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Chapitre 141 – Les Skaaghs (2)

 

— Des Skaaghs ? demandai-je, étonnée.

Pourquoi des Skaaghs plutôt que ce que je possédais déjà ? Ne pouvais-je pas simplement créer un nouveau donjon de serpents, gobelins ou autres sirènes ? J’avais également voulu posséder un chupacabra, depuis fort longtemps.

Les Skaaghs sont des créatures spéciales.

— Spéciales ? C’est-à-dire ? demandai-je à voix haute avant de m’asseoir nonchalamment sur un tabouret, au bar vide et morne.

Ce sont des êtres situés à mi-chemin entre le gobelin et le diablotin, et ils ne coûteront presque rien en énergie, tu pourras en infester ton donjon.

— Ils ne doivent pas être terribles, pour coûter si peu cher. Même les gobelins avaient une limite…

Détrompe-toi, répondit la persona dans ma tête, ils sont vicieux et agressifs, bien plus que les gobelins. Ce qui est fait des créatures spéciales, c’est le fait qu’aucun Architecte n’ait jusqu’à présent eu l’occasion de les implanter dans un donjon. La première fois qu’on utilise une créature est toujours très, très bon marché.

— Quoi ? m’étonnai-je.

Non seulement je venais d’apprendre que placer une créature qui n’avait jamais été utilisée dans un donjon pouvait avoir des avantages considérables, mais la persona sous-entendait qu’elle savait où les trouver ? Finalement, peut-être pouvais-je laisser une chance à ces Skaaghs…

— Allons-y. Prends le contrôle et montre-moi le chemin, lui intimai-je. Montre-moi où les trouver.

J’attendis quelques secondes, persuadée de me faire refouler à l’intérieur de mon corps, incapable d’en bouger le moindre membre. Mais la persona n’en fit rien, et se contenta de répondre, d’un air tout aussi étonné que moi précédemment.

Je ne peux pas. Je manque de… de quoi ? Je ne fonctionne grâce à aucune forme d’énergie. Pourquoi ?

Je la sentis s’énerver et cogiter en moi, incapable de comprendre d’où venait son problème.

Je ne peux pas prendre le contrôle. Il semble que j’aie épuisé quelque chose, une ressource dont j’ignore l’existence, et qui me permet de le faire. Nous allons devoir nous pencher sur le sujet.

— Tu n’y arrives pas ?

Soudain, je me sentis bien moins en sécurité que je l’avais été lorsqu’elle pouvait me défendre à tout moment. Je jetai un coup d’œil nerveux autour de moi. Après tout, j’étais rouge et cornue, sur Albion ; si des gens m’avaient vue descendre vers la taverne, peut-être allais-je me faire attaquer bientôt. Après tout, les explorateurs détestaient les Architectes par-dessus tout.

Personne. Pas un bruit, excepté la cacophonie tambourinée par ce cœur qui battait violemment dans ma poitrine.

— Rentrons déjà au village des géants, chuchotai-je, toujours assez peu rassurée.

Je me levai rapidement et me dirigeai d’un pas hâtif vers la dalle de sortie. D’ailleurs, il allait être temps qu’elle m’apprenne comment profiter de l’Absorption comme elle le faisait. On allait avoir le temps de s’y mettre, maintenant.

Nous allons nous pencher sur le sujet, oui, c’est prévu dans un avenir très proche, me répondit-elle quand je le lui demandai.

— Parfait.

Je me matérialisai dans le village des géants, sortie de mon miroir personnel et attendue par Pythagore. Ce dernier me regarda d’un air grave.

— Wuying, commença-t-il, le regard si dur que même le gobelet de vin qu’il tenait à la main ne parvenait pas à rendre moins stressant.

— Pyt, mon ami. Quelque chose ne va pas ?

Forcément, quelque chose n’allait pas. Il ne pouvait pas avoir cette tête si tout allait bien. Aux dernières nouvelles, il était parti avec Friderik et je ne les avais pas revus depuis. Que pouvait-il bien se passer ?

— Je dois te parler de Friderik, répondit-il en hochant la tête. Je te préviens, tu ne vas pas aimer.

— À ce point ? m’écriai-je. Qu… Que lui est-il arrivé ?!

— Rien encore, fit-il en secouant la tête, sa longue barbe vibrant légèrement. Mais… Je crains qu’il ne soit atteint d’un mal que je suis incapable de guérir.

Je faillis tomber à la renverse. Friderik, mon slime, ami et peut-être… un peu plus que ça, atteint d’un mal incurable ? Fort heureusement, il me vit vaciller et me rattrapa en me plaçant son bras libre derrière le dos.

— Je… Quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas chez lui ?

— Tu es sûre de vouloir en parler ici ? Allons nous asseoir, veux-tu ? chuchota-t-il calmement.

Je le suivis au pas, et une fois installée sur mon lit, il s’assit à mes côtés et posa une main sur les miennes, comme pour me rassurer – ou tenter de minimiser ce qui allait suivre. Une main protectrice, paternelle, je pouvais le sentir. C’était la paume d’une personne qui voulait me recouvrir d’une carapace afin que je ne fusse pas arrosée des malheurs qu’il allait lui-même faire pleuvoir.

— Je ne peux pas soigner la folie grandissante qui se trouve en lui, lâcha-t-il après avoir pris une profonde inspiration.

Je retirai ma main d’un coup sec en me relevant.

— Quoi ? Mais tu as dit… que tu allais faire quelq…

— J’ai dit que je désirai le voir, et tester tout ce qui était en mon pouvoir, trancha Pythagore en secouant la tête. Je n’ai jamais affirmé pouvoir le sauver. J’aurais été bien arrogant.

— L… La magie ! Tu es capable de créer des sorts incroyables, alors tu vas bien pouvoir faire quelque chose pour ça ! Prends ton temps ! Il tiendra bon, je le sais !

Une fois de plus, il secoua la tête, en baissant les yeux.

— Crois-moi, j’ai tenté. J’ai essayé de cerner le problème par tous les moyens, mais… Mais j’ai vite compris qu’il s’agissait d’une chose que la magie ne peut plus changer.

— Arrête ! criai-je en me levant. Tu as su te guérir ! Pourquoi ne pourrais-tu pas faire de même avec lui ?! La… La cause initiale est la même ! Peut-être…

Je me laissai tomber lourdement sur mon lit et sanglotant légèrement.

— …Peut-être que ton sort pourra être utile ? Est-ce que je peux le voir, seulement ?

Il m’accorda un regard muet me signifiant que c’était sans doute la première chose qu’il avait tentée, bien sûr, et que j’étais idiote de me laisse emporter ainsi. Mais merde, que pouvais-je y faire ? Je ne voulais pas perdre Friderik. Il devait y avoir un moyen de le sauver, c’était obligé.

— Si tu m’avais demandé de sauver Arthur de la folie, alors je l’aurais fait, oui, finit-il par répondre après avoir cherché ses mots. Mais… Friderik n’est pas en train de développer cette démence parce qu’il a consommé du vin, tu sais ? Il… Il a avalé la folie elle-même. En tant que slime, il l’a simplement intégrée en lui. Je ne vois pas du tout comment je pourrais faire pour l’aider. Je suis désolé, Wuying, mais ça ne va pas aller en s’arrangeant. Quant à le voir… Il est épuisé par les tests que je lui ai fait passer. Tu devrais le laisser se reposer.

Assise sur mon lit, mon regard se perdit dans le vide. Il ne pouvait pas l’aider ? J’étais condamnée à le perdre, lui qui m’avait déjà sauvée la mise à plusieurs reprises ? Lui qui faisait, en quelque sorte, partie de mon âme ? Je n’arrivais pas à l’accepter.

Peut-être qu’un spécialiste en monstrologie, en slimes plus particulièrement, pourrait être une piste à approfondir, me lâcha la persona, comme ça, comme si elle venait de me donner la météo du lendemain.

— Q…Quoi ?!

— Pardon ? s’étonna Pythagore. « Quoi » quoi ?

— N… Non, rien, désolée. Je… Je parle avec ma persona, admis-je.

— Oh. Oui. Joc m’a parlé de… ce truc étrange qui s’est passé. J’adorerais étudier ça, à l’avenir, si tu le permets.

— …On verra.

Je me levai et sortis de ma maison pour marcher, seule, dans le camp des géants. Lorsque je fus certaine de ne plus être à portée d’oreille indiscrète, je repris là où je m’étais arrêtée.

— C’est quoi, cette histoire de spécialiste en monstres ?

Oh. Tu n’en as jamais croisé ? Effectivement, tu n’en as jamais croisé. Je te l’ai dit, le monde est vaste. Il y a dehors un grand nombre de civilisations, et certaines hébergent des personnes dont la passion est l’étude des monstres ou d’autres formes de vie. Certains se spécialisent même dans une spécialité unique.

Ce qu’elle disait avait du sens. S’il existait des peuples de niveau extrêmement élevé et en si grand nombre, il était certain que quelques-uns étaient enclins à la recherche, au savoir, et sans doute assez curieux et intelligents pour se le permettre.

Mais encore fallait-il les trouver, et les convaincre, d’abord de ne pas me tuer sur place, puis de partager avec moi ce qu’ils savaient d’un éventuel moyen de sauver mon slime. Il n’en fallut pas plus pour me décider.

— Laisse tomber les Skaaghs. Faire tomber le système peut attendre, décidai-je. Montre-moi où je peux trouver la personne dont tu parles.

Eh bien, l’un n’empêchera sans doute pas l’autre, par le plus grand des bonheurs. Là où je voulais t’emmener chasser le Skaagh se trouve également vivre une tribu d’elfes des bois, et si tu ne les approches pas avec une intention malsaine, ils pourraient même te laisser parler sans essayer de te tuer.

— On y va.

Tout de suite ?

— Pas de temps à perdre.

C’est… un voyage qui va prendre du temps.

— Combien ?

En y allant à pied ? Pas moins de cinq mille ans, je pense.

Voilà qui posait d’un seul coup un sérieux problème. Heureusement que j’avais, peut-être, la solution.

— Hohol ? lançai-je un peu au hasard.

J’aurais pu souffler dans sa flûte, mais puisque je me trouvais dans le camp, peut-être était-il à portée de voix. Après quelque minutes d’attente silencieuse, je me rendis compte que non, et sortis l’instrument en question.

Ce fut ce qu’il fallait pour le faire apparaître dans un fracas tonitruant, qui me fit sursauter bien que je l’eus attendu.

— Grande Déesse ? me souffla-t-il en m’accordant un regard plein de révérence.

Il savait que j’avais menti pour lui, et peut-être même avait-il compris que je n’étais pas une déesse comme tous les géants le pensaient. Mais j’avais fait de lui un héros parmi les siens, et à défaut de prières, au moins avais-je sans doute gagné sa confiance et son amitié.

— Je vois que tu en enfin guéri, constatai-je. C’est bien.

— Oui, Grande Déesse. Pythagore a lancé un sort qui a guéri mes brûlures. Je te remercie pour ton intérêt. Puis-je savoir pour quelle raison ai-je été demandé ?

Droit au but, hein. Parfait.

— Hohol, sais-tu ce qu’est un Skaagh ? Et un elfe des bois ?

Peut-être qu’avec la quantité de pays qu’il avait dû parcourir grâce à ses compétences, les avait-il déjà rencontrés, ou au moins entendu parler. Mais il secoua immédiatement la tête d’un air parfaitement perplexe.

— Je l’ignore totalement, Grande Déesse. Je n’ai jamais entendu ces noms, me répondit-il d’un air navré.

Je le guiderai. Il navigue sur la foudre, et même s’il ne voyage pas à la vitesse de la lumière pour des raisons physiques évidentes, cela ne lui prendra que moins d’une semaine.

— Hohol, repris-je. Si je te dis où aller, peux-tu m’y emmener ? Cela ne te prendra que moins d’une semaine.

J’hésitai en lui donnant cette dernière information, de peur que ça ne le décourageât. Après tout, je lui demandais de faire un trajet aller-retour de presque deux semaines. Non seulement j’allais moi-même m’ennuyer alors que j’avais tout de même un but précis, mais je lui demandais de faire de même sans raison.

Cela dit, mes craintes étaient apparemment infondées.

— Bien sûr que je t’y emmènerai. Après tout, je te dois beaucoup. Tu peux me demander ce que tu veux, me répondit-il aussitôt.

Il leva les yeux vers moi et me regarda avec une étincelle de révérence et de malice avant de continuer en chuchotant.

— Que tu sois une déesse ou non, tu es ma Grande Déesse, et ta parole est mon ordre.

Surprise sur le coup, je mis un moment à réaliser l’étendue des implications de cette simple remarque.

D’une part, il savait que je n’étais pas ce que je prétendais – et bien que je ne fus pas celle qui l’avait impliqué la première, j’avais toujours joué le jeu de la déesse. Il avait décidé de ne rien en dire aux autres, alors qu’ils étaient tous réputés pour être très conservateurs et torturer tout étranger, spécialement les Architectes. Ce qui signifiait qu’ils étaient peut-être vus d’une façon totalement biaisée par ces derniers… et que, dans ce cas, le monde entier pouvait aussi bien être une mascarade dont ils n’étaient que des spectateurs inconscients.

Détenaient-ils vraiment les vérités de cet univers comme je l’avais pensé ?

Mais il y avait autre chose. Il venait de décréter que j’étais malgré tout sa déesse ; alors oui, je l’avais bien hissé au statut de héros au sein de son peuple, mais il aurait très bien pu, sans me dénoncer pour autant, commencer à me traiter avec indifférence, voir irrespect. Après tout, j’avais menti et profité d’eux plus que de raison. Pourtant, il continuait à me révérer et avait répondu à mon appel aussi rapidement que possible.

Finalement, ceux qui étaient considérés comme des monstres sanguinaires et sadiques étaient parfaitement capables de se montrer humains. Je n’avais alors pas conscience de ce qui les liait réellement au système ni de l’emprise qu’il pouvait avoir sur eux, mais une chose était sûre : ils n’étaient pas les pions sans âme ni conscience que j’imaginais en entendant leur histoire, la première fois.

Je ne m’étais pas trompée en leur accordant ma confiance, j’en étais maintenant certaine. Loin d’être les brutes sadiques et idiotes pour lesquelles ont les prenait, ils étaient capables de reconnaissance et de bonté, même pour une Architecte poursuivie par le système et condamnée à la pire des sanctions. Cela dit, Hohol le savait-il réellement ? Et si oui, était-il vraiment à la botte de ce système qui ne semblait pas pouvoir contrôler correctement les êtres de son niveau ? Je commençais à croire pour de bon que le système n’avait réellement aucune emprise sur ce monde, hors d’Imperos.

— Merci, Hohol, lui chuchotai-je tout bas en retour, les yeux s’humidifiant tout doucement.

Mais si le système n’avait pas les pleins pouvoirs, comment se pouvait-il que tous ces êtres fussent soumis à la mesure de niveau ? Je ne disposais clairement pas des informations nécessaires pour me faire une idée. Je pourrais demander à la persona si elle en savait quelque chose, pendant notre voyage.

— Allons-y, bon bon Hohol, fis-je en hochant la tête. Il faut se dépêcher de rejoindre ces elfes. J’espère que Friderik va tenir bon pendant ces deux semaines d’absence…

Quelques instants plus tard, nous chevauchions la foudre, au travers des nuages, au-dessus des vastes terres de ce monde étrange.

Raka
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