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Chapitre 136 – Camelot en danger (5)

 

 

— Autode… oh merde, lâchai-je dans un souffle de terreur.

À quel point la destruction instantanée et complète de mon propre corps pouvait-elle être douloureuse ? J’aurais aimé ne jamais avoir à me poser la question et encore moins à devoir en expérimenter la réponse mais j’étais dans ce genre de situations qui disent clairement « T’as pas le choix, ma cocotte, si tu ne le fais pas, je le ferai pour toi. »

Un jour, j’avais songé à sauter en parachute, pour le frisson. A l’élastique aussi. Mais à force de regarder des vidéos sur internet, j’en étais venue à me dire que non, je n’aurais jamais réussi à sauter par moi-même et la plus grande frayeur qui m’avait alors traversée l’esprit était de me voir poussée contre mon gré.

Et actuellement, je savais très bien que la persona devant moi ne demandait qu’à me pousser, que je le veuille ou non. Si en saut à l’élastique, le résultat aurait sans doute été le même, dans ce combat de volonté et d’endurance, ce n’était pas le cas. Je soupçonnais de plus en plus qu’on ne pouvait sortir victorieux de cet affrontement que par abandon.

Plus je frappais fort et dur, plus j’avais de chance de la faire flancher pour de bon.

— Autodestruction acide.

Les mots sortirent de ma bouche comme dans un rêve. Je ne me rendais peut-être pas bien compte qu’il s’agissait d’un testament suicidaire. Cela dit, mon monde ne fit rapidement plus que lumière, puis néant. La douleur avait été si intense et si courte à la fois, presque comme une simple piqûre un peu trop violente. Étrangement, exploser de l’intérieur d’un seul coup mettait fin à une vie avant que le cerveau ne réalise qu’il souffrait.

Je rouvris les yeux et vis la persona à genoux, en train de baver à nouveau. Je lui avais infligé une sacrée déculottée : Elle avait dû encaisser la douleur de ma mort mais puisque ça ne l’avait pas tuée, elle avait été obligée d’enchaîner par l’impact de l’explosion acide : elle était couverte de brûlures profondes, il lui manquait un œil et l’explosion avait en tous les cas projeté une sacrée dose d’acide alentour.

Bon sang, elle avait dû la sentir passer, celle-là.

Je voulus en profiter pour relancer une Appropriation après ma mort récente qui l’avait réinitialisée, mais elle fut plus rapide que moi. Dans un état de demi-conscience, elle bégaya, ce qui me coupa mon initiative pendant la seconde de trop.

— A… ppropria…tion.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle s’illumina à un tel point que je dus fermer les yeux. Le monde de ténèbres qui existait autour de nous sembla ne plus être que le reste d’une explosion quelconque au fond de la galaxie et lorsque je rouvris les yeux, elle était totalement guérie et irradiait d’une espèce d’aura angélique. Les blessures sur son corps ? Disparues. Dans son dos, une paire d’ailes transparentes couronnaient le halo doré qui l’entourait.

— Un ange ?

J’avais un véritable ange sous les yeux. Je ne savais pas quelle était cette foutue compétence mais pourquoi ne pouvait-elle pas se tromper ? Rien qu’une fois ! Après tout, ça lui était arrivée, elle n’était pas infaillible ! Elle se précipita sur moi et je ne pus que laisser libre cours à mon instinct.

— Appropriation !

[Appropriation vient d’être supprimée.]

[Justice vient d’être acquise.]

[Réinitialisation de la compétence dans : 23 h 59 m 59 s.]

[Justice.]

[La Justice est un outrage aux dieux.]

 

— Q… Quoi ? eus-je à peine le temps de balbutier.

Cette compétence… Elle me rappelait celle que la persona avait obtenue lors de l’affrontement contre le dinosaure. Un genre de compétence spécial, qui semblait être totalement à part, de façon indescriptible. Je ne possédais pas les connaissances nécessaires pour parvenir à expliquer ce sentiment mais je le savais, je le sentais au plus profond de moi : cette compétence était particulière.

— Justice.

Je ne savais pas ce qu’elle allait faire, cette compétence. Mais il fallait bien que j’essaye face à ce coup d’épée qui arrivait. Une épée ? D’où l’avait-elle sortie ? Elle semblait faire partie de la panoplie du parfait petit archange vengeur, sans doute était-ce normal, après tout.

Je sentis quelque chose d’encore plus étrange que la sensation que provoquait le fait de posséder cette compétence. Autour de moi, l’univers sembla se déchirer en plusieurs états, comme si une guerre éternelle avait lieu entre plusieurs zones de l’espace et du temps.et se jouait en-dehors de la connaissance des pauvres mortels. Je vis apparaître des visages, des centaines de visages. Des créatures toutes plus difformes les unes que les autres, aux regards approbateurs ou accusateurs, méchants ou apaisants.

Elles me regardaient toutes fixement, de toutes les directions à la fois.

Je tournais la tête pour observer cette lame qui s’approchait dangereusement de ma tête. Elle était tellement, tellement lente. Je fis un pas en avant pour la contourner, m’accordai le luxe de la toucher pour en ressentir la réalité de son toucher glacial et enfin, je décidai de poser les yeux sur la persona.

Elle bougeait à peine. On aurait pu croire qu’un escargot au galop avait toutes ses chances face à elle. Sans doute son attaque allait-elle durer encore quelques heures, au bas mot.

Sous cette myriade de regards – étaient-ce autant de dieux ? C’était l’impression que j’avais – braqués sur moi en silence où que je regarde autour de moi, en l’air, de côté, sous mes pieds, je décidai de ne pas me poser de questions. Je sentais que je possédais en moi une puissance plus que mortelle, plus que dévastatrice, plus qu’éternelle. Quelque chose de bien plus…

…de bien plus efficace.

Instinctivement, du creux de la main, je caressai le front de la persona. Avec tendresse, douceur et légèreté. Un soupçon de perversion, aussi. J’avais la peau si douce, et elle possédait ma peau.

Ses yeux donnèrent immédiatement naissance à deux rayons lumineux qui ne furent pas ralentis le moins du monde. Une énergie formidable s’échappa d’elle pendant plusieurs dizaines de secondes ; les rayons se dispersèrent rapidement après ça, aussitôt avidement absorbés par toutes ces têtes qui n’attendaient sans doute que ça, bouches grande ouverte – et certaines en possédaient même plusieurs.

Le spectacle prit fin comme il avait commencé. En un souffle, en un instant insaisissable durant lequel le temps reprit son bon droit. La persona n’eut pas l’occasion de terminer son mouvement : son attirail d’ange avait totalement disparu et elle tomba à la renverse, s’écrasant à l’endroit où je me trouvais une seconde plus tôt – pour elle. Je sentis quelque chose en moi se déconnecter, comme une espèce d’embolie cérébrale à retardement, une rupture d’anévrisme ou je ne savais quoi. Ce dont j’étais sûre par contre, c’était qu’elle venait de mourir.

Je sentis également que mon pouvoir, quel qu’il fut, appelé Justice, avait totalement disparu lui aussi. Mais je n’étais pas morte moi-même dans le process : il fallait maintenant qu’elle me tue pour qu’on puisse continuer notre petit manège morbide et douloureux.

Arriverait-elle jamais à admettre sa défaite ? Je commençais à en douter. Ma patience et ma tolérance n’étaient pas infinies alors qu’elle… n’était-elle pas qu’une espèce de programme, de création formatée ? Pouvait-elle seulement se lasser pour de bon ?

Elle se releva, le regard brûlant et les dents serrées en une grimace haineuse. Oui, allez, je n’attendais que ça. Dis-le.

— Appropri…hein ? Appro… App… Qu’est-ce qui se passe ? bégaya-t-elle.

Elle avait clairement un souci. Ce qui ne m’arrangeait pas foncièrement vu que je devais mourir pour avoir droit à un nouvel essai au petit jeu de l’appropriation aléatoire. Mais elle n’en fit rien, et cessa de bouger, perdue dans des pensées dont je ne saisirais jamais la teneur. Cela dit, si elle ne voulait pas attaquer, j’allais le faire moi-même.

Je ne pouvais pas prendre de précautions.

— Frappe brutale, soufflai-je en la frappant de toutes mes forces.

Contrairement à ce que je craignais, elle ne réagit pas. Ce n’était pas un piège de sa part – à quoi aurait-il pu servir, d’ailleurs ? J’étais totalement sans défense face à elle. Elle n’avait pas besoin d’avoir recours à un quelconque stratagème bidon ; elle n’avait qu’à me tuer et voilà.

Elle ne bougea pas et son crâne encaissa le gros du coup de poing en s’enfonçant comme une pastèque trop mûre. Bien sûr, la douleur de mon côté fut également insoutenable et je perdis mes esprits l’espace de quelques secondes. En les recouvrant, j’étais assise par terre, et je dus secouer la tête pour revenir totalement à moi.

Je commençais à ne plus supporter ces morts à répétition. Elles avaient un impact psychologique sur moi. Mon cerveau voyait toutes ces douleurs comme de vrais dangers et commençait à vouloir tirer le signal d’alarme pour m’empêcher de sombrer dans la folie.

La persona se releva encore et me fusilla du regard une fois de plus.

— Approp… … … encore… ?

Une fois de plus, son regard se vida et je sentais qu’elle était perdue dans ses pensées.

Quelque chose ne tournait pas rond. Je ne pouvais pas prendre le risque de la tuer encore et encore si je ne voulais pas moi-même y rester pour de bon par la faute à mon propre cerveau ; quand me ferait-il tomber en catatonie ou dans un coma protecteur ? Non, je devais désormais y aller avec des pincettes.

La persona ne bougeait pas et fronçait les sourcils. En me rapprochant légèrement, je pus voir ses yeux vibrer à une vitesse folle. On aurait dit qu’elle suivait les mouvements d’une espèce d’électron invisible et que ça nécessitait toute son attention. Même en agitant ma main devant elle, je n’obtins aucune réaction.

Je lui mis une claque. À défaut de la faire réagir, j’allais chercher à comprendre. Je tournai la tête pour essayer de voir quelque chose dans la direction dans laquelle elle regardait. Je la fis pivoter, imaginant qu’elle pourrait peut-être tourner la tête, ce qu’elle ne fit évidemment pas.

— Elle ne regarde pas quelque chose… réalisai-je. Elle est perdue dans un système de pensées complexe. Elle réfléchit ?

Je lui envoyai un coup sur la tête. Je sentis la douleur mais elle ne m’en tint pas rigueur. Un dans l’estomac, qui me fit reculer d’un pas, moi et moi seule. Elle était là, à genoux, les yeux en pleine recherche frénéti…

— …recherche ? Elle recherche quelque chose ?

Soudain, je crus comprendre. Elle agissait comme un programme depuis sa création. Il était normal qu’en cas de dysfonctionnement, elle tente d’effectuer une recherche dans une base de données quelconque ou de communiquer avec le système. Le pouvait-elle seulement, ici ? Loin d’Imperos et coincé dans ma conscience ? Il était fort possible qu’elle essaye encore et encore sans résultat et que ça dure éternellement.

Au bout d’un moment, je mis mes mains sur mes hanches.

— Bon, c’est pas que…

Elle me coupa la parole tout net en se relevant d’un bond, l’air étrangement plus calme et moins belliqueux.

— Que m’as-tu fait ?

Je fis un bond en arrière. Surprise était sans doute un doux euphémisme dans cette situation : elle m’avait littéralement fait sauter le cœur de la poitrine. Mais je me repris aussi vite que ça, et sans autre choix que de l’observer, je décidai de lui laisser poser sa question. Après tout, s’il fallait qu’elle abandonne le combat, il fallait qu’elle puisse parler.

— Ce que je t’ai fait ? Je ne sais pas ? répondis-je de façon rhétorique.

— Ne te moque pas de moi, continua-t-elle. Je… me sens bizarre.

— Bizarre ? répétai-je. Ne l’es-tu pas depuis toujours ? Parce que franchem…

— Je ne parviens plus à être moi-même. Je n’ai plus aucun pouvoir. Pourquoi ? Je… Quelle était ma mission ? Pourquoi mes souvenirs ne sont-ils qu’un trou béant ?

— …Hein ?

La persona était amnésique ? C’était seulement possible, un truc pareil ?

Justice ? Quelle était cette Justice qui provoquait une perte de pouvoirs et des trous de mémoire ? J’aurais plutôt appelé ça une punition, pour ma part. Connaissant la persona comme je la connaissais, je savais qu’elle ne me mentait pas. Si elle avait été elle-même, elle se serait contentée de me tuer, point. Sans se poser de questions, sans remords, sans regrets.

Là, quelque chose clochait clairement. Et je me devais d’en profiter.

— De quoi te souviens-tu ?

Raka
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5 thoughts on “DMS : Chapitre 136

  1. Raka, ton histoire est magistrale. Merci de nous la partager et bravo.

    Quand il y a un goût de trop peu, comme c’est le cas à la fin de chaque chapitre alors qu’ils sont pourtant relativement conséquents, c’est qu’en plus de la maîtrise, le talant est là. 

    Hâte d’être à dimanche prochain 😉

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