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Chapitre 194 : Le monde lunaire 1/2

 

Kim Kangjul, installé sur un tabouret dans la grand-salle de réception, attendait patiemment la visite du Roi. Profitant de l’admirable vue grâce à l’absence totale de fenêtres, il put apprécier chaque détail de l’architecture de l’endroit, qui fleurait bon les émanations de passages précédents. Comment ne pas s’attacher à un tel endroit ?

– Enfin, nous nous revoyons, lâcha-t-il lorsque la porte de fer de la cellule s’ouvrit avec fracas.

– T’as des couilles, Kangjul. Ça explique sans doute l’odeur, rétorqua Woojin.

Kim Kangjul baissa la tête, dans un réflexe de survie. Il avait déjà essuyé une très sévère défaite lors de leur précédente rencontre, aussi l’envie de remettre le couvert restait-elle, somme toute, très modeste.

– Bon, qu’est-ce que tu voulais ? ajouta-t-il finalement sur un ton plus conciliant.

– Pour les mêmes raisons que la précédente fois. J’ai été envoyé pour vous transmettre un message, lui expliqua l’éveillé.

– J’imagine que ça vient encore de Toppler ? Il peut pas bouger son cul ?

– Pour le moment, c’est impossible.

Woojin s’installa alors sur une chaise face à lui et croisa les bras, cherchant une position confortable sans y parvenir. Étrangement, cette gêne lui fut d’une grande aide pour conserver son calme.

– Et on peut savoir pourquoi ? Il a toujours peur de moi ? le tança-t-il finalement.

– Comptez-vous le tuer ?

– Tu sais ce qu’on fait, aux agents double ?

La menace prononcée par Kang Woojin resta étonnamment sans effet. Kim Kangjul savait parfaitement les risques qu’il prenait à revenir au sein des murs d’Alandal.

– La mort ne m’effraie pas, répondit-il.

– C’est amusant, toutes les personnes qui ont dit ça sont mortes de mes mains, rétorqua encore Woojin.

– Nous avons déjà eu cet échange.

– Et ça t’a pas servi de leçon, manifestement.

– La réciproque est tout aussi vraie. Vous êtes prévisible, comme si tout était déjà tracé… fit Kangjul d’un ton énigmatique.

– Moi pas comprendre quoi toi raconter. Toi pouvoir faire un effort ?

– Vous répétez les mêmes erreurs.

– Bien, je crois qu’on n’a plus rien à se dire, lança Woojin en même temps qu’une magie concentrée au creux de sa main.

– Je vous l’ai déjà dit, je me fiche de mourir. Pire encore, je souffrirai mille morts si cela peut sauver la Terre. Mais avant ça, je dois vous dire ce qui m’a amené.

– J’vais faire semblant de marcher. Qu’est-ce que tu veux, à la fin ?

– Vous êtes rentré sur Terre beaucoup plus tard que prévu.

– Excuse-moi du peu, j’ai eu deux-trois choses à gérer. Genre, sauver un monde, ironisa le nécromancien.

– Les rouages du temps se sont emballés. Isaz a refait surface bien trop tôt, et vous n’êtes pas encore prêt. Voilà ce que j’étais venu vous dire, conclut Kim Kangjul, sans avoir jamais considéré les propos de son interlocuteur.

Les dieux, le destin et les prophéties. Si Kang Woojin avait pu supprimer trois choses en ce monde, assurément, c’eût bien été celles-ci. Il eut envie de le frapper. Rien ne lui dictait sa voie et il s’efforçait de le rappeler à grands coups à quiconque témoignant de réserve quant au fait.

– Le professeur Toppler vous rencontrera lorsque vous serez prêt, ajouta le prisonnier. Vous êtes le seul à pouvoir sauver le monde lunaire et la Terre.

– J’aimerais quand même bien savoir pourquoi ces tocards gardent aussi jalousement leurs secrets… fit d’une voix lasse Woojin.

Malgré tous les reproches qu’il pouvait faire à Melody, elle avait au moins eu la décence de jouer cartes sur table. Il ne connaissait rien de ce monde, sinon l’un de ses citoyens émérites dont l’âme était parfaitement insondable même à un nécromancien tel que lui. L’être humain, face à l’inconnu, tend à réagir de façon négative. Or, Woojin était humain. Trop humain. Sa haine se manifesta en une intensification de la source de magie au creux de sa main. Il suffisait d’un seul coup pour que tout s’arrête pour Kim Kangjul. À défaut de réussir quoi que ce soit, le professeur Toppler aurait au moins appris qu’il importait de se déplacer en personne pour un Roi tel que l’Immortel.

– J’ai une dernière chose à vous dire, lança-t-il rapidement. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vous étiez capable d’obtenir des niveaux supplémentaires ?

Après quoi, il ferma les yeux. Il croyait aux dieux et aux prophéties, aussi, son rôle rempli, il accepta tout simplement le destin qui devait être le sien. Cependant, l’impression étouffante dégagée par l’influx énergétique disparut soudainement. Il ouvrit alors les yeux et vit Kang Woojin totalement transformé. Toute sa hargne impétueuse avait disparu, ne laissant plus qu’une enveloppe vide. Ne sachant trop comment réagir, Kim Kangjul observa le silence. Il se passa ainsi deux minutes. Les yeux du nécromancien tremblaient, incapables de se focaliser sur le moindre point.

Pourquoi est-ce que je me suis jamais interrogé sur ça avant ? fut la seule pensée qui lui traversa l’esprit.

Les monstres, l’apparition de sorts et de dieux pouvait encore, d’après lui, s’expliquer à peu près raisonnablement. Mais prendre un niveau ? C’était comme changer la nature même de son existence, en opposition totale avec les lois de la nature et celles de la logique. Et puis il y avait toujours cette question en suspens : quel était le lien entre la Terre et Alphène ? Leurs histoires semblaient se rejoindre en d’étranges circonvolutions…

– Quand est-ce que je pourrai voir Toppler ? lâcha-t-il enfin, l’air toujours hébété.

– Il viendra vous trouver lorsque vous serez prêt, répondit d’une voix calme Kim Kangjul pour ne point le brusquer.

– Quand je serai prêt, hein…

Kang Woojin eut alors un rire d’une tristesse absolue, manquant de faire fondre en larmes le messager lunaire. C’était trop. Trop d’inquiétudes, trop de responsabilités, et aucun espoir en vue sur une explication ou, à défaut, une solution. Alors il faudrait se raccrocher, comme il l’avait toujours fait, et se concentrer sur les deux seules choses qui lui semblaient en cet instant viables : prendre des niveaux et l’Exécuteur de Gehen. Mais il en avait marre, et le temps semblait lui filer entre les doigts plus vite encore que son optimisme.

– Tu devrais rester là encore quelque temps, ajouta-t-il après un moment.

– Pourquoi ne m’avez-vous pas tué ? ne put s’empêcher de lui demander l’intéressé.

– Parce que ça ne servirait à rien. Si ça peut te rassurer, je pourrai le faire si tu m’as raconté de la merde.

Puis, Kang Woojin sortit. Kim Kangjul se releva alors d’un bond, le visage marqué d’effroi.

Il a changé…

Le sort du monde ne dépendait plus à présent de lui. L’histoire continuerait de s’écrire sans lui… Qu’allait-il bien pouvoir faire ? Il avait tant douté de son succès qu’il en avait été incapable de se projeter dans l’avenir. Que signifiait, finalement, vivre ? Il fondit en sanglots, tentant en vain de les étouffer entre ses poings.

– Alors, comment ça s’est passé ? demanda Jung Minchan à son employeur, de l’autre côté du mur.

– Hein ?

– … Vous allez bien, Roi ?

– Laisse Kim Kangjul dans sa cellule, répondit Woojin en se massant les tempes.

– Vous pensez vraiment qu’on pourra le retenir ?

– S’il veut se casser, qu’il se casse. Il peut aussi décider de rester. Je n’en ai absolument rien à secouer dans les deux cas.

De toutes les façons, Woojin finirait bien par obtenir la vérité sur ce monde lunaire. Ce que Kim Kangjul déciderait de faire des jours qui lui restaient à vivre l’importait autant que le maintien des bonnes relations internationales devait importer à Kim Jong-un.

– Au fait, on arrivera en Grèce dans combien de temps ? ajouta soudainement Woojin, redescendant sur terre dans un sursaut.

– D’ici trois bonnes heures, lui répondit Jung Minchan.

– Okay…

Alors, que faire ? Chercher à amasser des points pour compléter l’équipement de Gehen, ou aller chercher le niveau 99, dont il se rapprochait ?

– Les deux. Pas le choix, lâcha-t-il involontairement à haute-voix.

– Vous dites ? s’étonna Minchan.

– Fais savoir à Jaemin que j’ai besoin de lui causer. Quant à toi, je te laisse reprendre tes activités.

Woojin n’eut pas besoin de faire dix pas qu’une sensation désagréable l’assaillit. On le suivait.

– Je t’ai pas dit d’aller bosser, à l’instant ? Qu’est-ce que tu fous ?

– Mon travail consiste à soutenir le maître de guilde et le Roi d’Alandal, répondit-il de son air le plus digne.

– T’as rien à faire, quoi.

L’idée interpella un peu Woojin. Lui qui était toujours si occupé, en qualité de Premier ministre, ne savait plus en cet instant, pourtant si chaotique, quoi faire de lui-même… Son travail consistait à gérer les relations internationales et les priorités dans le traitement des requêtes de soutien, mais il avait fini par déléguer à d’autres sans doute moins surchargés.

– Finalement, t’as un job plutôt pépère. Par contre, j’ai vu quelques personnes avec des âmes dégueulasses, tu devrais faire quelque chose à ce sujet, trancha alors Woojin.

– Je regrette, je ne suis pas sûr de vous suivre, avoua Minchan.

Il le fit pourtant malgré les allers-retours incessants du nécromancien, qui les inspectait tous. Certains puaient véritablement.

– Ce que je te dis, c’est que t’as été inappliqué dans le choix des nouveaux employés.

– Vous… vous m’en voyez profondément troublé. Je vais rectifier le tir immédiatement, se renfrogna celui qui les avaient effectivement recrutés.

Jung Minchan incarnait en cet instant la sincérité même. Ce n’était pas sa fierté, mais sa conscience professionnelle même qui venait d’en prendre un coup. Car, tout au contraire de ce que sous-entendait son employeur, il avait appliqué un soin tout particulier à sélectionner de bons éléments. Il s’en voulait. Le laissant seul, Woojin alla trouver Ryong.

– Quel est votre souhait ?

– Hmpf. Je vais invoquer Dolsae et Vivie, ce sera plus simple, comprit Woojin.

Sa mémoire semblait réellement dépendre du feu follet…

– Et c’est pour ça que… uh ? Ah, tu m’as invoquée. Qu’est-ce qu’il y a ? s’étonna Vivie, alors en pleine conversation.

– Ouais, désolé mais j’ai à faire. Tu peux t’occuper de tuer tous les seigneurs dimensionnels avec Ryongsae ?

– Ha ha, super nom ! Je m’en occupe, ne t’en fais pas.

Ce fut alors au tour de la liche et des chevaliers noirs d’être convoqués. Tous le regardèrent en silence, avec respect, attendant qu’il daigne leur accorder une raison d’exister.

– Tuez tous nos ennemis.

– Il en sera fait selon votre volonté, lui répondit Jaenis.

– Hyung ? Tu me cherchais ? se manifesta soudainement Jaemin, alors qu’il se surprenait de voir le pont aussi rempli.

– Oui, tu vas m’accompagner, lui confirma-t-il.

– On retourne sur Alphène chercher Che Haesol et Sunggoo ?

– Non, ils sont assez grands pour se débrouiller. On va aller chasser, j’ai besoin de ressources.

Et sans même lui laisser le temps de considérer l’idée, Woojin l’attrapa par le bras et le tira avec lui au sein du portail dimensionnel. Face au château se tenait un orc, ou tout du moins ce qu’il en restait. Il porta un genou à terre.

– Mon Roi.

– Ah… Je suis désolé, Kiba. La prochaine fois, c’est promis, tu seras de la partie, eut Woojin pour réponse, quelque peu gêné.

– Bien, alors j’attendrai votre ordre…

– Voilà. Jaemin, comme je te disais, il me faut des points d’énergie et de succès.

– Que dois-je faire, hyung ?

– On va lancer autant de batailles dimensionnelles que nécessaire.

– Ah ! Parfait, je m’en charge !

Le Comte vampire s’installa confortablement dans le fauteuil de tacticien, tandis que Woojin resta debout à chercher un adversaire. Lui ne prit même pas la peine de s’installer, ni de lire la moindre description. Il se fichait bien de la personne qu’il pourrait affronter, aussi la prit-il au hasard sans y porter d’attention.

{Vous avez provoqué Liah en bataille dimensionnelle.

– Haha ! Encore elle…

 


 

– Monsieur Toppler, j’apporte votre ration… lança une jeune fille.

– Ah, merci Sosoh, se satisfit celui-ci après avoir déposé son lourd marteau.

Elle lui fit une révérence et s’éloigna sur la pointe des pieds, un petit panier d’osier entre les mains. Seul, le professeur Toppler put mettre de côté sa dignité et soupira comme un ours aurait bâillé. Le gruau à la couleur à mi-chemin entre le béton et les excréments ne lui faisait pas réellement envie, d’autant plus qu’il savait qu’il n’avait aucun goût. Mais dans le désert… D’ailleurs, après avoir fini de manger, il but une très large quantité d’eau et porta un regard attristé sur le ciel noir, qui semblait comme chercher à l’étouffer.

Si ça ne fonctionne pas cette fois…

Tout serait perdu à jamais. Le monde lunaire cesserait purement et simplement d’exister.

 

Nostra
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