MoL : Chapitre 89
MoL : Chapitre 91

Chapitre 90 — Changement de plans

 

Il ne fallut pas longtemps au groupe pour décider de quitter la salle de contrôle, pour retrouver leurs corps, dehors. En partie parce que le Gardien n’était plus là, les laissant seuls dans un infini silencieux, et qu’ils n’avaient plus rien à y faire. Lorsque Panaxeth avait mis fin à l’interaction entre lui et les voyageurs temporels, il avait emmené le Gardien avec lui. Ou peut-être avait-il été le Gardien depuis le début, qui pouvait savoir ? Peu leur importait sur le moment, le Gardien n’existait plus et ils n’avaient aucun intérêt à rester là.

La seconde raison, plus importante, concernait Lac d’Argent. Elle était partie, et ils voulaient désespérément vérifier si elle était présente dans le centre de recherche, à les attendre. Bien que l’attitude de Panaxeth laissât entendre qu’il n’avait plus besoin de la coopération de Zorian, et qu’il avait donc probablement poussé une autre personne à accepter son offre, supposition qui corrélait la trahison potentielle de la sorcière, Zorian se raccrochait à l’espoir qu’elle fût sortie avant eux. Après tout, elle était suffisamment acerbe pour avoir coupé court et envoyer paître le Primordial sans vouloir lui parler, là où tous les autres avaient pris le temps de l’écouter.

Espoir qui n’allait pas durer bien longtemps. Quelque fût la force que le Primordial avait utilisée pour les empêcher de retourner dans leurs corps, elle n’était plus, et sortir de là fut facile et rapide. Une fois dehors, ils trouvèrent le corps sans vie de la sorcière, étalé au sol. Zorian put presque imaginer un sourire narquois sur son visage ridé.

Elle était morte. Il n’y avait aucune trace de lutte. Pas de blessures, ni évidentes, ni subtiles. Pas d’indication que le personnel du centre eût agi contre elle, non plus. C’était comme si son âme avait simplement disparu, la tuant sans douleur.

Le même genre de cadavres qu’ils avaient vus dans le campement Aranea sous Cyoria.

Une atmosphère lugubre s’abattit sur le groupe comme une couverture de nuages gris. Zach était si enragé qu’il incinéra la vieille sans attendre avant que quiconque pût le stopper. Zorian voulut le réprimander pour son geste, pour avoir détruit des preuves peut-être critiques, mais Alanic lui posa la main sur l’épaule pour l’en empêcher. Il n’était pas temps de commencer à se battre, et ils n’auraient probablement rien appris d’autre de son corps, de toute façon.

Ils ne restèrent pas dans le centre bien longtemps. Il leur fallait discuter avec tout le monde de ce qu’ils avaient vu et entendu, entendre ce que Panaxeth avait dit à tout le monde en privé, et ils allaient le faire dans leur base à la demeure Noveda. Cependant, un problème fut soulevé lorsqu’ils tentèrent de quitter le centre. Apparemment, alors que le personnel avait accepté leurs ordres mystérieux sans se plaindre, ils avaient toujours prêté attention aux allées et venues du groupe. Ils savaient exactement combien de personnes le composaient, qui ils étaient, et voyaient bien que Lac d’Argent avait disparu.

C’était une situation très épineuse de laquelle sortir, tout à coup. Zach fulminait toujours, et lorsqu’on lui posa des questions sur la personne manquante, il eut l’air à deux doigts de se mettre à balancer des boules de feu tout autour de lui. Krantin refusa de laisser tomber malgré ça… Malheureusement, expliquer qu’elle était morte et que Zach avait réduit son corps en cendres n’était pas vraiment une option. Au bout du compte, Zorian dut éditer les souvenirs de près de la moitié du personnel afin de leur faire oublier son existence, et en profita pour altérer les enregistrements papiers qui gardaient une trace de leurs arrivées et de leurs départs.

Aussi étrange que ça semblait, modifier les dossiers s’avéra bien plus compliqué que bidouiller les mémoires. Ils possédaient des protections très poussées contre ce genre de magouilles, tandis que les esprits du personnel étaient largement ouverts à toute attaque mentale.

Pourtant, et bien que le problème immédiat fût réglé, Zorian pouvait déjà voir venir les migraines concernant toute cette histoire. La sorcière était l’un des personnages clé pour le projet, celui visant à transformer l’orbe en Chambre Noire améliorée. Le vide laissé par sa disparition allait se faire sentir amèrement dans un futur proche.

Il avait toujours du mal à croire que ça se passait vraiment, pour être honnête. Il s’était totalement attendu à ce que les choses changeassent une fois la Clé complétée, mais pas comme ça. Comment Panaxeth pouvait-il même les contacter par l’intermédiaire du Gardien, supposé protéger l’endroit où il était emprisonné ? Même si la prison était faite à partir d’un Primordial, ce n’était pas à partir de Panaxeth lui-même. Celui à la Chair Changeante était emprisonné dans le Gouffre, l’abysse circulaire massive sur laquelle Cyoria était construite. Il y était coincé depuis le temps auquel les Primordiaux avaient été scellés, probablement. Le Portail du Souverain, d’un autre côté, s’était vu utiliser principalement dans le nord de Miasina. Ça n’avait pas de sens… comment Panaxeth pouvait-il infiltrer le mécanisme et apparaître devant eux ? Comment pouvait-il faire sortir des gens de la boucle temporelle ? Et qu’avait-il offert à la vieille traîtresse pour lui faire promettre son aide, sur sa vie, à une entité quasi-divine qui ne la voyait que comme un outil utile, au mieux ?

Il n’en savait rien. Il espérait que les autres pourraient lui permettre de comprendre.

Ayant finalement quitté le centre de recherches, le groupe se rassembla chez Zach. Ils laissèrent aux gens le temps de se calmer et reprendre leurs esprits, puis discutèrent de ce qu’il s’était passé.

Le premier problème, bien entendu, était Panaxeth lui-même. Ou une entité qui prétendait être Panaxeth, en tout cas. Alors que tous avaient disparu dans un espace privé pour s’entretenir avec lui, Zach avait été laissé seul dans le vide. Même le Gardien l’avait abandonné alors, le laissant sans indice jusqu’à ce que Panaxeth daignât lui renvoyer ses compagnons.

Quant auxdits compagnons, ils s’étaient tous trouvés face à un Gardien déformé et inhumain, bien que la plupart ne firent pas face à ces yeux comme Zorian. Pour Kyron, par exemple, le Gardien gagna deux paires de bras additionnelles tandis que son torse s’était ouvert en une bouche verticale emplie de dents acérées. Nora avait vu les membres du Gardien s’allonger pendant que des pointes sortaient de sa tête, le faisant ressembler à un oursin surplombant une méduse gélatineuse. Cette forme initiale monstrueuse était toujours graduellement changée en quelque chose de plus inoffensif, plus humain, par un procédé de reconstruction permanent comme ce à quoi Zorian avait fait face.

Après quoi, les expériences différèrent largement. Tous ne reçurent pas l’opportunité du contrat. Taiven et Nora furent de simples jouets entre les mains du Primordial, par exemple. Le Primordial se contentait de changer de forme sans s’arrêter tout en déblatérant des choses insensées, comme J’aime les chiens ou Ta mère a honte de toi, étudiant apparemment leurs réactions. Daimen prétendit que le Primordial ne lui avait jamais rien offert, mais l’avait simplement questionné sur tout ce qu’il savait à propos de Zorian – ses préférences, motivations et autres buts. Quelque chose qui avait visiblement énervé le grand frère au plus haut point, bien que Zorian ne sût pas à quel point c’était dû au fait que Panaxeth lui demandait de trahir sa famille, et à quel point c’était dû au fait qu’il le voyait clairement comme un être inutile en-dehors du fait qu’il était le frère de Zorian. Si la situation n’avait pas été si alarmante, Zorian s’en serait beaucoup amusé.

Il devint également rapidement clair que, bien que tous fussent réunis à peu près en même temps, ils n’avaient pas du tout passé le même laps de temps avec le Primordial. Certains, comme Zorian, interagirent avec lui pour une courte durée avant de se faire rejeter. D’autres, spécialement ceux faisant mine de considérer son offre, s’entretinrent avec lui pendant beaucoup plus longtemps. Panaxeth avait employé une espèce de dilatation temporelle durant son interaction avec les individus, ralentissant le temps lorsqu’il était plus intéressé, et ne dépensant que peu d’énergie pour les autres.

Ceci expliqua sans doute comment il avait réussi à convaincre la sorcière si rapidement. Si elle avait montré le plus grand niveau d’intérêt parmi eux tous, il était probable qu’ils avaient sans doute discuté pendant des heures. En plus, en considérant la puissance et le talent de la vieille, elle était sans doute ciblée comme favorite dès le départ.

— N’étiez-vous pas inquiet que Panaxeth lise votre esprit ? leur demanda Zorian, fronçant les sourcils. Je veux dire, il semblait capable de tirer les informations de ma tête pendant que je lui parlais. C’était l’une des raisons pour lesquelles je voulais mettre un terme à cette rencontre le plus rapidement possible.

— Il n’a rien fait de tel en parlant avec moi, expliqua Xvim en secouant la tête. Mais Il n’a pas non plus tenté de copier quiconque, face à moi. Panaxeth s’est contenté de changer d’une forme générique à une autre du début à la fin.

Zorian trouvait quelque peu intéressant que certaines personnes parlent de Panaexth en tant que chose, alors que certaines autres, comme Xvim, parlaient de lui au masculin. Les cultistes l’appelaient Celui à la Chair Changeante, aussi pouvait-on raisonnablement argumenter en faveur de la deuxième option, mais sa masculinité était discutable. En réalité, qu’est-ce que ne l’était pas lorsqu’on parlait d’un changeforme monstrueux ? L’entité prenait une forme masculine ou féminine, ou pourquoi pas un mélange des deux, sans trop se soucier du qu’en-dira-t’on. Il prenait même la forme d’une Aranea face aux Aranea.

— En réalité, je lui ai posé la question lorsqu’il s’est changé en Kana, nota Kael. Bon, c’est peut-être plus que j’ai explosé face à lui en lui demandant une explication. Surprenant, mais il m’en a donné une. Il m’a dit qu’il ne lisait pas dans les pensées… qu’il ne faisait que regarder ce qu’il se passait à l’intérieur de la boucle temporelle, et qu’il passait son temps à prendre note des gens qui nous sont proches. C’est sans doute vrai, parce qu’il a tenté de se changer en Kana, et non en Namira… alors que cette dernière aurait sans doute été bien plus efficace. Mais puisqu’elle est morte bien avant le début de la boucle, il n’a aucune idée de son apparence, et ne peut la copier.

— Oui, c’est ce qu’il m’a dit également, appuya Ilsa. Il a tenté de me tenter avec les secrets de la création pure, et je lui ai demandé comment il savait que ça m’intéressait. Il m’a répondu la même chose qu’à Kael, mais m’en a dit un peu plus. Panaxeth prétend que le Portail du Souverain n’est pas fait à partir d’un Primordial comme nous le pensons, qu’il s’agit plus d’un attachement, d’une coquille, qui doit être liée à n’importe quel Primordial pour fonctionner. Il s’agit en l’occurrence de Panaxeth.

— C’est pourquoi il est capable d’apparaître face à nous ainsi, comprit Zach, morose.

— Oui, acquiesça Ilsa. Le Portal du Souverain tord en quelque sorte ce qui fait du Primordial ce qu’il est, et l’enferme dans la boucle temporelle. Dans un sens assez réaliste, Panaxeth est la boucle temporelle… Ce qui signifie qu’il est conscient de tout ce qui se passe en lui.

— Alors, il nous observe, même maintenant ? murmura Taiven, légèrement choquée.

— Probablement, fit Ilsa en haussant les épaules.

Elle semblait accepter l’idée facilement. Ou peut-être avait-elle simplement eu plus de temps que les autres pour ça.

Zorian était personnellement très perturbé par cette découverte. Comment étaient-ils supposés subvertir le mécanisme de la boucle temporelle afin de quitter les lieux, si la boucle temporelle était techniquement un être intelligent qui les observait à tout moment ? Il était plus que probable que Panaxeth prétendît saboter toute tentative de sortie qu’ils pourraient tenter. Peut-être était-il limité par les sécurités du Portal du Souverain, mais ces sécurités ne protègeraient sans doute pas les personnes comme lui, qui tentaient de tricher.

Pas étonnant que Panaxegh eût prétendu être le seul choix possible pour Zorian, s’il désirait sortir. Il s’était dit, à ce moment, qu’il voulait dire sans son aide, mais il prenait désormais conscience qu’il était plus correct de dire sans son autorisation

— S’il est si omniscient, je me demande comment il s’est débrouillé pour ne pas réussir à être plus tentateur, fredonna Xvim pour lui-même. On pourrait imaginer qu’il ait un bien meilleur jugé de nos caractères.

— L’omniscience n’est pas forcément totale, tenta Orissa. Je suis techniquement consciente de tout ce que font mes abeilles, mais si tu me demandais ce qu’est en train de faire l’un d’entre elle en particulier, je ne pourrais t’en dire plus.

— Les Élémentaux que nous avons consultés jusque-là ont tous dit que les Primordiaux nous voyaient comme des espèces d’animaux, peut-être même des insectes, se souvint Zach. À quel point comprends-tu réellement les moineaux ou les fourmis, qui vivent pourtant tout autour de nous ? Nous sommes bien plus grands, plus puissant qu’eux, mais ils nous sont toujours parfaitement étranges. Merde, Zorian peut lire leurs souvenirs et s’incruster dans leur esprit, et il a toujours du mal à les forcer à se diriger à un endroit particulier sans l’aide de la magie.

—Tu parles de la fois où il a carrément tenté de rassembler des chats, hein ? demanda Kael avec un sourire en coin. Je me souviens de celle-là.

— Ce n’était pas un essai très sérieux, se plaignit Zorian. Juste une idée amusante alors que je m’ennuyais.

— Ce n’est pas l’heure de discuter de ça, interrompit Alanic, quelque peu irrité. Zach soulève un point important : les Primordiaux nous voient comme des animaux. Tu ne discutes pas avec un animal, tu le manipules afin qu’il fasse ce que tu désires. Nous devrions nous méfier de toute confiance que nous pourrions lui accorder. Bien qu’il y ait sans doute un fond de vérité dans ses paroles, je suspecte qu’il pourrait bien raconter n’importe quoi, vrai ou faux, s’il pense que ça nous ferait aller en son sens.

— Je ne sais pas. Il semblait plutôt honnête et direct à mes yeux, expliqua Ilsa. Clairement, tu as pensé qu’il y avait un intérêt à l’écouter, puisque tu es l’un de ceux ayant réussi à engager une longue conversation. De quoi avez-vous parlé, d’ailleurs ?

Finalement, seules quelques personnes avaient vraiment gardé leur calme et obtenu quelque chose de concret de Panaxeth. Alanic, Xvim, Orissa, Ilsa, Kyton et une Aranea nommée Rêves Nocturnes furent les seuls à avoir suffisamment intéressé Panaxeth pour le pousser dans une conversation plus riche. Zorian réalisa qu’il avait essentiellement anéanti cette rencontre. Il aurait pu obtenir des réponses importantes de la part du Primordial, s’il s’était montré meilleur acteur.

Mais bon, ces gens étaient-ils vraiment bons acteurs, ou avaient-ils été, quelque part, tentés par l’offre ? Panaxeth pouvait évidemment ressentir ce genre de réactions. Zorian put dire qu’au moins Ilsa mentait en prétendant faire semblant de se montrer tentée par l’offre du Primordial. Les autres étaent trop compliqués à cerner.

Dans tous les cas, Alanic n’apparaissait pas le moins du monde mal à l’aise d’être mis sous les projecteurs de la sorte.

— Nous avons eu une longue conversation à propos de la foi, des risques et des bénéfices, et les devoirs de tout un chacun envers la communauté, expliqua-t-il.

Zorian leva un sourcil. Tout comme la plupart des autres, d’ailleurs.

— Et tu me réprimandais quand Zorian et moi ne prenions pas les choses au sérieux, à l’instant ? pouffa Kael.

— C’est la vérité, dit calmement Alanic. Plutôt que refuser simplement la créature, je lui ai demandé pour quelle raison je devrais accepter une telle offre. Les conséquences seraient si apocalyptiques, spécialement pour Cyoria, que je ne pourrais imaginer comment diable ça aurait pu être une bonne idée. Même si je me trouvais être égoïste à l’extrême et ne me préoccupais que de ma personne, le Primordial était une menace pour l’humanité entière, moi y compris.

— Oh, je lui ai demandé la même chose, intervint Orissa. Il a dit n’avoir aucune intention de détruire le monde ou menacer l’humanité. Tout ce qu’il voulait, disait-il, c’était être libre et libérer les autres Primordiaux. Il ne détruirait que ceux qui l’en empêcheraient.

— Ha. Il ne m’en a pas tant dit, s’exclama Alanic. Probablement parce qu’il savait que je n’en croirais pas un mot. Au lieu de ça, il a contré mes inquiétude en me disant que les dieux avaient laissé de nombreuses équipes relatives au Primordiaux, si ces derniers devaient s’échapper. Si j’avais vraiment foi en mes dieux, disait-il, quel était le mal dans le fait de le libérer ? Le contrat serait rempli au moment où il serait hors de sa prison, même s’il mourrait juste après. Je devrais avoir foi dans le divin et dans leur travail, auquel cas le marché proposé était sûr pour moi. Je n’avais qu’à le libérer et le regarder mourir.

— Est-ce que ces équipes divines existent, pour commencer ? demanda Zorian, qui n’avait jamais rien entendu de tel, mais Alanic était prêtre, alors…

— Aucune idée, admit ledit prêtre. Même si c’était le cas, il est dit que les dieux ont emprisonné les Primordiaux parce qu’ils étaient incapables de les tuer définitivement. Si les dieux eux-mêmes ne pouvaient le faire, je doute lourdement qu’une simple équipe répondant à leurs ordres puisse le faire. Clairement, ce Panaxeth n’y croyait pas non plus, sinon il n’aurait jamais fait cette offre. Et nous sommes alors entrés dans un long échange philosophique à propos de ce qui constitue la foi et d’autres choses. Je pense que vous ne voulez pas vraiment entendre cette partie-là.

— Peut-être plus tard, répondit Zach. Orissa, tu as dit que tu lui as parlé de ce qu’il ferait une fois libre ?

— Oui. Excepté ce que j’ai déjà dit, je pense qu’il a fait référence à ces contingences mentionnées par Alanic. Il a précisé qu’en se tirant de sa cage, il finirait probablement affaibli et gravement blessé, et qu’il aurait besoin de plusieurs siècles pour s’en remettre totalement. Pendant ce temps, il se cacherait et patienterait. Il suggérait que je n’avais aucune raison de me préoccuper de ses buts, parce que je serais déjà morte depuis bien longtemps.

Ils confirmèrent quelques détails avec le reste du groupe également. Par exemple, il semblait que personne n’avait été mise en face d’un être décédé avant le début de la boucle temporelle. En fait, le Primordial ne copiait même pas d’individus vivants avec lesquels l’on n’aurait pas interagi après le début de la boucle. L’hypothèse qu’il ne pût pas connaître les personnes qu’il ne pouvait voir devenait une conclusion solide. Panaxeth ne se fiait qu’à ce qu’il pouvait voir, et il ne pouvait voir que ce qui se produisait au sein de la boucle temporelle.

Ceci fait, ils se tournèrent vers les trois dernières personnes ayant parlé avec le Primordial pendant un certain temps. Xvim, Kyron et Rêves Nocturnes avaient posé des questions similaires, cependant : ils voulaient connaître les détails du contrat. Heureusement, il s’agissait d’un sujet avec lequel le Primordial n’avait aucun souci. Il en parlait ouvertement.

— Donc, si je vous comprends bien, tous les trois, le contrat est comme tel… commença Zorian. Vous passez un pacte de mort avec Panaxeth, jurez que vous le libérerez dans un délai d’un mois ou que vous mourrez. Il prend alors votre âme et l’incarne dans le monde extérieur. Ce qui veut dire qu’il crée une toute nouvelle copie de la personne, au début du mois, l’éjectant physiquement de la boucle temporelle. Inclus dans le nouveau corps se trouve le bouton de mise à mort qui s’active automatiquement si Panaxeth est toujours emprisonné après le festival d’été.

— Oui, confirma l’Aranea, sa magie produisant un son doux et clair. Peu importe si l’on fait de son mieux et que l’on échoue. Si Panaxeth n’est pas libre à la fin du temps imparti, le seau de mort s’active. Pas d’excuses.

— Et si Panaxeth est libre avant la fin du mois, ce sceau se dissout et cesse d’exister, te laissant libre de faire tout ce que tu veux ? continua Zorian.

— Exact. Même s’il meurt, notre part du marché est remplie, confirma Xvim. J’ai posé plusieurs variations de cette question pour m’assurer qu’il n’y ait pas de piège, et il a toujours répondu la même chose. Il suffit de le faire sortir, rien de plus. Nos originaux ne sont pas concernés par le contrat, cela dit, et ne souffriraient pas si nous échouions.

— Probablement parce que leurs corps n’ont pas été créés par Panaxeth, et il n’a jamais eu l’occasion d’y placer son sceau de mort, fit remarquer Kyron. Même s’il voulait les faire mourir, il ne peut pas.

— Qu’est-ce qui nous empêche d’accepter, puis de nous retourner contre lui ? demanda Alanic. En considérant que l’on ne soit pas gêné par une mort proche et inévitable.

— Lorsque je lui ai posé cette même question, ce trou de balle de changeforme s’est excité physiquement, il s’est mis à onduler dans tous les sens et a immédiatement clôturé notre conversation et m’a renvoyé vers le groupe, nota Kyron. Je suppose qu’il n’aime vraiment pas cette question, parce qu’il ne peut pas y répondre. Pour ce que j’en sais, il ne peut strictement rien y faire.

— Alors, hésita Kael, pensez-vous que la sorcière —

Kyron laissa échapper un petit rire sec et moqueur.

— Mon garçon, sois réaliste ! dit-il à Kael. Penses-tu qu’une salope égoïste, cupide et mauvaise comme elle accepterait de se sacrifier pour notre cause ? Merde, pour n’importe quelle cause ?!

Kael soupira, totalement convaincu.

Un murmure calme s’éleva dans le groupe, tandis qu’ils discutaient des diverses possibilités soulevées. Zorian les écouta d’une oreille, perdu dans ses propres pensées. Pour dire vrai, maintenant qu’il avait pris note des expériences des autres avec le Primordial, son choix était… prévisible. Ce n’était pas qu’ils lui avaient fait confiance parce qu’ils avaient pensé qu’elle valait mieux que ça. Ils n’avaient simplement jamais réalisé que passer un contrat comme celui-ci était une option. Si Zorian avait su, il aurait été le premier à l’empêcher d’entrer, et aurait immédiatement tout fait pour imposer la cessation de tout travail l’impliquant, peu importait son utilité.

Et elle s’était montrée très, très utile. Sans exagérer, elle était l’un des piliers du groupe, sur lequel leur plan entier reposait. Zorian n’était même pas sûr qu’ils pussent continuer sans elle. Clairement, maintenant qu’elle n’était plus là, leur plan actuel de sortie était totalement impraticable.

— Je dois être d’accord avec Kyron, ajouta Alanic d’un seul coup. Lac d’Argent n’a jamais masqué son caractère et ses buts. Sa décision ne devrait pas nous surprendre. Vous avez entendu ce que tout le monde a dit. Le Primordial offre aux gens un moyen de sauver leur vie, en opposition à l’incertitude que nous pouvons offrir. Elle se ficherait probablement si chaque personne de Cyoria mourait suite à la libération du Primordial, et il faudrait des siècles avant que les effets se manifestent, le temps qu’il guérisse – si ce n’était pas un mensonge éhonté. En plus, on ne peut savoir ce qu’il lui a offert en plus de tout ça pour s’assurer sa coopération la plus totale.

— Elle était également très intéressée par les Primordiaux, avant la boucle temporelle. Y compris la prison de Panaxeth, d’ailleurs, se souvint Zorian. Elle peut très bien s’être sentie confiante, et avoir imaginé tirer le maximum d’une telle association.

— Mais elle est immortelle, non ?! protesta Taiven. Ne devrait-elle pas prendre le long terme en compte ? Même si Panaxeth a besoin de plusieurs siècles avant de commencer à tout foutre en l’air, elle sera toujours là pour le vivre !

— Il faut voir la situation depuis ses yeux, dit Zach, qui s’était calmé un maximum depuis son éclat de rage initial, et réfléchissait maintenant bien plus rationnellement. Quelle est l’alternative ? Mourir immédiatement parce qu’on ne peut pas sortir de la boucle temporelle ? C’est encore pire. Le long terme ne peut pas lutter contre ce genre de menace immédiate.

— Mais si Panaxeth reste enfermé, son original peut continuer à vivre en paix indéfiniment, fit remarquer Taiven. Elle risque le futur de son original en échange d’une petite récompense pour elle-même ?

— Je ne pense pas que… Non, je suis certain qu’elle s’en fout royalement, soupira Zorian. L’être original de Lac d’Argent n’est pas celle qui a pris cette décision. Ce n’est pas elle. Pour elle, c’est une inconnue qui peut bien mourir, pour ce qu’elle en sait. Ce serait d’ailleurs même bien mieux pour elle, afin de simplement prendre sa place.

— Oui. As-tu remarqué qu’elle n’a jamais créé le moindre simulacre ? fit remarquer Zach. Même quand ils auraient été extrêmement utiles ? Je ne pense pas une seule seconde qu’elle soit incapable de lancer ce sort. Et je ne pense pas qu’elle aurait saboté nos chances en créant plus de personnel capable de nous aider. Je pense, en revanche, qu’elle est l’une de ces personnes qui ne peut pas se permettre de créer le moindre simulacre sous peine de le voir péter un plomb en réalisant que sa vie est éphémère.

— Eh bien, quand on voit les choses ainsi… Pourquoi avoir accepté de travailler avec elle, pour commencer ? demanda soudain Kyron, les mains en l’air.

— Ouais, renchérit l’un des amis de Xvim. C’était une mauvaise idée dès le départ ! Qui a proposé de l’inclure dans notre groupe, déjà ?

— Quelle était l’alternative ? le défia Xvim, son regard passant de Kyron à l’autre type. Lac d’Argent a été amenée dans le groupe parce qu’elle possédait des compétences critiques que personne d’autre n’avait. La seule raison pour laquelle nous sommes arrivés si loin, c’est grâce à elle. Même si elle nous a trahis à la fin, il est difficile d’assurer que nous serions allés bien plus loin sans elle.

Personne ne put le contredire.

— Zorian, tu es le seul à qui Panaxeth a dit quelque chose à propos de la sorcière, dit Zach. En tout cas, il l’a sous-entendu. Peux-tu nous en dire plus ?

— Il m’a juste fait comprendre que mon choix n’avait plus d’importance, ce qui signifiait clairement que quelqu’un d’autre avait accepté, répondit Zorian, qui fut le seul à qui Panaxeth avait offert ces mots. Je n’ai aucune idée de ce qu’il a voulu dire d’autre, mais quand j’ai vu qu’elle n’était plus là…

— Ouais, ragea légèrement Zach en faisant claquer sa langue. Il ne faut pas être un génie pour comprendre ce qui est arrivé. Et maintenant ? Maintenant, nous avons deux voyageurs hostiles sur les bras, qui nous attendent dehors. Enfin, qui ne nous attendent pas, mais tu vois ce que je veux dire.

Zorian devait vraiment avouer que parfois, il admirait l’esprit de Zach. Même maintenant, tous leurs plans écrasés et éparpillés dans une confusion totale, il était toujours assez confiant pour affirmer qu’ils allaient sortir de là sains et saufs. C’était vraiment agréable d’avoir un type comme ça à ses côtés, parfois.

— Panaxeth a dit quelque chose de perturbant, mais je pense qu’il a raison. Il impliquait simplement que Robe Rouge a également accepté son offre et quitté la boucle temporelle. C’est sans doute pour ça qu’il a passé autant de temps à planifier l’invasion. Sa vie dépend de son succès. Il est probable qu’une fois dehors, la sorcière et lui travaillent ensemble à la libération de ce connard géant.

— Pourquoi le fait qu’elle ait accepté son offre signifie-t-il qu’il n’a aucune chance de te convaincre ? demanda Kael. On imaginerait bien que Panaxeth voudrait bien avoir autant d’agents que possible.

— Probablement parce qu’à chaque fois qu’il transporte quelqu’un au-dehors, cela verrouille la sortie à nouveau, supposa Zorian. Souvenez-vous, si nous avons dû chercher la Clé, pour commencer, venait du fait que la sortie était inexplicablement fermée, alors qu’elle n’aurait pas dû l’être. Le Contrôleur est déjà sorti, nous disait le Gardien, ce qui signifiait assurément que quand Panaxeth transporte l’âme d’une personne hors de la boucle temporelle, cette même boucle considère que le Contrôleur est sorti, puisqu’il est le seul à pouvoir le faire. La même chose s’est sûrement passé ici. Même si Panaxeth voulait nous faire sortir, il ne le pourrait pas.

— Mais vous possédez toujours la Clé, rappela Ilsa.

— En effet, confirma Zach.

— Alors vous pouvez peut-être juste déverrouiller la sortie, une fois de plus ?

— …Probablement.

— Ils seraient totalement stupides de laisser entrer quelqu’un d’autre dans la salle de contrôle, soupira Alanic sans pitié. Je ne le ferais jamais, à leur place.

— Pourquoi ? Nous avons tous refusé ce marché, nous tous aujourd’hui présents dans cette pièce, nota Kyron.

— Ou peut-être avons-nous simplement été trop lents et la sorcière s’est trouvée être la première à accepter, pointa Xvim. Je suis d’accord avec Alanic. Maintenant qu’elle nous a trahis, la pression sur ceux qui restent est encore plus grande. C’est un risque inutile.

Zorian les observa en silence, ne sachant que dire.

Cette soirée allait être longue… Très longue.

 

___

 

Après avoir trié les expériences de toute le monde, Zach et Zorian quittèrent la demeure Noveda et allèrent vider la poche dimensionnelle de la sorcière de toute preuve utile. Bien sûr, Zorian comptait également lui dérober tout secret magique qu’il pourrait y trouver. Comme elle les avait trahis de façon si dégoûtante, il ne ressentait pas le moindre scrupule.

Malheureusement, la paranoïa de la vieille ne connaissait apparemment pas de limites. Lorsqu’ils parvinrent à finalement abattre les défenses et pénétrer dans son petit lieu de vie, ils le trouvèrent totalement dévasté. Réduit en un cratère fumant bien avant leur arrivée, sans aucun doute à cause d’une sécurité s’étant déclenchée lorsqu’elle avait passé l’arme à gauche, il n’en restait rien. Zorian laissa une paire de simulacres afin de fouiller dans les décombres stériles, mais ne nourrissait pas le moindre espoir d’y trouver quoi que ce fût. Les dégâts étaient vraiment implacables.

Les seules choses ayant survécu sans trop souffrir furent des pierres, curieusement arrangées et probablement nécessaires à l’alimentation de la dimension miniature. Il s’était demandé depuis longtemps quelle était la source de la magie qu’elle utilisait pour isoler sa maisonnette du reste du monde, et maintenant, il savait. Chacune des pierres de lien, incrustées dans le mur de sa maison pour passer inaperçues, possédait une contrepartie, enfouie loin dans le monde souterrain. Les pierres siphonnaient le mana ambiant du Donjon et l’envoyaient directement nourrir la dimension miniature.

Il prit note que s’il désirait un jour détruire cette dimension, il possédait maintenant un moyen très simple de le faire. Il n’avait qu’à exploser les pierres de lien dans les profondeurs du Donjon, et le tout s’effondrerait sur lui-même sans rien demander.

Dans tous les cas, ce problème résolu, Zach et Zorian tournèrent leur attention vers le prochain sujet à gérer.

Ils devaient retourner dans la salle de Contrôle… et parler au Gardien.

C’était risqué, bien sûr. Mais il fallait le faire. Ils devaient mettre des certitudes sur leurs soupçons. Tandis que le Gardien semblait n’avoir jamais été qu’une marionnette animée par magie, il y avait quelque chose de clairement plus complexe qui le faisait… être ce qu’il était.

Et ils iraient seuls, cette fois. Évidemment. Considérant que Panaxeth avait totalement ignoré Zach la fois précédente et dit à Zorian qu’il ne reviendrait plus établir le contact avec lui, ils ne le verraient probablement pas cette fois non plus. Et même s’ils le croisaient, Zorian était désormais bien mois effrayé, maintenant qu’il savait que le Primordial ne pouvait pas pénétrer son esprit et y éditer ce qu’il désirait.

Lorsqu’ils entrèrent dans la salle de contrôle, ils furent soulagés d’y voir le Gardien, paresseusement immobile face à eux.

— Bienvenue, Contrôleur, salua-t-il.

— Alors Panaxeth n’a pas tout cassé lors de sa dernière visite, soupira Zach. C’est cool. Enfin quelque chose de pas catastrophique.

— Oui, confirma Zorian, avant de se tourner vers l’humanoïde lumineux, le regardant avec une intensité nouvelle – ce truc, c’était quoi exactement ? Gardien, la porte est-elle toujours ouverte ?

Ils attendirent quelques secondes, se demandant pourquoi le Gardien nécessitait un tel délai pour vérifier. Il était généralement rapide, quelle que fût la réponse donnée. Comme les secondes s’égrenaient, ils réalisèrent qu’il n’était pas en train de vérifier quoi que ce fût, mais avait éludé la question.

Oh, oh…

— Eh, Gardien ! s’emporta Zach. La Porte est-elle toujours ouverte, oui ou non ?!

— Non, Contrôleur. La Porte est verrouillée, répondit aussitôt le Gardien.

Zach et Zorian échangèrent un regard confus. D’un côté, ils venaient de confirmer que leurs spéculations étaient correctes. C’était bien. D’un autre côté…

— Gardien, pourquoi as-tu répondu à sa question, et pas à la mienne ? demanda Zorian.

Question que le Gardien ignora une nouvelle fois. Comme la précédente, en réalité. Zorian réalisa soudain qu’en fait, bien que le Gardien leur faisait face, il était légèrement tourné vers Zach, comme s’il se fichait de l’existence même de Zorian.

Exactement comme il avait ignoré les autres marqués.

— Gardien, pourquoi réponds-tu à mes questions, et pas aux siennes ? répéta Zach, la frustration commençant à saigner de sa voix.

— Je ne réponds qu’au Contrôleur, expliqua placidement le Gardien.

— Je le savais, grimaça Zorian, en soupirant.

Zach observa le Gardien, de plus en plus irrité alors que le temps passait. Zorian commençait à ressentir quelque chose d’étrange en lui. Comme un léger sentiment de défaite. S’il fallait qu’il pleuve, autant qu’il y ait un déluge…

— Conneries, grogna Zach en colère, levant le doigt vers Zorian. Il est entré ici seul, en activant le marqueur. Seul le Contrôleur peut faire ça !

— Oui, confirma le Gardien. Il est une anomalie. Elles se produisent de temps à autre. Quelqu’un ou quelque chose est parvenu à outrepasser les mesures de sécurité et perverti l’intégrité du mécanisme. L’anomalie peut accéder à la salle de contrôle et aux privilèges du Contrôleur, alors qu’il n’en est pas un. Je suis incapable d’y faire quoi que ce soit dans l’immédiat, mais ne vous inquiétez pas, Contrôleur. L’erreur sera réparée au prochain redémarrage, lorsque le cycle sera réinitialisé.

Adorable. Zorian n’eut pas besoin d’une explication détaillée sur ce qui allait se passer à la fin du mois.

— Mais pourquoi maintenant ? demanda Zach. Comment as-tu compris qu’il était une anomalie, d’un seul coup ? Il entre et sort de là depuis des années !

— Oui. Regrettable, annonça le Gardien sans sentiment dans la voix. Cependant, vous m’avez présenté la Clé, récemment, ce qui a déclenché une analyse complète de la situation existante. Pendant l’inspection, l’anomalie a été identifiée et les procédures de correction sont planifiées pour la prochaine opportunité.

— Pourquoi ? continua Zach. Pourquoi la Clé fait-elle ça ?

— Activer la Clé signifie que quelque chose va mal au sein de la boucle temporelle, répondit le Gardien, comme s’il s’était agi de la chose la plus évidente au monde, une chose que le Contrôleur devait savoir par nature.

— Vraiment ? Tu n’en as jamais parlé quand on t’a posé des questions au sujet de la Clé, l’accusa Zach.

Commentaire qui fut naturellement ignoré. Zorian était en réalité très peu frappé par ce silence. Le Gardien les avait probablement délibérément laissés dans l’ignorance par le passé. C’était sans doute logique : la Clé était une mesure de sécurité supposée confirmer que le Contrôleur était bien qui il prétendait être. Ne pas en discuter les détails à moins d’y être forcé, c’était vraiment… logique.

— Et ces privilèges, que j’ai réclamés, alors ? tenta Zach. Qu’est-ce que j’y gagne ?

— Ils affirment votre statut de Contrôleur et verrouille tout autre prétendant qui pourrait arpenter le système. Anomalies et autres individus frappés d’un marqueur temporaire. Après ce cycle, il ne restera plus que le Contrôleur.

— Quoi ?! hurla Zach, hors de lui. C’est tout ?! Pas de nouvelles fonctions, ou capacités, ou n’importe quoi ?!

— En tant que Contrôleur, vous possédez déjà tous les privilèges de ce type. Les privilèges récents que vous avez activés vous permettent simplement de vous assurer que les autres individus n’aient rien à y redire.

— Pourquoi Zorian peut-il seulement accéder à cet endroit, dans ce cas ?

Eh !

— Il est une anomalie.

— Ces privilèges sont une pure arnaque, se plaignit Zach, les dents serrées. Ils ne font même pas ce qu’ils sont supposés faire.

— Je suis désolé, clama le Gardien, l’air réellement navré, pour une fois. Il est une anomalie extrêmement frustrante.

Remercie les dieux pour ça, connard, laissa échapper Zorian.

Il ne paniquait pas, cependant. Il ne savait pas pourquoi. Peut-être avait-il eu affaire à une autre situation très critique un peu plus tôt, et était-il émotionnellement drainé ? Mais découvrir qu’il allait être supprimé à la fin du mois ne créa qu’une mixture confuse de terreur et de détermination dans son esprit.

Et puis quoi, si Lac d’Argent les avait trahis ? Et puis quoi, si Panaxeth travaillait activement contre lui ? Et puis quoi, s’il se faisait corriger à la fin du mois ? N’avaient-ils pas déjà prévu de s’échapper avant ?

Ils devaient maintenant simplement s’assurer que tout fonctionnât.

Il tourna la tête vers Zach, qui avait cessé de discuter avec le Gardien et regardait déjà Zorian comme s’il observait un cadavre. Un mélange d’horreur et de culpabilité se lisait de haut en bas de son visage.

— Ne t’en fais pas trop pour ça, lui dit Zorian, la voix si calme qu’elle le surprit lui-même. On ne pouvait rien faire d’autre. Tu as entendu ce que le Gardien a dit. Au moment où on lui a présenté la Clé, j’ai été catalogué pour l’effacement. C’était une fatalité dès lors que nous avons décidé de rassembler la Clé. Nous devrions être heureux que ça ait pris si longtemps, ou nous aurions été dans cette situation depuis belle lurette.

— Mais, Zorian ! protesta Zach. Tu… Tu !

— Ça signifie simplement qu’il faut que je sorte de là avant la fin du mois. C’est exactement la même chose que pour les autres marqués, au final. Ne me dis pas que tu les as déjà abandonnés ?

— N… Non, bien sûr que non, mais… bégaya-t-il en prenant une profonde inspiration. Putain. Je déteste ça.

— Demande au Gardien si la Clé fonctionne toujours. Est-ce qu’on peut encore ouvrir la sortie ?

Et il s’avéra qu’il le pouvait, facilement.

— Désirez-vous l’ouvrir maintenant ? demanda le Gardien.

— Non ! cria Zach. No ! Ne fais rien tant que ne t’ordonne rien, espèce de truc inutile !

— Comme vous le souhaitez, Contrôleur, énonça le Gardien calmement, totalement étranger à leur tourment émotionnel.

Quelques secondes de silence plus tard, Zorian brisa la glace.

— Bon… Nous devrions probablement terminer ça pour l’instant. Il faudra revenir plus tard et poser plus de questions, mais je ne crois pas qu’on soit en état pour le faire immédiatement.

— Je suppose que tu as raison, admit Zach.

Soudain, le Gardien convulsa, comme un air de déjà-vu.

— Oh non, pas encore cette merde ! protesta Zach, exaspéré.

Zorian ne fit pas mine de vouloir sortir du Portail, cette fois. Il ne pourrait probablement pas même s’il essayait, de toute façon. Il désirait au contraire avoir une vraie discussion avec Panaxeth. Ce dernier n’essaya d’ailleurs pas de séparer les deux compères, et posséda simplement le Gardien en face d’eux. L’humanoïde luisant se changea d’un coup en une forêt de branches rouge sang et de tentacules avant de se compresser à nouveau en une masse plus humaine, qui devint rapidement la même forme femelle que le Primordial avait choisie pour Zorian la fois passée. Et il le fit bien plus rapidement, ce coup-ci.

Il fit un pas en avant, apparemment désireux de leur marcher dessus, et s’arrêta d’un coup.

— Bonjour, Zorian, fit la plaisante voix féminine. Nous nous rencontrons à nouveau. SI tôt.

— Je croyais que tu avais dit que tu ne prendrais plus la peine de me contacter ? lança immédiatement Zorian. C’était une offre unique, non ?

— Bah ! Je t’ai dit qu’il faisait juste sa mijaurée, lança Zach. Il te veut, c’est tout.

— Passer les sécurités de ce mécanisme n’est pas aussi facile que vous le pensez, dit Panaxeth. Il n’est pas aisé pour moi d’apparaître ainsi devant vous. Ce que j’ai dit est toujours vrai, mais j’ai décidé que tu étais plus intéressant que je l’avais pensé.

— La dernière fois, tu n’as même pas daigné montrer ta tronche devant moi, le défia bruyamment Zach, en croisant les bras.

— En tant que Contrôleur, tu es spécialement bien protégé de toute manipulation, expliqua le Primordial, en se tournant vers lui. Et tu peux partir à n’importe quelle seconde. Tu n’as pas besoin de mon aide, et je suis incapable de t’empêcher de partir. Tu ne présentes aucun intérêt à mes yeux. Je ne t’ai donc pas contacté.

— Et pourtant, te voilà, devant mes yeux.

— Il faut que je conserve ma puissance, continua Panaxeth. Vous isoler dans deux espaces différents est coûteux est inutile. Je me fiche si tu nous entends.

La femme incarnée par Panaxeth se tourna à nouveau vers Zorian, l’observant intensément.

— Tu as toujours une chance de survivre à ça, dit-elle. J’ai réussi à stopper le Gardien lorsqu’il a voulu te retirer tous tes privilèges de Contrôleur. Anéantis son esprit autant que tu le peux, utilise la Clé pour déverrouiller la porte, et je te ferai sortir d’ici. Je ne te demanderai même pas de passer un contrat avec moi. Saboter gravement le Contrôleur est suffisant pour moi. Empêche-le de quitter la boucle temporelle, ce sera mon paiement.

Zach flotta quelques centimètres en arrière, physiquement pris par surprise par ces mots.

— Tu ne veux plus de moi comme agent ? s’étonna Zorian, en fronçant les sourcils.

— J’en possède déjà deux. C’est plus que nécessaire. Si je peux m’assurer que le Contrôleur reste dans la boucle temporelle jusqu’à la fin et y disparaisse, ce sera bien plus précieux pour moi que n’importe quel agent supplémentaire.

Ni Zach, ni Zorian ne répondirent rien, mais Zorian réfléchissait furieusement. Si Panaxeth était si désespéré de sortir Zach de l’équation… cela signifiait probablement que la boucle entière avait été créée spécialement pour l’aider à trouver un moyen efficace d’empêcher Panaxeth de se libérer. Même si Zach ne pouvait pas s’en souvenir, tous deux étaient des ennemis mortels.

— Avant que j’aide Zach à rassembler les morceaux de la Clé, tu étais déjà gagnant, réalisa Zorian. Tu avais déjà envoyé un de tes agents dans le monde réel, et Zach avait oublié la mission qui consistait à t’arrêter. Il n’avait plus qu’un vague sentiment pour le guider sur le chemin qu’il devait prendre. Même s’il avait compris comment venir ici, la porte était fermée et il ne pouvait pas sortir. Il n’aurait jamais récupéré la Clé à temps.

— Oui. Il aurait été préférable que vous ne trouviez jamais la Clé, admit immédiatement le Primordial. Cependant, je suis l’incarnation ultime de l’adaptabilité. Je ne vous en veux pas pour avoir cherché à poursuivre vos intérêts. J’ai simplement recruté l’un d’entre vous, pensant qu’il s’agissait là de la meilleure chose à faire en cette situation. Ce ne fut que plus tard que j’ai découvert que tu étais un mage mental très capable, et de quelle façon le plan initial pouvait toujours être exécuté.

— Tu ne le savais pas, avant ? s’étonna Zorian.

— J’observe en permanence, expliqua Panaxeth. Tout, partout. Mais ma conscience est très semblable à la vôtre, et je ne peux prêter attention à chaque petit détail. Lorsque vous observez une fourmilière, vous en voyez beaucoup, mais pouvez-vous vraiment vous souvenir de ce que l’une d’entre elle a fait en particulier ? Cela dit, je me souviens de tout avec précision, un peu comme toi, si j’y ai prêté attention auparavant. Tu vois ? Nous sommes bien plus semblables que tu le pensais, Zorian.

L’avatar de Panaxeth se mit à sourire. Un sourire qui se voulait rassurant et charmant, mais qui fit froid dans le dos à Zorian, sans pouvoir expliquer pourquoi.

— Nous sommes tous deux coincés dans cette cage, nous faisons tous deux tout ce que nous pouvons, y compris des choses loin de toute morale, afin d’en sortir, continua Panaxeth. Penses-tu que je souhaite détruire ta ville ? Sa destruction est une simple conséquence malheureuse. Elle se trouve au mauvais endroit. Je ne vous ai jamais demandé de bâtir une ville au-dessus de ma tête. Tout comme vous êtes capables de détruire vos originaux afin de vivre, je ne refuserai jamais de détruire tout ce qui se trouve autour de moi pour me libérer. Si le nombre de morts est plus élevé que pour vous, ce n’est pas ma faute.

— Je mourrai si je ne sors pas d’ici à temps. Toi, non, fit remarquer Zorian.

— La cage qui m’enserre est une torture comme tu ne peux l’imaginer, contra Panaxeth. Essaye de rêver un peu. Tu es enfermé dans un cercueil pendant des siècles, selon ta notion de vie humaine. Tu ne peux ni manger, ni boire, et tu as pourtant faim et soif, à n’en plus finir. Tu ne peux même pas bouger le moindre doigt. Si telle était ta destinée, ne ferais-tu pas tout ce qui serait en ton pouvoir pour te libérer, peu importe les conséquences ?

C’était… un très bon argument, dut admettre Zorian. Il ne trouva rien à y répondre.

— Et puis, il y a lui, renchérit alors le Primordial, en désignant Zach.

— Moi ? protesta celui-ci. Je me contente d’être là à vous écouter parler. Qu’est-ce que j’ai à voir dans votre histoire ?

— Je suis extrêmement restreint pour tout ce qui touche au Contrôleur, et je ne peux parler de certaines choses librement, mais je peux te dire ceci, Zorian – Peu importe ce que tu penses de cette personne, peu importe à quel point il te semble amical, vous êtes deux ennemis. Au bout du compte, l’un devra tuer l’autre.

— C’est… C’est des conneries ! explosa Zach. Tu veux dire quoi par là, hein ?!

— Il est un bon acteur, dit Panaxeth, sans même lui accorder un regard. Cependant, tu aurais déjà dû remarquer les signes. Ne laisse pas tes émotions vaincre ta raison.

En colère et ignoré, Zach tenta de se jeter sur l’image du Primordial, tout en sachant très bien qu’il ne pourrait rien lui faire et qu’il s’agissait probablement d’une mauvaise idée.

Et évidemment, Panaxeth se brouilla et Zach passa à travers.

— J’ai dit tout ce qui devait être dit, termina le Primordial. Fais le bon choix, Zorian. Tu as jusqu’à la fin de ce cycle pour prendre une décision. J’attendrai.

Puis ils se retrouvèrent dehors, dans leurs corps. Ils n’avaient même pas activé la fonction de sortie. C’était une chose que le Primordial pouvait apparemment forcer également.

— Putain, putain, putain ! s’énerva Zach, jetant violemment tout ce qui pouvait lui tomber sous la main.

Zorian grimaça de douleur lorsque l’un des instruments délicats et coûteux utilisé par le centre pour étudier le Portail du Souverain percuta le mur et éclata en morceaux. Voilà une chose qu’ils allaient avoir du mal à expliquer à Krantin.

— Putain de merde, qu’il aille en enfer ! Pourquoi est-ce que tout se passe soudain si MAL ?!

— Zach, tu devrais vraiment travailler sur ton caractère, nota Zorian en avançant les mains vers un objet que Zach venait encore de balancer à travers la pièce, l’arrêtant d’un mouvement simple.

Zach fit les cent pas dans la salle, peu capable de contenir une colère sourde. Il garda le silence en ruminant, mais fort heureusement cessa de se montrer violent avec le matériel qui ne lui avait rien fait. Après quelques instants, il s’approcha de Zorian d’un pas lourd et décidé, et l’attrapa par les épaules.

— Zorian, commença-t-il, faisant de son mieux pour paraître plus apaisé qu’avant – mais il ne leurrait personne : ils n’étaient que deux et Zorian n’était pas le dernier quand il s’agissait de comprendre un sentiment. Zorian, écoute. Tu ne crois pas vraiment ces absurdités qu’il a dites, à la fin, n’est-ce pas ?

Zorian l’observa, d’un visage calme et sans expression.

Il savait qu’il y avait quelque chose de fondé derrière les accusations du Primordial. L’esprit de Zach… Il avait clairement été manipulé. Peut-être par Robe Rouge. Peut-être par les Anges, lorsqu’ils lui avaient donné sa mission. Absolument tout pointait dans cette direction. Même si Zach était honnêtement amical et ne lui souhaitait que du bien, il pouvait exister toutes sortes de restrictions, de compulsions ou de contingences placées çà et là, attendant simplement une activation automatique. Peut-être une fois hors de la boucle temporelle, le garçon souriant en face de lui deviendrait hostile et tenterait de le tuer sans raison apparente. Il connaissait bien la façon qu’avait Princesse de changer son avis à leur sujet, les voyant comme des ennemis, et un instant plus tard, prête à donner sa vie pour Zach. Tout ça juste parce qu’elle était égratignée par une petite dague…

Cela dit, il savait également que ce serait une erreur de le dire tout haut. D’une part, Zach venait d’entendre Panaxeth demander à Zorian de littéralement le tuer, détruire le Gardien pour qu’il ne puisse plus sortir de la boucle, en échange d’un ticket de sortie. En gardant ça à l’esprit, Zorian tout argument cherchant à convaincre Zach de laisser Zorian fouiller dans son esprit serait plus que suspect.

— Non, dit Zorian. Je ne le crois pas du tout.

Zach le fixa encore pendant une seconde, avant de finalement laisse échapper un soupir de soulagement, relâchant toute la pression qui s’était accumulée dans ses épaules.

— Bien, lâcha-t-il en tapotant Zorian sur les épaules. C’est bien. On ne peut pas laisser cet enfoiré nous diviser comme ça. Il faut qu’on se fasse confiance l’un l’autre, maintenant plus que jamais.

— C’est vrai, accepta Zorian, qui était parfaitement d’accord avec ça. Et d’ailleurs, Tu expliques à Krantin pourquoi tu as totalement explosé la pièce.

Zach se figea, l’espace d’un souffle, et regarda autour de lui, jugeant et jaugeant les dégâts.

— Je crois que tu as raison, dit-il dans un grognement. Je devrais vraiment travailler sur mon caractère.

Raka
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