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Chapitre 113 – L’offre et la demande (10)

 

— Tu te fous de moi ?! s’écria le slime.

J’étais en larmes. Impuissante et inerte, au sol. À genoux dans ma propre culpabilité, encore une fois. J’avais définitivement compris qu’Arthur n’était pas le roi cruel et froid que Friderik m’avait décrit et qu’il avait été changé par Lancelot lors de son arrivée. Je… Je me disais que je pourrais peut-être faire quelque chose pour lui, un jour. Si le système l’avait créé ainsi, il y avait forcément moyen de changer la donne ! Après tout, n’étais-je pas maîtresse des bugs en tout genre ?

Mais voilà qu’en sautant de mon épaule, Friderik avait légèrement poussé sur mon bras et rien qu’une goutte de vin avait perlé entre les lèvres entrouvertes et béates d’Arthur. Je n’avais rien pu y faire, même avec la meilleure volonté du monde.

Et bien sûr, c’était ma faute. Si je n’avais pas forcé pour faire fuir Lancelot de la sorte, la bouteille n’aurait pas été si proche de la bouche du roi ; je ne l’aurais pas drogué. Je savais bien que mes remords étaient désormais inutiles mais je ne pouvais m’empêcher de culpabiliser malgré tout, de revoir la scène, de me demander ce que j’aurais dû faire pour changer les choses… Pour ne pas condamner le roi.

Maintenant, il allait devoir consommer du vin régulièrement afin de ne pas sombrer dans la folie.

Mais… Si je mettais de côté tous les drogués désormais morts, peut-être était-ce faisable. Il était le seul à qui je devrais fournir du vin. C’était faisable, n’est-ce pas ?

— Arthur… commençai-je à voix basse tout en sanglotant encore.

Il se tourna vers moi, le sourcil levé.

— Oui ? Laisse-moi deux minutes, je suis en train de me remettre de l’une de ces absences dont je te parlais un peu plus tôt. J’en ai subi une il y a quelques…

— Je sais, le coupai-je d’une voix décidée, je sais. Lancelot est responsable. Tu avais raison, sur toute la ligne. Il n’est plus le même… Ou plutôt, il a peut-être toujours été ainsi…

— Comment ça ? s’étonna-t-il.

— Il… C’est un fanatique. Il t’adule en tant que roi, mais je pense qu’il est surtout obsédé par l’existence et la position de Camelot. Sinon, pourquoi aurait-il créé tout ça ?

Arthur ne comprenait pas ce que je racontais et je ne pouvais pas lui en vouloir.

— Je t’expliquerai tout bientôt. Mais avant ça, ressens-tu un besoin ? Désires-tu ce vin ? Tu sais, il est à l’origine de la folie de toutes ces personnes, en ville… et maintenant que tu en as bu, tu vas sombrer, toi aussi.

Arthur m’adressa un sourire amer.

— J’avais compris. Non, je ne ressens pas de besoin. Peut-être parce que je n’en ai pas bu assez et même si la goutte que j’ai avalée était fort délicieuse, je ne saurais dire. Le King est peut-être au-dessus de tout ça, qui sait ? Ha ha.

— Tu peux rêver, lâchai-je dans un souffle.

— Pardon ?

— Non, rien.

Je secouai la tête d’un air résigné.

— Tu vas en avoir besoin, à un moment où un autre. Peut-être que la quantité joue un rôle en effet… mais ce sera une fatalité. Fais-moi confiance, je sais de quoi je parle. Ce vin est produit par des géants de niveau supérieur à quatre étoiles, et il n’y a aucun moyen d’en éviter les effets.

Le roi fronça légèrement les sourcils, pensif.

— Des géants ? Je ne vois pas de quoi tu veux parler. Il n’y a pas de géants sur Albion. Viennent-ils d’un donjon ?

— Non, je… Eh, oui. J’ai obtenu ce vin dans un donjon, en effet.

J’avais failli lui dire un mot de trop. Finalement, il m’avait donné lui-même la solution, un mensonge parfait pour ne pas lui avouer que je n’étais pas une exploratrice.

— Tu as réussi à vaincre des monstres à quatre étoiles ? Toi ? s’étonna encore une fois le roi.

— Non. Je…

Voulait-il m’acculer ? Me faire dire des choses ? Mais il ne me connaissait pas. J’avais beaucoup appris depuis ma renaissance.

— …Je le leur ai dérobé avant de mourir, et de renaître en ville.

Arthur tapa son poing dans la paume de sa main, comme si je venais de lui révéler une évidence.

— Mais bien sûr ! Je comprends, maintenant.

Il hocha la tête dans ma direction.

— Je te fais confiance. Quelque chose me dit que tu sais ce que tu fais, malgré tout… finit-il par avouer.

— Pas vraiment, mais je fais au mieux.

— Tu dis que je vais avoir besoin de boire ce vin si je ne veux pas devenir fou, c’est ça ? s’enquit-il pour être bien sûr d’avoir compris.

Ce fut à mon tour de hocher la tête.

— C’est exact. Et je vais t’en ramener régulièrement. En fait, tous les jours. Fais ce qu’il faut pour ne pas le boire trop vite, pour ne pas en consommer de trop. Comme ta première dose a été si minime, peut-être seras-tu capable d’en contrôler le désir, dans une certaine mesure…

Le roi haussa les épaules tout en se retournant pour observer la pierre où aurait dû être incrustée Excalibur.

— Je ferai ce qu’il faut. Mon royaume au besoin d’un roi et je suis intimement persuadé que Lancelot, malgré l’amour que je lui porte, n’a pas la carrure pour diriger Albion avec droiture. Je ne peux pas le laisser faire.

Avait-il compris que Lancelot tirait les ficelles ? Je comptais le lui dire lui raconter toute l’histoire, sa création par le système compris. Mais se pouvait-il qu’il se doute déjà de quelque chose ?

— Arthur… Lorsque je reviendrai, demain… Je te raconterai tout. L’histoire d’Albion et… Prépare-toi à entendre des choses qui ne vont pas forcément te plaire.

Sans se retourner, sans me regarder, il acquiesça en silence. Je pouvais sentir le poids de la vérité qu’il désirait tant connaître durcir son visage. Il ne prononça pas un mot de plus et quitta les lieux. Juste avant qu’il ne disparaisse entre les arbres, je lui lançai une dernière chose.

— Rendez-vous ici, au prochain coucher de soleil !

Il s’arrêta quelques secondes et se faufila entre les arbres de la forêt.

Friderik me regarda, l’air étonné.

— Tu aurais pu lui en donner tout de suite.

Je secouai fermement la tête.

— Non. Il y a fort à parier que Lancelot l’attend et va se précipiter pour vérifier que tout va bien. Si je lui en avais donné, …il l’aurait pris. Ou pire, il aurait pu se douter de ce qu’il s’est réellement passé et je ne sais pas comment il pourrait réagir.

Sans un mot de plus, nous fîmes demi-tour pour entrer dans le donjon du lac.

 

**

 

— On dirait que nous allons devoir rester encore un moment sur Albion, finalement. Je n’aime pas ça mais je ne peux pas laisser le roi comme ça.

J’avais décidé de couper les ponts avec Albion mais maintenant, je me sentais obligée de fournir Arthur en vin le temps que Pythagore et Joc puissent développer quelque chose ressemblant de près ou de loin à une cure de désintoxication. Sans même parler du fait qu’il se faisait manipuler par Lancelot de bout en bout, chose pour laquelle je ne pouvais pas grand-chose, il fallait que je fasse amende honorable au moins pour le fait de l’avoir entraîné dans cette histoire.

— Et tant pis pour les dangers. Je ne suis plus vraiment à ça près. J’espère juste que Lancelot ne va pas faire quelque chose que je vais regretter… murmurai-je.

Joc secoua la tête.

— Non, je suis sûr qu’il ne fera rien. Il n’est pas idiot et il a déjà dû remarquer qu’Arthur était drogué au vin. Même si ce n’était pas le cas, il ne peut pas exclure cette possibilité. Après tout, si ce que tu m’as raconté est vrai, il s’est enfui la queue entre les jambes et il ne pouvait pas savoir si oui ou non tu avais faire boire Arthur.

Ça faisait du bien de pouvoir discuter de tout ça avec un visage connu et qui inspirait confiance. Finalement, je n’avais pas détruit mon donjon du lac, en ayant toujours besoin pour aller voir Arthur.

— Je pourrais aussi le remplacer par un donjon à l’intérieur même du château… Mais quelque chose me dit que Lancelot ne me laissera pas faire.

— Non, me reprit Joc, ne fais pas ça. Les choses telles qu’elles sont actuellement sont dans son intérêt également : je suis sûr qu’il sait, pour le roi et le vin. Et il ne prendra pas le risque de le voir devenir fou. Fais-moi confiance sur ce point. Lancelot était un nom connu dans le système, et j’ai appris pas mal de choses sur son caractère.

Je finis par me résigner, incapable de contredire Joc. Il avait raison ! Lancelot ne pouvait pas se permettre de tout foutre en l’air juste pour me faire souffrir. Son royaume et son roi étaient infiniment plus importants que toute rancœur qu’il pouvait entretenir à mon égard et je pouvais, non, je devais en profiter. J’étais techniquement intouchable. S’il osait me faire quoi que ce fût, il se coupait de tout approvisionnement en vin et se condamnait à voir Arthur sombrer dans une folie démente.

Et Arthur était bien entendu la personne la plus importante à ses yeux.

— Très bien, Joc. Je le crois aussi, répondis-je calmement. Pour l’instant, allons voir où en est Pythagore. Viens, Friderik.

Le slime sauta sur mon épaule et nous nous rendîmes dans la hutte de mon vieil ami Grec, qui était étonnamment plongé dans ses recherches. Il y avait des lumières qui dansaient tout autour de lui, sur son plan de travail et des épluchures multicolores et tout aussi lumineuses qui traînaient au sol.

Autour de lui, une vingtaine d’amphores de vin étaient plus ou moins pleines, mais il s’en désintéressait parfaitement, entièrement à son travail.

— Pyt ? lui fis-je doucement en lui tapotant l’épaule.

Il sursauta, parfaitement inconscient de ma présence, et fit tomber un parchemin sur lequel étaient inscrits des glyphes de lumière que je ne comprenais pas du tout.

— Ouah ! Tu m’as fait peur ! Tu… Tu es déjà de retour ?

— Déjà ? Je suis tout de même partie depuis un sacré bout de temps… Tu as terminé avec ce dont nous avions parlé ?

Il m’adressa un léger sourire.

— Toujours directe, hein ? J’ai plus ou moins créé un antidote à l’addiction du vin, et tu ne peux pas imaginer le nombre d’amphores que j’ai dû gaspiller pour ça !

J’ouvris de grands yeux.

— Oh ! Tu as vraiment réussi ? Si rapidement ?!

— Oh, hola, fit-il en levant les mains comme pour m’arrêter, j’ai dit « plus ou moins ». Je n’ai effectué aucun test, je ne peux être certain que de la théorie.

Il avait terminé… Même si ce n’était pas parfait, ce ne pouvait pas être pire que les choses l’étaient déjà pour les drogués, n’est-ce pas ?

— Comment est-ce que ça fonctionne ? m’enquis-je rapidement tout en songeant à Arthur.

Cependant, Pythagore secoua lentement la tête face à ma question, l’air navré.

— Je crois que ça ne fonctionne pas simplement en… Écoute, il me fallait un cobaye et j’ai décidé de tester ça sur moi-même. Voilà trois jours que je n’ai pas bu de vin, et je n’en ressens toujours pas l’envie. Cela dit…

— Cela dit ? demandai-je avec anticipation.

Les choses telles qu’il les présentait allaient dans le bon sens, il n’allait certainement pas m’annoncer un malheur de plus. À mon grand désarroi, il secoua lentement la tête une fois encore.

— Petit à petit, l’envie revient. Elle refait surface, lorsque je dors. Je la sens, elle est comme un lointain phare dans la nuit. J’ai relancé le sort sur moi-même à plusieurs reprises afin de l’éloigner mais elle guette, tel un fléau blotti dans l’obscurité que l’on ne saurait totalement exterminer.

Alors il avait fait tout ça pour rien ? Non, ce n’était pas inutile. C’était un pas dans la bonne direction.

— Mon ami. Continue de chercher, le réconfortai-je en voyant son air désolé face à mes attentes, tu finiras par y arriver pour de bon. Je crois en toi.

En attendant, j’allais m’en tenir à mon plan initial et devenir la dealeuse personnelle du roi pendant le temps qu’il faudrait. Une fois par jour, j’allais me rendre sur Albion ; en attendant, je pourrais m’occuper de mon évolution en tant qu’Architecte. Cela faisait bien trop longtemps que je n’avais pas prêt attention à ce qui, finalement, revêtait la plus grande importance dans ma vie.

Raka
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10 thoughts on “DMS : Chapitre 113

  1. Merci beaucoup !

    De retour sur la pose de piège et autre fourberie en donjon, génial. 

    J’ai bien aimé ce passage ou l’héroïne échoue. C’est une chose qui devient de plus en plus rare dans les LN ou Manga. Les super héros arrivent toujours à tous remporté à la fin du même arc. Je m’attend tous de même à ce qu’elle retourne arranger le merdier qu’elle à produite plus tard avec plus d’expérience. Ou peut être même renverser Lancelot si elle le désire. Mais bon encore une fois merci de l’avoir fait échoue et pleuré tant avec la femme du forgeron qu’avec toute la ville de Camelot.

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