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Chapitre 64 – Les Devoirs d’un Paladin (2)

 

Friderik arrivait depuis l’entrée de la salle et s’apprêtait à agresser Wayne comme un lâche, en l’attaquant dans le dos. J’avais décidé d’en finir rapidement avec tout ça pour partir explorer un peu ce monde inconnu ; d’ailleurs, tout était parti d’un caprice de ma part après avoir compris que Friderik avait quelque chose derrière la tête.

Je ne lui avais même pas demandé pourquoi, maintenant que j’y pensais. J’étais si obnubilée par ma petite excursion sur Albion que j’en avais complètement omis le but initial.

Maintenant qu’il est là, je vais pouvoir le lui demander directement.

Mais pour pouvoir discuter avec lui, il fallait d’abord que je me débarrasse du Paladin qui m’avait injustement poussée dans le donjon. Je fis alors mine de ne pas avoir vu arriver Friderik et tournai rapidement la tête comme pour chercher quelque chose aux alentours. Me tournant légèrement, j’entrepris de m’approcher le plus innocemment du monde d’un gros pilier de pierre pendant que Friderik attaquait Wayne.

— Uakh ! Qu… Non ! Merde ! Wuy… Aaah !

Il s’était fait choper. Le lézard gélatineux l’avait attrapé par les jambes, l’immobilisant directement avant de changer légèrement de forme. Sa queue et ses pattes arrières se relevèrent et vinrent englober la tête du pauvre paladin.

J’observais la scène avec en coin, mais lorsqu’il tenta de m’appeler à l’aide, je ne pus pas faire mine de ne rien avoir entendu ; il fallait que je joue le jeu.

Je me tournai précipitamment et je le vis ouvrir et fermer la bouche frénétiquement, la tête dans un aquarium de gelée. Il tentait de se dégager mais rien n’y fit. La prise était aussi solide que le roc.

Je me jetai en avant afin de faire semblant de frapper ce nouvel intrus, ce monstre qui en voulait à la vie de mon coéquipier de fortune ! Ne possédant pas d’armes, je me mis à le marteler de mes poings, sans lui faire grand mal évidemment – j’y mettais juste assez de force pour que ça paraisse réaliste aux yeux d’un type en train de crever et dont la vision devait déjà être brouillée à la fois par la substance gluante qui entourait sa tête et par le manque d’oxygène.

Au bout de quelques dizaines de secondes, il disparut purement et simplement, s’envolant en poussière.

Je me permis alors de souffler. Faisant mine d’essuyer la sueur de mon front, j’adressai un sourire à Friderik :

— Fiou, soupirai-je, on se revoit dans de drôles de conditions, n’est-ce pas ? Haha.

— …

Il ne répondit rien à ma petite plaisanterie de salutation et reprit sa forme d’axolotl avant d’ouvrir la gueule sans pitié dans ma direction. Puis il bondit en avant et m’attrapa par les jambes, les deux à la fois.

— Ouah, aaaah ?

Surprise, je ne pus garder l’équilibre et tombai à la renverse. Seulement, mes jambes prisonnières jusqu’aux genoux m’empêchèrent d’atteindre le sol et je me retrouvai en arrière, à moitié en équilibre et à moitié incapable de bouger, dans une position totalement indélicate.

Comme précédemment, Friderik leva ses pattes arrières et sa queue pour former une masse de gelée qui allait venir m’étouffer. C’était mon tour.

— Ah ! Mais attends, nom d’un bordel de slime en rut ! hurlai-je d’un seul coup, réalisant qu’il ne m’avait sans doute pas reconnue sous ma forme humaine.

Il fallait que je lui dise que c’était moi, dans ce corps !

— C’est moi, je s…umphh !

Il m’avait moi aussi fait prisonnière, comme Wayne juste avant. Mais merde, il était pire qu’un boss ! De mon point de vue, il avait plus l’air d’une existence ultime que d’un boss de donjon !

J’ouvris la bouche en grand pour hurler, mais évidemment, aucun son n’en sortit. J’avais tenté de crier juste avant et je manquais d’air dans les poumons ; l’asphyxie promettait d’être rapide.

Que pouvais-je faire ? Lorsque j’avais ouvert la bouche, une substance gluante de slime s’y était introduite afin de la bloquer complètement. Je ne pouvais même plus la refermer. Paralysée, voilà ce que j’étais. Mes bras et mes jambes étaient entravés et je ne pouvais plus bouger le moindre cil.

Frederik était sincèrement implacable face aux explorateurs, une vraie machine à tuer. Et moi, j’étais du mauvais côté, malheureusement.

Ma vision se troubla et je vis miroiter des centaines d’étoiles. Mes poumons me faisaient souffrir. Tentant de toutes mes forces d’aspirer une bouffée d’air, je ne faisais que rencontrer la résistance absolue d’un slime rocheux.

J’allais définitivement perdre connaissance et mourir de l’une des façons les plus douloureuses que j’avais expérimentées.

 

**

 

Pendant deux jours après son retour forcé et malheureux, pendant que Wuying était en train de revenir à dos de géant pour la première fois, Teacup avait erré dans les rues de la ville. Invisible, inexistant, ce fantôme d’Imperos avait compris les limites du sort qui l’affectait : une fois sorti de chez lui, il ne pouvait plus avoir d’interaction avec quelque objet que ce fût. Lorsqu’il essayait de pousser quelqu’un, il perdait tout à coup toute sa force. Quand il voulait ramasser un objet pour signaler sa présence ou frapper dans un caillou, il lui arrivait la même chose. C’était comme s’il n’était plus qu’une âme de quelques grammes tentant de soulever des montagnes.

Les premiers temps, il déprimait. Il avait parcouru les rues, se hâtant de se rendre au Cercle des Érudits afin d’y trouver Pythagore ; Peu importe les tentatives, il ne parvint pas à lui faire comprendre qu’il était là, juste là, tout près de lui, et que son sort avait pété les plombs ! Il lui criait dans les oreilles, il se jetait sur lui de toute sa force pour ne rebondir que misérablement comme sur un mur impénétrable – il avait même tenté d’utiliser ce sort de télépathie aux effets secondaires atroces.

— Bon sang… soupira-t-il, pourquoi personne n’a-t-il jamais été capable de créer un sort de télépathie sans cet effet secondaire horrible ? Mais quand il faut…

Évidemment, il se parlait à lui-même. Il avait beau être à deux pas de son vieil ami, ce dernier restait insensible à sa voix.

— Hmm…

Teacup se concentra et invoqua le sort de télépathie qu’il avait appris depuis fort longtemps et que personne n’avait jamais réussi à améliorer, à perfectionner – à croire que le système lui-même l’empêchait pour une raison obscure.

Pythagore ? Pythagore, mon ami ?

Il sentit ses pensées s’échapper de son cerveau et voyager dans la direction du principal concerné. Seulement, il ne pouvait pas les suivre à la trace, et l’absence de réaction du vieux Grec était parlante.

Bon sang, Pythagore ! Entends-moi ! C’est toi qui as créé ce sort de télépathie, tu dois bien le maîtriser, non ?! Tu… Ne me dis pas que tu ne l’as même pas appris ? À cause des effets secondaires ?! C’est ça ?!

Ses pensées sortaient de lui comme une brume d’idées, telle une intention marquée par l’envie et le besoin de contacter celui qui était responsable de ses malheurs et surtout de son état.

…Si seulement je t’avais laissé plus de temps… Ah ! Pourquoi m’as-tu écouté, aussi ?! Quelle idée d’avoir accepté de créer ce sort d’invisibilité en quelques heures à peine ! C’est toi le génie ! Tu aurais dû savoir qu’il allait arriver un malheur et refuser, me prévenir, au moins !

Il espérait si fortement que l’un ou l’autre mot arrive à destination mais chacune de ses tentatives répétées resta vaine. Soupirant grandement, il s’appuya contre le mur et se laissa glisser au sol.

— Pourquoi… Pourquoi ?! se lamenta-t-il, et dire que maintenant…

Et maintenant, quoi ?

— Et voilà… Non… Pas ça, tout mais pas ça… se mit-il à pleurer, non, pas pour rien…

Comment ça, pas pour rien ? Eh eh eh… Je ne te plais pas ?

— …Ta gueule, putain…

Taecup se mit à se parler tout seul, jouant tour à tour le rôle de deux protagonistes d’une conversation qui n’avait lieu que pour lui dans un monde de fantômes, invisible à l’œil nu ; se mettant à pleurer une fois de plus, il venait de subir les effets secondaires d’un sort créé de toute pièces et qu’il avait lancé pour rien – c’était déjà la deuxième fois que ça lui arrivait.

— Non…

Incapable de l’accepter et sachant pourtant ce qui l’attendait, il se remémorait la seule et unique fois où ça lui était arrivé. Le sort de télépathie n’existait pas dans le système et il avait de nombreuses fois été créé, recréé, travaillé et modifié par les érudits de nombreuses sectes. Mais étrangement, c’était un sort qui ne « voulait pas » fonctionner correctement.

Alors certes, il permettait bien de communiquer ses pensées à autrui, mais à côté de ça subsistaient toujours des effets secondaires importants et très peu négligeables. Il s’était une fois agi de l’incapacité à aligner deux mots dans sa tête pendant des heures et des heures, transformant le lanceur en légume pour le reste de la journée après quelques secondes d’utilisation. Une autre tentative de création de ce sort avait échoué, ne laissant comme effet secondaire que la mort par embolie cérébrale. Se suicider pour communiquer par télépathie, ce n’était pas ce qu’on pouvait souhaiter de mieux.

Ce sort-ci par contre était du genre efficace mais perfide. Créé par Pythagore en personne après de longs mois de recherche, il était arrivé à une solution qui s’avérait être le compromis qu’il jugeait le plus acceptable.

— Et maintenant… encore une fois… soupira Teacup.

Et maintenant, quoi ? Tu te répètes mon gars, hahaha !

— Et maintenant, je suis affublé d’une double personnalité et je trouve celle-ci particulièrement exécrable ! cria-t-il d’un seul coup, à sa propre attention.

Aaaaah ? Moi ? Exécrable ? HAHAHA ! Mais… Tu dis ça avec ta propre bouche, tu sais ?

— Et je le dis à cette putain de voix qui l’emprunte pour dire des conneries… se plaignit-il, la tête toujours dans les mains.

Allez ! On va bien s’amuser, tous les deux !

— …

Si quelqu’un avait pu le voir, il l’aurait définitivement pris pour un fou. Fort heureusement pour lui, il était seul dans son monde. Enfin, …plus maintenant.

Eh. Eh, tu fais quoi ?

— Putain, mais ta gueule, commença-t-il à se plaindre, les larmes aux coins des yeux.

Ah, non merci ! La liberté d’expression est un droit fondamental, tu sais ! Et maintenant que je peux parler, je ne vais pas me priver ! continua-t-il, ses larmes devenues des pleurs de rire.

— Combien de temps ? murmura-t-il après s’être arrêté de rire d’un seul coup.

Hmmmm ? se répondit-il en faisant la moue, tu veux savoir combien de temps nous avons pour profiter l’un de l’autre, c’est ça ? Ah ! Mais j’espère bien que nous serons amis pour la vie ! Je t’aime déjà !

— Connard.

Ha ha ha ! Je sais que ce sont des mots d’amour ! Moi aussi, je t’adore !

— …

Évidemment, les effets de secondaires d’un sort duraient toujours quelques heures. Teacup ne connaissait pas de sort dont les effets secondaires pouvaient durer plus longtemps que ça, et même au-delà de la mort… Enfin, jusqu’à son sort trop parfait d’invisibilité.

Il aurait pu se suicider pour mettre un terme à son tourment. Mais maintenant qu’il était affecté par un sort qui le poursuivait même au-delà des portes de la mort, qui pouvait encore lui garantir qu’il n’allait pas se tuer pour rien ? Il n’avait même plus le cœur à essayer. Une mort pour rien n’était jamais souhaitable, après tout.

— Bordel… Qu’ai-je fait pour mériter ça ?

Il avait juste envie de pleurer, encore et encore. Depuis qu’il l’avait rencontrée, plus rien ne fonctionnait.

— Malheur sur malheur ! Un après l’autre ! Aaah… gémit-il.

Oui ! On n’a pas de chance, hein ? Mais rassure-toi, nos tourments sont terminés désormais !

— …Hein ? J’espère que ça ne vas pas durer…

…Parce que maintenant, nous sommes ensemble, tous les deux ! Aaah, mon bon ami ! Que je suis content ! Ta compagnie vaut bien tous les malheurs du monde ! 

— …

Heureusement qu’il ne s’agissait que de sa voix. Si cette deuxième personnalité avait pu prendre le contrôle de son corps, alors il aurait tout fait pour se donner la mort aussitôt.

Ceci dit, en aurait-il été capable ?

Abandonnant l’idée de contacter Pythagore pour le moment, il se mit en tête de rentrer chez lui. Au moins, au sein de sa maison, il pouvait toucher les objets, les déplacer, s’en servir. Il pouvait s’allonger sur son lit, en soulever les couvertures… Il s’était plusieurs fois déjà demandé ce que les gens verraient s’il était couché sous ses draps et qu’ils entraient chez lui.

— C’est la seule solution, conclut-il, il faut que j’attende que quelqu’un entre chez moi et que je prépare un message…

Allez ! Tu as raison, bien entendu ! Tu es si malin ! Allons-y !

— …

Je te suis ! Ha ha ha !

Raka
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12 thoughts on “DMS : Chapitre 64

    1. Merci pour le chapitre.
      Ducoup pour communiquer vu qu il peut toucher les objets il peut pas ecrire ?

  1. C’est triste
    Mais vois le bon côté des choses, tu peux mater comme ça !
    Merci pour le chapitre :3

  2. — Ah ! Mais attends, nom d’un bordel de slime en rut ! hurlai-je d’un seul coup, réalisant qu’il ne m’avait sans doute pas reconnue sous ma forme humaine.

    L’injure de l’année

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