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Chapitre 61 – De l’autre côté (8)

 

Depuis plusieurs heures déjà, Pythagore se faisait traiter comme un roi. On l’avait immédiatement logé dans une grande hutte et il allait bientôt se voir attribuer des commodités à sa taille ; du lit jusqu’aux chaises.

Il avait avalé un gobelet entier du vin qu’on lui avait amené et qui lui avait immédiatement fait reprendre ses esprits. Nous étions alors en train de discuter de la suite des évènements, une fois passé le choc de la réalisation de l’endroit où il se trouvait.

— Donc, maintenant, je vais vivre ici ? me demanda-t-il lorsque nous en arrivâmes à ce point de la conversation.

— Oui, lui confirmai-je, tu n’as pas vraiment le choix. Il te faut du vin pour rester sain d’esprit et puis quoi qu’il arrive, le Maître de secte t’a fait chasser. Il pense même que tu as été jugé par l’administration et que tu es actuellement banni d’Imperos.

— Cela ne fait pas grande différence, finit-il par conclure. Je vis ici, désormais…

— Que nenni ! Le jour où tu voudras rentrer, tu le pourras. Tu n’es pas banni.

— Hmm… Oui, tu as raison, admit-il.

Il se gratta la tête en fronçant les sourcils avant d’ajouter, un peu plus timidement :

— Mais dis-moi… Comment se fait-il que ces géants… ?

— Chuut, je t’expliquerai, chuchotai-je tout bas, mais pas ici et pas maintenant.

— Ok, ok, se résigna-t-il immédiatement. Mais comment es-tu arrivée jusque-là sans te faire attaquer par les monstres ? C’est pour le moins étonnant !

Je sortis la carte de ma toge et la lui montrai. C’était la meilleure des réponses.

— J’ai là une carte magique qui me permet de connaître les chemins les plus sûrs pour venir ici.

En voyant la carte, Pythagore secoua la tête, visiblement perturbé au plus haut point.

— M… Mais, se mit-il à bafouiller, cette carte a été créée par un sort que j’ai moi-même inventé il y a une ou deux semaines… C’est étrange, je n’arrive pas à… à me souvenir… Je suis pourtant formel, je n’ai pas créé ce sort de cartographie pour toi ; et je ne sais plus pour qui. Je perds la tête, est-ce dû au vin ? Comment as-tu eu cette carte, Wuying ?

Il était inquiet pour sa propre santé mentale ? Mais il ne se souvenait pas non plus de Teacup. Ce pauvre Teacup était vraiment victime de la pire des malédictions ; il fallait que je trouve à quoi était dû son malheur et que je parvienne à faire quelque chose pour l’aider.

Je décidai dans un premier lieu d’être franc avec Pythagore.

— Teacup me l’a donnée. Je suppose que tu as créé ce sort à sa demande.

Ses yeux s’ouvrirent en grand, il venait de réaliser ce qui lui manquait dans la tête.

— T… Teacup ! Mais oui ! C’était lui ! Bon sang de toutes les grappes de raisin ! Comment ai-je pu oublier mon vieil ami !

Je m’empressai de le lui expliquer avant qu’il ne l’oublie à nouveau :

— Il est victime d’un sort, de quelque chose, je ne sais pas quoi. Les gens oublient jusqu’à son existence ; moi-même, je soupçonne cette carte contenant son aura et sa magie de me permettre de me souvenir de lui, parce que je la porte près de moi. Les autres personnes l’oublient. Toi-même, tu vas l’oublier si on arrête de parler de lui pendant quelques minutes.

— Oh.

Ce simple « oh » était si plein de sens qu’il me fit peur.

— Tu sais quelque chose, c’est ça ? réalisai-je.

Et vu sa tête, ce qu’il savait devait être une sacrément mauvaise nouvelle.

— Eh bien… commença-t-il en se grattant la nuque d’un air gêné et coupable.

— Allez, crache le morceau.

— Je… Comment dire…

— Sinon je leur dis de te retirer ton vin.

— Jeluiaicrééunsortetjepensequilyaeuunlégereffetsecondaire !

Il venait de me mitrailler tout ce qu’il savait sous la menace. Il ne lui avait pas fallu grand-chose, à ce vieux bougre ! Pensait-il que j’allais lui en vouloir ?

— Ah ? Un sort ? Explique-moi tout, lui intimai-je.

Il s’adossa au mur, soupira et continua plus lentement :

— Il m’a informé de ton départ pour le camp des géants, seule. Je lui ai dit que je savais, tu me l’avais promis, que tu avais sans doute un plan ; je n’osais imaginer qu’on puisse se lancer à l’assaut de créatures si puissantes sans savoir ce qu’on faisait. Et il ne voulait rien entendre, il voulait à tout prix un sort lui permettant de disparaître à la vue de toute créature de ce monde. Pour être sûr, tu sais. Et pour aller te sauver.

— Et donc ? l’incitai-je à continuer alors qu’il faisait une petite pause.

— Et donc je lui ai dit que j’avais besoin de deux à trois jours, mais il a tant insisté sur le fait qu’il devait partir dans la journée que j’ai fait ce que j’ai pu, et… je n’ai pas pu tester le sort, d’aucune façon. Je pense qu’il était trop parfait et qu’il l’a fait disparaître des mémoires.

— Oh… Je vois…

Je me mis à réfléchir. Pourquoi avait-il voulu faire ça ? Plutôt que de me sauver, il aurait aussi bien pu m’accompagner dès le départ. Il y avait quelque chose qui clochait dans son comportement. Je lui poserais assurément la question aussitôt que je le reverrais, si je le revoyais un jour.

— Au moins, finis-je par dire, vois le bon côté des choses, le Maître l’a oublié, et il ne le cherche pas frénétiquement, haha.

Pythagore me regarda, l’air étonné.

— Il ne cherche pas qui ?

Je portai machinalement ma main sur mon visage. Facepalm, comme on disait. On en parlait à peine trente secondes plus tôt et il avait déjà oublié.

— Teacup…

— Ah ! Mais oui ! Comment ai-je pu l’oubl… Hein ? Encore ?

Il se souvenait l’avoir déjà oublié un moment plus tôt ? Ce truc, c’était n’importe quoi. Si on continuait comme ça, il allait devenir fou pour de vrai, vin ou pas. Il fallait qu’il puisse travailler sur son sort afin de sauver le pauvre Teacup, mais s’il ne se souvenait pas de lui, il allait avoir bien du mal. Je pourrais lui donner ma carte mais dans ce cas, c’était moi qui allais l’oublier.

Remarque, là n’était pas le vrai problème. Il s’agissait surtout de ma carte. Comment allais-je pouvoir aller et venir sans carte ?

— Bon, finis-je par décider. Je vais te donner ma carte pour que tu n’oublies plus. Mais…

— Que je n’oublie plus ? Quoi donc ?

Facepalm.

— Teacup…

— Ah ! Mais oui ! Je… Oh.

— Je vais te donner cette carte et je vais moi-même finir par oublier jusqu’à son existence. Mais ce n’est pas grave, parce que l’essentiel c’est que toi, tu puisses t’en rappeler afin de travailler sur ton sort, ou un remède… si tu vois ce que je veux dire.

— Oui, oui. Je vois. Ah, merci, me dit-il après avoir attrapé la carte que je lui tendais.

— Par contre, repris-je avant de perdre le fil de mes pensées concernant Teacup et toute cette histoire, il va me falloir un moyen de faire le trajet Imperos-camp sans carte, maintenant. Je vais demander aux géants.

 

**

 

J’avais été trouver Grorg, qui s’était maintenant fait couronner chef du camp selon mes instructions. Je ne savais pas trop pourquoi j’avais fait ça mais les géants avaient immédiatement abdiqué. Je soupçonnais même qu’ils n’allaient pas réellement traiter Grorg comme un chef autrement que par sa position officielle. Mais je lui avais immédiatement parlé de mon souci.

Pythagore et moi avions un peu discuté et je ne compris pas trop pourquoi, mais alors que nous parlions de choses et d’autres et d’un sort sur lequel il voulait travailler pour une raison qui m’échappait, il m’avait rappelé que je lui avais donné la carte et que je désirais parler aux géants d’un moyen de transport.

Et Grorg avait aussitôt trouvé la solution idéale : il avait confié à Hohol, l’un de ses frères – ou plutôt l’un de ses hommes désormais – la tâche de me servir de transport dès lors que j’en aurais besoin entre le camp et la ville. Il me remit une espèce de petite flûte en bois de vigne avant de me préciser, sur un ton grave :

— C’est la première fois que quelqu’un qui n’est pas un géant touche à l’une de ces flûtes. Je l’ai taillée pour qu’elle soit à ta taille, grande déesse. Prends-en soin. Lorsque tu en joueras, Hohol t’entendras et utilisera le pouvoir de la foudre pour venir te chercher.

— Le pouvoir de la foudre ? m’étonnai-je. Pourquoi en arriver à de telles extrémités ?

— Hah ! Pour satisfaire la grande déesse qui a rendu les dieux heureux grâce à notre vin, nous n’allions tout de même pas faire comme la fois dernière et te porter jusqu’à la ville ? Nous pouvons bien faire ce sacrifice pour toi !

C’était incroyable. Je devais faire très attention à ce que je disais et à ma façon d’agir. Plus ces géants m’adoraient et me prêtaient de faveurs, plus je serais en danger si un jour ils se rendaient compte de la supercherie.

— M… Merci. Je t’en suis gré. Sincèrement.

— Hmmm… C’est tout ce qu’il nous faut, me rassura-t-il, l’œil bienveillant d’une déesse et de ses frères et sœurs d’au-delà des cieux. Tu ne sais pas à quel point nous sommes chanceux d’avoir eu l’occasion de te voir arriver parmi nous.

Sans rien répondre, je me saisis de la flûte en bois qu’il me tendait et tournai les talons pour retourner chez Pythagore. Il y avait, après tout, quelque chose que je voulais lui demander, maintenant que j’y pensais. Et qui de mieux placé qu’un érudit pour répondre à des questions concernant les donjons ?

Arrivant rapidement dans la hutte qui lui était offerte, je le trouvai sur un plan de travail qu’il s’était créé – sans doute par magie – et affairé sur un sort, selon toute probabilité.

— Eh. Je suis revenue, m’annonçai-je.

Il se tourna vers moi en souriant, des éclairs crépitant sur une main et un gobelet de vin dans l’autre.

— Ha ! Te revoilà en effet, ma bonne amie. As-tu oublié quelque chose ?

— Je voulais te demander quelque chose, peut-être sauras-tu me répondre.

— Hm ? fit-il d’un air plein d’anticipation et de curiosité.

— Je ne m’étais pas posé la question lorsque j’ai tué ce gobelin d’un seul coup, à l’époque. FeiLong m’a dit plus tard qu’il s’agissait de contrecoup de la mort du boss de mon donjon…

— Ah, oui, en effet, je vois de quoi tu parles. Quelle est donc ta question ?

— Je sais que la mort du boss confère pour une courte durée des pouvoirs phénoménaux. Je le sais, oui. Mais à quel point ?

— Comment ça, à quel point ? s’étonna-t-il en affichant une mine confuse.

— Ben, à quel point ? Tuer un gobelin de niveau 10 au niveau 2 ou 3, d’accord. Mais j’ai massacré un serpent géant de niveau 70 du haut de mon tout petit niveau. Y a-t-il vraiment une limite ?

— Ha ! J’ai compris de quoi tu parles, maintenant. Tu aurais pu être plus claire dès le départ, n’est-ce pas.

— …

— Ce fameux « pouvoir » dont tu hérites à la mort du boss n’est pas infini comme tu as l’air de commencer à le penser. En réalité, il est issu d’un calcul assez compliqué qui a notamment à voir avec le niveau de ton boss et la difficulté globale du donjon. Plus le donjon et le boss sont difficiles à battre à leur niveau, plus tu deviendras forte… C’est ce que tu voulais savoir ? Pour tuer un monstre de 60 niveaux supérieur à toi, ton donjon et son boss doivent être sacrément difficiles à terminer pour les explorateurs concernés.

Il me fit alors réaliser à quel point j’avais eu de la chance. Moi, de la chance ! Mon donjon aurait-il été moins difficile que je n’aurais peut-être pas pu tuer ce serpent, ce jour-là…

Sans me laisser le temps de répondre, il continua cependant :

— De nombreux architectes se sont déjà penché sur le sujet avant toi, tu sais. C’est un fonctionnement connu et reconnu. On m’a même déjà demandé s’il était possible de patienter près d’un nid de monstres, le temps qu’un explorateur arrive et tue le boss du donjon, afin d’hériter de la toute-puissance. Évidemment, si on fait ça, le donjon et le boss doivent être difficiles à vaincre et on peut y passer un temps fou ! Sans parler du fait que le fameux pouvoir ne dure qu’une dizaine de secondes ; patienter suffisamment loin des monstres…

Il ne termina pas sa phrase, semblant se souvenir qu’il était en train de travailler sur quelque chose. Mais j’avais compris où il voulait en venir, il avait parfaitement répondu à ma question. Les architectes n’avaient jamais pu faire ce que j’avais fait avec Friderik pour la simple et bonne raison que patienter près d’un nid de monstres le temps qu’un explorateur arrive et termine un donjon difficile était suicidaire, et trop s’en éloigner signifiait que le pouvoir hérité de la mort du boss serait inutile : même en se jetant en avant, il risquait de prendre fin avant qu’on ne puisse atteindre le monstre en question.

— Bon sang, Friderik est vraiment un cadeau des cieux… réalisai-je alors.

Contente, je fis mes adieux à Pythagore et m’en allai au milieu du camp afin de souffler dans ma flûte. Il était temps de rentrer à Imperos et de jeter un œil du côté des donjons, avant de me lancer dans une nouvelle et grande aventure inédite.

Cinq secondes plus tard et dans une gerbe d’éclairs, le géant nommé Hohol apparut devant moi en tombant du ciel et me salua comme la déesse que j’étais.

Raka
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14 thoughts on “DMS : Chapitre 61

  1. Merci pour le chapitre ^^.
    Et hop un super moyen de transport
    Un alcoolique heureu et des infos en plus, que du bonheur.

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