LDO : Chapitre 5
LDO : Chapitre 7

           006.     Bagua du Taiji

 

 

– Alors je peux, c’est vrai ? demandai-je rapidement, incertain du sérieux de l’affirmation du vieil aveugle.

– Bien entendu, jeune recrue. Si je te le dis, alors tu peux me croire.

Je ne savais comment le remercier. Aussi me contentai-je de lui sourire en m’inclinant en avant, même si je doutais fortement qu’il le remarque. Cela dit, avec ce type… On ne savait jamais. Et comme il me rendit mon sourire, je me rendis compte que finalement, il était encore plus mystérieux que je l’imaginais.

Me redressant prestement, je me retournai et m’engouffrai entre les rayons pleins à craquer de livres poussiéreux et de parchemins en tous genres. Je voulus attraper l’un des volumes, un livre de couleur grise, mais étrangement, plus ma main s’en approchait, moins je ressentais l’envie de l’attraper. À dix centimètres à peine, je perdis absolument tout intérêt pour ce morceau de cuir dont l’âge dépassait largement celui de mon grand-père. Pourquoi voulais-je attraper celui-là ? C’était une bonne question. Retirant ma main le plus naturellement du monde parce que je ne voulais pas de cet objet sans importance, je me rendis compte en quelques secondes à peine que finalement, je l’aurais bien ouvert pour regarder ce qu’il y avait dedans.

Tendant la main à nouveau par réflexe, je perdis encore une fois tout intérêt pour ces pages.

– Mais qu’est-ce que c’est que ça ? m’écriai-je, sentant qu’il y avait de la sorcellerie dans l’air, c’était obligatoire.

Le vieillard éclata de rire, depuis l’extérieur des rayons de livres.

– Ha ha hahaha ! Je te l’ai dit, mon jeune garçon ! Entre et vois quel est le texte qui te choisira ! Voici comment cela fonctionne. Il y a forcément, dans ces bibliothèques, un volume qui te correspondra. C’est un destin, on ne peut pas aller contre. Il y en a un de chaque, et pas un de plus. Le premier que tu trouveras sera un parchemin d’invocation d’artefact. Quoi que tu fasses. Si tu le reposes en rayon, alors un volume de technique sera le suivant. Si tu refuses celui-ci également, alors tu ne pourras plus attraper de livre ici, quoi que tu fasses.

Il parlait beaucoup pour ne rien dire, lui. Je n’étais pas idiot, j’aurais compris avec moitié moins de mots ! Enfin, au moins, il avait pris la peine de m’expliquer, n’est-ce pas ?

– Voyons quel est le parchemin de trésor qui est fait pour moi.

J’étais tout de même très excité, parce qu’il s’agissait là, d’après Zhou XueFang, de textes d’une très grande valeur, pour le continent d’Irus en tout cas. Certains étaient plus puissants que d’autres, mais on voyait bien là que la Ligue des Assassins n’était pas une organisation à prendre à la légère, pour posséder une collection de livres et parchemins de ce genre.

Quelques pas plus loin, je sentis une folle envie, un besoin irrésistible de me saisir de ce parchemin, juste là, à ma droite. J’en avais tellement envie, je pouvais presque le voir briller ! Il représentait tout pour moi. Et sans trop y penser, je tendis la main et m’en saisis.

Une fois déroulé, je pus lire ce qu’il contenait. Son nom était « Parchemin d’invocation du dé des dieux ». Le dé des dieux ? C’était le trésor qui m’avait choisi ? C’était sans doute une blague. Un dé ? Vraiment… Un dé ? Comme ceux avec lesquels on pouvait jouer à des jeux d’enfants ? Un dé ! Même s’il était écrit que c’était un dé des dieux, je ne pouvais clairement pas prendre ça au sérieux. Si je devais devenir fort, me battre, peut-être un jour tuer des gens, j’avais besoin d’être craint et respecté. J’avais besoin d’armes, de protection, de quoi me défendre ! Et si je sortais un dé sur un champ de bataille, de quoi aurais-je l’air ?

Non, décidément… Je savais bien que je pouvais le refuser et accepter ensuite la technique qui me choisirait, et j’étais alors persuadé que tout serait mieux qu’un dé. Sans prendre le temps d’y réfléchir, j’enroulais le parchemin et le reposais sur le rayon. Hors de question… Un dé… Non mais, vraiment…

Tu es certain de ton choix ? Tu peux toujours ramasser et accepter ce parchemin avant de mettre la main sur…

– Non ! Je-ne-veux-pas-de-dé !! Regarde-moi ! Je ne suis plus un enfant ! Je vais devenir adulte ! Non, vu les épreuves que j’ai traversées, je suis déjà adulte !

… Erm…

Il n’en dit pas plus. J’espérais ne pas l’avoir vexé en lui criant dessus, mais il voulait me faire envisager d’accepter un dé. Ma réaction était compréhensible, non ?

Me retournant, je me dirigeai alors vers les épais livres reliés de cuir. Celui qui attira mon attention, et qui me correspondait donc, était un épais volume d’un noir d’encre, recouvert d’une épaisse couche de poussière, et qui semblait ne pas avoir été ouvert depuis des centaines d’années au moins. On aurait presque dit qu’il était incrusté dans le bois et qu’en le ramassant, toutes les étagères allaient s’effondrer.

Je n’osais cependant pas l’ouvrir. Et si ce qu’il contenait était pire qu’un dé ? Avant de le prendre en main, je pouvais toujours choisir le parchemin de trésor… Je me mis à m’imaginer me battant dans une plaine contre des animaux sauvages, moi le héros, combattant fièrement, exhibant mes muscles, frappant à droite et à gauche, esquivant adroitement les coups féroces et sournois des bêtes qui voulaient me tuer. Je m’imaginais parfaitement, me saisir de ma lance pour en transpercer un, puis la lancer pour achever un deuxième… Et puis invoquer mon dé, dans le creux de ma main, m’accroupir par terre pour le faire rouler devant moi… Non mais, est-ce que j’étais sérieux, là ?

J’attrapai le livre sous mes yeux sans y donner plus d’imagination. N’importe quoi était évidemment mieux qu’un dé.

L’intérieur du livre était vide, composé uniquement de pages blanches, à l’exception de la double page centrale, sur laquelle était dessiné un schéma.

– Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Il n’y a pas de texte, pas de titre, pas d’explications… dis-je en soupirant tout en crispant mon visage de déception.

Osumba, ce livre, c’est…

– N’est-ce pas ?! C’est ridicule ! Tu crois que je peux choisir le dé, finalement ?

Ne sois pas absurde.

– Tu as raison. J’ai choisi, et j’ai abandonné le dé des dieux. Quel idiot je suis ! Maintenant, me voilà coincé avec une technique qui n’en est pas une, un dessin inutile que je ne comprends pas. Je ne sais même pas comment faire pour étudier ce qui est dessiné dans ce…

Il me coupa la parole, un peu irrité.

Tu ne sais vraiment pas de quoi tu parles. Cesse de divaguer et pose ta main sur le dessin.

– Pardon ?

Ce que tu tiens dans tes mains est une technique extrêmement puissante, qu’une poignée de personnes maîtrise, sans doute seras-tu le seul sur Irus. Moi-même, je ne l’avais rencontrée que très haut sur les Continents Immortels, et à l’époque où je l’ai découverte, je n’avais plus le temps de m’y consacrer. Bon sang, Osumba, rencontrer ça ici, tu es décidément béni des dieux !

– … Mais je croyais que les dieux n’existaient pas ? demandai-je, confus.

Idiot ! C’est une expression. Et puis, en vérité, je te l’ai dit, je n’ai pas touché au domaine divin, ce que je dis n’est pas à prendre avec une certitude absolue. Tout ce que nous savons, c’est que le peu de génies ayant réussi cet exploit n’en sont jamais revenus pour en parler.

– Et cette technique, alors ? Je ne la comprends pas. Qu’est-ce que c’est ?

Avant que Zhou XueFang ne me réponde, la voix du vieil aveugle sonna derrière ma tête.

– Je l’ignore, mon jeune enfant. Il s’agit d’une technique qui n’a, depuis que j’exerce en ces lieux, jamais choisi personne. Je suis bien incapable de t’expliquer de quoi il s’agit.

Il croyait que je lui parlais ? Vieux fou, comme si j’avais besoin de tes conseils si tu ne sais rien. En ce qui me concernais, il aurait pu rester assis sur sa chaise, j’avais déjà mon vieux personnel, encore plus vieux que lui, et qui savait ce qu’était cette technique, au moins. Mais je devais être prudent, je ne me souvenais que trop bien à quel point tuer quelqu’un était une chose naturelle là-bas.

– Merci, vieil aveugle. Je suis content de l’attention que vous me prodiguez mais je vais me débrouiller seul pour comprendre de quoi il s’agit. Après tout, cette technique est faite pour moi, et je n’ai plus le choix.

– Oh, oh ! s’exclama-t-il en souriant, alors comme ça, tu sais montrer du respect et du courage. Alors soit, mon garçon, je t’ai dit que je t’accordais cette technique, et je ne reviens pas sur ma parole.

Il se retourna en riant et disparut d’où il était venu.

Osumba. Cette technique n’a pas de nom connu. Mais ce qu’elle fait… Ce que tu as sous les yeux s’appelle le Bagua du Taiji des Ténèbres. C’est le nom de ce dessin. Tel quel, il ne représente rien, et est totalement inutile, mais il canalise ton Qi en invoquant une puissante formation de Ténèbres.

– Et elle sert à quoi, alors, si elle est totalement inutile ?

Je ne comprenais pas ce qu’il essayait de me dire. Elle était inutile mais canalisait du Qi en une puissante formation. Si c’était puissant, c’était donc utile, non ?

Les actes sont plus parlants que les mots. Apprends cette technique.

Je posai immédiatement ma main sur le dessin, et il s’illumina. Le livre quitta mon étreinte et flotta pendant quelques secondes devant moi avant de se refermer et de retourner gentiment se poser à sa place initiale, comme si je ne l’avais jamais ramassé.

Cependant, dans ma tête, les choses avaient changé. Tout à coup, je me rendis compte que je connaissais cette technique. Elle était là, au fond de mon esprit, je savais comment faire pour l’activer, aussi facilement que je respirais.

Canalisant mon Qi dans mon dantian, il se mit à tourbillonner et le vortex s’élargit, sortant même de mon corps et devenant visible autour de moi. Tout ça s’était déroulé en une fraction de seconde. Autour de ce vortex de Qi ténébreux, le même dessin et les mêmes symboles que dans le livre se dessinèrent immédiatement. J’étais maintenant au centre du diagramme en taille réelle, qui était dessiné au sol, le vortex tourbillonnant lentement en son centre, et moi au milieu du vortex.

J’étais au centre d’une formation de plus de deux mètres de diamètre, que je venais de créer moi-même, simplement en le désirant.

Et puis, ce fut tout. Rien d’autre ne se passa. Je ne pouvais pas manipuler le Qi d’une autre façon, je pouvais maintenir cette formation aussi longtemps que je le désirais mais je ne pouvais rien faire de plus.

Bien, Osumba. Tu as parfaitement saisi le concept. Tu es capable d’invoquer le Bagua du Taiji en une fraction de seconde, tu as du talent. Je ne pensais pas que tu comprendrais l’architecture de cette technique si facilement. Il faut à certaines personnes sans réel talent plusieurs mois pour parvenir à faire ce que tu viens de faire en quelques secondes.

– Et maintenant ? Je vois bien que ce que j’ai fait est inutile, comme tu l’as dit. Mais… Ensuite ? Si cette technique est puissante, comment se fait-il que je ne puisse rien en faire ?

Cette technique est effectivement puissante, mais elle est inutile parce qu’elle est incomplète. Le Bagua du Taiji n’est qu’une formation-structure, destinée à recevoir des pouvoirs puissants que seuls ceux qui maîtrisent cette technique peuvent utiliser.

Mes yeux brillèrent, je le sentis, ses mots m’avaient excité.

– Et comment faire pour gagner ces pouvoirs ?!

Il me disait que j’étais puissant et talentueux, que je possédais quelque chose que personne n’avait, et que j’allais être capable de manier des puissances extraordinaires. Je me sentais comme les héros de ces histoires que j’adorais lire ! S’il voulait éveiller mon intérêt, il avait choisi les bons mots, je voulais absolument en savoir plus.

Ha ha ha, tu es décidément insondable. Tu ne veux pas tuer, tu ne veux pas te battre, mais tu rejoins la Ligue des Assassins et tu recherches la puissance.

– Cesse de te moquer de moi ! Comme si j’avais vraiment le choix… Je me fais traîner par les gens sans mon consentement, et je dois faire ce qu’il faut pour rester en vie, alors que faire d’autre ? Je me laisse guider par le flot des évènements.

Tu as raison, et tu fais bien. Tant que tu es en vie, il existe toujours un moyen d’aller de l’avant. C’est le bon état d’esprit. Mais revenons à ce Bagua du Taiji. C’est une technique qui vient du cœur même de la création du Qi, et qui peut être modelée selon tes besoin… Et selon ta chance. Le Taiji est un concentré de la création de ton élément, et comme tous les éléments, il fait partie du grand Tout Primordial qui a servi au façonnage du monde qui nous entoure…

– Je n’ai rien compris, dis-je en haussant les épaules.

Alors laisse-moi continuer. La nature dans l’Arbre Immortel a été créée selon huit principes. Le ciel et la terre, l’eau et le feu, les lacs et les montagnes, le vent et le tonnerre.

– Oh ? C’est comme les affinités ?

J’avais enfin compris quelque chose.

Non, ça n’a rien à voir.

Ah, alors je n’avais toujours pas compris.

Laisse-moi t’expliquer ça autrement. La Lumière et les Ténèbres Primordiales, qui ont donné naissance à l’Arbre Immortel, sont raffinées en son sein en douze affinités mineures. Mais à côté de ça, les continents naissent, et la vie se développe selon les principes que je t’ai décrits précédemment. Les huit piliers de la création que sont ciel, terre, eau, feu, lac, montagne, vent et tonnerre sont indépendants des affinités. Par exemple, lorsque tu bâtiras le pilier du ciel, ce sera un pilier des ténèbres. Si ton affinité avait été le magma, tu aurais bâti un pilier de magma.

– Je crois que je commence enfin à voir la lumière au bout du tunnel. Il s’agit d’une cultivation à côté de la cultivation ?

Tu chauffes. Ce n’est pas tout à fait ça, mais ça y ressemble. C’est un art qui se détache de la cultivation mais qui en fait partie. Sans être capable de pratiquer le Bagua du Taiji, on ne peut pas bâtir les piliers de la création.

–… Et comment faire pour les bâtir ? Je crois deviner qu’il s’agit de la vraie puissance de cette technique, n’est-ce pas ? C’est pour ça qu’elle est incomplète et inutile ? Et comment faire ? Que sont ces piliers ?

Une chose après l’autre, jeune garçon ! Tu ne comprends rien à rien et tu poses trop de questions… Bon. Pour bâtir ces piliers, il faudra que tu voyages. Tu dois trouver des runes que toi seul peut utiliser. Ce sont des runes sans affinité, et seuls les manieurs du Bagua du Taiji peuvent les assimiler dans leur technique. Il existe de nombreuses runes de chaque type, et chacune octroie une puissance et des effets différents au Bagua. Une rune du ciel n’aura pas les mêmes effets qu’une autre rune du ciel par exemple, mais tu ne pourras en choisir qu’une. Si tu en veux une autre, tu devras abandonner la précédente…

– C’est un jeu de runes à collectionner ? plaisantai-je.

Hein ?

Mais il n’avait pas compris la blague.

Arrête de dire des bêtises. Je suis en train de t’expliquer à quel point ta technique va devenir hors du commun, tu n’as pas l’air de le prendre au sérieux.

– Parce que je ne comprends pas grand-chose à ce que tu me dis. J’apprendrai sur le tas.

Il semble que je n’ai pas d’autre choix que d’être d’accord avec ça… Retiens simplement que grâce à cette technique, tu vas pouvoir assimiler des pouvoirs facilement, immédiatement, sans avoir besoin de les travailler et de comprendre leur structure. D’autres devront travailler des mois, voire des années pour déployer toute l’efficacité de techniques apprises en versant de la sueur et des larmes. Toi, tu n’auras qu’à trouver des runes. Le seul point négatif, c’est que tu ne pourras pas choisir réellement ce que tu vas apprendre. Un autre que toi pourra décider de travailler telle ou telle technique parce qu’elle lui correspond, toi, non. Maintenant que tu as intégré le Bagua du Taiji, tu remarqueras si tu essayes que tu es maintenant incapable d’apprendre toute autre technique. Même si tu fournis tous les efforts du monde, tu seras limité à celle que tu connaissais déjà auparavant, et à celle-ci.

– QUOI ?! Tu aurais pu me le dire avant !

Ne t’en fais pas. Les huit piliers que tu peux bâtir t’accorderont huit techniques qui dépasseront un jour les milliers de techniques que tu croiseras de par le monde. N’importe quelle personne intelligente choisirait mille fois le Bagua du Taiji plutôt qu’une myriade de techniques plus faibles.

– Tu marques un point. Et je suis intelligent, ça, on le sait. Aussi suis-je content de ce Bagua du Taiji, répondis-je fièrement.

Allons, Osumba, sortons. Pour devenir puissant, il va falloir que tu trouves des runes, tu n’as plus vraiment le choix maintenant.

– Comment les trouver ? Demandai-je en quittant la tour, sans même avoir pris la peine de saluer le concierge qui dormait à nouveau en ronflant.

Les runes sont des étrangetés naturelles, créées par l’Arbre lui-même ou scellées par de très anciens experts qui n’en avaient plus l’utilité. Il faut que tu saches qu’au moment où tu remplaces une rune, celle que tu possèdes reste sur place. On peut en trouver partout, et elles ne sont pas visibles à ceux qui ne maîtrisent pas le Bagua du Taiji. C’est un monde à part, Osumba.

– Je vois.

Je voyais vraiment, ce coup-ci ! J’avais enfin compris une de ses explications ! Je me sentais fier et marchais en bombant le torse.

– Où dois-je chercher, alors ? Que faire ? Wang Wei ne me laissera pas quitter les lieux, il l’a dit, je n’ai pas une cultivation assez élevée.

On va trouver un moyen, ne t’en fais pas. Pour le moment, visitons les lieux. Il ne peut pas y avoir que deux personnes dans toute cette secte.

Suivant les conseils de mon mentor ventral, je me dirigeais au hasard en tournant dans les ruelles et en contournant les bâtiments. À vrai dire, Wang Wei devait être persuadé que j’allais cultiver dans la tour pendant un moment, il ne s’attendait sûrement pas à ce que j’en sorte au bout de moins d’une demi-heure.

J’entendis un brouhaha au loin.

– Tiens ? Il y a de la vie par là. Allons voir.

Suivant le son, j’arrivai rapidement sur une grande place où une foule de gens était rassemblée. Ils semblaient tous tournés vers le centre de la place, et une frénésie les parcourait. Les poings levés, le sourire aux lèvres, ils criaient et encourageait quelqu’un ou quelque chose, je ne savais pas trop quoi ou qui. Essayant de me frayer un chemin à travers les gens compactés les uns contre les autres, je me fis repousser comme un malpropre.

J’attrapai quelqu’un par l’épaule et lui demandai :

– Hé. Désolé de te déranger, mais il se passe quoi ?

Le type se retourna et me dévisagea pendant moins d’une seconde avant d’ouvrir de grands yeux et de tomber dans les pommes. Merde, j’avais oublié qu’ils ne supportaient pas de voir un noir. Sans parler du fait que j’étais toujours nu avec un simple pagne me recouvrant les parties sensibles. Tant mieux, j’allais pouvoir passer à travers la foule sans avoir à faire d’efforts.

Prenant une grande inspiration, je criai :

– Un contrôlé !!

En une fraction de seconde, presque tout le monde se retourna vers moi, et alors que près du quart d’entre eux tournèrent de l’œil instantanément, le reste hurlait en essayant de se disperser.

– Merde ! Pourquoi il y a un contrôlé ici !

– Poussez-vous ! Laissez-moi passer ! Mais dégage, toi !!

– Non, ne me bloque pas ! Je veux aller par ici !

– Fuyez ! Appelez un ancien ! Quelqu’un !

Certains se mirent à vomir de peur, et le chahut était tel que tous ceux composant la foule ne parvenaient pas à bouger tant ils étaient collés les uns aux autres. Certains types au sol se faisaient piétiner, j’espérais qu’ils n’allaient pas trop en souffrir. Petit à petit, ceux qui étaient proches de moi s’éloignaient, et bientôt, les quelques centaines de jeunes gens – ils ne devaient pas avoir plus de 17 ou 18 ans – présents de ce côté de la place s’étaient presque tous dispersés.

La tendance se répandait comme une trainée de poudre, et ceux plus éloignés, qui n’avaient pas entendu mon appel initial commençaient à se demander ce qu’il se passait et à apprendre qu’il y avait un type noir quelque part par là.

Soudain, une voix tonna à travers l’espace, comme un coup de tambour.

– Il se passe quoi ici ?!

Accompagné de la grosse voix, une pression descendit du ciel et couvrit la place toute entière comme un épais nuage de plomb, clouant tout le monde sur place. Je le ressentais aussi, en réalité, ce n’était pas tant que je ne pouvais pas bouger, mais plutôt que je sentais qu’il ne fallait pas, sous peine de m’épuiser comme si je devais me déplacer avec une dizaine d’arbres sur les épaules.

– C’est le doyen !

– Le doyen est arrivé !

– On est sauvés…

– Il va s’occuper de ce contrôlé !

Et effectivement, c’était bien lui. Je le vis arriver au calme, une main dans le dos et l’autre se tripotant l’un des deux côtés de sa longue moustache. Il regarda aux alentours et sembla réaliser ce qui se passait.

– Ah, je vois ! s’exclama-t-il en souriant.

Plusieurs jeunes hommes s’adressèrent à lui, le suppliant de gérer ce contrôlé avant qu’il ne provoque une catastrophe. Après tout, s’il répandait sa malédiction, en moins d’une heure, les milliers de gens présents pouvaient être infectés et ça aurait pu signifier la fin de la Ligue locale.

– Ne vous en faites pas, répondit-il simplement, en les observant avec sérénité. Ce jeune homme n’est pas un contrôlé. J’ignore pourquoi il leur ressemble tant, mais vous pouvez être rassurés. Il s’appelle Osumba, et fait désormais partie de notre Ligue des Assassins. Traitez-le comme un frère.

– Osumba ?

– Ce n’est pas un contrôlé ?

– C’est impossible !

Ils étaient tous dubitatifs, mais puisque je n’avais pas l’air de vouloir les attaquer, ils durent bien se rendre compte que je n’étais pas ce qu’ils croyaient. Et moi, j’avais réussi à me frayer un chemin vers ce qui se passait au milieu de la place, même si du coup, il ne s’y passait plus rien.

– Osumba, dit-il calmement en arrivant à mes côtés. Il était également en train de relâcher la pression qui couvrait tout la place. Décidément, il était si puissant !

– Oui ?

– Que fais-tu là ? me demanda-t-il tout banalement, comme s’il venait de me rencontrer par hasard au détour d’une promenade.

– J’en ai terminé dans la tour. Le vieil aveugle m’a laissé sortir.

Ce n’était pas vraiment un mensonge. Il s’était rendormi et avait l’air de n’avoir rien à faire de ce que j’allais faire après en avoir fini avec le livre de technique.

L’œil Céleste de Wang Wei s’ouvrit l’espace d’une seconde.

– Oh, mais tu as ouvert une deuxième porte Terrestre ? Félicitations, tu as fait vite. Je comprends pourquoi il t’a laissé sortir. Mais comment as-tu fait, sans ressource de cultivation ?

Je ne savais pas quoi répondre, et me contentais d’ouvrir la bouche en cherchant que dire.

– Bah, ce n’est pas grave, je lui fais entièrement confiance, après tout. S’il a décidé de partager des ressources avec toi en plus de te donner une technique de cultivation, ça le regarde.

Il n’avait pas tout compris. Il croyait que le vieil aveugle m’avait donné une technique de cultivation et des ressources pour ouvrir une porte Terrestre. Mais après tout, il n’avait pas besoin de savoir ce qu’il s’était réellement passé. Je changeais rapidement de sujet, alors que la foule autour de nous était maintenant piquée de curiosité plus que de peur, et nous observait… Ou plutôt, m’observait, moi.

– Il se passe quoi, ici ?

Wang Wei se tourna vers la place en levant les sourcils.

– Oh, ça ? C’est la place des tournois. Régulièrement, des disciples de la Ligue viennent se mesurer les uns aux autres, en suivant certaines règles bien entendu.

– Des combats amicaux ? C’est intéressant !

– Ah, tu es intéressé par ça ? Mais tu fais partie de ma Ligue maintenant, alors tu es libre d’y participer. Mais attention, il te faut suivre les règles sous peine d’être puni, me prévint le doyen.

– Quelles sont les règles ?

J’étais impatient de me défouler un peu, et de me battre. Il fallait que je devienne fort, et un peu d’entraînement ne me ferait pas de mal, ça, j’en étais certain. Mais désirais-je vraiment combattre maintenant ?

– Tout d’abord, expliqua-t-il, il faut que les deux combattants soient d’accord. Ce qui semble normal, me diras-tu, mais il est hors de question de continuer le combat si l’un des deux abandonne et se déclare vaincu. Deuxième règle, tuer est strictement interdit. Tuer son adversaire équivaut à placer une peine de mort sur ses propres épaules, que je me chargerai d’appliquer moi-même sans condition. Et la troisième condition, tu ne peux pas combattre quelqu’un qui a plus de deux portes Terrestres ouvertes de plus que toi. Tu as ouvert deux portes, tu peux défier quelqu’un qui en a ouvert quatre. Pas plus. Bien que tu risques de perdre à plates coutures si tu fais ça.

– Bien. Bien. J’ai tout compris, dis-je en hochant la tête le plus sérieusement possible, tout en fronçant les sourcils.

– Tu veux vraiment défier quelqu’un, dis-moi ?

Wang Wei souriait, il avait quelque chose derrière la tête.

– Peut-être, affirmai-je en hésitant encore.

Il tourna le regard, cherchant quelqu’un dans la foule de son Œil Céleste. Il s’arrêta sur une personne, qui approcha après avoir compris ce qu’il voulait.

– Voici Ren Fen, une autre recrue récente. Ce jeune homme a ouvert sa quatrième porte récemment. Il représente un défi de taille pour toi, je te le garantis.

Le dénommé Ren Fen rassembla ses mains dans un salut devant le doyen, sans dire un mot. Il me jeta un coup d’œil discret, mais plus curieux qu’hostile. Après tout, on ne se connaissait pas, il n’avait pas de raison de me détester. Il devait être étonné de voir un type tout noir, rien de plus.

– Mais ce n’est pas tout. Je ne vais pas te forcer à affronter quelqu’un de plus fort que toi, évidemment, je ne suis pas un tyran. Haha, quoique.

Il se retourna à nouveau vers la foule, et son Œil s’arrêta sur une jeune fille, qui accouru aussitôt, en saluant le doyen de la même façon. Il semblait vraiment très respecté par ici.

– Doyen, mes salutations, dit-elle d’une voix mélodieuse.

– Osumba, voici Gao Yun. Elle est arrivée il y a une semaine, et vient d’ouvrir la deuxième porte Terrestre. Je pense qu’elle est une adversaire à ta taille. Si tu ne souhaites pas affronter Ren Fen, je t’autorise à défier Gao Yun.

Les deux jeunes gens, tous deux vêtus d’une robe grise sombre, me dévisageaient, attendant visiblement ma réponse. Ils avaient une étincelle dans les yeux, ils désiraient sans doute également échanger quelques coups avec moi, peut-être qu’ils se demandaient simplement ce que ça faisait de toucher cette peau noire, ou peut-être qu’ils aimaient simplement taper sur les gens. Dans tous les cas, je pouvais en affronter un des deux.

– Eh bien, merci, doyen.

Je rassemblais mes mains comme l’avaient fait les deux autres avant moi en signe de respect. Je tenais par là à remercier Wang Wei de ses actions. Après tout, je ne savais pas ce qu’il se passait ici, et j’étais certain de n’avoir aucune chance de me faire entendre. J’allais juste faire fuir tout le monde. S’il n’était pas arrivé, je me serais retrouvé seul sur la place des tournois, sans savoir de quoi il retournait.

– Alors ? Désires-tu combattre ?

 


 

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Comme d’habitude, fin des votes vendredi soir, le 07 septembre, à 23:00.


 

Concernant les réponses précédentes, nous avons un joli 75 à 39.
Je ne vais pas pousser les choses bien loin, en annonçant que s’il avait choisi le trésor, il se serait retrouvé avec un dé des dieux. Quant à son utilisation, le Bagua comme le dé étaient destinés à avoir une utilisation à long terme pendant de nombreux arcs, alors vous tomberez déjà dessus, même si ce n’est pas Osumba qui le maniera. Donc je ne vais pas spoiler immédiatement.

Raka
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20 thoughts on “LDO : Chapitre 6

  1. *Ding* Osumba a développé une nouvelle attaque : « UN CONTRÔLÉ !! », cette attaque ne marche ni sur les noirs ni sur les contrôlés, cordialement le système xD et merci pour le chapitre

  2. Merci pour ce chapitre

    Est-ce que une fois qu’il aura ses huit runes il pourra cultiver des techniques ?
    Poura t-il faire des fusions de techniques avec ses runes ?
    Poura t-il les faire évoluer (ou les désceller petit a petit vu qu’il n’était pas assez puissant pour libérer leur plein potentiel)?

    1. Ca fait beaucoup de questions, tout ça.

      1. La réponse est dans le texte. Non, il ne peut pas.
      2. No spoil 🙂
      3. Les faire évoluer non. Les runes s’adaptent à sa puissance, tout simplement. Par contre, oui, il peut à tout moment abandonner une rune pour la remplacer. S’il possède une rune des montagnes lui permettant la technique XYZ et qu’il en trouve une autre des montagnes lui permettant une autre technique qu’il préfère, il peut parfaitement abandonner la première sur place, c’est expliqué dans le texte.

  3. si j’ai bien compris il aura une rune de chaque type et celle du ciel doit être de son affinité(soit ténèbre) c’est bien ça ?

    1. Une rune n’a pas d’affinité.
      S’il trouve la rune « Petitpapanoël » qui représente le pilier du ciel, ce sera une rune « Petitpapanoël » de ténèbres parce qu’elle s’adapte. Une rune contient toutes les affinités. Après, il ne peut qu’utiliser les ténèbres, à priori.

  4. Merci pour le chapitre !
    Je voulais savoir : les runes sont des objets physiques (genres comme les orbes de SW) qui s’équipent dans des « slots » ou plutôt des objets non physiques genre une âme ou un truc stockable dans son dantian (genre les flammes de BTTH)

    1. J’ai pas lu SW donc je ne sais pas.
      Ce ne sont pas des objets physiques non. Ce sont des « ajouts » qui se stockent dans la technique et la complètent, un peu comme des types de munition dans certains jeux.

      Mais bon, vous découvrirez déjà tout ça le moment voulu.

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