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Chapitre 62 – De l’autre côté (9)

 

Pendant quelques secondes à peine, je vis un paysage flou défiler à une vitesse extraordinaire. C’était comme si j’étais moi-même un éclair parcourant les nuages, et qu’un monde indistinct existait loin sous mes yeux. Le temps que je comprenne, j’apparus au niveau du sol dans une trainée de foudre et toujours sur l’épaule du géant Hohol. Quelques centaines de mètres plus loin, je pouvais voir Imperos. Nous étions encore dans son camp quelques secondes plus tôt et j’étais maintenant si proche de la ville… Plusieurs pensées distinctes s’imposèrent alors à mon esprit et je réalisai soudain des tas de choses qui me semblèrent tout à coup évidentes.

D’une part, leurs pouvoirs étaient exceptionnels. Ils méritaient vraiment leur catégorie quatre étoiles. Il avait ciblé avec tant de précision l’endroit où nous allions arriver en chevauchant les éclairs au-delà des nuages que s’ils le désiraient, ils pourraient facilement envahir Imperos à tout moment. S’ils savaient, tous ces architectes, à quel point la sécurité des murs de leur ville n’avait aucune importance pour les géants !

S’ils ne l’avaient pas fait, c’était parce qu’ils n’en voyaient pas l’intérêt. Ils vivaient loin de la ville et comme me l’avait dit Grorg, ils ne cherchaient pas à se battre, à piller ou à tuer. Ils ne faisaient que défendre – en abusant beaucoup, certes – ce qu’ils avaient de plus précieux. Les géants étaient-ils réellement un peuple pacifique et isolationniste ?

D’autre part, j’en vins à me dire que la puissance d’un monstre quatre étoiles dominait vraiment tout. Ils pouvaient même chevaucher les cieux grâce à un sort ou une compétence ! Bon sang, si j’avais réellement pu copier une compétence, c’était celle-là que j’aurais voulue !

— Hohol ? l’interpelai-je en baissant les yeux vers lui.

— Oui, grande déesse ?

— Pourrais-tu, si je te le demande, m’emmener ailleurs ? Faire le chemin que nous avons fait est bien, mais j’aurai sans doute besoin de plus que ça, à l’avenir.

Il secoua la tête, fermement et sans laisser la moindre opportunité d’espoir :

— Impossible, grande déesse. Les instructions de Grorg…

— Oh ? m’étonnai-je tout de même, et pourquoi donc ? C’est ta grande déesse qui te le demande. Celle-là même qui a décidé de descendre et de bénir ton clan au milieu d’un monde de fous. Un peu de reconnaissance ne serait pas de refus.

Il me déposa au sol et se mit à genoux avant de baisser la tête, conscient qu’il marchait sur des punaises à chaque mot qu’il prononcerait. Après tout, j’étais celle qui pouvait le forcer à se suicider comme je l’avais fait avec son frère.

— Ô grande déesse, très bien. Je deviendrai l’avatar du dieu de la foudre pour toi lorsque tu en auras besoin. Veille cependant à ce que la distance ne soit pas trop grande, j’ai besoin de beaucoup de mana pour utiliser cette magie des dieux.

— Hmm, fis-je alors, je vois. C’est bon à savoir, cela dit. Si un jour j’ai besoin que tu m’emmènes quelque part, je t’appellerai.

— Je te remercie de ta bienveillance, grande déesse.

— Une dernière question. Cette flûte, ai-je simplement besoin de souffler dedans, ou dois-je apprendre à en jouer ? l’interrogeai-je.

— Oh, il te suffit de la porter à tes lèvres et de souffler dedans. C’est une flûte magique qui nous sert, à nous géants, à communiquer entre nous. Nous pouvons transmettre plusieurs types de messages selon la mélodie jouée, mais pour m’appeler, souffler dedans suffira pour toi.

— Bien. Merci, dans ce cas. Tu peux disposer. Retourne donc vers tes vignes adorées.

— Je te sais gré de ta mansuétude, grande déesse.

Après s’être incliné une fois de plus, il se mit à crépiter et disparut dans un flash électrique qui m’en laissa les cheveux électrostatiques.

— Ouaouh. Ça décoiffe.

Donc, il avait lui aussi besoin de mana. Bon sang, si j’avais pu voir leurs statistiques ! J’étais si curieuse… Mais je ne pouvais pas les voir d’office et je n’avais pas osé le leur demander de peur qu’il ne se posent des questions. Pourquoi une déesse aurait-elle besoin de ça, après tout ?

Il était temps de rentrer en ville, tout ça pourrait attendre plus tard. J’étais déjà bien contente d’avoir gagné un taxi express gratuit à quatre étoiles, qui pourrait me sauver de situations critiques si j’en rencontrais un jour.

— Heh. Il faut que je voyage avec lui avec prudence. Il ne faudrait pas qu’on m’aperçoive en sa compagnie, je risquerais assez gros. Mais si je suis loin de la ville et en danger, je pourrai toujours l’appeler.

Fière de mon idée, je me mis en marche vers la ville, le sourire aux lèvres et la poitrine bombée.

 

**

 

Dans la ville, un bordel monstre m’accueillit dans la rue. Des dizaines et des dizaines d’architectes couraient dans tous les sens – tandis que les gardes restaient étrangement stoïques.

Des cris et des hurlements s’élevaient de tous les côtés, on s’affairait à quadriller chaque centimètre carré des rues, des bâtiments et même des toits.

— Huh ? Une chasse à l’homme est en cours, ou quoi ? Ha ha ha…

Je me demandai ce qu’il se passait là mais peu inquiète et pas très concernée, je me rendis directement vers la secte, qui était l’endroit le plus proche où je pouvais trouver un miroir dans les parages : j’étais arrivée par la porte sud de la ville.

Les architectes s’excitaient dans la rue même devant le quartier général de la Neuvième Vie et je dus même habilement esquiver quelqu’un qui surgissait en courant de la grande porte.

De plus en plus gênée par ce qui se passait en ville, je me hâtai de monter au premier étage, où se trouvait la salle des miroirs.

[Niveau 11 / 3565 crédits.]

— Hoh. Je n’ai pas gagné de niveau… soupirai-je, mais je ne devrais plus être très loin, cela dit.

Il ne servait donc à rien que je me rendre aux deux boutiques. Je m’apprêtais à exécuter ce plan que j’avais mis tant de temps à concocter et le donjon d’Albion était déjà apparu dans le miroir, n’attendant plus que moi, lorsque dans mon dos, une voix s’éleva :

— Ha ! Je savais bien que je t’avais vue !!

Me retournant instinctivement, j’aperçus le Maître de secte, le regard furieux et des gouttes de sueur perlant sur son front.

— Ah ? Maître de secte ? tentai-je gentiment, bonjour à vous.

Agacé par ma réponse, il balaya l’air de la main, soulevant un tourbillon dans la pièce au passage.

— Quoi, bonjour ?! C’est tout ce que tu as à dire ? Où est passé ce fou de Pythagore ?!

— Oups…

Alors c’était ça ? Je réalisai immédiatement ce qu’il se passait dehors : je n’avais jamais amené Pythagore à l’administration pour le faire juger, je l’avais fait sortir de la ville aussitôt en avoir eu la responsabilité. Et le Maître de secte avait sans doute été se renseigner, afin de s’assurer de la bonne démarche entamée à l’encontre d’un dément, tout ça pour s’entendre dire qu’il n’avait jamais été jugé.

C’était forcément ça.

— Euhm… Il y a un petit problème avec Pythagore… hésitai-je alors.

— J’avais cru le remarquer ! Explique-toi vite ! Un fou drogué est probablement libre dans Imperos ! Nous devons le retrouver à tout prix !

Ah. Il ne s’était pas énervé contre moi, en réalité, mais face à la situation d’urgence. Il fallait avouer qu’un fou en ville pouvait faire du dégât avant de se faire maîtriser par les gardes.

— Je… Il… Eh bien…

Je ne savais plus trop comment expliquer la situation. Où étaient passés mes réflexes ? Mon intuition et mon imagination rapide ?! Je m’étais toujours sortie de ce genre de situation en balançant des conneries plus grosses qu’Hohol et Grorg l’un monté sur l’autre, et je m’en trouvais réduite à ce moment à bégayer sans trouver mes mots.

Cependant, le type en colère devant moi m’aida de manière inopinée et bien involontaire.

— Tu n’oses pas dire qu’il t’a échappé, c’est ça ? Je le savais… Je n’aurais jamais dû te le confier, tu es bien trop faible ! Tu n’avais aucune chance de pouvoir le maîtriser ! Aaaah ! Quelle erreur !!

— Euh, oui, euh, il m’a… hm, échappé.

— Donc comme je le pensais, il erre donc bien quelque part en ville !! s’écria-t-il avant de faire demi-tour et de s’en aller comme une furie.

Il ne désirait qu’une confirmation de ma part, finalement. Je m’autorisai à souffler un peu, le genre de soupir de soulagement qui laissait bien entendre que la tempête était passée.

Soudain, il refit irruption dans la pièce et me posa une question de plus :

— Où ?!

Bon sang, l’imbécilité était de mise chez les architectes. Il aurait pu me demander ça dès le départ. Alors que j’allais lui répondre en trouvant cette fois n’importe quoi à dire – après tout, il pouvait bien remuer la ville entière s’il le souhaitait – il s’approcha et m’attrapa par le bras :

— Viens avec moi ! Montre-moi l’endroit où il t’a faussé compagnie ! Peut-être que même après tout ce temps, il est toujours dans les parages, à se cacher dans un trou ! Faisons vite, il a perdu la tête depuis trop longtemps, il pourrait agresser n’importe qui, désormais ! Je vais m’en occuper moi-même.

— Mais… balbutiai-je, je comptais…

— Stop ! Tu viens ! C’est un ordre !

Un ordre ? Lui, il n’était pas au courant du marché que j’avais passé avec le superviseur et qui m’autorisait à faire ce que je voulais sans qu’on ne vienne me donner « d’ordres ». Hmm… À bien y réfléchir, était-ce bien le superviseur ? Il me semblait, oui, mais… quelque chose ne tournait pas très rond, comme un souvenir qui manquait dans tout ça.

— Bah, peu importe.

— Comment ça, peu importe ? cria-t-il, tu refuses mon ordre ?!

— Ah, mais je ne reçois pas…

— Cesse de répondre ! Depuis que tu es arrivée, il se passe des choses étranges ! J’oublie mon fils sans arrêt, et ne me souviens de lui que lorsque je garde sur moi cette toge qu’il a portée ! Pythagore est devenu fou, l’un de nos membres les plus anciens et les plus importants ! Et, et… maintenant, tu as laissé s’échapper un fou en ville ! Il suffit, tu vas venir avec moi immédiatement !

Son fils ? Mais de quoi parlait-il ? Je ne connaissais pas son fils et je n’avais rien à voir avec tout ça. Oh, peu importait, au final. Il pensait que j’avais amené des catastrophes dans sa secte, mais c’était lui, le fou. Il racontait n’importe quoi.

Il voulut me tirer et m’emmener de force ; par réflexe, je tendis le bras vers le miroir. La surface argentée ondula et m’aspira, me faisant glisser comme un rêve hors de sa prise. C’était comme si, simplement, mon bras avait disparu d’entre ses doigts.

 

**

 

J’apparus dans mon donjon, face à la salle caverneuse emplie de piliers de pierre, de stalactites, stalagmites et petits buissons morts. Je voyais les salamandres et les varans, je sentais Isdaza plus loin, cachée près de son nid.

— Bon. Il va être temps de… Oh ?

Levant les mains pour les frapper ensemble, comme pour me donner du courage, ou affirmer une fois de plus ma résolution, je me rendis immédiatement compte d’une chose des plus intéressantes et des plus intrigantes.

— Ma toge ?

Mes manches étaient redevenues blanches comme neige. Finies, les couleurs bariolées, le gris et le rouge, terminé la toge de la Neuvième Vie.

— Le Maître m’a déjà bannie ?! m’esclaffai-je en riant.

Il avait fait drôlement vite pour prendre sa décision ! J’avais à peine traversé le miroir quelques secondes auparavant !

— Pfff… Tant pis pour lui, répondis-je pour moi-même, je n’ai pas besoin de lui et de sa secte de dégénérés. Haha, il s’invente même un fils que j’aurais connu…

Je prononçai ces derniers mots avec un léger malaise cela dit, incapable de définir avec exactitude pourquoi je me sentais peut-être légèrement concernée par ce qu’il m’avait dit.

Mais j’avais d’autres choses à penser – et à faire. J’allais être partie pour un minimum de 24 h, il fallait maintenant que je parte en exploration, là où aucun architecte n’avait jamais mis les pieds.

« Polymorphe humain. »

Je sentis des milliers d’insectes parcourir ma peau, même si je savais qu’évidemment, il ne s’agissait là que d’un sort de transformation, d’illusion, …je ne savais même pas exactement comment il fonctionnait, en réalité.

Regardant ma main, je fus parcourue d’un frisson. Ce que je voyais, c’était une main d’humaine. Cette main que je connaissais si bien pour l’avoir possédée pendant tant d’années, sur Terre. Chaque petite imperfection y était ; même ces cicatrices aussi vieilles que ces blessures desquelles elles provenaient ; lorsque j’apprenais à cuisiner, toute jeune…

— C’est mon corps… ?

Prenant quelques instants pour réaliser que je me trouvais à nouveau dans mon corps humain, tâtant même mes dents, qui avaient perdu toutes leurs pointes. Mes cornes avaient elles aussi disparues !

Fronçant les sourcils, je sus que j’avais 24 h devant moi.

Je posai les pieds sur la dalle de sortie.

« Retour. »

Raka
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22 thoughts on “DMS : Chapitre 62

  1. Merci pour le chapitre
    Je sent que la perte de couleur de toge va bien lui causer des ennuie plus tard ^^

  2. Merci pour ce chapitre mais je pense que pour clôturer notre week-end tu devrais en sortir un autre 🙂

  3. Merci pour le chapitre !

    Si je résume bien :

    Elle a acheté un sort de fusion
    Ça a bugué et créé Friderik
    Il lui a proposé de devenir une exploratrice
    Elle est donc allée dans la partie sud
    (Re)rencontré Teacup
    Pour le sort elle a rejoint la guilde de Teacup
    Pythagore a accepté de faire le sort contre le vin des Géants
    Elle est allé chez les géants
    Les a contrôlé
    Ramené le vin
    Teacup est allé la chercher mais le sort l’a fait disparaître
    Pythagore devenu fou à cause du vin
    Elle l’a emmené chez les géants
    Il a créé ce sort
    La rumeur de l’architecte fou a mis la panique

    Donc toutes ces péripéties à cause de la proposition de Friderik de devenir exploratrice
    Non, si elle avait pas reçu le sort de fusion elle serait juste une architecte progressant vite !
    Tout est la faute de Friderik !!
    Ps : les architectes sont immortels et craignent tant un fou ? ^^

    1. Oui.
      C’est ça, pout tout.
      Et oui, ils craignent un fou parce qu’ils craignent la mort.
      On ne sait toujours pas pourquoi ceci dit.

  4. La deroulement pour obtenir le sort polymorphe me fait etrangement penser a la quete de lépée des géants de ocarina of time -_-

  5. Merci pour le chapitre !
    Est ce que vous avez d’autre ln de ce genre a me conseiller ? Avec un créateur de donjon ?
    Merci d’avance

  6. Merci pour le chapitre 🙂 . Mais si tu as finis le scénario complet. Ça nous laisse encore beaucoup de chapitre à venir ? Je me demande combien de temps cela va durer. J’adore en tout cas

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