MoL : Chapitre 30
MoL : Chapitre 32

Chapitre 31 – Marqué

 

Zorian observa le visage ricanant de son adversaire, son propre faciès un masque impassible et impénétrable. On y était. Ce dernier round allait décider du gagnant final, il n’y avait pas de doute là-dessus. Son adversaire pensait qu’il avait acculé Zorian mais celui-ci possédait une arme secrète – il avait percé les pensées de celui assis en face de lui et il savait qu’il avait d’ores et déjà gagné.

Les règles de ce jeu de cartes étaient après tout on ne peut plus claires.

— Douze de citrouille, annonça Zorian en plaçant sa dernière carte sur la table, faisant instantanément perdre son rictus à son adversaire.

Il tenta de conserver une attitude froide mais ne pouvait jurer ne pas avoir esquissé un léger sourire.

— Enfoi… Comment peux-tu être aussi chanceux ?! jura l’homme en claquant ses propres cartes au sommet du paquet – un vulgaire sept de chêne, très insuffisant pour gagner – et prenant une large rasade du verre de liqueur forte qu’il gardait à côté de lui. Il buvait bien trop si on demandait l’avis de Zorian, qui avait de plus en plus de mal à lire des pensées de plus en plus confuses… et comme il devenait plus difficile à lire, il n’en devenait pas meilleur au jeu, loin de là. Il n’aurait probablement même pas eu besoin de tricher pour gagner les deux dernières parties, mais tricher était après tout le seul intérêt de son petit manège – il avait rejoint cette table de joueurs pour pratiquer la lecture dans les pensées en environnement réel, pas pour détrousser de pauvres victimes de leur argent.

— Eh bien, je m’arrête là, déclara Zorian en se levant. C’était bien marrant mais je dois vraiment y aller, maintenant.

— Eh, tu ne peux pas partir comme ça, protesta l’autre en fronçant les sourcils. Ce n’est pas comme ça que ça marche ! Tu dois me donner une chance de récupérer mon argent !

— Orinus, t’es bourré, lui lâcha l’un des autres hommes à la table, l’un des deux adversaires qui avaient abandonné toute revanche bien longtemps auparavant et se contentaient de graviter autour de la table à jouer les juges et arbitres tout en buvant. Tu n’as rien perdu. C’est le gamin qui a récupéré le pognon qu’il avait perdu à la partie précédente. Personne ne doit rien à personne.

— Ouais, les cinq dernières parties ont été plus ou moins… jouées pour rien, ajouta l’autre observateur.

Zorian acquiesça. Même avec la lecture dans les pensées de son côté, il y avait des mains qui ne pouvaient simplement pas gagner. D’ailleurs, il avait abandonné quelques tirages volontairement afin de ne pas faire naître de soupçons chez ses partenaires de jeu.

— Nous sommes quittes à ce point, et je dois vraiment y aller, alors c’est le moment idéal pour arrêter, dit-il. Pourtant, si tu es si désespéré de prendre une revanche, je peux toujours te soulager de ton argent une autre fois. Je reste en ville pour un mois, de toute façon.

— Toi, me soulager de mon argent, ha ! La seule raison pour laquelle tu n’as pas fini en sous-vêtements, c’est parce que tu es immunisé à ma technique secrète ! cria à moitié Orinus.

— Essayer de bourrer la gueule du nouveau, c’est ta technique secrète, maintenant ? renifla son compère, amusé.

— Eh, mec, ne révèle pas mes secrets aux étrangers… Quel genre d’ami es-tu ? protesta l’ivrogne.

Après quelques minutes de chamailleries et de refus de se voir servir de l’alcool, Zorian finit par parvenir à s’en aller. Ignorant les questions rhétoriques d’Orinus sur l’éventuelle masculinité d’un jeune homme refusant de boire, il quitta l’auberge et partit à la recherche d’un coin isolé et hors de vue d’où il pourrait se téléporter sans inquiétude. Le jeu s’était révélé étonnamment amusant et utile en terme d’entraînement magique mais il ne mentait pas en disant qu’il avait affaire ailleurs. Le temps était crucial pour ce qu’il comptait faire.

Dans la boucle précédente, il avait appris que la plupart des mages de la liste de Kael avaient disparu ou étaient morts récemment. C’était, bien sûr, hautement suspect – il y avait bonne chance que cette histoire fût connectée à la boucle temporelle, ce qui signifiait qu’il devait en apprendre davantage.  Malheureusement, pendant la dernière boucle, il avait fait l’erreur de parler à Vani des disparitions et avait attiré l’attention de la police, qui s’était mise à pulluler autour des sites critiques. En conséquence de quoi Zorian avait été forcé de mettre tout ça de côté et d’attendre une autre boucle pour mener son enquête personnelle.

Ce qui fût exactement ce qu’il fit au moment où il s’éveilla à Cirin, dès lors qu’il eût l’occasion de quitter les lieux sans éveiller les soupçons de sa mère et de Kirielle. Comme il le pensait, virtuellement tous les mages étaient déjà manquants, même en ce premier jour. Quoi qui leur fût arrivé, ça leur était arrivé bien avant que la boucle ne démarre. Il n’y avait que deux exceptions : les deux mages dont la mort avait été confirmée au milieu de la boucle précédente étaient bien portants au début de celle-ci. Le premier, un prêtre nommé Alanic Zosk et spécialisé dans le combat contre les morts-vivants, avait été trouvé mort sans cause apparente quelques jours après le début du mois. Le deuxième était un alchimiste spécialisé dans la magie de transformation, Lukav Teklo. Il avait été tué par des sangliers pas très loin de chez lui, le soir du deuxième jour.

Naturellement, Zorian prévoyait de leur parler à tous deux, ce qui impliquer leur sauver la vie. L’alchimiste était prioritaire, car il mourait plus tôt et d’une cause très bien connue et donc évitable, ce qui expliquait l’empressement de Zorian de quitter leur partie de cartes : s’il synchronisait correctement ses actions, il arriverait chez l’alchimiste une heure ou deux avant son funeste destin. S’il devait mal planifier ou sous-estimer la contrainte de temps et que l’homme devait se faire tuer malgré ça, eh bien… Il y aurait un autre mois après celui-ci. Ce n’était pas comme s’il allait rester mort bien longtemps.

Il aurait pu le contacter plus tôt pour le prévenir, sans doute, mais comment aurait-il pu expliquer qu’il sût, pour l’attaque ? Il aurait simplement eu l’air suspect. D’ailleurs, il désirait que l’attaque se produise. Il doutait fort que ces sangliers fussent dans leur état normal et il voulait les examiner de près… et puis l’alchimiste allait se montrer bien plus utile s’il rencontrait un sauveur plutôt qu’un inconnu venu frapper à sa porte sans avertissement.

Après s’être téléporté juste devant la maison de l’alchimiste, il s’assura que celui-ci était toujours chez lui. Puis il décida d’attendre en restant hors de vue de toute fenêtre. S’il y avait une chose dont les petits villages de ce genre ne manquaient jamais, c’était les vieux, curieux et toujours prêts à jeter un œil dehors au moindre mouvement singulier. Honnêtement, certaines des vieilles femmes de Cirin passaient quasiment chaque minute de leur journée collée à la fenêtre, prenant note de tout ce qui se passait devant chez elles… Il avait perdu le compte du nombre de fois où elles l’avaient mis dans le pétrin avec ses parents quand il omettait stupidement de tenir compte de leur présence.

Il n’eut pas à attendre longtemps. Moins d’une demi-heure plus tard, l’alchimiste quitta sa maison. Être venu plus tôt avait été une bonne chose, finalement. Zorian se hâta de lancer un sort d’invisibilité sur lui-même et entreprit de suivre sa cible à une certaine distance. Il espérait rester suffisamment loin pour que l’homme ne trouve pas son intervention suspecte lorsqu’il s’élancerait pour le sauver mais il ne pouvait rien y faire. Il ne se sentait pas assez confiant pour mettre plus de distance entre eux, à moins qu’il ne désirât voir l’alchimiste se faire tuer avant de pouvoir intervenir. Selon son inconscience de la situation et ses capacités de combat, il pouvait très bien se faire massacrer en un instant.

Et l’attaque elle-même allait se produire d’un moment à l’autre, désormais. Le rapport qu’il avait lu disait que la victime avait été tuée juste en-dehors du village et Lukav traçait en ligne droite du village vers un campement proche. Prudemment, Zorian sortit sa baguette et affûta son sens spirituel à l’extrême limite afin de détecter les bêtes avant qu’elles n’apparussent.

Il ne découvrit rien sortant de l’ordinaire et fut tout aussi choqué que l’alchimiste lorsqu’un groupe de sangliers surgit d’un seul coup de l’orée de la forêt pour le charger. Tous deux se figèrent l’espace d’une seconde et avant qu’ils ne puissent réagir, les animaux avaient déjà parcouru la moitié de la distance les séparant de leur victime.

De façon assez embarrassante, l’alchimiste réagit le premier. D’un mouvement averti, il lança une bouteille sur la route des sangliers et se laissa immédiatement choir. Ne possédant pas les réflexes de l’alchimiste et s’imaginant trop loin pour être affecté par une quelconque bombe, Zorian choisit de simplement annuler son invisibilité et d’ériger un bouclier devant lui par précaution. Précaution qui s’avéra être une erreur, l’explosion assourdissante le laissant confus, des points lumineux se succédant çà et là dans son champ de vision pendant plusieurs secondes.

Lorsqu’il reprit ses esprits, il vit que l’explosion sur les sangliers avait eu son effet sur la horde – les bêtes avaient été éjectées dans tous les sens, tout comme l’alchimiste qui avait mal jugé la distance, et le sanglier de tête avait même été réduit en charpie mais les autres allaient plutôt bien, déjà sur pattes et convergeant à nouveau vers leur cible. Même celui avec une patte brisée se montrait assez obstiné pour tituber vers l’alchimiste, bien décidé à en finir, totalement inconscient de ce qui aurait dû être une douleur insoutenable.

Ils ne faisaient pas de bruit, n’étaient pas effrayés par le bruit et la lumière vive et ignoraient complètement des blessures sévères comme si ce n’était rien. Au temps pour l’idée qu’il s’agissait d’animaux normaux. Oh, bon, Zorian le suspectait un peu quand même… Agissant rapidement pour les empêcher de tuer l’alchimiste blessé, il lança une volée de cinq missiles magiques en direction des bêtes les plus proches de leur victime. Des écraseurs plutôt que des perceurs : s’il avait vu juste sur la nature de ces bestioles, des trous dans leur corps ne les ralentiraient même pas. Les missiles ne serviraient qu’à les propulser loin de leur cible pour donner à Zorian le temps de lancer un autre sort, moins orthodoxe, qu’il n’avait pas placé dans une baguette magique. Oh, et éventuellement attirer leur attention vers lui plutôt, bien qu’il fût certain que rien ne pourrait les faire changer de proie. Ils avaient clairement été envoyés pour tuer cet homme en particulier.

Les écraseurs percutèrent les flancs des bêtes, les envoyant bouler. Comme Zorian s’y attendait, les sangliers gigotèrent immédiatement pour se remettre debout comme s’il ne leur était rien arrivé et quatre autres créatures continuaient à courir vers le pauvre alchimiste. Il termina l’incantation de son sort avant leur arrivée, cela dit, et donna naissance à grand disque de force entre ses mains.

Ce disque était un puissant sort de découpe étonnamment léger en mana qui permettait au lanceur de piloter sa course pour changer sa trajectoire à volonté. Taiven n’en pensait pas plus que ça, comme ce n’était pas un type de sort on lance et on l’oublie mais plutôt du genre à demander une concentration constante. Et il se déplaçait plutôt lentement pour un projectile magique, également. Selon Taiven, des mages compétents auraient désenchanté le disque avant qu’il ne pusse les atteindre et sinon l’esquiver facilement. De plus, le lanceur de sort était une cible de choix, immobile et concentré.

Mais les sangliers ne pouvaient pas le désenchanter et ne possédaient aucune attaque à distance pouvant tirer avantage de la concentration de Zorian. À sa demande, le disque s’élança en avant, rasant l’herbe au plus près – à la hauteur qui s’avéra être celle des pattes des bêtes.

Zorian avait peur d’avoir surestimé la puissance de son attaque, qui se montrerait alors incapable de passer au travers de la chair et des os. La suite lui prouva que ses craintes étaient sans fondement : le projectile rencontra les pattes du premier sanglier et passa à travers sans résistance visible. Dans sa lancée, l’animal tomba et roula, les pattes séparées du corps. Sous les ordres de Zorian, le disque continua sa route vers le reste de la meute.

Au bout du compte, ça se joua à peu. D’un côté, les sangliers ne tentaient pas d’esquiver, se contentant de charger en ligne droit comme des abrutis et les intercepter était facile. D’un autre côté, Zorian n’avait aucune expérience avec ce sort et il manqua deux sangliers lors du premier passage. Heureusement, l’alchimiste avait déjà récupéré à ce moment et s’occupa des deux survivants en faisant surgir un arc d’épines acérées du sol devant lui à l’aide d’un sort d’altération. Les créatures étaient si insistantes qu’elles s’empalèrent sur ce rempart improvisé et y restèrent totalement coincées.

Zorian fronça les sourcils en s’approchant. Ces bêtes ne possédaient pas d’esprit, il l’avait réalisé désormais. C’est pourquoi il n’avait pas réalisé l’imminence de leur attaque – pour autant que son esprit était concerné, ces bêtes n’existaient pas. Couplé au fait qu’elles étaient toujours vivantes même avec les pattes séparées du corps et des blessures qui ne saignaient pas le moins du monde, la conclusion était maintenant évidente.

Son instinct ne l’avait pas trompé : c’étaient définitivement des morts-vivants. Pour autant qu’il le sût, les seuls êtres ne possédant pas d’esprit pour ce qui concernait la magie mentale étaient les gluants, slimes et autres oozes inclus, mais aussi les golems, les créatures sous l’effet de l’Esprit Vide, et les morts-vivants sans esprit. Les sangliers n’étaient clairement ni des golems ni une quelconque forme de gluants et il doutait que l’Esprit Vide eût pu être utilisé sur eux. L’absence de sang, de douleur et d’hésitation trouvait également dans ce fait une explication logique.

— Vous allez bien ? Vous avez pris un sacré coup lors de l’explosion, commença Zorian en tournant son attention vers l’homme qu’il était venu pour sauver.

Maintenant qu’il était si proche de lui, il pouvait voir que Lukav Teklo était un homme d’une quarantaine d’années, plutôt agréable à regarder. Des cheveux longs et noir lui courraient jusqu’au milieu du dos en rappelant la couleur de sa barbe parfaitement taillée, le tout surmontant un physique assez musclé. Zorian s’en surprit un peu, il s’attendait plutôt à quelque chose de plus… sauvage. Après tout, les villageois l’avaient décrit comme quelqu’un dédaignant les contacts humains et préférant passer son temps dehors.

— Ouais, ouais. Je vais bien, répondit-il en se remettant debout avant de vaciller dangereusement, poussant Zorian à le rattraper pour l’aider à retrouver l’équilibre. Merde ! L’arroseur arrosé hein ? Je n’ai même pas réussi à les ralentir, en plus. Ils ont parfaitement ignoré mon répulsif à animal. Ce qui veut dire qu’ils étaient probablement sous…

— Je suis sûr qu’il s’agit de morts-vivants, coupa Zorian.

— Quoi, vraiment ? s’écria Lukav en plissant les yeux vers les sangliers à proximité. Ma vision est encore un peu floue. Est-il… Est-il vraiment encore en train d’essayer de lutter dans les épines pour m’attaquer ?

— On dirait bien, ouais, confirma Zorian.

Lukav se mit à aboyer un torrent de mots dans un langage Khusky que Zorian ne reconnut pas. Il était presque sûr qu’il s’agissait d’insultes, cela dit, donc peut-être était-ce mieux ainsi.

— Je suis désolé, finit par s’excuser l’homme après s’être calmé un peu. Je ne voulais pas être malpoli. Je voudrais vous remercier, jeune homme. J’ai été chanceux que vous passiez par ici, je serais certainement mort dans le cas contraire.

— Eh bien, ce n’était pas entièrement de la chance, expliqua Zorian, provoquant un regard étrange de la part de son interlocuteur. Vous êtes Lukav Teklo, n’est-ce pas ? Je vous cherchais, suite au conseil de l’un de mes amis, Kael Tverinov.

— Ah, Kael ! s’illumina immédiatement Lukav. Bon garçon, c’est une honte qu’il ait arrêté de venir me voir quand il s’est marié à cette socière. J’espérais le recruter en tant qu’apprenti mais j’ai peur que Fria l’a eu la première et que contrairement à elle, je n’ai pas de mignonne petite-fille avec laquelle le tenter. Un alchimiste talentueux, ce gosse. Je vous demanderais bien ce qu’il devient mais nous pourrions faire ça chez moi, quand je me serais calmé un peu.

— Ce sera parfait, acquiesça Zorian. Cela dit, je voudrais jeter un œil à ces sangliers morts-vivants avant ça. Je suis presque sûr que quelqu’un vient de tenter de vous assassiner. Je ne pense pas que les sangliers se relèvent d’entre les morts sans aide.

— Oh, non, définitivement pas, acquiesça à son tour Lukav. Des morts-vivants mineurs de ce type sont techniquement des golems de chair, enchaînés à quelques esprits ou âmes placés dans leurs corps. Les seuls morts-vivants naissant naturellement sont les fantômes et quelques autres entités spirituelles. Alanic a toujours été clair à ce sujet. Je ne sais pas qui voudrait tenter de me tuer, moi en particulier plutôt qu’un autre, mais j’ai apparemment énervé un nécromancien quelque part. Ma chance. Je vais en faire part à la guilde et les laisser s’occuper du problème mais faites-vous plaisir, examinez tout votre soûl pour l’instant. Je suis moi-même plutôt curieux, mais la divination n’a jamais été mon truc et…

Zorian acquiesça et se mit au travail, utilisant un sort d’altération pour totalement bloquer le torse sans pattes du sanglier le plus proche afin qu’il cessât de bouger avant de commencer à l’analyser.

Comme il le craignait, il ne trouva rien de particulièrement utile et se trouva forcé de laisser la scène aux enquêteurs de la guilde. Suite au conseil de Lukav, il invoqua à nouveau le disque et amputa tous les monstres en une multitude de petits morceaux, n’en laissant qu’un seul entier. Lukav prétendait qu’un seul sanglier mort-vivant était suffisant pour la guilde, et il ne voulait pas risquer que son agresseur les retrouve, recouse leurs pattes et les relance à sa poursuite.

Le sanglier resté intact fut enterré profondément dans le sol grâce à un autre sort d’altération de Lukav, en attente de l’expertise des enquêteurs de la Guilde des Mages.

— Les zombies, les squelettes et autres morts-vivants ne sont pas aussi faciles à fabriquer que les histoires le prétendent, expliqua Lukav tandis qu’ils se dirigeaient vers sa maison. Plus simples que les golems, bien sûr, mais toujours une lourde dépense d’ingrédients alchimiques et de temps. Perdre une dizaine de zombies, juste comme ça, doit être un échec majeur pour quiconque me cible. Il serait stupide de les laisser récupérer de cette perte en leur donnant la possibilité de ramasser les cadavres dans un état réparable. Alanic m’a dit de toujours détruire tout mort-vivant neutralisé après un combat, juste au cas où son créateur aurait la possibilité de les remettre sur pied. Je ne pensais pas me trouve un jour en position de devoir appliquer ce conseil à la lettre, et nous y voilà.

— Pardonnez-moi mais cet Alanic dont vous parlez, est-ce Alanic Zosk ? demanda Zorian.

— Eh bien oui, confirma Lukav. Je suppose que Kael vous l’a recommandé également ?

— Oui. Il m’a donné une liste plutôt longue, en réalité, tous des mages de l’âme – vous étiez simplement le premier de la liste, répondit Zorian.

Le premier, il ne l’était pas vraiment, mais quelle importance ? L’homme lui fit signe de continuer.

— J’ai besoin de votre aide concernant un sort de l’âme qui m’a touché. Cela me gêne d’en parler ici, à découvert. J’espère que vous m’écouterez lorsque nous serons chez vous.

— Je comprends. Mais à moins que vous n’ayez été touché par un sort de transformation, je ne pense pas pouvoir faire grand-chose pour vous. Alanic est un bien meilleur choix – même s’il n’est pas spécialiste dans l’annulation de malédictions, il en connait au moins les bases. Bien sûr, il aurait été encore plus judicieux de demander l’aide de la Guilde mais je suppose que vous avez une bonne raison pour ne pas les impliquer.

— En effet, confirma Zorian. Et même si je réalise que la chance que vous puissiez m’aider est mai –

— Ho la, voilà des mots bien défiants, le prévint Lukav.

— – gres, j’espère que vous m’écouterez malgré ça et que vous tenterez de m’aider. Il est parfaitement possible que vous déteniez un élément clé de la résolution de mon problème, même si vous ne pouvez pas me donner la solution parfaite. Mon problème n’est pas une malédiction, en réalité. C’est assez exotique pour dépasser l’entendement de Kael, suffisamment pour qui m’eut recommandé d’aller voir Lac d’Argent si tout le reste échoue.

— Répétez ça ? demanda Lukav sur un ton incrédule. Il a recommandé cette vieille folle de sorcière comme solution à quelque chose ?

— Je sais, soupira Zorian, je sais. J’ai entendu d’une source sûre qu’elle avait demandé un sac d’œufs de chasseur gris au dernier type qui est allé lui demander de l’aide.

— Eh bien, voilà qui est juste ridicule, renifla Lukav dédaigneusement. Quelqu’un se moque de vous. Même Lac d’Argent ne ferait pas ça. Elle ne demande pas ce qu’une personne ne peut achever, et elle est très bonne pour juger ce genre de potentiel. Peu importe, je vais voir ce que je peux faire. C’est le moins que je puisse faire pour mon sauveur.

 

___

 

Après avoir atteint la maison de l’alchimiste, il remplit une missive à l’attention de la Guilde des Mages et paya un gosse du village pour jouer les coursiers jusqu’à Knyazov Dveri pendant qu’ils parleraient. Apparemment, ce gamin était est un très bon coureur et il avait déjà effectué ce genre de tâche pour lui dans le passé. Quoi qu’il en fût, il fallut à Lukav une heure complète pour être prêt à entendre parler du problème de Zorian, heure pendant laquelle Zorian expliqua la situation de Kael ; Lukav se calma progressivement et attendit que la potion qu’il avait bue pour soigner ses blessures fasse effet.

— C’est horrible. Je pensais qu’obtenir des nouvelles de Kael allait me remonter le moral après toutes ces histoires mais ça me déprime encore plus, dit Lukav.

Zorian resta silencieux et attendit simplement que Lukav continue. Après quelques secondes, le regard perdu dans le vide, l’alchimiste secoua la tête et soupira.

— Eh bien, je pense que la potion a agi maintenant, regarder la lampe ne me fait plus mal aux yeux et ma tête ne me donne plus l’impression d’être emplie de laine. Pensez-vous pouvoir m’en dire plus sur votre problème, maintenant ? La maison est équipée de protections de base afin de retenir tout espionnage mais ce n’est pas un travail de professionnel, juste quelque chose fait par un ami. Le village ne possède pas assez de mana pour soutenir quelque chose de plus substantiel en terme de protection permanente. Je suppose que nous pourrions nous rendre en ville et y louer une pièce privée dans une auberge de luxe mais ça risquerait de coûter cher et dépenser de l’argent de la sorte me révulse un peu.

— C’est bon, le rassura Zorian, qui avait déjà analysé la structure de la barrière entourant la maison et la trouvait suffisante – pas aussi efficace que ce que Zorian pourrait créer en une journée de travail mais loin devant une structure faite à la va-vite comme il comptait initialement le faire.

Après quelques secondes, il se mit à parler. Raconter l’histoire de la boucle temporelle était absolument hors de question, bien sûr, mais ça ne signifiait pas qu’il devait rester totalement vague à propos de la situation dans son ensemble. Il lui raconta être tombé par hasard au milieu d’un combat entre un mage et une liche, qu’il s’était fait toucher par un sort inconnu de la branche de l’âme et que même si ce mage inconnu l’avait désenchanté, les dégâts avaient été faits. Après avoir passé plusieurs semaines dans un était totalement maladif, il avait plus ou moins guéri, tout ça pour découvrir plus tard que le sort avait laissé sa marque sur lui, finalement. Zorian resta légèrement confus à ce moment, refusant de décrire quelles étaient les conséquences observables de ce sort en insistant simplement sur le fait que c’était privé.

— Difficile, conclut Lukav sur un ton insatisfait lorsque Zorian eût fini. Connaître les conséquences du sort est plutôt crucial pour deviner ce à quoi sert le sort, et quel était-il pour commencer, vous savez ? Vous êtes certain qu’il n’a rien à voir avec la transformation ?

— Absolument, confirma Zorian.

— Pas même une transformation partielle ? insista l’alchimiste. Souvenez-vous, toutes les transformations ne sont pas totales et n’impliquent pas de changements physiques évidents. La vaste majorité des améliorations magiques sont en réalité des transformations même elles ne font qu’augmenter la force et l’agilité. Ces sorts en appellent aux capacités d’autres créatures, transformant l’utilisateur de façon implicite.

— Je ne le savais pas, admit Zorian. Mais non, ce n’est pas l’effet d’une transformation. C’est plutôt… une expérience de projection astrale, mon âme quittant périodiquement mon corps avant d’y être à nouveau aspiré. Ainsi, les améliorations magiques sont en réalité des effets de transformation ? Est-ce pour cela qu’ils demandent des morceaux d’animaux ?

— Projection astrale ? répéta Lukav. Hmm, c’est logique. Certains sorts de la magie de l’âme affaiblissent définitivement les liens entre l’âme et le corps si on les utilise mal et vous avez dit que le sort que la liche avait lancé sur vous avait avorté. Non que laisser le sort se terminer aurait été une bonne idée, figurez-vous, mais certains arts nécromantiques sont tout aussi dangereux si on les annule de travers que sous leur forme brute. Vous avez clairement raison de chercher de l’aide à ce propos. Et oui, les parties d’animaux que l’on utilise le sont en effet afin de fournir au sort un exemple de ce que l’on cherche à transformer. Œil d’Aigle donne littéralement la vision d’un oiseau de proie, par exemple. La magie de transformation est très utile pour ce genre de transformations parce qu’elle est très facile à inverser.

— Vraiment ? Je pensais que la transformation était dangereuse, dit Zorian. C’est ce qu’on nous apprend à l’académie.

— Eh bien… Un peu, peut-être, admit l’alchimiste. Mais comparé aux alternatives, c’est incroyablement sûr. Vous voyez, lorsque vous lancez un sort simple de transformation sur vous-même, c’est un peu comme si vous déguisiez votre âme. Ne me regardez pas ainsi, c’est comme ça. Oui, le terme officiel est bien Carapace de transformation, mais ce sont vraiment de simples vêtements. Vous pouvez les enfiler, oui, et vous pouvez les enlever. Même si vous ratez le lancement du sort et ne pouvez revenir en arrière ou que vous vous retrouvez bloqué dans une forme alternative par un ennemi mal intentionné, vous n’êtes toujours qu’à une session de désenchantement près de revenir à la normale. Votre âme est toujours intacte et inchangée sous la carapace de transformation et une fois le sort disparu, votre forme normale peut être récupérée. Le problème, c’est que parfois, les gens peuvent aller trop loin dans la transformation et vous finissez avec, disons, un mage transformé en troll corps et esprit et qui tue sa famille entière avant que le sort arrive à court de mana et s’annule tout seul. Ou ils attachent le sort trop fermement à leur âme et ne peuvent plus revenir en arrière, coincés sous la forme d’un corbeau, d’un moineau ou quoi que ce soit incapable d’expliquer aux gens qu’ils ont besoin d’un désenchantement. C’est pourquoi les gens ne pratiquent plus vraiment de transformations au travers de sorts ou de rituels et se contentent d’acheter des potions aux gens comme moi qui savent ce qu’ils font. Aucune chance de se louper, on boit une potion faite par un expert et on est bien.

— Ah.

— D’un autre côté, quand vous jouez littéralement avec la chimie de votre corps, que vous utilisez un sort d’altération sur votre chair, vous faites généralement quelque chose d’irréversible, continua Lukav. Le corps humain est une machine complexe et je ne pense pas que quiconque en comprend suffisamment le fonctionnement complet pour l’améliorer sans risque. La plupart des potions qui ont pour but d’améliorer le corps grâce à une concoction exotique sont des stimulants, des drogues aux propriétés addictives ou qui provoquent des dégâts graves si on les utilise trop souvent. Et les sorts d’altération qui ciblent directement la chair viennent avec de sévères effets secondaires qui les rend difficilement rentables et sont une vraie saloperie à mettre en place, pour commencer. Je le sais bien, je suis assez souvent appelé pour m’occuper des dégâts causés par ce genre de magie. Mais je m’égare. Venez avec moi et je verrai si je peux faire quelque chose pour votre problème.

Lukav conduisit Zorian dans la cave, déverrouilla plusieurs portes et ils finirent par atteindre une grande pièce souterraine. L’immense formule gravée au sol se présentait sous la forme de deux cercles, un grand et un petit, chacun d’eux bagué d’une multitude de runes et de glyphes et était une confirmation claire et nette que cette pièce servait à une quelconque sorte de rituel. Le fait qu’elle fût parfaitement cubique et aux dimensions égales dans toutes les directions était un indice de plus – des formes géométriques parfaites étaient plus efficaces pour contenir la magie que l’irrégularité, ce qui expliquait d’ailleurs pourquoi la magie Ikosienne était parsemée de cercles en tous genres, mais aussi de triangles, de cubes, de pyramides, etc.

Mis à part le cercle rituel au sol, la pièce était totalement vide et sans défaut – sans doute afin de minimiser les interférences. Zorian espérait qu’il n’aurait pas à se déshabiller pour ça – il avait entendu que certaines des analyses magiques les plus délicates se faisaient à même le corps nu et il n’était pas du tout enthousiasmé par cette possibilité.

Heureusement, les instructions de Lukav furent toutes autres.

— Très bien, laisse tout objet magique en-dehors de la pièce et entre au centre du grand cercle, juste dans cet espace vide, dit-il à Zorian.

Zorian était plus que réticent à l’idée de laisser ses objets magiques à l’extérieur car il se retrouverait totalement sans défense. Spécialement les trois anneaux à l’aspect totalement innocent qu’il portait sur une chaîne autour de son cou, sous ses vêtements. Ces anneaux étaient la dernière version de son mécanisme de suicide explosif qu’il avait régulièrement amélioré au cours du temps. Tout le monde pouvait créer un explosif en ayant quelques connaissances en formulation, évidemment, mais les rendre assez stables pour les empêcher de détonner par eux-mêmes tout en leur permettant de le faire au moindre signal de sa part ? Entourer le cœur explosif de suffisamment de barrières anti-divinations pour le rendre invisible à tout ce qui était spécifiquement étudié pour détecter ce genre d’outil, tout en lui permettant de les emmener absolument partout où il allait, y compris dans les bâtiments lourdement gardés de l’académie ? Les rendre si petits et pratiques pour qu’ils ne fussent pas une plaie à transporter ? Tout le monde ne pouvait pas faire ça, il en était certain.

Au bout du compte, il décida de tout retirer à l’exception du collier. Se faire tuer parce qu’il les gardait sur lui serait contraignant, mais se prendre une mutilation d’âme sans moyen de suicide serait irréparablement catastrophique. Il ne faisait pas confiance à Lukav à ce point, même si son empathie lui disait qu’il était suffisamment honnête et qu’il n’arborait que de bons sentiments à son égard.

Il déposa rapidement sa baguette magique, son bracelet bouclier, un sac de mini-cubes explosifs qu’il gardait dans un but offensif et le cœur d’automatisation expérimental qu’il travaillait durant son temps libre, le tout près de la porte d’entrée. Il entra dans la pièce et Lukav était déjà assis au centre du plus petit cercle, qui possédait lui aussi un espace vide en son centre. Zorian l’imita et s’installa sur le sol en pierre au centre du grand cercle. Il sentait que ça allait prendre un bout de temps.

Apparemment, la magie de Lukav ne pouvait pas détecter les anneaux du collier parce qu’il n’en fit pas mention.

— Vous n’avez aucune espèce de coquille autour de votre âme, déclara Lukav après 15 minutes d’examen. Je m’y attendais un peu. La maladie dont vous avez parlé, qui a suivi le sort en question, implique qu’une partie de votre âme a été touchée. Voyons si je peux détecter quelque chose d’étranger dans votre âme…

Maintenant, c’était ce qui intéressait Zorian. Il s’était demandé depuis longtemps maintenant quel part de l’âme de Zach résidait en lui et à quel point ça devait l’affecter de manière inconsciente. Il espérait que Lukav serait capable de faire la lumière sur cette histoire.

Après plus d’une demi-heure d’incantations et beaucoup de sourcils froncés, l’alchimiste était enfin prêt à établir son rapport final.

— C’est étrange. Il y a définitivement quelque chose d’intriqué dans votre âme mais c’est différent de tout ce que j’ai pu voir. En réalité, vous en avez deux. L’une est une espèce de morceau de ce qui semble être un sort extrêmement compliqué et complexe fixé incroyablement bien à votre âme, clairement pas une magie de l’âme ou quoi que ce soit que je reconnaisse. Très étrange qu’une chose si complexe puisse résultat d’un sort avorté. Je ne vous traite pas de menteur mais ça n’a aucun sens à mes yeux. L’autre chose… eh bien, c’est sûr, c’est un morceau d’une âme qui n’est pas la vôtre, fusionnée avec la vôtre pour de bon. Mais… Je ne pense pas que vous deviez vous en inquiéter autant. Ce n’est ni un esprit ni un parasite de l’âme et ce morceau d’âme étrangère semble être en train de se dissoudre dans votre âme. Dans un an ou deux, elle aura disparu, totalement assimilée.

— Quel genre de conséquence est-ce que ça va avoir ? s’enquit Zorian, nerveux.

— Aucune conséquence, à mon avis. Votre âme semble convertir cette partie étrangère en une nouvelle partie d’elle-même plutôt que de la garder distincte. Alors il ne devrait y avoir aucun souci majeur, pas de changement de personnalité et vous n’obtiendrez pas de compétences étranges de la part de celui qui a partagé une partie de son âme avec vous. Encore que… je suppose qu’il est possible que ce fragment ait affecté votre personnalité au moment où vous l’avez eu, avant que votre âme n’ait eu la chance de l’assimiler suffisamment, et ces influences pourraient perdurer. Pensez-vous et agissez-vous de façon radicalement différente depuis l’incident ?

Zorian fronça les sourcils.

— Pour être parfaitement honnête, oui, je suis plutôt différent de celui que j’étais mais je ne suis pas sûr de pouvoir faire le rapprochement. L’incident a été assez traumatisant et il s’est passé beaucoup de choses assez folles depuis…

— Je comprends, acquiesça Lukav avec le sourire. Votre vie a pris une course totalement différente après la rencontre avec le côté obscur de la magie. Vous avez changé quoi qu’il arrive et les perturbations de ce fragment d’âme sont perdues dans un bruit de fond. Si vous voulez un conseil de ma part, ne vous en inquiétez plus. Vous êtes celui que vous êtes actuellement et ce fragment n’a pas d’influence – n’en a plus, en tout cas. Si les métamorphes peuvent prétendre à rester les mêmes individus après avoir collé une âme animale à la leur, je ne vois pas ce qu’une petite noisette d’âme pourrait vraiment provoquer.

— Je suis inquiet, c’est ma nature, avoua Zorian. Bien que de savoir que ce fragment n’a pas d’influence me fasse me sentir mieux.

— Eh bien, reprit Lukav en se remettant debout dans un craquement audible de la part de ses articulations, je suis heureux de vous avoir au moins soulagé d’une partie de vos peurs mais c’est le maximum que je peux faire pour vous, je le crains. En ce qui concerne l’étrange sort ancré à votre esprit, vous allez devoir en discuter avec Alanic. Il a tendance à être très méfiant envers les étrangers et les visiteurs surprise mais je vais vous accompagner afin que tout se passe bien. Vous m’avez sauvé la vie, après tout. Y a-t-il autre chose qui nécessite mon aide ?

— Eh, non, pas vraiment, répondit Zorian. Mais si je puis vous déranger encore un peu, que pouvez-vous me dire au sujet des métamorphes ? Vous avez mentionné leur nom plusieurs fois aujourd’hui. Êtes-vous en contact avec la tribu des Lycanthropes, à tout hasard ?

— Pas vraiment, non, fit Lukav en secouant la tête. Je veux dire, je pourrais les localiser si j’avais une semaine ou deux mais je préfèrerais ne pas avoir à le faire. Leur parler est ennuyant et ils ne m’aiment pas vraiment depuis cette fois où j’ai tenté de monnayer le rituel de métamorphose…

— Ah, comprit Zorian avec une pointe de déception. C’est parce que j’ai parlé à Vani, l’érudit local en ville, et il m’a recommandé de tenter de les contacter. Pensez-vous que l’idée à un quelconque mérite ?

— Si l’on pense uniquement à leur expertise en matière de magie de l’âme, peut-être, même si je ne parierais pas dessus. Mais je doute vraiment, vraiment qu’ils accepteraient de vous aider, de toute façon. La tribu des Lycanthropes dont Vani a probablement fait mention, la Tribu du Croc Rouge, est extrêmement protectrice en ce qui concerne leur magie et regarde d’un mauvais œil toute personne qui s’y intéresse. Diable ! Ils n’en discutent même pas avec les autres tribus de métamorphes ! Posséder l’exclusivité d’une magie de métamorphose est un prestige à leurs yeux et ils ne désirent le partager avec personne.

— Alors pourquoi leur avoir proposé de leur acheter leurs secrets ? s’étonna Zorian.

— Eh bien, je ne savais pas tout ça, à ce moment-là. Comment pouvais-je être supposé être au courant de choses du genre alors qu’ils ne parlent à peu près à personne ? râla Lukav. D’accord, oui, je me suis peut-être montré un peu trop insistant mais ils auraient pu m’expliquer les choses poliment plutôt que d’en faire toute une histoire.

— Je vois, répondit Zorian prudemment.

Lukav n’était probablement pas la personne la mieux placée pour l’aider à contacter cette tribu, finalement. Mais bon, il avait désormais une bien meilleure piste du nom d’Alanic.

Il se mirent d’accord : Zorian passerait le voir le lendemain soir afin qu’ils puissent aller rendre visite à Alanic tous deux. Ils étaient des vieux amis selon Lukav et le prêtre serait plus facile à approcher s’il se trouvait là pour se porter garant de cette nouvelle tête inconnue.

Zorian espérait que le prêtre allait se montrer aussi utile que Lukav le prétendait.

 

___

 

Le lendemain, Zorian passa la matinée entière à s’entraîner à lancer le sort du disque pour s’assurer un contrôle parfait la fois suivante, en basculant sur divers exercices de lévitation quand il s’ennuyait ou qu’il arrivait à court de mana. Comme la soirée approchait, il se téléporta au village de Lukav et y passa une bonne heure à discuter de tout et de rien en sa compagnie. Zorian n’en était pas sûr mais il lui semblait que l’alchimiste avait sous-entendu qu’il y avait une possibilité qu’il lui enseigne certains de ses secrets. Bien entendu, ce serait probablement avec un contrat d’apprentissage s’il voulait accepter l’offre mais avec la boucle temporelle, ce genre d’obligations n’était pas permanent par nature. Peut-être devrait-il consacrer un mois ou deux afin de voir ce qui l’homme avait à partager ; mais la magie de transformation n’était simplement pas une priorité à l’heure actuelle. Il avait besoin d’informations et de défenses contre la magie de l’âme avant toute autre chose.

Au bout d’un moment, ils se mirent en route. Lukav voulait y aller à pied mais Zorian avait posé son véto, insistant sur la perte de temps que cela représenterait alors qu’il pouvait simplement se téléporter à destination. Bien sûr, sa seule expérience dans la téléportation d’autres personnes que lui venait du moment où il avait fui avec Gurey mais il était confiant, il arriverait à reproduire cet exploit. Et il s’avéra qu’il avait raison.

— Je suis surpris qu’un jeune homme de votre âge puisse se téléporter, admit nonchalamment Lukav en regardant autour de lui pour déterminer où exactement ils devaient d’arriver.

Ils n’étaient pas très loin du temple dans lequel officiait Alanic et qui lui servait de demeure mais Zorian choisit de ne pas apparaître trop près car Lukav avait indiqué que le prêtre pouvait le montrer suspicieux face à ce genre de choses.

— Vous avez quoi, 16 ans ? Je suppose que j’ai enfin rencontré un de ces gamins de génie dont on parle parfois. Vous n’êtes pas ce Kazinski, n’est-ce pas ?

— Non, je porte simplement le même nom que Daimen Kazinski, mentit Zorian.

— Je m’en doutais un peu, soupira l’homme. Vous devez entendre cette question tous les jours.

— Vous n’avez pas idée, soupira également Zorian, remerciant le caractère commun de son nom, porté par suffisamment de gens pour que personne ne l’accusât de mentir quand il disait ne pas être lié à Daimen.

Quoi que Lukav eût tenté de dire ensuite fût prestement coupé par des bruits d’explosion provenant du bâtiment devant eux, immédiatement suivis par des cris de colère et des coups de feu.

Zorian sortit rapidement sa baguette et fit une grimace. Il avait craint cette situation. Quiconque était derrière ces disparitions avait remarqué que l’assassinat de Lukav avait échoué et avait décidé d’agir vite pour éliminer la dernière cible. Sans aucun doute, cette personne savait que Lukav et Alanic étaient amis et que le prêtre allait rapidement apprendre ce qui était arrivé à l’alchimiste.

Il s’avança prudemment, Lukav sur ses talons.

Il n’y avait pas de morts-vivants cette fois, probablement parce que la cible était un fameux chasseur de zombies et serait fatalement bon contre eux. Au lieu de ça, les attaquants n’étaient qu’une quinzaine d’hommes armés de fusils, probablement des mercenaires classiques, et deux mages agissant en support. Ils hésitaient à simplement envahir le temple d’Alanic pour une raison quelconque et se contentaient d’attendre à l’extérieur que quelque chose se produise. Peu décidés à charger un groupe d’hommes armés comme des imbéciles, Zorian et Lukav se cachèrent derrière des arbres pour observer le siège.

— Ils tentent de démolir les barrières avant d’entrer, réalisa Zorian après quelques secondes. Le mage à droite essaye de provoquer l’effondrement de la structure magique entière, celui sur la gauche le protège des représailles tandis qu’il est occupé à la tâche. Les mercenaires armés tirent régulièrement vers la fenêtre pour empêcher Alanic de leur lancer des sorts offensifs.

Un crachat de feu ponctua son explication en sortant d’une fenêtre du deuxième étage, clairement dirigé vers le mage qui essayait d’abattre les barrières magiques et les tireurs répondirent par une salve de balles vers la fenêtre.

— Il nous faut l’aider, affirma Lukav.

— La seule option que je vois est d’attendre une ouverture, dit Zorian. Je ne trouve pas de moyen d’agir qui ne nous ferait pas tuer immédiatement.

— Pouvez-vous vous occuper des deux mages si je me charge de ces idiots armés ? demanda aussitôt Lukav.

Zorian le regarda d’un air bête. Comment comptait-il faire ça ? Était-il l’un de ces imbéciles surestimant ses propres capacités par rapport à l’efficacité des armes à feu ?

— Alors ? insista Lukav, un peu plus durement.

Décidant qu’il fallait prendre un risque, Zorian parcourut les pensées de surface de l’alchimiste pendant quelques secondes. Il réalisa rapidement que l’homme tenait profondément à Alanic et ne supporterait pas de le voir mort s’il pouvait y faire quelque chose, n’importe quoi. Il était prêt à agir avec ou sans Zorian mais il pensait honnêtement qu’il pouvait neutraliser les fusilleurs. Cela dit, il était bien moins certain de sa survie s’il devait en plus faire face aux mages.

— Je peux m’en occuper, ouais, confirma Zorian. Attendez deux minutes et chargez.

Il lança aussitôt un sort d’invisibilité sur lui-même et s’avança en direction des mages ennemis.

Il ne marchait pas pour rendre la scène plus dramatique – le sort d’invisibilité qu’il utilisait était une illusion d’optique délicate qui demandait une concentration parfaite et constante. Tout distraction, comme un combat ou un sort perdu, l’aurait immédiatement annulé. Il ne pouvait même pas courir sans devenir une silhouette humanoïde qui attirerait bien plus l’attention qu’une approche lente à découvert.

Cela dit, une marche rapide s’avéra être suffisante. Il était pratiquement sur les deux mages lorsque Lukav s’impatienta d’attendre et chargea dans la mêlée avec un cri de bataille.

Chargea, oui. En tout cas, il s’imaginait que ce qui arrivait à grands coups de sabots était Lukav. Cet énorme taureau couvert d’écailles d’un vert sombre luisant, les yeux luisant d’un rouge malveillant, semblait être quelque chose qu’un expert en magie de transformation comme Lukav pourrait imaginer être un bon moyen de s’occuper de 15 homme armés. La bête laissa échapper un hurlement sourd qui possédait un quelconque effet de terreur. Zorian ignora l’attaque mentale assez facilement mais trois des mercenaires s’enfuirent immédiatement en criant. Le reste d’entre eux tremblaient suffisamment pour donner au taureau le temps de s’approcher avant d’ouvrir le feu.

Comme Zorian s’y attendant, ces écailles n’étaient pas là pour la décoration et les balles ne s’avérèrent pas très utiles. Les deux mages hostiles semblèrent réaliser que leur équipe n’allait pas faire long feu face à cette nouvelle menace parce que celui qui défendait l’autre abandonna sa tâche précédente pour lancer un sort et celui qui brisait la barrière accéléra. Décidant que le défenseur était le plus menaçant des deux, Zorian décida de ne pas s’embêter avec une quelconque incantation et sortit un couteau de sa ceinture, qu’il planta violemment dans le cou du mage, abandonnant son invisibilité au passage.

L’autre mage ne réagit pas assez rapidement, trop choqué par l’attaque surprise de Zorian, et se prit un coup de pied rapide dans les parties intimes – méthode efficace et prouvée. Il s’effondra au sol dans le même mouvement en gémissant comme une bête mourante. Après avoir regardé s’il les mercenaires étaient sur le point de lui tirer dessus – et ils ne l’étaient pas, trop occupés à se faire piétiner par le monstre vert – Zorian se connecta à l’esprit du mage au sol et le bombarda immédiatement d’un assaut télépathique brutal. L’homme perdit connaissance comme l’espérait Zorian, hors de combat pour de bon.

Avant que Zorian pût décider s’il devait s’immiscer dans le combat contre les hommes armés, ce qui semblait bien peu nécessaire – et il n’était pas immunisé aux balles comme l’était Lukav – un trio de projectiles enflammés se mit à pleuvoir du deuxième étage et incinéra trois des mercenaires précédemment en fuit et qui tentaient de rejoindre leur groupe à nouveau. La bête laissa échapper un hurlement de terreur une deuxième fois et ce fut suffisant pour faire courir le peu de survivants.

Zorian les regarda détaler, prêt à ériger un bouclier à la moindre balle de la dernière chance de leur part. Mais pas un seul d’entre eux ne tourna même la tête.

Le taureau renifla violemment et d’un air hautement dédaigneux tout en frappant le sol de ses sabots avant de soudain… se replier sur lui-même, à défaut d’un autre terme, pour redevenir un homme. Spécifiquement, Lukav.

Mec, la transformation était mille fois plus utile que ce qu’il avait imaginé. Il comprit pourquoi Lukav avait été réticent à attaquer les hommes sans s’occuper des mages en premier lieu – sans mains, l’alchimiste n’aurait jamais pu lancer de sort défensif sur lui-même et se trouvait très vulnérable au moins désenchantement ou à toute magie hostile.

Toute question fut aussitôt remise à plus tard au moment où un petit chauve musclé tomba simplement du ciel, juste devant eux. Il fallut à Zorian presque une seconde pour réaliser qu’il s’agissait forcément d’Alanic Zosk et qu’il venait de sauter de la putain de fenêtre du deuxième étage, bordel de merde !

Et il avait l’air totalement frais après une chute pareille, quand même !

— Al, espèce d’idiot, je t’ai dit de ne plus faire ce genre de connerie ! cria Lukav. J’ai failli te faire exploser avant de comprendre que c’était toi !

— Toi, gamin, dit Alanic en se tournant vers Zorian. Pourquoi les avoir laissé fuir ? Tu aurais pu les cueillir comme des fleurs pendant qu’ils couraient.

— Je… ne pense pas qu’il soit correct de tuer des ennemis en fuite ? bafouilla Zorian, surpris d’avoir été mis en lumière de la sorte. Je ne sais pas, ça me semble bien trop froid et sans cœur de leur tirer dans le dos alors qu’ils avaient abandonné.

Un silence assez court s’ensuivit et Alanic l’observa avec attention. Son esprit, bien que non protégé, était incroyablement bien discipliné et n’offrit à Zorian aucun indice quant à la personnalité du prêtre, pas plus que sur son humeur. Il remarqua par hasard qu’un de ses yeux était bleu et l’autre brun ; une horrible cicatrice verticale courait de part et d’autre de l’œil bleu, si horrible que Zorian se demanda comment il avait fait pour encore avoir un œil valide dans cette orbite.

— Je vois, dit-il finalement. Tu es jeune.

— Qu’est-ce que ça a à voir avec… Avec quoi, d’ailleurs ? protesta Zorian, contrarié par l’attitude d’Alanic – ils venaient juste de lui sauver la vie, bordel de dieu !

— Tu ne te bats pas depuis bien longtemps, continua simplement le prêtre. Tu manques d’expérience.

Ouais, et toi t’es un trou de balle depuis trop longtemps, tu es trop expérimenté, songea Zorian en se contentant de froncer les sourcils.

Ouais, Zorian pouvait déjà voir qu’Alanic était l’une de ces personnes. Il avait vraiment la pire des chances.

 

___

 

Alanic Zolsk s’avéra être plutôt calme, si l’on considérait l’assaut ouvert que son temple venait d’essuyer, sous le feu nourri de dieu savait combien de mercenaires armés et refusa net lorsque Lukav lui proposa d’aller en avertir immédiatement le bureau de la Guilde des Mages le plus proche. Il était trop tôt pour les impliquer, d’après lui. Il plaça même le mage inconscient en cellule, dans le donjon situé au sous-sol du temple. Pourquoi exactement un temple possédait-il un donjon et des cellules au sous-sol, Zorian avait peur de le demander. Il admit ouvertement qu’il allait l’interroger plus tard.

En attendant, il voulait savoir ce pourquoi Zorian et Lukav étaient venus le voir. Non, il n’avait pas besoin de temps pour se calmer, pourquoi ces deux-là passaient-il leur temps à le lui demander ?

Zorian dut admettre qu’il admirait le sang-froid du prêtre, à défaut d’autre chose et même s’il était un gros connard.

— Intéressant, conclut Alanic une fois que Zorian lui eût raconté la même histoire qu’à l’alchimiste. Très bien. Je vais voir ce qui t’a été fait. Lukav, quitte la pièce un instant, veux-tu ?

Juste comme ça ? Apparemment… oui. Contrairement à Lukav, Alanic n’avait pas besoin de salle du rituel, de cercle ou d’autres accessoires et l’examen dura cinq petites minutes.

— Il y a un marqueur imprimé dans ton âme, mon garçon, lui lâcha-t-il sans tact.

— Un quoi ?

— Un marqueur. La combinaison d’un flambeau et d’un mécanisme d’identification. Un marqueur est fait pour être trouvé par un sort même au-delà de grandes distances et identifie sans ambigüité ce sur quoi il est imprimé. Ils sont souvent utilisés par les marchands de boutiques luxueuses, dira-t-on, afin de retrouver les objets en cas de vol. Dans les prisons de haute sécurité également, pour espionner et pister certains individus marqués. Dans la construction de certaines barrières, afin de permettre à des personnes de passer en interdisant l’accès à d’autres. Tout ça parmi d’autres choses… Les marqueurs sont habituellement placés sur les objets car les imprimer de façon permanente sur des êtres humains est immoral et illégal tout en nécessitant l’utilisation de tatouages qui peuvent être effacés. Bref. Le vôtre, il est imprimé directement dans votre âme.

Zorian resta silencieux, ses pensées en ébullition. Un marqueur. C’était pour ça qu’il s’était fait prendre dans la boucle temporelle avec Zach, hein ? Le sort n’était pas censé trouver l’âme d’une personne, ce genre de reconnaissance pouvant échouer de diverses façons plus ou moins graves.  Non, les créateurs du sort avaient imprimé l’âme de Zach avec quelque chose d’impossible à louper et d’inamovible.

Puis, lui et Robe Rouge en avaient hérité, parce que les créateurs de la boucle étaient trop intelligents pour leur propre bien…

— Retirer le marqueur – commença Alanic, inconscient et insouciant de l’état d’esprit de Zorian.

— Je ne veux pas le retirer ! protesta immédiatement Zorian, provoquant un regard étrange de la part du prêtre.

— Je suppose que tu es chanceux, dans ce cas, parce que je ne pense pas être capable de le retirer même si j’essayais, conclut Alanic. C’est différent de tout ce que j’ai vu jusqu’à présent. Le marqueur est profondément incrusté dans ton âme, enraciné, presque… fusionné, il en connait chaque recoin. C’est comme si une partie de ton âme avait été remplacée par ce marqueur et qu’il avait ensuite grandi pour en devenir une partie inextricable.

Oh, putain…

Zorian se leva, agité, et commença à parcourir la pièce de long en large. Alanic le regarda faire sans dire un mot, sans montrer ses sentiments. Quand Zorian finit par se calmer un peu et qu’il se rassit, il l’écouta parler.

— J’ai besoin de plus d’informations, dit-il. Et il me faut un moyen de me protéger contre ce genre de choses à l’avenir. Pouvez-vous m’aider ?

Alanic hocha immédiatement la tête.

— Bien sûr, ajouta-t-il. Mais demain. Pour l’heure, j’ai un prisonnier à interroger.

Raka
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7 thoughts on “MoL : Chapitre 31

  1. Merci beaucoup pour ce chapitre, ça fait du bien de finir une très dur journée par une lecture agréable et surtout des réponse a certaines questions ^^.

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