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Chapitre 37 – En route vers l’autre monde (4)

 

Le monde réapparaissait autour de moi.

Friderik m’attendait certainement devant le miroir, camouflé quelque part entre les dalles ou contre un mur. D’ailleurs, j’avais trouvé extrêmement étrange le fait qu’il puisse se déplacer en ville sans se faire repérer alors que le sbire de Krahn nous avait dit que les gardes l’avaient délogé de chez lui – ils savaient qu’il était là, et possédaient donc une compétence de repérage de quelque sorte. Ils ne l’auraient pas repéré chez lui, sinon.

Et Friderik avait déjà approché des gardes, rien que lorsqu’il était avec moi, sans rien éveiller de leurs soupçons ; je ne savais pas si c’était dû au fait qu’il était lié à moi, mais en tant que monstre et explorateur, il n’avait absolument jamais eu de problème avec la garde de la ville.

J’en étais même venue à me demander si en le voyant de leurs yeux, ils réagiraient simplement.

Enfin, nous aurions certainement, tôt ou tard, l’occasion de le vérifier. Je ne pouvais pas imaginer qu’il fut capable de se cacher à tout jamais.

Le monde s’était matérialisé autour de moi dans un tourbillon. L’herbe, le ciel, la rivière. Il faisait bon. L’air était frais mais agréable. L’odeur des arbres me rappelait avec insouciance le temps de…

— L’odeur des arbres ? »

Je regardai autour de moi.

— Hein ? »

Je fis plusieurs tours sur moi-même pour scruter mon environnement, au point d’en avoir des vertiges.

— Mais… Je ne suis pas à Imperos ? Les miroirs ? »

Je n’étais clairement pas là où j’aurais dû me trouver.

— Friderik ? »

D’un seul coup, je me rendis compte que j’étais sur le bord de la rivière, devant l’entrée de mon donjon. Friderik me manqua étrangement terriblement à ce moment précis. Il n’était pas là ; ni pour me rassurer, ni pour m’expliquer pourquoi. Pas même pour tenter de me peloter un peu trop rapidement.

— Je suis sortie… sur la planète des explorateurs ? »

Est-ce que c’était déjà arrivé à quelqu’un ? Pourquoi étais-je là ? L’entrée du donjon était clairement bloquée depuis le tout début, et empêchait l’architecte d’en sortir depuis le moment où le donjon était ouvert au « public ».

D’ailleurs, prise de panique, je me dépêchai d’essayer d’y entrer à nouveau, tout ça pour me retrouver le nez écrasé contre une barrière invisible.

— Evidemment… Et je fais quoi, maintenant ? Si je ne peux pas entrer dans mon donjon et que je ne peux pas utiliser la dalle de sortie, comment je rentre à Imperos ? »

Je commençais à prendre un peu peur. Et si des explorateurs arrivaient et me trouvaient là ? Ils prendraient un malin plaisir à me trucider.

Les explorateurs. Prise d’une illumination soudaine, je me frappai le front.

— Retour ! Mais bien sûr ! Les compétences que je reçois ne sont pas que celles des monstres ! Celles des explorateurs aussi ! C’est avec ça qu’ils sortent des donjons ! »

Je n’avais pas reçu une compétence que je possédais déjà. En réalité, sortir d’un donjon, pour un architecte, n’était pas une compétence mais une option du donjon lui-même ; c’était ce que j’avais compris en consultant le menu d’aide. C’était un pouvoir mental commun à tous les architectes. La compétence Retour, par contre, n’était pas innée chez les explorateurs et sans doute l’apprenaient-ils à très bas niveau, peut-être même en ‘naissant’ pour la première fois dans leur plan.

— Et maintenant ? Je fais quoi ?… Je fais quoi ?… Je ne peux pas rentrer dans mon donjon, je ne peux pas me promener n’importe où. D’une part, je risquerais de me perdre… Mais surtout, je pourrais croiser des explorateurs. »

Il fallait que je tente quelque chose pour rentrer.

— Retour. »

En désespoir de cause, évidemment. Mais rien ne se passa, c’était une compétence qui ne servait qu’à sortir, pas à entrer.

Et en tant qu’architecte, j’étais interdite de passer l’entrée du donjon, dans un sens ou dans l’autre. Ma seule possibilité pour entrer dans un donjon était… d’en créer un.

— Mais bien sûr ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé tout de suite ?! »

Je fis quelques pas alentours afin de trouver un endroit idéal. Au cœur de la forêt à proximité se trouvait une très ancienne et énorme souche d’arbre, sans doute un pauvre chêne frappé par la foudre des centaines d’années auparavant. Elle était vraiment immense, on aurait pu y poser une table et y dîner à une dizaine de personnes en toute tranquillité.

— Ok, ici, ce sera bien. »

Je me concentrai fortement afin d’ouvrir la souche en deux et de permettre à un donjon de montrer le bout de son nez. Je désirais créer une espèce d’escalier de bois au milieu de la souche pour créer un donjon dans les profondeurs de la terre.

Mais mes efforts furent de courte durée.

[Vous possédez déjà un donjon sur Albion.]

— … »

Un donjon…

— Quoi ? C’est tout ? Un de mes donjons existe déjà, alors je ne peux pas en créer un autre ? »

Il semblait bien que c’était le cas. Je ne parvenais pas à faire ce que je voulais de ce bout de bois mort, même en me concentrant encore et encore. Le même message continuait d’apparaître à répétition.

— Il faut croire qu’il n’y a vraiment pas moyen… »

Si je voulais créer un donjon sur cette foutue planète, alors je devais absolument détruire le précédent.

Je venais à peine de créer une salle aux varans qui avait une certaine classe, et je ne voulais pas tout détruire d’un seul coup. Mais… Pour sortir d’ici, il fallait que je puisse entrer dans un donjon. Pour entrer dans un donjon, il fallait que je puisse en créer un. Pour en créer un, je devais détruire l’ancien.

Il n’y avait pas d’autre solution.

— Je ne vais quand même pas mourir pour rentrer chez moi… Et puis, c’est un bug, je ne suis pas censée pouvoir venir ici, alors qui sait ? Si je meurs, peut-être que je ne pourrai même pas rentrer… Je risque même de disparaître. »

Je devais à tout prix éviter les explorateurs. Bon, il n’y avait pas de raison pour qu’ils s’aventurent dans la forêt où je me trouvais, mais je ne pouvais pas en être certaine et le risque n’était pas permis.

Je me rendis à mon donjon avec prudence, en écoutant tout ce qui m’entourait et en observant avec attention le moindre mouvement dans les feuilles et les brins d’herbe ; le souffle du vent caressant ma peau m’apprenait l’intensité de mon stress. J’avais maintenant une épée de Damoclès potentielle au-dessus de la tête.

Je pouvais parfaitement disparaître à tout jamais sur une simple malchance. Et c’est ce qui me faisait le plus peur. La malchance. Elle et moi étions des amies de longue date… S’il n’y avait qu’un petit iota de chance que je puisse rencontrer un explorateur et disparaître définitivement, je savais que dame Chance fermerait les yeux, comme à son habitude. Ce serait pour ma gueule.

Je me retrouvai finalement à nouveau devant les portes de mon donjon. Ce gros rocher immuable, sous lequel je savais exister une Fontaine, des varans, mon sanctuaire.

Je fermai les yeux.

— Adieu, mon donjon. Adieu, mes varans. Ce fut court, et je n’aurai pas l’occasion de découvrir ce qui allait éclore de ton œuf… »

Finalement décidée, j’inspirai un grand coup. Je souhaitai que le donjon se referme comme il était apparu. Ainsi, en lieu et place de ce qui avait jadis été l’Antre de Thomred, j’allais pouvoir recréer quelque chose. Des varans, à nouveau ? Peut-être. Je verrais.

Je pouvais sentir quelque chose en moi. Une douleur. Je n’osai ouvrir les yeux, de peur de voir l’inévitable. Je savais que mon donjon allait disparaître, pourtant je me refusais à regarder la réalité en face, le plus longtemps possible. C’était mon premier donjon. Mes débuts, mon passé.

Et j’étais en train de le transformer en un souvenir.

J’avais mal. Vraiment mal. C’était ce qu’impliquait la destruction d’un donjon ? Il faisait partie de moi, alors je sentais mes entrailles percées par la culpabilité ? Cette indicible douleur qui se propageait en moi comme autant de coups de poignards… Si c’était ça, alors je n’avais plus du tout envie de détruire le moindre donjon à l’avenir.

Décidée pour de bon à en finir avec celui-là, je mis une résolution ferme à ma conviction.

[Un donjon ne peut être supprimé depuis cet endroit.]

— Hein ? »

— Ha… Haha… »

— … ? »

J’entendis un rire, juste derrière moi. Surprise et choquée, j’ouvris les yeux sans trop le remarquer.

Devant moi, l’entrée du donjon était toujours là, béante et inerte. Sombre et glaciale.

Mais alors, que s’était-il passé, et juste à cet instant, ce rire ?

Je sentis à nouveau cette douleur immonde au travers de mes organes, de mon ventre, de mon torse, jusque dans ma nuque. Si elle s’était transformée en une violent migraine, je n’en aurais pas été surprise le moins du monde.

Mais elle n’était pas due à la destruction de mon donjon…

— Haha… Je l’ai fait… J’ai tué un architecte ! »

Une voix féminine s’éleva à nouveau dans mon dos. Baissant les yeux, je pus voir ma toge aussi rouge que ma peau. Elle était trempée de sang, mon sang. Je m’effondrai sans un mot, pivotant tout en percutant le sol froid et dur.

Au-dessus de moi se tenait fièrement une fille aux cheveux noirs et au sourire satisfait et incrédule. Dans sa main, une épée sanglante avait fait son œuvre.

Une asiatique, comme moi ?

Mais je ne pouvais pas parler. Le goût du sang dans ma bouche se faisait de plus en plus intense, et je le sentais déjà couler le long de ma joue tandis que ma conscience sombrait déjà dans les ténèbres. Alors que je faisais face à l’inévitable, déçue, en colère et désespérée, je pus à peine entendre quelques mots mêlés aux limbes du néant.

— …architecte dehors ? …crédits… »

 

***

 

J’ouvris les yeux à 7 h le matin, comme à mon habitude. Je m’assis d’un seul coup, les yeux grands ouverts.

Contrairement à la fois précédente, je me souvenais directement de ce qu’il s’était passé. Ma mémoire fut immédiate, comme si dès mon réveil, je sentais encore l’atroce douleur des blessures que m’avait fait la lame de cette fille en me perçant le corps.

Je passai mes mains le long de mon ventre, de ma poitrine et finis par me tâter le cou. Cette fois-là, je n’étais pas animée de désir en me caressant, pas du tout. J’avais la désagréable sensation d’être encore meurtrie. Mais il n’en était rien.

— Haaa… »

Rassurée, comme sortie d’un mauvais rêve, je me rendis compte que finalement, même morte sur ce plan d’explorateurs, j’étais rentrée chez moi, au final. Il semblait que la déesse de la chance avec finalement, et pour une simple seconde, décidé d’ouvrir un œil bienveillant sur moi, tout compte fait.

— Mes crédits. »

Par contre, je venais de me faire tuer par un explorateur, et je savais ce que ça signifiait. La dernière fois que ça m’étais arrivé, j’avais perdu l’intégralité de mes crédits.

Souriant amèrement malgré ma résurrection un peu inattendue, je m’effondrai à nouveau sur le lit. Après tout, j’étais vivante et c’était tout ce qui comptait. Les crédits ? Ils auraient le temps de s’accumuler à nouveau, il fallait juste que je fasse attention, à l’avenir. Maintenant, je savais ce à quoi servait cette compétence Retour, et je me promis de ne plus l’utiliser. C’était bien trop dangereux, en plus d’être inutile.

Mes mains cherchaient toujours d’éventuelles plaies fantômes sans en trouver. Mon corps était parfaitement intact, seul mon esprit était encore blessé par le souvenir de la douleur.

Prenant le temps qu’il fallait, mes mains entreprirent de vérifier profondément et pendant plus d’une heure l’intégrité de mon corps ; il allait bien, quoi qu’on en dise.

Me levant fébrilement après une séance de sport matinale, je jetai un regard vers la porte. Elle était toujours à moitié détruite.

— Alors les portes ne se régénèrent pas comme les architectes, hein… »

Je rampai par le trou dans la porte et à l’extérieur, je pus constater que tous ceux qui me surveillaient la veille n’étaient plus là. Ils avaient dû remarquer mon évasion et Bruh était probablement en train de manigancer un autre plan étrange pour tenter de me contenir. Mais j’avais déjà décidé de ne pas le dénoncer, alors il allait sans doute le remarquer et cesser de me chercher, de peur que je ne change d’avis.

Je me rendis aux miroirs pour constater que mes crédits n’avaient pas bougé.

— Hein ? »

Alors comme ça, mourir hors du donjon ne présentait pas de malus au niveau des crédits ? Même si c’était de la main d’un explorateur ? C’était bon à savoir. Finalement, l’aventure sur ce nouveau plan était dangereuse mais pas si risquée que ça.

— Peut-être pourrai-je un jour trouver une utilité à aller sur Albion… »

— Albion ? »

Apparaissant entre deux pavés, Friderik venait de faire son apprition.

— Oh, tu étais là ? »

— Je t’attends depuis hier. Je ne te voyais plus dans le miroir, alors… Plutôt que de rentrer, j’ai dormi ici. »

— N’importe quoi. »

Il haussa ses épaules de slime et reprit la parole.

— Tu as parlé d’Albion ? »

— Oui. C’est une longue histoire. Mais…

— Albion est le plan d’où je viens, Wuying. Comment connais-tu son nom ? »

— … »

— Tu as quelque chose à dire ? »

— Je viens d’y passer quelques temps, oui… »

Il ouvrit de grands yeux, comme je n’avais pas l’habitude d’en voir chez lui.

— Tu… Hein ? Mais comment un architecte peut-il sortir du donjon ?! C’est impossible ! »

Je haussai les épaules à mon tour.

— Une compétence buguée. J’ai obtenu la compétence ‘Retour’ tout récemment, tu sais… »

— Oh… Retour… Je vois. C’est la compétence qu’obtiennent tous les explorateurs au niveau 1. Elle leur permet de sortir du donjon. »

— Merci ! J’avais remarqué ! Je me suis fait tuer par une fille à l’air asiatique, qui me ressemble un peu, en quelque sorte… Tu la connais ? »

— Une fille ? Non. Elle a dû arriver tout récemment, je suppose. »

— Bon. Peu importe. Je vais aller voir ce qu’il en est de l’œuf. »

Friderik garda le silence. Un silence louche. Il avait quelque chose derrière la tête.

— Friderik ? »

— … »

— Eh. S’il y a quelque chose, dis-le. »

— … »

— Allez, ne te fais pas prier. »

— … »

— Bon. Si c’est comme ça, tant pis. Je vais dans le donjon. »

— Attends. Et… Tu n’as pas pu te rendre au village, n’est-ce pas ? »

— Huh ? Non, en effet. Comment aurais-je pu ? Tu m’as vue ? »

— … »

Il me cachait définitivement quelque chose. Finalement, il cracha le morceau.

— Je me demande si… Wuying, est-ce qu’il existe un sort ou une compétence te permettant de ressembler à une exploratrice ? »

— Hein ? Pourquoi ? »

— Hmm… J’aimerais vérifier quelque chose. »

…Enfin, il cracha une toute petite partie du morceau.

Raka
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16 thoughts on “DMS : Chapitre 37

  1. Merci pour le chapitre ! 

    Est-ce que les crédits récoltés par Wuying en tant qu’architecte peuvent être utilisés dans le « shop » des explorateurs ? Parce que si c’est le cas Friderik va devenir complètement fumé 

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