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Chapitre 31 – Politique (2)

 

Je ne parvenais pas à calculer le temps qui passait. J’aurais pu rester des jours et des semaines attachée ainsi, dormant de temps à autre, m’éveillant dans le froid ou tentant de vains mouvements afin de tromper mon corps engourdi, et j’étais toujours incapable de comprendre ce qu’ils attendaient réellement de moi.

Même s’ils me gardaient des années clouée au mur et immobile, qu’est-ce qui leur faisait imaginer que j’allais changer d’avis ? Que je n’allais, d’un seul coup, plus aller dénoncer ce meurtrier ?

D’ailleurs, même si je jouais le jeu et leur promettais de ne pas le faire, qui leur garantissais que je ne mentais pas ? Et que je n’allais pas dénoncer cet abruti de père en même temps ?

Je réfléchissais à des tas de choses. Et le pire, dans tout ça, c’était l’ennui. J’avais l’impression d’être attachée à ce mur depuis presque un an déjà… Je ne pouvais pas imaginer rester là encore des années. J’allais certainement devenir folle bien avant.

La seule chose qui me consolait était que je pouvais parfois fermer les yeux et me plonger dans mon donjon. Je ne pouvais évidemment rien y faire, restant une simple observatrice ; mais voir des explorateurs se faire tuer encore et encore restait mon unique passe-temps.

J’avais rapidement noté que Friderik avait trouvé le moyen de se rendre seul au Palais des Mille Miroirs et qu’en mon absence, il se contentait de massacrer ses anciens collègues, et bien d’autres qu’il ne connaissait sans doute pas. Parfois, Dugnekk n’avait même pas l’occasion d’agir, le slime devenu le deuxième boss du donjon avait une puissance hors du commun. Il avalait nombre d’équipements et devenait de plus en plus résistant, agile et frappait toujours plus fort.

Il n’avait clairement pas besoin de moi pour faire fonctionner le donjon. Et c’était bien, parce que coincée comme je l’étais, enchaînée à ce mur froid dans cette pièce sombre, je ne pouvais pas faire grand-chose moi-même.

— Hmpfff…

Je soupirai à travers mon bâillon.

Combien de temps avais-je déjà passé ainsi ? Je pensais à huit mois, au moins. J’avais perdu la notion du temps. Peut-être bien plus que ça.

Je ne savais plus quand dormir, je ne savais plus quand m’éveiller, quand m’ennuyer et quand essayer un vain de briser mes entraves à l’usure.

Ce jour-là, je m’attendais à passer des heures à pleurer une fois de plus, désespérée et impuissante. La tête baissée comme trop souvent et meurtrie par le métal froid qui cerclait mon cou, j’entendis enfin un bruit dans le couloir qui menait à ma geôle.

Clac. Plaf. Slurp.

— Hm ? Il… Il y a enfin quelqu’un ?

Ma voix était éraillée, je n’avais pas parlé depuis si longtemps… Mon esprit me jouait des tours, j’en était certaine. Il n’y avait personne.

Je devenais folle, pour de bon. Telle la pucelle d’Orléans, j’entendais des voix, maintenant.

Et c’était sans doute ce que le Maître de la Secte, quelque part au-dessus, attendait. J’en eu la certitude à ce moment précis.

Slurp.

— Hein ?

Je ne l’avais pas rêvé. Il y avait quelque chose qui coulait. Ou… Non !

— Salut.

…qui se déplaçait !

— Fwidewimphf !

Mon slime préféré était là, tranquillement posé devant les barreaux de ma cellule ! Moi qui attendais un chevalier sur un destrier blanc, j’allais être sauvé par un slime gris et gluant. Mais qu’importait ! J’allais enfin pouvoir sortir !

Il se glissa entre les barreaux de la cage et vint se frotter aux entraves qui m’enserraient les chevilles, avant de remonter vers celles de mon cou et de mes poignets en se grimpant au mur .

Elles se brisèrent sans effort et je tombai au sol, complètement étourdie et les muscles endoloris. Je ne pouvais pas tenir debout et tombai presque à plat ventre avant de retirer mon bâillon avec grand mal.

— Ben dis donc, toi. Tu m’auras fait chercher.

— C… Comment…

— Comment est-ce que je t’ai trouvée ? C’est pas compliqué, ma belle. Tu n’es pas rentrée depuis un bout de temps. J’ai commencé à m’inquiéter. Alors j’ai compris comment gérer notre donjon moi-même, mais…

Notre’ donjon ? …Bon. Il a fait du bon boulot, j’avoue. Il peut se le permettre.

— …mais au bout de trois jours sans te voir, j’ai commencé à m’inquiéter. Tu ne rentrais pas de la nuit, tu ne donnais pas de nouvelles pendant la journée. J’ai croisé FeiLong et lui non plus ne savait pas où tu étais. Du coup, après avoir fait mon job dans le donjon la journée, je sortais à la faveur de la nuit et de mon camouflage pour enquêter sur toi. Et crois-moi, les gens parlent.

Trois jours ? Et il avait mis tous ces mois pour finir par me trouver ? Remarque, Imperos était immense. Je n’étais pas étonnée.

— Au bout de deux jours de plus, j’ai fini par tomber sur deux types qui discutaient de la ‘grognasse enfermée au sous-sol’. Il ne m’a fallu que quelques heures pour te trouver, c’était facile.

Hein ?

— Q.. Quoi ?

— Drôle de façon de dire merci, mais y a pas de quoi. Au fait. Tu vas sortir comme ça ?

— Comme ça ?

Je suivis son regard et réalisai d’un coup. J’étais toujours nue ! Et en arrivant, il m’avait même vue dans toute ma splendeur !

À ce moment, j’avais envie de me cacher dans un trou et de ne plus jamais en sortir. Je rêvais presque qu’il me laisse croupir dans cette cellule et qu’il s’en aille pour toujours !

Mais autre chose me choquait.

— Combien de temps suis-je restée là ?

— Je te l’ai dit, cinq jours.

— C… Cinq jours ?! Tu veux dire, cinq mois ?

— …ah, non, non. Cinq jours.

C’était complètement fou. J’avais l’impression qu’une éternité s’était écoulée. Je devais vraiment devenir complètement tarée.

— …

— Et donc, tu comptes sortir comme ça ?

— …Et tu veux que je fasse comment ? Je n’ai plus de vêtements…

— Hah !

Il s’exclama et cracha une toge, probablement prise dans mon armoire.

— Tu… Tu peux faire ça ?

— Ouaip. J’ai appris comment bouffer des trucs sans les détruire. Au fait, tu savais que je disposais d’un espace de stockage similaire à l’inventaire, et d’une taille extraordinaire ?

— Tu n’as vraiment pas chômé pendant que je n’étais pas là, pendant ces longs mo… ces cinq jours.

— Tu as vu ça ?

Il était fier de lui ; il apprenait à contrôler et à connaître son corps de slime. Et c’était pour le mieux. Il était puissant et s’il savait se maîtriser, il pourrait devenir le boss de donjons que je n’aurais pas besoin de peupler. Je pourrais alors y placer un nombre incalculable de pièges à la place !

— Bon, on sort ?

Il était entré facilement et comptait ressortir aussi simplement. Mais sa compétence de camouflage et sa taille le lui permettait. Moi… C’était une autre histoire. Je n’allais pas pouvoir passer au nez et à la barbe de tout le monde, en haut.

— Et je fais comment pour remonter, moi ?

Je lui posais la question en me rhabillant. J’avais vraiment honte qu’il m’ait vu dans le plus simple appareil, bras et jambes écartées, impuissante et attachée comme je l’étais. Mais il avait l’air de s’en moquer à peu près autant que de son premier caleçon. Est-ce qu’il était vraiment aussi pervers que je me l’imaginais ?

Non, ce n’était pas possible, il était définitivement comme ça. Il me l’avait prouvé à plusieurs reprises. Il était bien trop amoureux de mes charmes.

Il haussa un morceau de slime qui lui servait d’épaules et rongea les barreaux de ma cellule.

— Une femme attachée, ce n’est pas mon truc. C’est ça que tu te demandes ? Bon, allez, on verra. Allez, viens. Je ne pense pas que ça posera trop de problème.

Je lui emboitai le pas, bien décidée à sortir de là par tous les moyens.

En remontant, je pus constater que les lieux étaient déserts. Il n’y avait pas âme qui vive, pas un garde, pas un membre de la Secte.

— Mais… Pourquoi ?

Friderik se retourna vers moi et me répondit nonchalamment.

— Ben, ils dorment tous. Il fait nuit, tu sais.

Il faisait nuit, mais bien sûr ! Mais c’était tout de même étonnant que personne ne monte la garde. N’importe qui aurait pu entrer et descendre me voir…

La Secte de l’Eau Trouble est vraiment respectée au point qu’elle n’ait même pas besoin d’être gardée ? C’est fou.

Devrais-je tenter de voler des choses, tant que personne n’est là ?

Hmm… Je ne devrais peut-être pas perdre de temps, on ne sait jamais… Quelqu’un pourrait arriver.

Et ce fut ainsi que mon évasion se déroula sans accroc, dans le meilleur des mondes.

— J’ai eu tellement de chance de pouvoir m’échapper ainsi. Je pense que tout la chance que j’ai accumulée en souffrant de malchance dans cette cellule vient d’être dépensée d’un seul coup.

— Hein ?

Friderik, que je venais de ranger dans un pli de ma toge à son endroit préféré, leva les yeux vers moi. Le genre de regard qui disait qu’il ne comprenait pas ce que je racontais.

— Peu importe. Mais… J’y pense… Tu es maintenant capable de gérer ton propre camouflage et tu es assez rapide pour me suivre. Pourquoi t’ai-je caché là ?

— …Je ne vais pas si vite… et je ne me camoufle pas si bien que ça…

— Bien sûr. À d’autres.

— Non, non, je t’assure ! Je suis bien plus en sécurité ici…

— …C’est bien parce que tu m’as sauvée…

— Héhé.

 

**

 

Le Palais était fermé et le bâtiment administratif aussi. Il faisait nuit et je n’avais même plus de montre, ces enfoirés m’avaient volé la mienne. Mais peu m’importait pour l’instant. J’allais pouvoir passer une bonne nuit dans un lit bien douillet. C’était un doux bonheur que de me l’imaginer.

Et à peine allongée sous les couvertures, je faillis me laisser aller à un vieux réflexe ; la voix de Friderik me rappela à l’ordre au dernier moment.

— Bon. Ben, bonne nuit, Wuyin.

Oh, merde, il est juste couché là, à côté de moi… Et dire que j’ai failli… Qu’est-ce qu’il aurait dit ?

— …Bonne nuit.

 

***

 

J’ouvris les yeux, immédiatement consciente de l’excellence de la nuit que je venais de passer. Je n’avais pas dormi autant d’heures d’affilée depuis fort longtemps ; bon, cinq jours, ok…

Je me retournai légèrement, et sentis une douceur gluante sous ma nuque.

— …Hein ?

Mon oreiller avait disparu, et Friderik l’avait remplacé. Bon sang, il se croyait vraiment tout permis !

D’accord, il était super confortable, bien plus qu’un oreiller, mais il aurait pu me demander ! Il enveloppait tellement bien ma nuque ; deux petites excroissances descendaient même jusqu’à la naissance de ma poitrine.

— Non, mais… Toi…

Il m’avait peut-être sauvé des griffes de la Secte, mais il ne fallait pas non plus qu’il s’imagine que ça lui donnait tous les droits, surtout pendant mon sommeil. Je lui claquai légèrement la tête et il se mit à vibrer en se réveillant.

— Hmm… Oh ? Tu es réveillée ? Enfin ?

Lorsqu’il retira ses deux petits tentacules qui n’étaient pas très loin de me toucher le « sommet de la colline », je me relevai et me retournai pour le regarder droit dans les yeux tandis qu’il reprenait sa forme normale.

— Oui ! Et toi, qu’est-ce que tu crois que tu faisais, là ?!

— Hein ? Ben… Je faisais l’oreiller… Je crois… 

— Ah, sans blague ? Comme si je n’avais pas remarqué ! Ce n’était pas ma question !

Il s’excita légèrement en se mettant à onduler.

— Eh ! C’est toi qui m’a attrapé en plein milieu de la nuit et qui a balancé ton oreiller par terre ! Moi, je n’y peux rien ! Tu crois que ça a été facile de m’habituer à dormir à moitié écrasé ?

— …Hein ? C’est moi qui… ?

— Ben oui !

— Mais quand même ! Tu crois que ça te donnait le droit de t’allonger jusqu’à me toucher la poitrine ?

— Ah, mais… Il fallait bien que je trouve un doudou pour dormir dans cette position inconfortable…

— …

Je bondis hors du lit, décidée à mettre un terme à cette conversation sans queue ni tête.

— Il est temps d’aller voir s’ils en connaissent un rayon sur Dostoïevski.

— Sur quoi ?

— …Crimes et châtiments… On va aller dénoncer cette bande de cons.

— Ah. Allez, c’est parti.

Ainsi, nous reprîmes la route de bon matin, au nez et à la barbe des membres de la Secte qui allait bientôt souffrir ; ils pensaient alors tous que j’étais encore gentiment enfermée dans leur cave.

Raka
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12 thoughts on “DMS : Chapitre 31

  1. Raka la sexualité dans tes livres s’exprime d’un genre nouveau
    Sinon les architectes c’est tou des pervers et personne n’a essayé de la violer pendant son enfermement ?
    Bon, merci quand même pour le chapitre 

    Ps : je sais que je parle beaucoup de ça. Met-le sur le compte de mon innocence d’enfant 🙂

    1. Évidemment, personne n’est descendu la voir pendant sa captivité. C’est d’ailleurs le but de sa captivité.

      Quelque chose me dit que tout le monde n’était pas forcément au courant et qu’ils ont de toute façon une interdiction absolue de descendre. 

      Désobéiraient-t-ils a leur maître ? 

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