DMS : Chapitre 102

Chapitre 102 – L’offre et la demande (2)

Chez les géants attendait effectivement l’équipement que portaient ces deux lascars que j’avais vu entrer dans mon donjon. Au bout d’un moment, à force de se faire tuer et de m’offrir leur garde-robe, Friderik allait finir par devenir plus complet qu’une boutique de fringues.

D’ailleurs, à force de les tuer, n’avais-je pas gagné un niveau ? Après tout, j’étais dans une zone bien plus élevée que ce que demandait mon niveau actuel. Comment le calcul était-il fait ? Les crédits reçus s’adaptaient-ils à mon niveau ou à la zone ?

Je me retournai et pendant que mon slime adoré se régalait d’équipements quelconques, j’observai la surface du miroir.

[Niveau 35 / 96.555 crédits.]

En voyant ce qu’affichait le miroir, je faillis en cracher du sang. Combien d’explorateurs avais-je tué depuis la dernière fois ? Quelques-uns à peine… Et j’avais gagné 17 niveaux ? Clairement, les crédits reçus correspondaient à la zone, comme le niveau du donjon l’avait fait.

— Je crois que je suis aux anges… murmurai-je dans un état second.

Si ça pouvait aller aussi vite, je pourrais alors même peut-être rattraper des grosses pointures comme FeiLong.

— …Je me demande s’il va bien.

Mais après tout, il avait vécu des centaines d’années à Imperos, il n’y avait aucune raison pour qu’il soit en danger. Même s’il était proche de moi, cela faisait un moment que nous ne nous étions pas vus et le système avait sans doute autre chose à faire que de le harceler pour me retrouver.

Tout de même, niveau 35. Je me surpris à imaginer tout ce que Joc allait pouvoir me proposer en tant que marchand. Je m’empressai donc d’aller le voir ; il travaillait sur une chose que je ne comprenais pas et se laissa gentiment déranger.

— Oh, Wuying, que puis-je pour toi ? me demanda-t-il aimablement.

— Joc, est-ce que ton pouvoir de marchand est bientôt rechargé ?

Il secoua la tête. Je me dis alors qu’il se doutait que j’étais là pour ça. Avec le sourire, il me répondit.

— Non. Loin de là. Je pense qu’il le sera peut-être dans deux mois ? Oui, deux mois tout au plus.

Deux mois ? Deux longs mois à attendre avant de pouvoir acheter à nouveau quelque chose ? Et puisque le temps dont il disposait était limité, si je gagnais encore trop de niveaux d’ici-là, j’avais peur de ne pas pouvoir acheter tout ce que je désirais.

Mais comme je ne pouvais rien y faire, j’abandonnai immédiatement l’idée. Je verrais le moment venu. Et désormais que j’étais un peu calmée après le sale coup qu’avait voulu me jouer le Seigneur mord-moi-l’nœud, je me rendis compte petit à petit que j’avais quand même distribué du vin à des personnes qui n’avaient rien à voir avec les Explorateurs et les Architectes ; des autochtones, des civils. Je venais de créer une armée de drogués, potentiellement fous en devenir et qui n’auraient plus peur de rien pour leur précieux.

Dans le pire des cas, ils n’étaient que quelques dizaines. S’ils devenaient un danger pour le royaume, ils se feraient simplement abattre. C’était triste pour eux mais ce qui était fait était fait. Je ne pouvais plus faire machine arrière. Tout ce que je pouvais espérer désormais, c’était limiter les dégâts de ma bêtise égoïste du mieux que je pouvais.

Et pour ce faire, il fallait que j’empêche ceux qui j’avais drogués au vin de sombrer dans la folie.

— Ne me dis pas que ma seule alternative va être de leur livrer du vin régulièrement ? craignis-je.

Réparer ma légère connerie pour ne plus me sentir coupable allait-il nécessiter que je retourne à Camelot pour l’éternité afin de donner leur dose à des drogués, fous en puissance ?

Devais-je simplement les laisser, les considérer comme des dégâts collatéraux de ma grande aventure sans but, ma quête de puissance, ma fuite effrénée ? Après tout, il s’agissait de quelques dizaines de personnes, et chacune d’elle avait peut-être une famille.

Je repensai au Forgeron, à sa femme, à leur fils. Je ne pourrais jamais les considérer comme des dégâts collatéraux, alors comment pourrais-je le faire pour ces inconnus ? Je n’étais pas comme ça.

— Mais qu’est-ce qui m’a pris, bon sang ?

J’étais colérique, oui. Je le savais, j’avais le sang chaud et je réagissais au quart de tour. Mais… De là à ouvertement et consciemment dealer du vin comme ça dans une salle emplie de gens qui ne demandaient qu’à vivre leur vie ? N’étais-je pas devenue une espèce de génie du mal ?

— Et j’ai même ma base secrète, mes sous-fifres et ma fidèle mascotte. Je suis recherchée par le système, autorité suprême… Merde ! Je suis vraiment docteur Wuying, dois-je conquérir le monde maintenant ?

Je plaisantais pour alléger quelque peu mes inquiétudes mais étais-je vraiment là, dans cette situation ? En vérité, je ne pouvais pas y faire grand-chose maintenant que le mal était fait. Mais je n’arrivais pas à me résoudre à les abandonner à leur sort, ça non.

— Je vais devoir programmer des livraisons de vin…

Tout en marmonnant ces quelques mots, mon cerveau génial s’illumina et mes yeux s’agrandirent. Je courus chercher Grorg. Celui-ci m’accueillit, l’air un peu las.

— Grande déesse. Déjà de retour ? demanda-t-il comme à son habitude même si je pouvais voir qu’il était heureux de mon retour.

— Grorg ? Combien d’amphores de vin peux-tu te permettre de me donner chaque semaine ? demandai-je pour toute réponse.

— De vin ?

Il haussa les sourcils comme si la question était ridicule.

— Nous sommes des géants et nos champs sont immenses. Nous avons plus de réserves qu’il nous en faut pour des années. Alors pour toi, je peux t’en fournir autant que tu en auras besoin.

Autant que je le désirais ? Je pourrais alors effectivement aller livrer leur dose à ces pauvres hères.

Je fis rapidement ce qu’il fallait pour que Grorg me fasse livrer une grande quantité d’amphores de vin. Pour lui, il semblait que ce n’était qu’une goutte de vin dans l’océan mais pour moi, ça allait me permettre de tenir des mois, peut-être même des années sur Albion sans en voir le bout.

— Heureusement que je possède cette sacoche magique… Merci, Pythagore.

— Oh ? Il n’y a pas de quoi, Wuying, me répondit sa voix dans mon dos.

— Pythagore ? m’écriai-je en me retournant, alors tu es là.

— Et où veux-tu que je sois ? Je vis dans ce camp, maintenant. D’ailleurs, savais-tu que ces géants me voient désormais réellement comme l’un des leurs ? C’est une sensation étrange. J’ai l’impression que si je partais, ils perdraient un frère.

— Oh ? Depuis quand ? m’étonnai-je.

La dernière fois que je m’étais posée la question, ils le traitaient correctement parce que je le leur avais ordonné. Mais maintenant… ? Je vis Grorg faire un signe de tête à Pythagore en souriant. Ce dernier lui rendit un pouce levé avec un sourire radieux.

— Bon… repris-je, il faut que j’y retourne. Maintenant que je possède tout le vin du monde, je dois voir les choses à plus grande échelle.

— Quoi ? s’étonna-t-il.

— De ton côté, essaye de mettre au point le remède contre la dépendance au vin des géants, décidai-je, je vais sans doute en avoir grand besoin à l’avenir. En attendant, puisque je suis déjà engagée sur un chemin de traverse, autant faire les choses à fond.

— Quoi ? redemanda-t-il.

— Trop long à expliquer, mon ami. Mais j’ai fait une petite bêtise et puisqu’elle n’est pas réparable pour l’instant… je vais arriver à mes fins de cette façon.

— Hein ?

Décidément, il ne comprenait rien. Avait-il trop bu ou m’expliquai-je mal ? Le deuxième cas, sans doute. Après tout, il ne savait pas ce que j’avais fait, il ne connaissait pas l’étendue de mon péché… et ne savait rien de l’ampleur que les choses allaient bientôt avoir.

Je fis demi-tour, direction Camelot en tant que Wuying l’exploratrice.

**

Une fois en ville, je savais exactement où je devais me rendre. Accompagnée de Friderik naturellement, je savais que je risquais peu maintenant que j’étais décidée.

Retrouvant naturellement mon chemin après y être allé deux fois déjà, j’ouvris bientôt la porte du bâtiment privé appartenant au Seigneur Je-N’aimerais-Pas-Etre-A-Sa-Place. À l’intérieur, j’entendis des bruits de combats, mais il ne s’agissait pas de monstres. La grande cage était désespérément vide.

Ceux qui se battaient étaient les clients que j’avais gentiment invités à boire un verre gratuitement un peu plus tôt. Ils cherchaient à se dérober le peu de vin que certains possédaient encore, ou à défendre ce même alcool ; je vis un type finir son verre cul sec juste pour ne pas se le faire voler. Celui à qui il tenait tête lui envoya alors un violent coup de poing dans l’estomac.

Un coup d’explorateur de haut niveau, si j’en crus l’autre type, qui effectua une pirouette dans les airs avant de s’écraser en fracassant une table, vomissant le contenu rouge sombre de son estomac au passage.

Plusieurs clients proches cessèrent de se battre en l’apercevant et se jetèrent au sol, peu concernés par la provenance de ce vin, désireux uniquement de lécher le précieux liquide qui se répandait sur le sol en pierre.

Ils ne faisaient même plus attention à moi, trop occupés à chercher un moyen d’écarter les autres pour se rendre au-dessus de cette flaque divine. Pour ma part, je me rendis immédiatement vers le bureau du Seigneur VDM et y entrai sans même frapper après que Friderik en eût rongé la serrure.

— Qu… Toi !! s’écria-t-il en me voyant faire irruption.

— Oui, moi, lui répondis-je tandis que Friderik sautait de mon épaule et se changeait en loup.

Le regard du vieillard le suivait, je le savais même sans le distinguer sous ce capuchon. Il serra les dents et releva la tête vers moi.

— Que veux-tu ? Pourquoi as-tu fait tout ça ?!

— Alors tu ne te doutes de rien ? Vraiment ? lui répondis-je en haussant les sourcils d’un air surpris.

— Nous avions un marché ! Ton familier a tué son adversaire, et tu en as profité pour semer une pagaille que je suis incapable d’arrêter ! Que leur as-tu fait ?! Tous veulent de ce vin, offert par la gentille serveuse ! C’était toi, ils t’ont décrite !

— Un marché ? rétorquai-je.

— Ne voulais-tu pas de l’or ?!

— Je voulais de l’or, fis-je en hochant la tête.

— Alors pourquoi ?

Clairement, il m’aurait sauté dessus s’il n’y avait pas mon slime de garde entre lui et moi, vigilant et les dents acérées. Alors il tenta de passer sa fureur dans ses paroles.

— Pourquoi ? Ha ha, me mis-je à rire tout bas, comme c’est cocasse. N’as-tu pas tenté de te servir de moi en offrant mon slime à un autre monstre, pour commencer ? De l’or ? J’aimerais bien en voir la couleur : les clients n’étaient pas intéressés par un combat si idiot, et ils n’ont probablement rien parié, d’ailleurs.

Il se mit à grogner tout bas, les dents si serrées que j’eus l’impression qu’elles allaient casser. Mais encore une fois, il ne pouvait rien faire contre moi. Merci, Friderik.

— Mais que dis-tu là ? finit-il par répondre, je ne sais pas de…

— La ferme, le coupai-je, je ne t’ai pas demandé de confirmer ou non ce que je sais déjà. Ce que j’ai entendu dans cette même pièce pendant le combat était amplement suffisant.

— Tu… ! Non, je…

Et maintenant, il bafouillait. Typique, typique. Je me surpris à soupirer devant ce personnage cliché qui venait de se faire prendre au piège.

— J’ai drogué tout le monde, si tu veux savoir. Non seulement ne s’intéresseront-ils plus à tes combats mais ils vont semer la zizanie dans ton petit commerce clandestin. Sans même parler de la réputation qu’ils vont te faire, dehors. Que crois-tu que les gens vont penser de toi et de ton « domaine » ? J’imagine même ce que le roi va penser lorsqu’il va en entendre parler. Je connais un capitaine qui va bientôt perdre sa tête.

— Toi, tu as tout prévu… ? Comment ? Pourquoi ?

Je n’avais rien prévu du tout, je sortais tout ça comme ça me venait, c’était de la simple logique. Par contre, je pouvais clairement en tirer un bénéfice astronomique, et c’est pour ça que j’étais là.

— Peu importe, vieux fou. Tu as voulu enculer Qian Wuying ? Tu vas sentir la suite passer.

Je m’étonnais moi-même de ma vulgarité ; et du ton froid qui sortait de ma bouche à ce moment-même. L’avoir, lui, en face de moi, lui et son comportement semi-innocent et incrédule, prêt à appeler sa maman parce qu’on avait dit qu’il avait fait une bêtise, m’horripilait. Bordel…

— …Assume tes actes.

— Hein ?

Il recula d’un pas. Ce que je venais de dire représentait clairement une menace directe à ses yeux. Il baissa légèrement la tête vers Friderik, qui se mit à grogner d’une manière sourde. Ce bruit le figea instantanément.

— Je veux rencontrer Lancelot et le roi Arthur. Toi qui possèdes un tel pouvoir, amène-moi à eux, finis-je par soupirer.

Après tout, j’étais venue à Camelot pour ça à l’origine et mon plan n’avait pas changé d’un iota. Alors maintenant que j’avais semé les graines du chaos, je ne pouvais que faire avec et en profiter. Passer pour la grande méchante ? S’il le fallait, alors oui, volontiers.

— Quoi ? Mais comment ? Et pourquoi ferais-je ça ? balbutia-t-il.

— Pourquoi ? Parce que tant que je continue à fournir ce vin aux gens et qu’ils savent qu’ils en auront régulièrement, ils resteront calmes.

Je le savais. J’avais eu l’occasion de voir les réactions de Pythagore face au manque absolu et à la promesse d’une dose à venir. L’un le rendait fou à lier, l’autre lui permettait de garder espoir et de tenir le coup face à la démence. Dans une certaine mesure évidemment.

— Tu peux vraiment les calmer ? J’ai… J’ai tout essayé, et rien n’a marché. J’ai été obligé de m’enfermer ici… Personne n’est mort pour l’instant mais ça va venir, je le vois bien.

— Je le peux. Que décides-tu ?

Il secoua immédiatement la tête.

— J’ai du pouvoir, mais je n’ai pas ce pouvoir. C’est… C’est trop. Même si je connais le capitaine de la garde, lui-même ne pourra pas pousser le roi et son premier chevalier à voir quelqu’un sans une bonne raison.

Je me mis à réfléchir. Rapidement, je vis deux solutions à ce problème.

— Si je calme le jeu et que je maintiens la paix par ici, je veux que tu me payes. Tu me donneras la moitié de tous tes bénéfices. Chaque soir.

— Quoi ?! Mais je fais fermer boutique si je fais ça. Je…

— …Tu n’as pas le choix, rétorquai-je.

— …Je ne peux vraiment pas. Vraiment. Si j’accepte cette condition, je peux fermer immédiatement, ce sera pareil.

Il avait l’air sérieux, le bougre. Avais-je trop demandé ? Il n’avait qu’à couper certaines dépenses, il pouvait bien faire ça, non ? Sinon, je laisserais le chaos régner dans son petit commerce illégal.

En pensant ça, je me fis l’effet d’une grande mafieuse qui ferait payer un commerçant pour une protection dont il n’avait besoin que pour éviter un retour de bâton de la même personne. Je comprenais maintenant à quel point ce type de pouvoir était agréable à avoir en main.

Je possédais également une autre option. Finalement, elle était peut-être encore plus envisageable. Après tout, qui me disait que ce Seigneur Couard allait me donner ce qu’il me devait ? Il était parfaitement capable de tenter de m’escroquer.

Je finis par soupirer.

— Alors contre la paix dans tes locaux, je veux que tu fasses dire au roi Arthur que je sais qui possède sa précieuse épée disparue.

Ses yeux se firent ronds comme des assiettes.

— Son épée a… ?

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Raka

Mélange satyrique de Daria et Docteur House, élevé à grands coups de Fluide Glacial pendant un peu trop longtemps, le cynisme n'est égalé que par l'excès d'humour noir et de sarcasme quotidien dont je fais preuve.

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