Chapitre 50 – En route vers le camp des géants (3)
Nous nous étions mis d’accord. Friderik ferait ce qu’il voudrait pendant mon absence, il s’occuperait du donjon ou passerait son temps à dormir, peu m’importait. Quant à moi, je ne me laisserais plus distraire par des idées parasites et me concentrerais sur ma survie et sur la précieuse carte.
Je revins facilement là où j’en étais, dans la plaine des serpents géants. Je regardai avec un certain malaise l’arbre sur lequel existaient encore des traces de sang – de mon sang.
— Alors comme ça, mon sang ne disparait pas ? m’étonnai-je. Pourtant, mon corps…
J’en vins à réaliser quelque chose. Le système ne considérait pas les morts dans le donjon, celles de la part des explorateurs et celles liées aux monstres de la même façon ; pourquoi aurait-il dû considérer mon corps autrement ? Je savais que je disparaissais dès lors que ma mort survenait dans le donjon. Sans doute en était-il de même sur Albion, lorsque cette fille m’avait lâchement transpercée à plusieurs reprises. Mais rien ne me garantissait que lorsqu’un monstre me tuait, mon corps ne restait pas à leur merci.
— Après, tout, ces monstres chassent pour se nourrir… compris-je.
Il fallait bien qu’ils mangent. Si les architectes disparaissaient à chaque fois qu’ils se faisaient tuer par un monstre, alors les monstres, de leur côté, ne les attaqueraient plus – pas pour les dévorer, en tout cas.
Je m’imaginai d’un seul coup tomber face à face avec mon cadavre.
— Huu… frissonnai-je. C’est glauque.
Je me voyais déjà, le regard plongé dans un autre, vide de toute vie quant à lui. Des yeux ouverts et pointés sur un infini invisible et éternel. Les yeux de mon corps précédent.
Ksiiii…..
Surprise et tirée de mes pensées vagabondes, j’entendis le sifflement d’un serpent non loin.
Bon sang ! J’ai failli me faire avoir encore une fois… Mais quelle conne ! Espèce de conne ! Tu le sais, pourtant ! C’est un de tes grands défauts ! Et tu ne devais pas te laisser distraire !!
Heureusement, il semblait ne pas m’avoir sentie ni entendue, et sa tête tournée vers l’autre côté le menait déjà loin de moi, paresseusement.
Je me permis de souffler au bout de vingt secondes de plus et fis prudemment demi-tour – je m’étais à peine éloignée du chemin, attirée par cet arbre, et les monstres étaient déjà si près – pour rejoindre la route que m’avait indiquée Teacup.
À partir de là, je contournai les endroits à risque de la plaine sans croiser le moindre danger et arrivai près d’une zone marécageuse dans laquelle vivaient des crocodiles sanguinaires et d’autres serpents, bien plus petits, aquatiques et dont le venin était absolu.
Je savais que la cime des arbres était sûre. Et qu’il fallait que je la traverse de nuit, également. Les serpents ne montaient pas aux arbres et les crocodiles ne m’apercevraient pas dans le noir ; si je tentais de passer de jour, ils s’attaqueraient aux troncs de ces espèces de palétuviers pour les arracher et me faire tomber vers une mort certaine.
— Bon sang, FeiLong se serait occupé de tout ce petit monde d’un claquement de doigts… me plaignis-je, m’accrochant et passant d’une branche à l’autre dans une obscurité à peine percée par une lune timide et un bon nombre d’étoiles.
D’ailleurs, il existe une lune sur ce plan ? Des étoiles ? Sommes-nous quelque part dans la galaxie ? Est-ce créé artificiellement ? FeiLong a dit que les soleils tournaient autour du plan et non l’inverse. Le cycle du jour et de la nuit est artificiel, lui aussi ? Tant de questions auxquels j’aimerais répondre.
Perdue dans ma distraction nouvelle et une nouvelle fois malvenue, je glissai et ma main manqua d’attraper la branche qui m’aurait sauvée d’une chute malencontreuse.
Je me voyais déjà à nouveau morte, déchiquetée et dévorée par un crocodile cette fois. Si j’avais de la chance, j’allais peut-être me faire mordre par un serpent avant ça et mourir d’un poison foudroyant en un instant.
J’étais déjà bonne pour me taper la route à nouveau, le lendemain.
J’eus de la chance cela dit, et au prix d’une douleur atroce, mon dos heurta une branche quelques mètres plus bas qui mit un terme à ma chute. Je pouvais sentir des regards braqués vers moi depuis le sol, tout en bas dans le noir, aussi étouffai-je le cri que je m’aurais volontiers fait un plaisir de pousser.
— Hmpf !! étouffai-je, du coup, une main devant la bouche et les dents serrées.
Je m’étais probablement brisée une côte, au minimum. La douleur était assez atroce pour me donner envie de vomir. Je parvins à remonter en haut de l’arbre grâce à ses nombreuses prises, mais je devais faire tous les efforts du monde pour ne pas retomber, je voyais des étoiles à chaque fois que je me hissais du côté droit.
J’avais envie de mourir. Au moins, en ressuscitant, mes côtes iraient mieux. Et qui pouvait certifier que je n’avais pas un poumon percé, ou un ou l’autre organe en mauvais état et qui allait lâcher à tout moment ? Le risque était grand, mais je n’avais vraiment pas envie de me faire croquer volontairement par une bestiole qui me faisait déjà peur dans ma vie précédente et qui était ici sa version monstrueuse.
— …Hff…
Je haletais. J’avais mal. J’avançais sur la canopée, faisais attention aux endroits auxquels s’agrippaient mes mains et se posaient mes pieds ; et je réussis par un miracle quelconque à pousser mes limites jusqu’à ce que le matin se lève. Je vis alors que quelques centaines de mètres plus loin, dans l’aube naissante, se dessinait la fin de cette forêt de palétuviers et donc des marais.
— Ouah, soupirai-je, tu parles d’un chemin à arpenter en toute sécurité… Teacup, je te retiens. J’aurais préféré faire le tour, quitte à perdre une journée ou deux.
Je descendis de là en prenant garde à ce qu’aucun monstre ne me voie avant de me précipiter hors de leur porté, si jamais ils s’aventuraient dans les parages. J’étais loin de mon but, mais courageuse, je n’allais pas lâcher l’affaire. Je continuais à voir cette fameuse compétence, et ce géant que j’allais ajouter à mon donjon un jour ou l’autre pour surprendre tout le monde.
— Ha ha… Et si je faisais tout de suite un donjon de haut niveau, par hasard ? imaginai-je, après tout, je suis la mère des compétences buguées et leur légitime souveraine…. Oh.
Je me rendis compte que je commençais à nouveau à me perdre dans des pensées inutiles.
— Concentre-toi, ma fille, concentre-toi… La carte !
Je dépliai la carte une fois de plus afin de contrôler si le chemin que j’empruntais était toujours le bon. Cela dit, l’absence de monstres à l’horizon était assez éloquente ; je me trouvais dans une zone de niveau 150 désormais. Je pouvais mourir en croisant le moindre insecte… j’en était certaine. Je ne souhaitais même pas croiser le regard de la créature vivante la plus insignifiante.
***
Les trois jours suivants se passèrent sans accroc, si ce n’était pour la douleur insupportable dans mon côté droit. J’avais l’impression que j’avais encore plus mal qu’au premier jour, et je me mis à boiter légèrement, comme si tout un côté de moi n’arrivait plus à me soutenir correctement.
— J’ai réellement dû me blesser sérieusement… conclus-je, et puis, à force de marcher sans m’arrêter, je n’ai pas dû améliorer la situation.
Même si je devais en mourir, il fallait que je tienne bon pour l’instant. J’étais allée trop loin, j’en avais trop fait, j’avais trop souffert pour ne pas terminer ce que j’avais commencé.
Je finis par arriver, le jour où Friderik devait exécuter Izdasa, face au camp des géants. Cachée à la lisière d’une forêt et masquée par son ombre fraîche, je n’osais imaginer mon état. Je trainais la jambe comme un zombie – ce qui m’avait valu un jour de retard dans le planning – et j’avais même du mal à penser correctement.
— Mais merde… me plaignis-je, pourquoi des côtes cassées me mettent dans cet état ?
Après tout, je m’en fichais, une fois morte, tout irait mieux. Sans même parler du fait que n’ayant pas besoin de me nourrir, j’avais déjà un indice quant aux différences entre ce corps et celui de l’humaine que j’étais et je ne pouvais pas juger la sévérité ou les conséquences d’une blessure. Je me posais la question essentiellement pour garder l’esprit encore un peu clair ; j’étais proche de la perte de conscience, et je savais que si je tombais ici, c’était fini, retour à la case départ.
Je ne voulais pas perdre de temps. Je me mis à prier intérieurement.
Je ne sais pas quel dieu m’entendra, je ne sais même pas si quelqu’un entend, mais faites que Friderik se décide tout de suite ! Je ne tiendrai pas plus longtemps !
Je pouvais tomber à tout moment désormais. Et puis, le moment était idéal, il y avait ce géant qui venait d’apparaître, le premier que je voyais de ma vie. Il était sorti de son camp, composé de quelques huttes cachées sur un flanc de colline, et venait dans ma direction.
Il était gigantesque, vraiment. Plus de huit mètres de haut ! Quand on me parlait de géants, j’imaginais des grands types, dépassant peut-être trois mètres dans le pire des cas. Mais lui… Il était d’un calibre qui explosait complètement la charte. D’un seul coup, je ne savais plus si j’étais toujours aussi confiante en mes capacités, surtout réduite comme je l’étais par une blessure débilitante.
Par contre, ce que je pouvais bien croire, c’était l’aura qu’il dégageait. C’était tout bonnement monstrueux. Je ne pouvais pas exprimer ça autrement ; FeiLong, à côté ? De la pisse. Le type de l’administration n’aurait même pas pu réprimer cette aura avec son pouvoir de la justice, c’était clair !
— Merde… Ce géant est un truc de fou… soupirai-je, déjà défaitiste et me voyant une fois de plus morte, mais cette fois, avec une certitude implacable.
J’étais presque prête à sortir, résignée, et me laisser frapper une bonne fois pour toute, mettant un terme à mes tourments et à la douleur. Mais il était si… si… tellement… Je me demandais même s’il n’exploserait pas jusqu’à mon âme elle-même s’il m’envoyait un coup de ce gigantesque poing. Pourrais-je encore me retrouver dans mon lit, le lendemain matin ?
Ma réflexion fut de courte durée cela dit. Il s’arrêta à une cinquantaine de mètres de moi et se mit à tendre l’oreille, puis à renifler l’air ambiant. Il m’avait remarquée ?! J’avais à peine soupiré, sans faire le moindre mouvement !
Lorsqu’il tourna la tête vers moi, je pus le voir plus en détail, aussi paniquée et apeurée que j’étais, mon cœur battant la chamade à la fois sous l’effet du stress, de la peur et de la douleur. Il était barbu, un peu comme ces géants des mythologies du nord de l’Europe. Il arborait une longue barbe grise et pointue et était vêtu d’un vêtement simple de cuir et de tissu. Dans sa main, il tenait un outil en bois et en métal, sans doute un truc de vigneron ; je n’étais vraiment pas calée dans ce domaine, je pouvais simplement jurer que ce n’était pas une arme.
Mais même sans en être une, contre moi, tout était relatif ! Il était sans doute capable de m’annihiler en me soufflant dessus, qu’avait-il encore besoin d’utiliser une arme ou un outil pour ça ?!
Il se mit à marcher lourdement dans ma direction, les sourcils légèrement froncés ; il avait repéré ma présence d’une manière ou d’une autre, c’était évident. En me concentrant bien, je pus apercevoir son niveau au loin. Et ce fut le clou qui referma à quadruple tours le cercueil de mon espoir et qui le jeta au fond du plus profond abysse du plus obscur océan de la plus lointaine et hostile planète d’une galaxie perdue.
[Géant Vigneron – niveau 120 ★★★★]
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Et dans 20 min… La suite ?
Merci pour le chapitre !!!
Lv 120 4 étoiles… Pas sûr qu’un boost puisse le vaincre… en plus c un camp…Wujing parle de la mort si facilement à croire qu’elle a oublié qu’ils semblent torturer leur victimes… 🙂
les geant aussi veulent devenir des dieux ? bin la vache, elle est foutu
Pourquoi voudraient-ils ça ? Ce sont des mobs avec un niveau, rien de plus.
Merci pour le chapitre
Merci pour ce chapitre
Merci pour ce chapitre
Merci pour le chapitre !
Merci pour le chapitre
Lvl 120 4 étoiles ?
Allons, sois moins fourbe. En supposant que les lvl des donjons est le même pour tous :
200*4+120=lvl 920
Et voilà !!! Lvl 920 vs lvl 7 !
À ce niveau, David contre Goliath, c’était juste une dispute de chiffonnières.
Merci pour ce chapitre