Chapitre 132 – Camelot en danger (1)
Tandis que je venais de rentrer avec Friderik, Pythagore et Joc nous attendaient déjà.
— Vous saviez que j’allais rentrer maintenant ? Leur demandai-je.
— Non, fit Joc en secouant la tête. Nous attendons là depuis hier soir. À vrai dire, nous avons des choses à te dire et elles sont assez importantes pour qu’elles prennent priorité sur tout le reste.
— Il s’est passé quelque chose ? M’enquis-je aussitôt d’une voix basse.
Pythagore m’adressa un sourire.
— Pas vraiment. La seule chose, peut-être, est que j’ai finalisé la potion qui met fin à la dépendance au vin. Elle est terminée pour de bon, Wuying. J’y ai mis tout mon talent, cette fois !
— Oh… soupirai-je en repensant à tous ceux qui auraient pu en avoir besoin.
Le roi Arthur. Les pauvres clients que j’avais servis dans ce repaire de bigots des paris clandestins. En réalité, plus personne n’en avait besoin. Ils étaient tous déjà morts. Tous… ? Non !
— Donne-le à Friderik, dans ce cas, vite.
— Friderik a bu du vin ? S’étonna mon vieil ami Grec en caressant sa longue barbe grise.
Je secouai la tête et voulut répondre mais mon slime me prit de vitesse. Il bondit au sol et s’approcha de Pythagore.
— J’ai avalé quelqu’un qui avait avalé du vin. J’en ressens désormais le besoin et en effet, il serait gentil de ta part de faire quelque chose à ce sujet.
Pythagore hocha la tête sans rien dire à propos du fait que Friderik eût pu bouffer un être humain et glissa la main sous sa toge, près de son torse. Il en tira une petite fiole, de quelques millilitres sans doute, guère plus. On aurait dit ces espèces d’échantillons de parfum que j’avais pu voir et utiliser dans les magasins, dans un vie qui me semblait si lointaine désormais…
Friderik tendit une excroissance grisâtre et gluante pour s’en saisir et l’absorber dans sa totalité sans même prendre la peine de l’ouvrir.
— Mais… Tu es sûr que c’est sans risque ? Même pour lui ? Réalisai-je malgré la confiance que je portais en le génie créatif de Pythagore.
— Aucun risque, m’affirma-t-il en hochant vigoureusement la tête.
Et en effet, comme il l’annonçait, Friderik confirma. Il se tourna vers moi et m’adressa lui aussi un signe de tête.
— Les effets ont déjà disparu. Je n’ai plus du tout envie de boire. D’ailleurs, je viens de gagner une compétence.
— Oh ?
— Oui, oui, continua-t-il. Le fluide interne à mon corps possède désormais une capacité de plus. En plus de digérer et d’absorber, il me protège maintenant contre toutes les dépendances liées aux drogues et autres substances provoquant une accoutumance.
— Vraiment ? M’écriai-je. Mais c’est… Tu… Tu es encore plus cheaté que moi, quand j’y pense.
— Qui a dit que tu étais l’actrice principale de notre aventure, eh, ricana-t-il en réponse.
Joc nous coupa la parole et m’observa en fronçant le sourcil.
— Wuying, qu’est-ce qui ne va pas ?
Je me tournai vers lui, le regard profond.
— Tu as remarqué ?
— Tu es anxieuse.
— Et il y a de quoi ! Friderik a bouffé le roi Arthur ! Tranchai-je net en criant d’un seul coup.
Pythagore, qui observait Friderik et déduisait quels effets avait pu avoir sa potion avec intérêt, s’arrêta net et me regarda fixement.
— Quoi ? Répète ? Demanda-t-il.
— Le slime que tu étudies avec attention a dévoré le roi d’Albion.
— Il l’a fait ? Il l’a vraiment fait ? S’intéressa Joc. C’est ça qui te pose un cas de conscience ? Ce n’était qu’un humain. J’ai déjà eu affaire à plusieurs de ses mentions par le passé et même si je ne le connais pas vraiment, il ne me semb…
— Non ! Arrête ! M’énervai-je. Ce n’est pas le souci ! Oui, bien sûr ! Je suis triste pour lui, et ce qui lui est arrivé est en grande partie ma faute ! Mais… Mais… Non, le roi, c’est une face du problème et pas la moindre.
— Oh… eût-il l’air de réaliser. Tu parles de Lancelot, n’est-ce pas ? Son homme de main et plus puissant sbire ? Il est entré dans un rage folle et…
— Même pas ! Le coupai-je encore. Laisse-moi donc terminer.
Je pris quelques secondes pour souffler un peu. Je repris lorsque je pus continuer, les doigts de la main droite sur les tempes.
— Le roi avait bu du vin. Une quantité infime, une simple goutte, tu le sais. Je vous l’avais dit. Cependant, j’ai eu un énorme contretemps qui s’est soldé par une chose simple : il a fini par sombrer dans la…
Friderik me tapota l’épaule avec compassion.
— Je vais leur dire, clama-t-il tout bas pour me rassurer et me calmer avant de se tourner vers Joc.
Il soupira et se lança.
— Pour être parfaitement clair, le roi est devenu fou. Je l’ai côtoyé pendant quelques temps et malgré ça, je n’ai pas pu le reconnaître lorsqu’il m’a agressé, dans la forêt. J’ai cru qu’il s’agissait d’un gros gobelin, une espèce que je ne connaissais peut-être pas… et je l’ai mis à mort, aussi simplement que ça. Ce n’était qu’un humain, tu sais.
Joc hocha la tête mais attendit la suite sans piper mot.
— Je l’ai absorbé, m’imaginant ne pas laisser un cadavre de monstre pourrir là. Après tout, j’aurais peut-être pu y gagner un ou deux points de compétence alors j’ai pris quelques secondes pour…
Friderik trembla légèrement en repensant au moment où il avait dévoré le cadavre d’Arthur, encore pris de légers spasmes.
— …j’ai absorbé sa folie naissante en même temps que son besoin de vin. Si le dernier ne me faisait pas peur, cette démence est en train de me ronger de l’intérieur et je lutte à chaque seconde pour garder les idées claires.
Joc secoua la tête et se mit à réfléchir. Au bout de quelques minutes alors que personne n’osait l’interrompre, il finit par secouer la tête.
— Je ne vois pas quoi te dire pour l’instant, Friderik. Malgré toutes mes connaissances et mon expérience, je n’ai jamais rencontré de créature comme toi, alors ce genre de cas encore plus particulier…
Joc leva les mains au ciel pour avouer son impuissance. Je me tournai alors vers Pythagore.
— Hah. Si Joc dit qu’il ne peut rien faire, que pourrais-je moi-même inventer comme solution ?
— Un sort ? Proposai-je alors.
— Oho ? Un sort ? Un sort qui ferait quoi ? S’intéressa-t-il. Un sort capable de réprimer sa folie ?
— Et pourquoi pas ? Répliquai-je. Je croyais que la magie pouvait tout faire.
— Oui. Encore faut-il savoir comment. Et avoir le temps d’étudier, de tester, d’échouer et de recommencer. Penses-tu que nous l’avons ?
Il ne voulait rien faire non plus.
— Alors quoi ?! Tu me dis que tu ne veux rien faire ? Que tu veux laisser Friderik plonger dans un abîme sans fond en le regardant devenir fou ?! C’est hors de question !
— Je n’ai pas dit ça. Mais que veux-tu que je fasse ? Mon potentiel est déjà entièrement occupé à développer un sceau afin de totalement réprimer la persona qui sommeille en toi. Tu voudrais que j’abandonne tout ?
— Oui. Totalement. Friderik a un problème urg…
— Stop. Tous les deux, plaqua Joc d’un ton sec. Friderik lutte mais il est fort. Il est capable de se battre. Il a certes absorbé la folie du roi, mais elle n’est pas alimentée par le besoin de vin. Elle ne grandira pas et s’il peut la contenir, nous avons du temps. Friderik, penses-tu pouvoir tenir le coup ?
Le slime ne répondit rien dans un premier temps mais finit par soupirer et abandonna.
— Oui. Je ferai ce qu’il faut pour ça.
Maintenant que je me voyais légèrement rassurée sur son état immédiat, autre chose avait attiré mon attention.
— Pyt ? Qu’as-tu dit sur la persona, à l’instant ?
Il m’adressa un sourire satisfait et me posa les mains sur les épaules.
— Wuying, je suis en train de travailler à toute vitesse. Mes méninges tournent et tournent encore ; je m’en vais bientôt aller effectuer des tests et créer un sort qui va te permettre de sceller la persona pour de bon. Avec ça, plus aucun risque qu’elle fasse des siennes, d’aucune façon !
— Tu es vraiment en train de faire ça ? Voulus-je m’assurer.
— Tu peux dire merci à Joc. Il m’a fourni toutes les informations nécessaires pour ça. Sans lui, je ne saurais toujours pas par où commencer ! Sa tête est vraiment une bibliothèque incroyable et presque infinie !
Joc esquissa un sourire mais ne répondit pas à la flatterie. Il devait avoir l’habitude de Pythagore, à force.
— C’est de ça que je voulais te parler lorsque tu es arrivée, en réalité. Nous allons totalement verrouiller ta persona. Ainsi, elle ne pourra plus jamais reprendre le contrôle de ton corps.
— Je vois. Alors, elle restera en moi à tout jamais malgré tout ? J’aurais préféré que…
— Que nous la supprimions ? Répliqua Joc. Malheureusement, ce n’est pas possible. Même après analyse de ton âme, je n’ai pas réussi à comprendre comment elle faisait pour y être ancrée alors que tu es sortie d’Imperos. Malgré tout ce que je sais, je n’ai rien vu qui puisse le permettre. Elle ne devrait pas pouvoir être là, en toi et pourtant…
— Elle y est, conclus-je.
— Elle y est, répéta-t-il en hochant la tête. Par un mystère que je ne sais résoudre, elle est capable de rester en toi malgré la distance. C’est pour cette raison que je me méfie d’elle, en plus de ce que tu m’as raconté concernant son comportement et ses connaissances sur ton corps. Tu as bien dit qu’elle avait été capable de choisir quelle compétence allait te donner l’Appropriation ?
Je hochait la tête.
— C’est ce qu’il m’a semblé, en effet. Tout était trop parfait, le timing, sa façon d’être sûre d’elle… La compétence idéale au bon moment. C’était… Je ne sais pas. Elle l’a choisie.
— Hmm…
Joc attrapa son menton dans sa main comme il avait l’habitude de le faire lorsqu’il réfléchissait réellement intensément. J’aurais juré pouvoir apercevoir la fumée qui lui sortait des oreilles mais évidemment, ce n’était qu’une impression laissée par son immense concentration.
— J’aimerais que Friderik m’accompagne, annonça Pythagore. Je voudrais voir si je peux malgré tout faire quelque chose pour lui. Sait-on jamais.
— Oui. Oui, bien sûr, répondis-je. Prenez votre temps. De toute façon… Je ne sais même pas ce que je vais faire maintenant. Je suppose que… je vais devoir reprendre ma vie banale de créatrice de donjons.
C’est ce que je disais à chaque fois, et à chaque fois, autre chose me tombait sur la gueule sans crier gare. J’allais faire en sorte de supprimer le donjon d’Albion pour ne plus jamais y remettre les pieds et ensuite ? J’ouvrirais un nouveau donjon quelque part, loin. Et quelque chose me disait que comme d’habitude, ma relation avec la déesse de la chance n’allait pas s’améliorer et que j’allais encore une fois au-devant de graves ennuis.
Mais que pouvais-je faire d’autre ?
— Que pourrais-je faire d’autre ? Pensais-je à voix haute.
Joc m’adressa un léger sourire.
— Un jour, j’aimerais que tu libères tous ceux que le système a possédé.
Et il me lâchait ça comme ça ?
Juste comme ça ?
— Hah. Elle était bonne, celle-là.
Je disais ça mais je savais que Joc n’était pas plaisantin. Je ne pouvais même pas me souvenir si un jour ou l’autre, il m’avait montré qu’il était capable de comprendre ce qu’était l’humour.
— …Tu veux vraiment que je fasse un truc de taré comme ça ? C’est impossible. Tu le sais très bien.
Il fallait que je le fasse vite redescendre de son nuage. Il ne répondit pas à mon intervention et se contenta de m’adresser un sourire simple et naïf, empli de confiance.
— Impossible, je te dis.
Son sourire ne diminua malgré tout que très peu et il semblait attendre quelque chose de ma part. Mais quoi ?
— Bon, crache le morceau… Si on s’est tout dit, je retourne sur Albion et je me débrouille pour faire fermer le donjon.
— Je crois que ce n’est pas tout, non, finit-il par avouer. J’étais en train de penser… de réfléchir. À ta persona, en particulier. Elle présente vraiment des caractéristiques particulières et intéressantes et…
— Et… ?
— …Et je me demande s’il serait vraiment si pertinent de la sceller à tout jamais en toi.
— Hein ? Et que veux-tu faire d’autre ?
— Nous allons la forcer à se soumettre.
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Merci pour le chapitre !
Merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre
ça fait plus d’un mois qu’on a pas eu de tes nouvelle j’espère que tu vas bien toi et les tiens, quelle Drôle d’époque…