui le rendait encore un peu plus mystérieux aux yeux de tous, plutôt que la démonstration du talent de Zorian. Bien sûr, Zach possédait une espèce de technique secrète supérieure à toutes les autres. Bien sûr.

Et ce n’était pas comme s’il en était devenu amer !

— Impressionné, ouais, répondit tout doucement Zorian. Et toi, que crois-tu qu’il existe derrière le talent de Zach ?

— Eh… Eh bien… C’est un peu bizarre, finit-elle par bafouiller.

Zorian lui fit signe de s’exprimer. Il adorait entendre les explications des gens sur le mystère « Zach ». La plupart des spéculations n’étaient pas sérieuses, comme certaines idées les plus imaginatives et les plus amusantes et il doutait qu’Ibery allait trouver quelque chose de plus plausible que ce qu’il avait déjà entendu durant tout le mois. Sa réponse favorite restait celle qui voulait que Zach eut pratiqué un ancien rituel consistant à dévorer le cerveau d’une autre personne afin d’acquérir ses connaissances.

— Dilatation temporelle, finit par répondre Ibery au bout d’un moment d’hésitation.

Zorian cligna des yeux. Oh, Ibery… Elle venait de gagner son respect. Si proche, et pourtant si lointaine…

— Je ne pense pas qu’un sort d’accélération puisse être si efficace, pour être honnête, répondit Zorian. Zach n’est pas juste légèrement meilleur qu’avant – je le mettrais personnellement au niveau du troisième cercle au minimum. Je ne pense pas qu’il ait la moindre raison de venir en cours, sauf qu’il trouve ça amusant et qu’il aime étaler ses connaissances.

— J’ai remarqué ça, confirma Ibery en regardant momentanément le petit groupe qui phagocytait Zach. Mais je ne pensais pas à un sort d’accélération temporelle. Sais-tu ce que sont les Chambres Noires ? …Des rumeurs racontent que les puissantes nations comme la nôtre possèdent des lieux d’entraînement spéciaux qui utilisent un niveau extrême de dilatation temporelle. Tu y entres, y passes quelques mois ou quelques années et quand tu en ressors, un ou deux jours se sont à peine écoulés.

Les sourcils de Zorian se levèrent lorsqu’il entendit ça. Si l’une des puissances majeures possédait quelque chose comme ça, pourquoi les effets ne s’en faisaient-ils pas sentir ? Aucun des état successeurs n’était timide lorsqu’il s’agissait de montrer sa puissance et chacun d’eux aurait très probablement utilisé un tel outil pour entraîner des mages en masse.

— Ce n’est qu’une rumeur, ajouta Ibery. Quelque chose entre la théorie de la conspiration et une légende urbaine. Je n’en ai entendu parler que parce qu’une de mes amies adore ce genre d’histoire et qu’elle insiste sur le fait que ce genre d’endroit existe dans les tunnels sous la ville. Ils y consommeraient des quantités astronomiques de mana, alors ça doit être situé dans le puits.

— Et le Trou est le plus gros puits du coin, nota Zorian. Pourquoi un tel secret derrière tout ça, si c’était vrai ? On imagine qu’ils l’utiliseraient plutôt intensément.

— Ils ne peuvent pas, répondit Ibery. Ou plutôt, c’est ce que l’histoire raconte. Il y a de très sévères limitations de ce côté. Qui les pays choisissent dignes d’utiliser ces Chambres Noires représente le côté conspirationniste du truc. Les théories les plus conventionnelles suggèrent qu’il ne s’agit là que de structures permettant d’entraîner des super agents spéciaux. Les plus farfelues… euh… sont assez sauvages. »

— C’est une bien belle théorie, soupira Zorian d’un air pensif.

Cette théorie était bien plus proche de la réalité que toutes celles qu’il avait pu entendre jusque-là, même s’il n’allait jamais le dire, fût-ce sur le ton de la plaisanterie. Si elle pouvait prendre une rumeur si tirée par les cheveux au sérieux, il y avait une chance qu’elle le croie s’il lui racontait la vérité et ce pourrait être assez gênant sur le moment. Peut-être qu’il devrait essayer de la convaincre lors d’une boucle future ? Quelque chose à garder dans un coin de l’esprit, en tout cas.

— Mais si Zach a passé des années dans ce genre d’endroit, reprit-il, pourquoi est-il toujours aussi jeune ? Et pourquoi exactement l’auraient-ils laissé utiliser un truc si secret et limité ?

— Eh bien… Il n’aurait pas forcément dû y passer des années. Quelques mois d’enseignement intensif pourraient produire le même genre d’effet ; ce n’est pas comme si quoi qu’il ait fait était si avancé. Et même s’il y a passé des années, il existe des potions capables de freiner le vieillissement pour un an ou deux. Elles fonctionnent d’ailleurs mieux sur les jeunes sujets.

Zorian résista à l’envie soudain de froncer les sourcils en réalisant quelque chose. Autant Zach aimait être sur le devant de la scène, autant il ne voulait pas que le monde soit témoin de ce qu’il savait vraiment faire. Si Zach avait, durant ce mois, montré ce qu’il avait fait la nuit du festival, peut-être qu’Ibery hésiterait à juger les talents de Zach pas si avancés. Et puis, peut-être que c’était là le principal intérêt. Un Zach très talentueux d’un seul coup était surprenant, choquant même, pour ceux qui le connaissaient avant le changement. Un Zach archimage instantané aurait sans doute été alarmant bien plus que choquant et aurait attiré à lui des yeux qu’il ne désirait pas du tout attirer. Après tout, qui pouvait dire qu’il n’existait pas de sort capable de voir qu’une âme avait 17 ans de trop par rapport au corps ?

Peut-être que le comportement de Zach était bien plus calculé que ce qu’il imaginait.

— Et pourquoi lui ? continua Ibery. Eh bien, je ne dirai qu’une chose, Noveda. Ils étaient influents avant leur chute et pas uniquement parce qu’ils étaient riches. Ils avaient le bras long, très long. Je peux déjà voir quelques amitiés toujours profondément utiles aujourd’hui. Zach est le dernier de sa lignée et le destin de la maison Noveda repose sur ses épaules. Peut-être qu’il s’agissait simplement d’une manœuvre désespérée de la part de ses tuteurs qui voulaient tenter de transformer Zach en un successeur capable de faire retrouver à la famille Noveda sa gloire d’antan.

Le sol trembla, suivi d’une explosion assourdissante une seconde plus tard. Les vitres vibrèrent mais ne se brisèrent pas. Un silence et un malaise s’abattirent sur la foule rassemblée dans le hall du bal, perturbés uniquement par les échos périodiques d’explosions plus lointaines.

— Qu… Qu’est-ce que c’était, ça ? demanda Ibery, légèrement apeurée.

Elle n’était pas la seule à poser la question. Des murmures agités naquirent au sein de la foule agitée, prenant volume et rapidité à une vitesse folle. La pression que Zorian ressentait au milieu d’un attroupement de gens s’intensifia et… changea. Ce qui n’était usuellement qu’une légère perturbation gênante pressant sur les bords de sa conscience devint d’un seul coup une crise de panique suffocante. Il lutta pour ne pas perdre connaissance tandis que des sentiments étrangers envahissaient son esprit. Mais qu’est-ce qui lui arrivait ?! Il ne se souvenait pas d’une attaque nerveuse comme celle-ci lors de sa première expérience de l’invasion.

Une minute s’écoula. Puis deux, cinq et dix. Zorian pouvait presque palper du doigt l’anxiété et l’agitation de la foule, en augmentation constante. La première fois, il se tenait sur le toit quand le premier barrage de sorts était descendu sur la ville et fut momentanément incapacité par le résultat. En tout cas, c’est ce qu’il avait pensé. Apparemment, il avait été sonné pendant plus de temps qu’il se l’imaginait parce qu’il aperçut Kyron et Ilsa qui ne s’étaient toujours pas précipités en direction du toit. Il pouvait les voir discuter de quelque chose dans un coin, et aucun d’eux ne faisait mine de vouloir monter.

— Zorian ? tenta pour la cinquième fois au moins Ibery. Tu es sûr que tu vas bien ? Peut-être que je devrais aller chercher quelq –

— Ça va, lâcha Zorian en parvenant à maîtriser légèrement ces sensations oppressantes qui pesaient sur lui.

Les explosions avaient finalement cessé mais ce calme nouveau n’avait pas calmé les gens. De fait, maintenant que la situation avait évolué vers une accalmie, ils voulaient des réponses et ils les voulaient immédiatement. Plus personne n’était serein et heureusement, le personnel de l’académie semblait le réaliser.

— Regarde, Ilsa essaye de dire quelque chose, fit remarquer Zorian.

— S’il vous plaît, gardez votre calme ! lança-elle depuis la scène où s’était déroulé le concert en utilisant le même artifice magique pour se faire entendre de tous. Mes collègues et moi-même allons monter sur le toit et ouvrir un canal de communication avec les autorités de la ville pour découvrir ce qu’il se passe. Restez ici jusqu’à notre retour.

Heh… Visiblement, ça ne les avait pas calmés. En tout état de cause, ils étaient encore plus agités et incontrôlables maintenant qu’ils avaient eu confirmation que même Ilsa ne savait pas ce qui arrivait. Au moment où elle disparut dans les escaliers, tous se remirent à clamer chaotiquement leur incompréhension et leur peur. Zorian ne pouvait pas les juger trop hâtivement cela dit… En un autre temps, il avait fait exactement la même chose. D’un autre côté, le sentiment d’oppression disparut légèrement et redevint le familier mal de tête supportable. Il soupira longuement, soulagé.

— Salut, Zorian, lâcha Zach en approchant.

Bien sûr ! Bien sûr qu’il allait venir lui parler maintenant !

— Sacré bordel, hein ? Et je vois que tu as réussi à inviter Miss Ambercomb au bal, ce soir ! Félicitations ! Je ne savais pas que tu aimais les filles plus âgées.

— J’ai à peine un an de plus que lui, protesta Ibery avant de jeter un coup d’œil rapide à Zorian pour vérifier s’il allait préciser qu’elle l’avait invité lui et fut soulagée quand elle constata qu’il ne le ferait pas, ce qui fit lever les yeux au ciel à Zorian, qui avait compris. D’ailleurs, comment se fait-il que tu sois là, tout seul ? Pourquoi ne pas nous avoir présenté tes compagnes ?

Si Ibery pensait piquer Zach au vif en mentionnant ses partenaires multiples, elle allait être sacrément déçue. En effet, Zach se contenta de lui sourire, esquivant totalement l’attaque.

— Elles sont rentrées plus tôt, haussa-t-il les épaules. Probablement pour le mieux, vu ce qu’il se passe.

— Mais… Il se passe quoi, exactement ? demanda Zorian, qui ne s’attendait pas à une réponse directe de la part de Zach, bien sûr – mais ça valait le coup d’essayer.

— Nous le découvrirons tôt ou tard, répondit Zach en désignant les escaliers menant au toit, où Ilsa parlait à une poignée d’étudiants. Après quelques secondes, Zorian réalisa qu’Akoja était parmi ces derniers et y reconnut également plusieurs visages familiers.

— À qui parle-t-elle ? demanda Ibery.

— Les délégués de classe, je suppose, répondit Zorian. Au moins, ceux que je reconnais le sont.

C’était si frustrant, si lent. Peut-être que Zorian avait trop d’attentes pour une institution scolaire mais leur réponse à l’invasion était largement sous-productive.  Au minimum, il s’était attendu à ce qu’ils commencent à évacuer la foule pour les diriger vers les abris à l’heure qu’il était ou organiser les force de défense ou… Eh bien, n’importe quoi, n’importe quoi différent de cette passivité évidente. Il avait l’impression que Kyron et Ilsa ne réalisaient pas la sévérité de la situation.

Finalement, Ilsa termina de donner ses instructions et le groupe de délégués se dispersa dans la foule. Il ne fallut à Zorian qu’une minute pour réaliser ce qu’ils faisaient – chacun d’eux rassemblait ses propres camarades de classe en un groupe. Il salua Ibery et quitta en direction de sa propre classe, accompagné par Zach.

Une fois tout le monde présent, Akoja leur étala le plan. L’académie allait utiliser ses capacités de téléportation limitées afin de faire sortir les invités et dignitaires étrangers de la ville et les étudiants allaient descendre dans les tunnels sous la ville afin d’atteindre les abris à pied – sans professeur pour les diriger ou les protéger à cause de leurs autres devoirs importants. Les délégués connaissaient le chemin de toute façon.

Zorian regarda vers Zach pour évaluer sa réaction et vit que ce dernier était sombre et concentré.

— Très bien, grommela Zach. C’est l’heure du spectacle.

Zorian avait déjà un très mauvais pressentiment.

 

___

 

De façon surprenante, ce ne fut pas Zach qui sonna l’alarme. Ce fut étrangement Raynie. Comment exactement avait-elle détecté les loups hivernaux cinq minutes avant leur arrivée ? Elle les avait repérés malgré tout et avait immédiatement alerté tout le monde. Nombre d’étudiants ne la crûrent pas mais personne ne voulait s’y risquer, au cas où. Le groupe entier d’étudiants se mit à se déplacer plus vite en direction du petit bâtiment cylindrique qui signalait les escaliers vers les abris.

Ils n’y arrivèrent pas avant l’arrivée des loups.

Zorian n’était pas un soldat et ne prétendait pas être expert en tactiques mais ce que la file d’étudiants fit à la vue de la horde de loups ne pouvait qu’être qualifié de désespérément stupide. Ils se dispersèrent. Les plus proches de l’entrée du donjon s’y précipitèrent mais les autres cherchèrent immédiatement à trouver un abri proche. Il pouvait entendre les cris frénétiques de Zach, qui essayait de dire à ses camarades de ne pas se séparer du groupe… en vain.

Jurant, Zorian attrapa Akoja par le poignet juste avant qu’elle ne se jette vers l’habitation la plus proche et désigna l’entrée du donjon sans dire un mot. Pendant un moment, il caressa l’idée de s’expliquer plus en détail mais il savait qu’il n’aurait pas le temps pour ça. Il la lâcha et se mit à courir, lui aussi, en espérant qu’elle aurait la présence d’esprit de le suivre.

Par chance, elle lui emboîta le pas, rapidement imitée par plusieurs autres étudiants qui avaient assisté à leur échange rapide et avoir réalisé son importance. Et comme ils couraient, d’autres les rejoignaient, cherchant la sécurité dans le nombre.

Autour d’eux, le chaos explosa. Les loups hivernaux se déversaient par centaines et contrairement aux étudiants en fuite, ils étaient monstrueusement bien coordonnés. De petits groupes de 3 à 4 loups se détachaient périodiquement de la horde pour intercepter les cibles isolées avant de retourner rapidement dans la masse afin de se servir de leur nombre et de leur vitesse pour encercler leurs adversaires. Leur fourrure blanche et le silence surnaturel dont ils pouvaient faire preuve en se déplaçant les rendaient comparables à une procession de fantômes venus de l’au-delà pour punir les vivants.

Cris.

Pleurs.

Explosions lumineuses.

Des cris canins, aussi – tous les étudiants n’étaient pas sans défense. Devant, Zach défendait l’entrée des tunnels vicieusement, balançant des essaims de projectiles qui frappaient bien plus fort que votre petit missile magique d’étudiant, augmentant les victimes canines avec chaque volée. Un certain nombre de personne atteignirent le couvert d’un bâtiment proche et se barricadèrent rapidement à l’intérieur en ignorant les suppliques de ceux qu’ils avaient enfermés dehors.

Et juste quand Zorian pensait qu’ils allaient réussir à arriver à l’entrée sans incident, sa chance tourna. Un gros groupe d’une trentaine de loups les remarqua et changea de cap pour leur barrer la route. Le groupe de Zorian s’arrêta, peu sûr de la marche à suivre alors que les loups approchaient ; ils devaient le traverser pour atteindre les abris mais combattre était suicidaire. Zach était incroyablement occupé à incinérer une cohorte de trolls de guerre qui venaient finalement de faire leur apparition et ne serait pas capable de les aider.

— Je t’avais dit que j’aurais dû amener mon épée, râla l’un des élèves. Mais nooooon, ce n’est pas approprié pour un bal, tu disais, tu es trop parano pour ton propre bien, tu disais.

— Oh, la ferme, répondit une voix féminine.

Zorian réprima l’envie de lancer une paire de missile magiques face à l’approche des loups. Même changés en perceurs, ils n’étaient pas assurés de tuer en un coup une bête aussi résistante qu’un loup hivernal et il avait tendance à échouer plus souvent que de raison quand il tentait de leur appliquer une fonction de tête chercheuse. Alors il n’était même pas certain de pouvoir toucher quoi que ce fut, pour commencer. Il devait utiliser son mana de façon plus intelligente.

Ce n’était pas l’avis de tout le monde, cela dit. Certains possédaient une formule sur eux, sous la forme d’un collier ou d’une bague, et lançaient missile après missile en direction des loups, de plus en plus proches. Seule une fille était capable de lancer un vrai missile à tête chercheuse alors la plupart manquèrent leurs cibles et lorsque ce n’était pas le cas, les écraseurs simples qu’ils lançaient ne tuaient rien de rien. Par contre, ils ralentirent la meute et la força à rester soudée, la fille plus talentueuse que les autres ciblant tout loup qui se détachait du groupe. Et Zorian eut une idée.

Au moment où les loups furent suffisamment proches, Zorian lança un Lance-flammes surchargé directement sur eux, de front. Blottis comme ils l’étaient les uns contre les autres, la plupart furent pris dans la salve ; et les loups hivernaux, connus pour être faibles face au feu, hurlèrent de peur et d’agonie. Ce fut alors qu’un autre élève l’imita et cracha lui aussi une salve de flammes, celle-ci bien plus grosse et brûlante que celle de Zorian, qui fit immédiatement fuir les loups, peu enclins à continuer leur charge. Les survivants, bien sûr.

Zorian se tourna pour voir qui avait lancé ce truc de fou et fut surpris de voir Briam debout à ses côtés, observant les corps carbonisés avec un petit rictus. Il tenait dans ses bras son drake de feu comme une arme vivante et le petit lézard se léchait les babines en convoitant ce qu’il devait déjà considérer comme son futur repas, cuit à point.

Au temps pour sa théorie, ce drake était loin d’être trop jeune pour cracher du feu.

Après un moment de choc face à ce retournement de situation, tous se précipitèrent dans le bâtiment hébergeant l’entrée des souterrains et descendirent immédiatement dans les tunnels. Zorian fut immédiatement intercepté par une Ibery inquiète et apparemment soulagée de le voir en vie. Même s’il savait que toutes ces morts ne seraient pas permanentes, il devait admettre que lui aussi était heureux qu’elle ait pu survivre.

Encore que, maintenant qu’il pouvait se poser deux minutes et y penser, il n’était pas étonnant qu’elle ait pu survivre. Elle était une étudiante de quatrième année et Zorian et son groupe se trouvaient au-devant de la procession pour une raison qui lui échappait. C’était très malencontreux, parce que les élèves de quatrième année étaient bien plus capables de se défendre que leurs cadets… et ils étaient ceux qui avaient atteint le bâtiment en premier, laissant les troisième année derrière.

— Je ne savais pas que tu connaissais un sort de feu, nota Briam sur sa gauche en caressant la tête de son familier. Je suppose que c’est une des choses que Zach t’a enseignées, hein ?

— Ouais, admit Zorian avant de regarder le lézard de feu d’un air douteux, regard que lui rendit aussitôt la créature. Tu as vraiment amené ton familier au bal ?

— Oh, non, se mit à rire Briam. Je ne suis pas si attaché à lui. Non, j’ai simplement utilisé un sort de rappel pour l’invoquer à mes côtés quand les loups ont commencé à déferler.

— Un sort comme celui-là n’est-il pas super cher en mana ? demanda Zorian.

— Pas si tu invoques ton familier, expliqua Briam. Nous sommes liés, lui et moi. Connectés via nos âmes. C’est bien plus simple et moins demandant de lancer certains sorts quand ça le concerne.

— Huh, souffla Zorian.

Une heure s’écoula et peu se passa. Zorian écouta les histoires des gens alentour en tentant de mettre du sens sur ce qui en sortait afin de pouvoir réfléchir à ce qu’il pourrait changer au prochain recommencement afin de rendre l’évacuation bien moins désastreuse. Ses pensées furent interrompues par un groupe de professeurs qui déboula dans les abris.

Ils étaient six et avaient l’air épuisés et effrayés, un peu comme les étudiants qui se rassemblaient déjà autour d’eux afin de quérir explications et assurances. Le seul parmi eux qui inspiraient confiance à Zorian était Kyron, stoïque comme à son habitude. Il n’était plus torse nu, ayant opté pour une armure complète qui ressemblait à la carapace chitineuse d’un saint insecte et une pléthore de baguettes pendait à sa ceinture en plus du bâton qu’il tenait fermement dans sa main.

Kyron était porteur de mauvaises nouvelles – l’attaque n’était qu’une simple pièce d’un jeu plus grand : une invasion totale qui ciblait la ville entière. Zorian savait déjà tout ça, bien entendu, mais tous les autres en furent profondément choqués. L’invasion était minutieusement préparée et la plupart des défenses avaient été écrasées dès le départ. La ville était sur le point de tomber et une fois que ce serait le cas, les abris ne seraient plus qu’un gigantesque piège – ou une prison, peut-être. Ils devraient en sortir tôt ou tard et se battre pour sortir de la ville. Alors il fallait le faire avant que les envahisseurs puissent tourner leur attention sur eux après avoir sécurisé ce qui devait l’être.

Les élèves le prenaient très mal.

— Pourquoi ne nous téléportez-vous pas simplement ?! cria quelqu’un. Vous êtes censés savoir faire ça !

— La barrière de protection de l’académie a été perdue, expliqua calmement Kyron. Les envahisseurs ont retourné nos propres dispositifs de téléportation contre nous. On ne peut pas.

Zorian grogna. L’ennemi avait pris le contrôle des barrières ? Comment avaient-ils réussi cet exploit ?! L’académie n’était pas une putain de maison avec une protection classique ! C’était supposé être plus sécurisé et sophistiqué que n’importe quoi !

Les questions fusèrent encore pour une minute, suite à quoi Kyron en eut assez et se mit à cracher ses propres ordres. Il fallait bouger.

Zorian prêtait attention à quelque chose d’autre, cela dit. L’étudiant à ses côtés agissait étrangement depuis que Kyron et sa cohorte étaient entrés dans l’abri. Il pouvait pratiquement toucher l’anticipation et l’impatience qui suintaient de cet élève. Qu’attendait-il, il ne le savait pas ; ce qu’il savait, c’est qu’il en avait un sacrément mauvais pressentiment.

Pour cette raison, lorsque cet étrange étudiant jeta au sol une bouteille emplie d’un liquide vert étrange avant de l’écrase avec son pied, Zorian s’empressa de retenir sa respiration tout en tirant un missile magique droit dans le torse de son voisin bizarre. Une fumée verte menaçante surgit de la bouteille brisée et l’abri ne fut rapidement plus que chaos.

Zorian ne pouvait plus rien voir au travers de ce qui était probablement une fumée empoisonnée mais les sons de combats proches étaient évidents. Il se fraya un chemin à travers la fumée en tentant d’en trouver la fin. Il pouvait dire, d’après les étudiants agonisant autour de lui, que respirer serait une très mauvaise idée. Dieu merci, la vapeur n’irritait pas également les yeux ou il n’aurait jamais été capable de voir ce missile magique qui s’apprêtait à lui éclater la tête. Un disque de force apparut devant lui et vibra légèrement en encaissant l’impact du projectile. Le bouclier qu’il venait de lancer à temps parvint à tenir bon.

Puis, Zorian entendit Kyron crier une série de mots. Toute la fumée autour de lui se précipita en direction du professeur, comme prise dans une espèce d’aspiration forcée. Zorian eut tout juste le temps de voir Kyron, la main levée et tenant une balle verte fumeuse avant d’être obligé d’élever un nouveau bouclier.

Au moins, il pouvait respirer, maintenant.

Avant que les attaquants – qui s’étaient probablement téléportés sous couvert de la fumée, Zorian ne se souvenant pas de ce groupe de personnes adultes vêtues de robes brunes parmi les élèves – n’aient pu regagner leur initiative, Kyron fit claquer ses doigts et un fouet lumineux trancha l’air. Les envahisseurs tombèrent proprement, la partie supérieure de leur corps glissant gentiment comme si elle n’avait jamais été attachée aux jambes en premier lieu.

Zorian fixa Kyron, sous le choc. Il savait que le vieil homme était quelqu’un de capable mais le voir était quelque chose d’autre. L’homme avait cerné la situation en un instant et avait pu résoudre le problème avec un total de deux sorts. Il se demanda ce qui se serait passé durant l’évacuation initiale si Kyron avait guidé les élèves en personne. Il ne pouvait s’empêcher de penser que le professeur aurait immédiatement trouvé un moyen de repousser les loups sans essuyer la moindre perte. Les étudiants auraient été bien plus enclins à écouter cet homme que leurs délégués. Lui, il était enveloppé d’une espèce d’aura de commandement naturelle.

— Comment… putain… faites-vous pour être encore debout… haleta Zach à proximité. Apparemment, il avait inhalé de la fumée et s’en trouvait affecté comme tout le monde. Même des voyageurs du temps vieux comme le monde pouvaient être mis à mal par de simples petites astuces.

Zorian était sur le point de répondre quand le sol près de lui explosa, projetant une nuée de shrapnels rocailleux dans toutes les directions et le faisant tomber sur le dos. Il entendit Kyron chanter quelque chose mais il était trop tard pour lui – le ver brun géant qui venait d’émerger du sol était bien plus rapide qu’il aurait dû l’être et Zorian avait trop mal pour bouger. Il vit une gueule pleine de dents se refermer sur lui et son monde ne fut plus que ténèbres.

Ses dernières pensées furent amères. Ce n’était pas juste. Combien exactement ces gens avaient encore de plans B ? Ces envahisseurs n’étaient que des saloperies de tricheurs !

Raka
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13 thoughts on “MoL : Chapitre 9

  1. C’est trop parfait comme attaque. Le 3ème potentiel voyageur dans le temps doit être parmi les envahisseurs. On va avoir une guerre à la The day after tommorow mais avec chaque camp qui peut changer ses plans entre chaque bataille.

    Kyron a du leur faire sacrément mal pour qu’il devienne une cible. Tout ça part très très bien <3

  2. Au début de l’histoire j’avais un peu peur que ce soit répétitif, mais finalement non, c’est bien conçus un agrément de suspens dans chaque chapitre.
    J’ai lu les 9 chapitre d’une traite pour dire que ça m’a plus 😛
    Merci pour votre travail et pur cette découverte forte sympathique.

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